Editorial Juin–Juillet 2008
Editorial
Vers un scénario de stagflation de type années 1970 ?
Les craintes de matérialisation d’un risque systémique ont été repoussées, l’aversion au risque a diminué. Pour autant, la
crise financière n’est-elle pas totalement terminée, comme le montrent la persistance de spreads anormalement élevés sur
les marchés monétaires ou encore la dégradation récente des notes des assureurs « monolines ». Le pire paraît en tout cas
avoir été évité. Toutefois, les conséquences de la crise sur l’économie réelle ont à peine commencé à se faire sentir. Hausse
du coût de l’argent et resserrement des critères de distribution du crédit, dont témoignent aussi bien les enquêtes de la FED
(le Senior Loan Officer Opinion Survey) que les enquêtes trimestrielles de la BCE, conduisent à un ralentissement de
l’endettement, déjà patent du côté des ménages. Par delà la poursuite du marasme immobilier, la baisse des prix de
l’immobilier (près de 15% en glissement annuel pour les vingt principales agglomérations selon l’indice Case Shiller) a aussi
interrompu la capacité des ménages américains à extraire de la liquidité à partir de leur richesse immobilière. Les Flows of
funds du premier trimestre font état d’une amorce de contraction de l’encours des Home Equity Loans.
Pour l’heure, l’économie américaine, grâce à la contribution positive du commerce extérieur (effet différé de la dépréciation du
dollar, recul des importations lié au tassement de la demande interne), a pu éviter l’entrée en récession. La croissance a
certes été très modeste, mais pas négative. L’indicateur ISM s’inscrit toujours à des niveaux nettement supérieurs à ceux
observés à l’aube des récessions passées. Si, suite à la détérioration du marché du travail, avec cinq mois consécutifs de
baisse des effectifs, et à l’envolée des prix de l’alimentation et de l’énergie, le pouvoir d’achat des revenus s’est trouvé
amputé et si la confiance des particuliers a renoué avec des niveaux historiquement bas, la mise en œuvre du programme
d’allègements fiscaux adopté l’hiver dernier a commencé à porter ses fruits avec, en mai, un rebond de 1% des ventes au
détail par rapport au mois précédent. Dans ce contexte, la FED, tout en reconnaissant la persistance de risques pour l’activité,
a annoncé un coup d’arrêt à la baisse des taux.
Dans la zone euro, la croissance a été très soutenue au premier trimestre, ressortant à 2,2% en glissement annuel. Si les
indicateurs économiques conduisent à anticiper un ralentissement sensible dans les trimestres à venir (le PMI composite
apparaît compatible avec un taux de croissance du PIB de l’ordre de 0,3 -0,4% t/t au deuxième trimestre), on reste loin d’un
effondrement. Dans ces conditions, la BCE a renforcé sa rhétorique musclée en avertissant de la possibilité d’un relèvement
du taux refi. Cela a conduit à des anticipations de hausses sur les marchés. Dans ces conditions, il paraît difficile de voir la
BCE faire machine arrière, il en irait de sa crédibilité. Rappelons que la hausse du refi au-dessus de son niveau actuel de 4%
était envisagée à la veille de l’éclatement de la crise des « subprime», la BCE considérait alors qu’il s’agissait de revenir à la
neutralité. Le taux neutre est typiquement l’addition du taux de croissance potentiel et de la cible d’inflation. Or, depuis, le
rythme de la hausse des prix s’est accéléré. La poussée des prix, dans un contexte de ralentissement, a fait apparaître les
craintes d’entrée dans une phase de stagflation. Pour l’heure, cependant, la hausse des prix relatifs de l’énergie et de
l’alimentation n’a pas été suivie par une dérive de l’inflation sous-jacente. Pour qu’il en demeure ainsi, il faut éviter que les
anticipations inflationnistes, très sensibles au comportement des prix de l’alimentation et de l’énergie, perdent leur ancrage et
aboutissent à la mise en place d’une spirale prix-salaires. Lorsqu’une telle configuration se matérialise, elle est très coûteuse
à éliminer en termes de croissance et d’emploi, comme l’a montré l’expérience du tournant des années 1970-1980. Cette
préoccupation est renforcée, dans le cas américain, par le fait que les anticipations de baisse des taux pèsent sur le dollar, ce
qui dans les dernières années n’a pas été sans conséquences sur les cours du pétrole. En Europe, le fait que la courbe de
Phillips soit aplatie (ou si l’on préfère que la hausse des prix soit devenue moins sensible à l’évolution de l’output gap) rend la
lutte contre l’inflation plus coûteuse en termes d’activité, d’où la nécessité de ne pas se retrouver « behind the curve » et de
préserver une crédibilité anti-inflationniste, alors même que les taux d’inflation point mort se sont redressés, dans les derniers
mois, passant de 2 à 2,6% dans la zone euro). L’attitude que paraissent devoir suivre les banques centrales des pays
occidentaux – éviter qu’un phénomène de prix relatif (cours pétrolier) ne se transforme en inflation – devrait conduire à
repousser le risque de voir se matérialiser un scénario du type années 1970. Le succès ne peut venir des seules banques
centrales des pays avancés.
2 | Direction des Etudes Economiques