Article sélectionné dans la matinale du 16/12/2016 Découvrir l’application (http://ad.apsalar.com/api/v1/ad? re=0&st=359392885034&h=5bf9bea2436da250146b6e585542f4e74c75620e) Euro­dollar : en route vers la parité La divergence des politiques monétaires en Europe et aux Etats-Unis favorise la baisse de la devise européenne. Les effets d’un billet vert fort se font sentir sur l’économie mondiale. LE MONDE ECONOMIE | 17.12.2016 à 07h46 • Mis à jour le 17.12.2016 à 09h45 | Par Marie de Vergès (/journaliste/marie-deverges/) Le dollar et l’euro. HEINZ-PETER BADER / REUTERS Il monte, il monte. Jusqu’où ira-t-il ? Le dollar fort est de retour depuis l’élection, début novembre, du républicain Donald Trump. Après la dernière réunion de la Réserve fédérale américaine (Fed, banque centrale), conclue, mercredi 14 décembre, par un relèvement du loyer de l’argent, le mouvement s’est accentué. Résultat, l’euro a chuté à son plus bas niveau depuis 2003, passant brièvement sous la barre de 1,04 dollar, avant de se reprendre un peu. Mais la monnaie unique est loin d’être la seule concernée. Dès le mois de novembre, plusieurs pays émergents ont vu leur devise chuter fortement. Depuis le scrutin américain, le taux de change effectif du dollar (son évolution comparée aux monnaies des pays avec lesquels les Etats-Unis commercent) a grimpé de 7 %. Les raisons de la flambée Mercredi, la Fed a mis fin à un faux suspense en annonçant qu’elle augmentait d’un quart de point ses taux directeurs (entre 0,50 % et 0,75 %). Plus significatif encore, elle prévoit trois nouvelles hausses pour 2017. La banque centrale américaine prend acte d’un marché du travail en situation de plein-emploi et de salaires qui recommencent à augmenter. L’installation de Donald Trump à la Maison Blanche, fin janvier, pourrait renforcer les tendances inflationnistes, compte tenu des promesses du milliardaire en faveur d’un plan de relance massif à base d’investissements publics et de baisses d’impôts. Résultat, les taux d’intérêt à long terme remontent, attirant les capitaux aux Etats-Unis. Cet afflux fait mécaniquement grimper la monnaie. Ce mouvement d’appréciation est aussi soutenu par l’espoir d’un rapatriement des profits réalisés à l’étranger par les multinationales américaines, en cas d’amnistie et d’une fiscalité plus attractive pour les entreprises, comme l’a promis M. Trump. « L’effet d’entraînement vient aussi de perspectives économiques qui sont désormais nettement plus positives », note Christopher Dembik, économiste chez Saxo Banque. En 2017, le produit intérieur brut (PIB) de la première économie mondiale devrait progresser de 2,3 %, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), après + 1,5 % attendu cette année. L’euro sous pression Depuis début novembre, la monnaie unique s’est dépréciée de plus de 5 % face au dollar. Cette glissade relance le petit jeu des prédictions sur une parité entre l’euro et le billet vert. « Cet horizon n’est plus très éloigné, estime René Defossez, stratège chez Natixis. On pourrait même y arriver avant 2017. » Il ne s’agirait pas d’une première historique : introduite en janvier 1999 à 1,1747 dollar, la devise européenne a passé une bonne partie de sa prime enfance sous la parité, jusqu’à tomber à 83 cents en 2000. La divergence des politiques monétaires est favorable à une dépréciation de l’euro. Tandis que la Fed sonne la fin de l’argent facile, la Banque centrale européenne (BCE) reste résolument « colombe » : lors de sa dernière réunion, début décembre, l’institution de Francfort a confirmé qu’elle poursuivrait jusqu’à fin 2017 son programme de rachats de dettes. En attendant, les taux directeurs devraient rester inchangés. Le Monde Le différentiel de croissance entre les Etats-Unis et l’Europe maintient aussi la monnaie européenne sous pression. Alors qu’une reprise vigoureuse s’installe aux Etats-Unis, la zone euro devrait voir son PIB n’augmenter que de 1,7 % en 2017. Redouté au plus fort