info-patients Info-Patients L’éthique au quotidien L’annonce du diagnostic dans la maladie d’ALzheimer F. Mahieux* Conformément à la tradition permettre un accord quant à française, le diagnostic de celui qui se sentirait le a maladie d’Alzheimer s’inscrit aujourd’hui, à son maladie d’Alzheimer, consimieux à même de percevoir tour, dans la rupture avec la tradition française de déré comme synonyme de et de répondre aux réactions taire au patient – voire à sa famille – un diagnostic consi- du patient et de sa famille. déchéance inéluctable dépourvue de traitement déré comme grave ou incurable. La qualite de l’entourage curatif, n’est que rarement familial et les capacités du patient sont à prendre en communiqué directement au compte lors de ce moment difficile, requérant tact et patient. La famille elleempathie, mais indispensable à l’etablissement de la En général, le neurologue même n’est souvent prévepeut recueillir dès le premier nue du diagnostic précis que confiance, pierre angulaire de la prise en charge. entretien des arguments tard dans l’évolution. Cette solides en faveur du diagnosattitude n’est plus, aujourpeutiques vis-à-vis de la prise en charge de ce tic. Dans ce cas, et en fonction de l’état du d’hui, admissible de façon systématique. Pour type d’affection en rend l’annonce particulièpatient, de l’importance de sa plainte et de sa autant, il ne saurait être question d’infliger en rement malaisée. Les familles elles-mêmes structure familiale, on pourra évoquer d’emtoute circonstance un même discours sans sont souvent réticentes. Elles ont peur des blée la possibilité d’une “maladie de la nuance. réactions de “catastrophe” de leur proche et mémoire”, différente du vieillissement norL’évolution scientifique permet un diagnostic ne se sentent pas toujours capables d’y faire mal. La nécessité de pratiquer des examens de plus en plus précoce et a, d’ores et déjà, face. Deux études américaines (1996, 1997) complémentaires et/ou un bilan neuropsychomis des médicaments spécifiques à la disposiont permis de se rendre compte que 43 à 83 % logique, s’il n’a pas eu lieu d’emblée, permet tion des patients. L’évolution des mœurs va des proches d’un malade préféreraient que ce à l’idée de faire son chemin chez le patient et vers la plus grande transparence possible des dernier ne soit pas mis expressément au cousa famille. Certains annoncent également que relations entre les médecins et les malades. Il rant de son diagnostic. À l’inverse, pourtant, la visite suivante sera l’occasion de parler du est volontiers admis qu’outre le devoir de 70 à 90 % de sujets âgés normaux interrogés diagnostic. La précision que des traitements vérité, la connaissance de son diagnostic par souhaiteraient connaître leur maladie s’ils en existent et seront également envisagés à ce un patient lui permet de participer pleinement étaient affectés. Rares, enfin, sont les patients moment-là permet de garder une dimension à son traitement, voire de prendre lui-même ou les familles qui demandent ouvertement positive à cette perspective. Lors de la visite des décisions difficiles engageant son avenir s’il s’agit d’une maladie d’Alzheimer, ce qui suivante, avec l’ensemble des éléments autoriet celui de ses proches. Aujourd’hui, enfin, simplifierait l’entrée en matière. sant le diagnostic selon les critères modernes, cette annonce est une obligation légale, renle terme de “maladie d’Alzheimer” devra être due évidente par l’inscription du diagnostic prononcé. sur les notices de médicaments. Il s’agit d’un moment extrêmement difficile pour le praticien comme pour le patient et son A priori, l’annonce du diagnostic devrait être entourage. La plupart des médecins n’ont faite par celui qui l’a établi et qui envisage de bénéficié d’aucune formation à ce type de Chacun adaptera son annonce à sa propre perpoursuivre la prise en charge. Une enquête communication. La faible confiance de nomsonnalité, ainsi qu’à celle de ses interlocurécente, non encore publiée, de la consultation breux praticiens dans leurs capacités thérateurs. Le niveau de détérioration du patient et mémoire de Saint-Étienne semble montrer la qualité de l’entourage affectif des proches qu’une majorité de médecins généralistes présont des éléments déterminants. La présence fèrent que le centre spécialisé se charge de d’un membre de la famille, lors de cet entrel’annonce initiale, le médecin étant dûment tien, nous paraît souhaitable. Elle permet prévenu de son côté, afin de répondre aux * Centre d’évaluation gérontologique d’éviter des réactions de méfiance, fréquentes et d’actions de prévention, hôpital Charles demandes complémentaires qui peuvent s’enchez ce type de patients, et de donner à tous la Foix-Jean Rostand, Ivry-sur-Seine. suivre. Une concertation préalable pourrait L Quand ? Qui ? Comment ? 