Quand, comment et par qui faire biopsier une tumeur des

La Lettre du Rhumatologue - n° 322 - mai 2006
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TUMEURS DES PARTIES MOLLES
Les tumeurs des parties molles regroupent un nombre important
de formes cliniques et d’entités histologiques. Fort heureusement,
la plupart de ces lésions sont bénignes. Mais dans le lot se glis-
sent des tumeurs malignes (sarcomes) qui représentent toute la
difficulté de la prise en charge de ces lésions, car le premier geste
thérapeutique engage le pronostic fonctionnel, voire vital du
patient. La fréquence des sarcomes des tissus mous est de
18 cas/millions d’habitants/an, soit 1 000 nouveaux cas par an
dont 600 sur les membres (moins de 1 % des cancers).
La tumeur des parties molles est une tuméfaction qui se déve-
loppe sous le revêtement cutané. Elle peut se situer dans l’espace
cellulo-graisseux sus-aponévrotique ou dans les compartiments
anatomiques sous-aponévrotiques. Elle trouve son origine dans
tous les tissus conjonctifs des membres et du tronc : graisseux,
aponévrotiques, nerveux, vasculaires, musculaires et mésenchy-
mateux.
Devant une tuméfaction des parties molles, le clinicien doit se
poser plusieurs questions.
Quelles sont les circonstances de découverte ?
Souvent, il s’agit d’une tuméfaction d’apparition récente, décou-
verte par le patient lui-même, qui augmente de volume. Parfois,
le patient a noté la modification d’une tuméfaction connue depuis
plusieurs années. Plus rarement, il s’agit du pseudo-hématome
d’une tumeur saignant après un traumatisme peu important entraî-
nant un retard de diagnostic du fait d’une évolution anormale et
quelquefois des traitements répétitifs nocifs pour l’avenir du
patient. Très rarement, le caractère très inflammatoire de la tumeur
peut évoquer un abcès sans contexte infectieux concomitant, tra-
duisant une lésion agressive.
Est-ce une lésion sus- ou sous-aponévrotique ?
Les sarcomes des tissus mous sont sus-aponévrotiques dans 30 %
des cas et sous-aponévrotiques dans 70 % des cas.
Les tuméfactions sus-aponévrotiques sont le plus souvent
bénignes et dominées par les lipomes. L’examen clinique, parfois
aidé par l’échographie, confirme le caractère sus-aponévrotique.
Les tuméfactions sous-aponévrotiques (figure 1),plus difficiles
à palper, se situent dans les compartiments musculaires des
* Service de chirurgie orthopédique, hôpital Henri-Mondor, Créteil.
membres ou du tronc. Le risque de lésion maligne est plus grand.
Mis à part l’hématome survenant après un traumatisme important
et dont l’évolution est rassurante, l’abcès apparaissant dans un
contexte infectieux, le kyste mucoïde de localisation périarticu-
laire, typique cliniquement et hypoéchogène à l’échographie, et
le lipome sus-aponévrotique inférieur à 5 cm, les autres tumé-
factions justifient d’une IRM.
Faut-il faire une biopsie ?
Dès lors que le diagnostic est incertain, la biopsie s’impose. Celle-
ci revient au chirurgien tumorologue qui prendra en charge le trai-
tement chirurgical final. Elle doit répondre à plusieurs questions.
Est-ce une tumeur conjonctive ? Est-ce une tumeur bénigne néces-
sitant une simple énucléation ou une tumeur maligne nécessitant
une chirurgie élargie ? De quel type de sarcome s’agit-il ? Justi-
fie-t-il d’un traitement néo-adjuvant (préopératoire) tel qu’une
chimiothérapie, une radiothérapie, voire une perfusion de membre
isolé ?
Quel type de biopsie : partielle ou totale ?
Il faut d’abord s’intéresser à la taille de la tumeur. Il est néces-
saire d’obtenir un fragment biopsique d’au moins 1 cm3(en atten-
dant les progrès de la cytogénétique). On a le choix entre la
biopsie partielle percutanée au trocart ou chirurgicale et la biopsie-
exérèse. La biopsie-exérèse ne se conçoit que pour une tumeur de
petite taille (< 5 cm), dans la mesure où son exérèse reste mini-
Quand, comment et par qui faire
biopsier une tumeur des parties molles ?
When, how and by whom should a soft tissue tumor biopsy be-carried out?
