L’existence de l’entreprise est une évidence pour le sens
commun. Il suffit d’observer les immenses tours du quartier de
La Défense à Paris pour percevoir visuellement l’identité
immédiate et massive de grandes entreprises. Pourtant toutes
les disciplines peinent à la définir et le droit n’échappe pas à la
difficulté. Car l’évidence est trompeuse. Dans chaque tour, c’est
une multitude de sociétés qui siègent. Si l’on ajoute les sociétés
apparentées ou dépendantes économiquement, voire les métiers
ou les filières homogènes, les contours de l’entreprise
deviennent beaucoup plus flous qu’on ne le pense et son
contrôle peut prendre diverses formes. Celle de la propriété et de
la quasi-propriété, comme c’est le cas de l’entreprise individuelle
ou de l’entreprise maîtrisée par ses actionnaires. Ou celle plus
diffuse de la possession, lorsqu’une société en contrôle une
autre, ou, autre exemple, lorsque les dirigeants disposent d’une
grande autonomie, pour diverses raisons d’ordre stratégique
(enracinement du dirigeant, valeur de l’homme-clé, effacement
ou dispersion de l’actionnariat, etc.) et peuvent s’affranchir du
pouvoir des propriétaires anonymes du capital
.
L’image de l’entreprise s’estompe un peu plus lorsque l’on
envisage les formes que le droit lui donne. Sous le prisme de la
technique juridique, la réalité de l’entreprise devient multiple,
relative et décalée. Poursuivant une diversité d’objectifs
spéciaux, les règles applicables lui ont donné une image bariolée
et les efforts pour en dégager un concept unique sont restés
vains. Faut-il en rendre responsable la complexité de son
analyse économique en terme d’organisation ? La réponse est
souvent donnée de manière affirmative, mais il est possible de
tenter une autre analyse : la réalité juridique de l’entreprise
trouverait sa source, moins dans les faits matériels qu’il faudrait
mettre en forme, que dans la manière pour le droit contemporain
de construire la règle, dans l’ère de la modernité. L’entreprise ne
Le pouvoir du dirigeant sera ainsi analysé dans la perspective sociologique de
l’analyse stratégique des organisations ouverte par M. Crozier et E. Friedberg,
L’acteur et le système, Seuil 1981