de la crise de la dette européenne, un effondrement de l’euro semble néanmoins exclu aujourd’hui. Même le coup de Trafalgar qu’a représenté, au début du mois de décembre, la victoire du non au référendum constitutionnel italien n’a pas suscité de mouvements désordonnés. Un petit coup de pouce pour les exportateurs français Après une annus horribilis en 2016, le commerce extérieur devrait enfin cesser, l’an prochain, de peser sur la croissance tricolore, qu’il aura amputée de 0,7 point cette année. Il devrait avoir une contribution presque nulle au premier semestre 2017 (– 0,1 point), selon l’Insee. Pas de quoi pavoiser, toutefois. Les exportateurs français ont beau dire qu’ils ont l’euro fort en horreur, son recul depuis son point haut de 2014 ne les aura que marginalement aidés. La faute en revient au défaut structurel de compétitivité hexagonale, mélange de produits milieux de gamme – de moindre qualité, en moyenne, que ceux de l’Allemagne – et d’un coût du travail longtemps resté trop élevé. Conséquence : un profil de croissance des exportations heurté, qui s’améliore au gré des grandes commandes navales et aéronautiques, mais cale dès qu’un élément vient gripper la machine. Cette année, ce furent les lourds problèmes d’approvisionnement d’Airbus par son fournisseur Zodiac Aerospace et les récoltes catastrophiques de céréales, le tout dans un contexte de fort ralentissement du commerce mondial. Des effets bénéfiques à nuancer pour la zone euro En théorie, un euro qui baisse doit pouvoir donner un petit coup de fouet aux exportations européennes en améliorant leur compétitivité. « C’est une bonne nouvelle pour la zone euro alors que la croissance est encore très molle et inférieure à son potentiel et que la politique monétaire n’a pas de marge pour en faire beaucoup plus », juge Agnès Bénassy-Quéré, professeure à Paris School of Economics. Un remède dont les effets bénéfiques doivent pourtant être nuancés. « Avec l’atonie du commerce mondial, il ne faut pas en attendre des miracles », souligne ainsi Christian Parisot, économiste chez Aurel BGC. Par ailleurs, la baisse de la monnaie unique est plutôt défavorable aux consommateurs : en renchérissant le prix des produits importés, comme l’énergie, elle rogne le pouvoir d’achat des ménages. D’autant que cette dépréciation intervient en même temps qu’une remontée des cours du pétrole. Les dommages collatéraux La hausse du billet vert et la remontée des taux américains est de nature à compliquer la donne pour les marchés émergents. Certaines devises ont déjà enregistré des reculs brutaux comme la livre turque, qui a chuté de 10 % face au dollar en novembre, ou le yuan qui a atteint un plus bas depuis huit ans. Une menace, car les entreprises des pays émergents – notamment en Chine – sont souvent lourdement endettées en dollar. Une hausse du billet vert renchérit le coût de leur dette et risque de peser sur leur capacité de remboursement. De surcroît, la hausse des taux américains rend ces régions moins attractives. « Les capitaux investis dans les pays émergents en dollars vont préférer aller se recycler aux Etats-Unis », explique Christopher Dembik. En Chine, les autorités essaient déjà de lutter contre des sorties massives de capitaux. « Une haute volatilité des taux de change, associée à des risques potentiels de poursuite des hausses des taux d’intérêts » et de fuite de capitaux, « c’est la recette pour une crise bancaire et monétaire dans les pays émergents », s’est inquiété, début décembre, la chef économiste de l’OCDE, Catherine Mann. Une autre victime de l’envolée du dollar pourrait être… les Etats-Unis eux-mêmes. Si elle se confirme, la hausse du billet vert pourrait entamer la compétitivité des exportateurs américains et creuser encore le déficit commercial. Finalement, souligne Agnès Benassy-Quéré, « un dollar fort risque de contrarier ce sur quoi Donald Trump a été élu : une baisse des importations et une réindustrialisation du pays ».