S. Le Mouel*
Tumeurs osseuses et des tissus mous
Figure 1. Lipome intramusculaire (sous-aponévrotique).
male, sans effraction de la lésion, à distance des éléments nobles,
et ne laissant pas de séquelles. Dans les autres cas, la biopsie chi-
rurgicale est préférable.
Quelle partie de la tumeur faut-il biopsier ?
C’est à ce moment que la pluridisciplinarité de la prise en charge
prend toute sa valeur. Le radiologue, l’anatomopathologiste et le
chirurgien tumorologue pourront déterminer avec l’étude du scan-
ner, de l’IRM et éventuellement de la radiographie standard, la
zone de la tumeur la plus propice à biopsier. On évitera ainsi les
biopsies en zone de nécrose, de fibrose réactionnelle ou d’héma-
tome. L’examen extemporané peut être utilisé. Il ne sert qu’à
confirmer que la biopsie a ramené un tissu pathologique, mais il
n’autorise en aucun cas à porter un diagnostic définitif permet-
tant un traitement chirurgical immédiat.
Quelle technique de biopsie ?
Biopsie partielle à l’aiguille
Cette technique ne correspond pas à une biopsie tissulaire, mais
plus à une ponction cellulaire sans rentabilité dans les sarcomes
des tissus mous.
Biopsie partielle au trocart
Si la biopsie au trocart sous contrôle tomodensitométrique est
séduisante du fait de son innocuité et de son faible coût, elle se
heurte à deux problèmes :
– elle ne permet pas toujours d’avoir un diagnostic de certitude
sur le caractère malin de la lésion et sur la nature du sarcome. Il
s’agit cependant d’une technique intéressante, puisque la
recherche génétique est en période de détermination de la carto-
graphie génique des sarcomes. Cela permettra dans l’avenir
d’avoir une certitude diagnostique sur un fragment biopsique pau-
cicellulaire par l’étude des anomalies génétiques ;
– le deuxième écueil est la nécessité absolue d’une collaboration
étroite entre le radiologue interventionniste et le chirurgien tumo-
rologue pour déterminer le trajet de la biopsie, car celui-ci est
invisible et comporte un risque de greffe tumorale sur son trajet.
Ce risque est grandement limité par un point de ponction et un
trajet décidés par le chirurgien, par le tatouage indélébile du tra-
jet de biopsie, par une instrumentation adaptée avec une canule
protectrice du trocart de biopsie. Cette biopsie se fait sous anes-
thésie locale avec un trocart de taille suffisante (16 gauges) (figure
2). Il faut ramener plusieurs carottes tissulaires. La localisation
du site de prélèvement au sein de la tumeur doit être discutée sur
l’IRM. En cas de doute ou de difficulté, l’examen extemporané
confirme la présence de tissus analysables. La biopsie au trocart
est la technique la plus raisonnable dans les sarcomes rétro-péri-
tonéaux, où les tumeurs non sarcomateuses pouvant bénéficier
d’une simple chimiothérapie sont fréquentes. Elle est toujours
possible en première intention dans les sarcomes des membres,
avec un taux de positivité de 95 % entre les mains d’un anato-
mopathologiste entraîné. Le grading, plus difficile à évaluer sur
un petit fragment, ne peut être déterminé que dans 60 à 80 % des
cas. D’où la nécessité parfois, après discussion pluridisciplinaire,
de recourir à la biopsie partielle chirurgicale.
Biopsie partielle chirurgicale
L’abord chirurgical reste actuellement la technique la plus ren-
table quand elle est effectuée par le chirurgien tumorologue qui
enlève la tumeur. Il permet un examen macroscopique du tissu
tumoral, et donne suffisamment de matériel à l’anatomopatholo-
giste pour effectuer les divers examens cytologiques et génétiques,
déterminer le type de sarcome et éventuellement le grade. Cette
technique permet aussi de constituer des banques de tissus, indis-
pensables aux recherches à venir. La loi “droit devant, direct sur
la tumeur” est un dogme qu’il convient parfois d’adapter. Seul le
chirurgien tumorologue est apte à indiquer quelle est la meilleure
voie d’abord pour une biopsie. Il doit se placer en situation d’exé-
rèse carcinologique de la lésion pour la déterminer (figure 3).