259 info-patients Info-Patients même information (pas de double langage) autorisant une discussion ultérieure à domicile. En ce qui nous concerne, nous procédons volontiers en trois temps. Tout d’abord, nous reprenons la notion qu’il s’agit bien d’une maladie de la mémoire et en aucun cas d’un vieillissement normal. Ensuite, nous expliquons que la mémoire peut être altérée par différentes maladies, dont le diagnostic précis n’est pas toujours possible à ce stade. Parmi ces maladies figure la maladie d’Alzheimer. Le suivi sur un plus long terme permettra de confirmer ou de modifier l’étiquette diagnostique. Afin d’éviter de laisser s’installer une réaction d’affolement, nous enchaînons immédiatement sur les perspectives thérapeutiques : un traitement spécifique existe. Il va être mis en place. Nous donnons ensuite des explications sur le traitement : ce que l’on peut ou non en attendre (stabilisation clinique, plutôt qu’amélioration franche) et ses possibles effets secondaires. Il vaut mieux à ce stade éviter toute discussion concernant l’évolution, dont on connaît la variabilité dans le temps, et insister sur les possibilités thérapeutiques et l’importance du suivi. La première visite de suivi thérapeutique devra être relativement proche, aussi bien pour s’assurer de la tolérance du traitement, que pour répondre aux questions qui n’auraient pas pu être posées immédiatement. De nombreux problèmes ne sont pas résolus. Rares sont encore les praticiens qui annoncent ce diagnostic. Les obstacles les plus volontiers mis en avant, outre la difficulté “d’encaisser” le pronostic qui en découle, sont les troubles de compréhension et de mémoire inhérents à la maladie : “Il ne comprendra pas et, de toute façon, il oubliera, donc cela ne sert à rien, sauf à infliger une souffrance.” C’est un argument recevable, mais qui n’est pas toujours valable. De nombreux patients acceptent le diagnostic infiniment mieux que quiconque ne s’y attendait (peut-être, effectivement, du fait d’un trouble du jugement). L’oubli peut n’être que partiel au début. Enfin, le souvenir gratifiant d’avoir été traité comme un interlocuteur responsable peut perdurer largement après l’oubli du contenu précis de l’entretien. L’argument de l’incertitude diagnostique n’en est pas un. Si la fréquence des erreurs est bien connue, il s’agit essentiellement d’erreurs d’étiquette (Alzheimer, corps de Lewy, Pick, etc.) qui ne changent pas vraiment le pronostic à long terme, tout au moins du point de vue de la vie quotidienne et de l’autonomie qui sont ce qui importe aux patients et à leur entourage. Le risque suicidaire, pour exceptionnel qu’il apparaisse, ne doit pas être négligé. Il est évident qu’un patient clairement déprimé justifie avant tout d’un traitement spécifique, dont l’issue ZOMIGORO peut d’ailleurs modifier le diagnostic. Mais on rappellera que l’état dépressif majeur est un critère d’exclusion du diagnostic de maladie d’Alzheimer. Il est toujours licite de retarder l’annonce du diagnostic si le moment n’en paraît pas vraiment opportun. En revanche, il ne faut pas perdre de vue que l’évolution spontanée donnera le diagnostic, au moins à la famille, parfois trop tard pour prendre des décisions nécessaires à un maintien à domicile de bonne qualité. Sans prôner une “vérité absolue”, autoritaire, intransigeante, qui se suffirait à elle-même malgré sa brutalité, il nous semble important, pour une meilleure prise en charge du patient, de démarrer le suivi sous le signe de l’honnêteté et de la confiance réciproque. Pour en savoir plus ● Maguire CP, Kirby M, Coen R et al. Family members attitudes toward telling the patient with Alzheimer’s disease their diagnosis. Br Med J 1996 ; 313 : 529-30. Barnes RC. Telling the diagnosis to patients with Alzheimer’s disease : relatives should act by proxy for patients. Br Med J 1997 ; 314 : 375-6. ●