L’élément le plus déterminant dans sa décision est la situation des
éléments nobles, vaisseaux et nerfs. Une exérèse carcinologique
peut nécessiter une voie d’abord à l’opposé de la voussure tumo-
rale dans le but de contrôler en premier lieu un axe vasculo-
nerveux. La biopsie devra alors se faire de telle façon que la
tumeur puisse être enlevée par cette voie sans risquer de conta-
miner l’espace cellulo-graisseux périvasculaire ou nerveux. Par-
fois, l’exérèse nécessitera plusieurs voies d’abord et le choix de
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Tumeurs osseuses et des tissus mous
Peau
1 cm Trocart
Tumeur
Figure 2. Biopsie au trocart avec canule protectrice.
Figure 3. Incision de biopsie (flèche) comprise dans l’incision de l’exérèse
carcinologique.
Tumeurs osseuses et des tissus mous
la voie de biopsie ira à celle permettant le contrôle premier des
éléments vasculo-nerveux. L’incision doit être la plus courte pos-
sible, effectuée dans l’axe du membre, avec une asepsie rigoureuse.
Le garrot ne doit pas être utilisé, ou uniquement en cas d’hémor-
ragie sans vidange du membre à la bande d’Esmarch. On limitera
les décollements et on évitera les axes vasculo-nerveux. L’abord
sera le plus direct possible et la fermeture se fera sans drainage.
La biopsie n’est pas simple réponse à la curiosité mais constitue
le départ essentiel d’un traitement complexe et pluridisciplinaire.
Cas particulier : le lipome sous-aponévrotique
Le problème est de distinguer le liposarcome bien différencié
lipome-like”, qui nécessite une exérèse carcinologique – donc
une biopsie première car, bien que ne métastasant pas, il peut réci-
diver sur un mode plus grave –, du lipome bénin, qui justifie une
surveillance, voire une simple énucléation. Les critères de dis-
cussion se basent essentiellement sur l’IRM, avec les séquences
pondérées T1 et T2 Fat Sat (STIR). On peut affirmer le caractère
bénin d’une tumeur graisseuse quand on retrouve une masse grais-
seuse homogène sans nodule, sans septa ou avec des septa rares
et fins (< 2 mm) sans rehaussement après injection de gadolinium
(figure 4), encapsulée, uni- ou bilobée, mesurant moins de 10 cm,
pouvant contenir une bande musculaire voire plusieurs dans les
lipomes infiltrants (figure 5), pouvant contenir des calcifications
(lipome calcifié) liées à une nécrose cellulaire. La sensibilité de
l’IRM avec ces critères est de 100 %, et la spécificité de 80 %.
Une exérèse marginale est alors licite, en respectant les règles de
prudence pour l’abord chirurgical. En cas de doute avec un lipo-
sarcome bien différencié, la biopsie première, pour être réalisée
dans les règles de l’art, devra être large afin de donner le maxi-
mum de chances aux examens anatomopathologique, cytogéné-
tique et de biologie moléculaire de faire la preuve de sa nature
sarcomateuse.
Pour en savoir plus...
1. Heslin MJ, Lewis JJ, Woodruff JM, Brennan MF. Core needle biopsy for dia-
gnosis of extremity soft tissue sarcoma. Ann Surg Oncol 1997;4(5):425-31.
2. Ball AB, Fischer C, Pittam, Watkins RM, Westbury G. Diagnosis of soft tis-
sue tumours by Tru-Cut biopsy. Br J Surj 1990;77(7):756-8.
3. Hoeber I, Spillane AJ, Fischer C, Thomas JM. Accuracy of biopsy tech-
niques for limb and limb girdle soft tissue tumor. Ann Surg Oncol
2001;8(1):80-7.
4. Barth MJ Jr, Merino MJ, Solomon D, Yang JC, Baker AR. A prospective
study of the value of core needle biopsy and fine needle aspiration in the dia-
gnosis of soft tissue masses. Surgery 1992;112(3):536-43.
5. Blum A, Henrot P, Sirveaux et al. Diagnostic des lipomes des parties molles
et des liposarcomes chez l’adulte. In : Conduite à tenir devant une image
osseuse ou des parties molles d’allure tumorale. GETROA 2004:401-16.
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Figure 4. IRM : lipome intramusculaire en Fat Sat avec injection de gado-
linium, hyposignal graisseux sans rehaussement intralésionnel.
Figure 5. Lipome infiltrant avec des bandes de fibres musculaires
intralésionnelles.
ENBREL
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