L'ESPACE, LE RÉEL ET L'IMAGINAIRE : A-T-ON ENCORE BESOIN
DE LA GÉOGRAPHIE CULTURELLE ?
Christine Chivallon
Armand Colin | « Annales de géographie »
2008/2 n° 660-661 | pages 67 à 89
ISSN 0003-4010
ISBN 9782200924386
Article disponible en ligne à l'adresse :
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http://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2008-2-page-67.htm
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!Pour citer cet article :
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Christine Chivallon, « L'espace, le réel et l'imaginaire : a-t-on encore besoin de la géographie
culturelle ? », Annales de géographie 2008/2 (n° 660-661), p. 67-89.
DOI 10.3917/ag.660.0067
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Ann. Géo., n° 660-661, 2008, pages 67-89, © Armand Colin
L’espace, le réel et l’imaginaire :
a-t-on encore besoin de la géographie
culturelle ?
Space, reality, imagination: cultural geography
of no use?
Christine Chivallon
Directrice de recherche, CEAN-CNRS (Centre d’Études d’Afrique Noire), IEP de Bordeaux
Résumé
Cet article propose d’analyser les répercussions de la définition du sous-champ
disciplinaire constituée par la « géographie culturelle » sur la définition de l’objet
géographique. Une première partie s’intéresse au contexte de la discipline, à ses
incertitudes toujours actuelles quant à une définition stable de son objet. Elle
conforte ce diagnostic au travers d’une approche critique des définitions de
l’espace faites au cours des dernières années et destinées à stabiliser le socle théo-
rique de la géographie. La fragilité conceptuelle du couple idéel et matériel est
abordée comme l’obstacle majeur de cette stabilisation. Elle est alimentée par la
distribution des compétences dans des secteurs spécialisés qui attribuent à la géo-
graphie culturelle le domaine du « subjectif ». Déclarer l’existence d’un secteur
« culturel » revient ainsi à déclarer l’existence d’un objet géographique qui ne le
serait pas. C’est s’appuyer implicitement sur les grands clivages fondateurs des
sciences sociales au premier rang desquels figurent le couple du subjectif et de
l’objectif. La deuxième partie propose d’investir le domaine le plus réservé à la
compétence « culturelle », celui de l’imaginaire. En s’appuyant notamment sur les
écrits de C. Castoriadis, elle développe l’idée selon laquelle le réel est toujours un
imaginaire parvenu à s’incarner dans la matière. Ce principe fonde la géographie
comme une science sociale de l’espace — une spatiologie ? — qui devrait enfin
être en mesure de ne plus douter du contenu théorique minimal qui la distingue :
l’espace est puissamment codifié, symbolisé, pour servir à la construction de nos
mondes sociaux.
Abstract
Focusing on geography’s cultural subfield, this article analyses the conse-
quences of dividing the discipline according to its “object”. A first part describes
the context in which geography has evolved and focuses on the current uncer-
tainties about its definition. It confirms the uncertainty diagnostic through a crit-
ical approach of the most recent definitions that aimed at giving a stable theo-
retical basis to the discipline. The lasting conceptual weakness of the mental/
material — subjective/objective — is seen as the major obstacle to a possible
stabilization. Among other things, it continues to ascribe to “cultural geography”
the realm of the subjective expressions. To thus assert a cultural quality to the
geographical object is to declare that this “object” has no such quality. The
second part enters the reserved realm of “cultural geography” that is: “imagina-
tion”. Using Cornelius Castoriadis’ approach to society, it shows that the “real”
is always the product of imaginary expressions that has become concrete
through embodiment in the material environment. This principle could be at the
foundation of geography as the social science of space — a “spatiology”? —,
which will question any more its theoretical basis as a social science. For space
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Christine Chivallon
A
NNALES
DE
G
ÉOGRAPHIE
,
N
° 660-661 • 2008
is powerfully codified and symbolised to serve the constructions of our social
worlds
Mots-clés
Géographie culturelle, épistémologie, théorie, réalité, imagination.
Key-words
Cultural geography, epistemology, theory, reality, imagination.
S’il fallait désigner les énoncés conceptuels fondamentaux pour la
science géographique ou pour toute science sociale se donnant l’espace
pour objet de connaissance, il faudrait sans réserve retenir tous ceux qui se
destinent à théoriser les liens entre idéalités et matérialités. C’est en effet à
partir de la théorisation la plus accomplie du trajet qui relie les formes
matérielles aux univers idéels qu’il y a tout à attendre de la stabilisation,
tant attendue par nombre d’entre nous, d’un socle théorique pour la géo-
graphie. Il en va de la consommation effective de cette rupture proclamée
partout nécessaire, voire avérée, avec des pratiques anciennes, mais semble-
t-il toujours réactualisées. Pratiques qu’il est possible de ramener à la géné-
ralité d’un espace conçu comme doté d’un principe d’existence extérieur à
la vie sociale elle-même. Réceptacle, étendue, l’espace serait, de part sa phy-
sicalité naturelle intrinsèque, un cadre de contraintes tout en offrant aux
sociétés sa propension à être approprié, et à les faire être en relation avec
un monde matériel donné en prémisse comme existant hors d’elles. Cette
généralité d’un « espace-extérieur » se décline depuis les approches dites
« classiques » rattachées au rapport des sociétés à leurs milieux, jusqu’aux
recherches bien plus soucieuses de phénoménologie. Elle inclut des études
quantitatives sophistiquées guidées par la recherche des logiques de « dis-
tribution » des faits sociaux à travers l’espace. Dans tous les cas, elle ramène
à la fragilité des énoncés scientifiques produits sur l’espace. Car concevoir
la matérialité comme pleinement sociale et idéelle reste une difficulté, sinon
majeure, au moins toujours présente et embarrassante pour la géographie,
dans les diverses branches de son savoir. Pourtant ce principe dit de
« consubstantialité » qui rend le matériel inconcevable sans la pensée qui le
fabrique, est ce qui justifie l’inscription de la géographie dans le champ des
sciences sociales. Comment alors prendre acte de la mutation disciplinaire
considérable affirmée par certains (Knafou, 1997, p. 11 ; Lussault, Lévy,
2000, p. 3) si le principe qui constitue le fondement de cette mutation — la
nécessaire socialité de l’espace — reste traversé par des approximations et
des contradictions ?
Le découpage de la géographie en champs sous-disciplinaires n’aide pas
à consolider ce que l’on pourrait désigner par un consensus théorique
minimal. Il faut comprendre celui-ci comme constitué d’énoncés basiques
qui rendent possible un espace de pratiques scientifiques garant — non pas
de l’approbation — mais de la définition d’un objet commun donnant prise
à l’élaboration de théories critiques qui pourront toujours se révéler
convergentes ou divergentes. Or, rien n’est moins sûr que l’existence de
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Articles
L’espace, le réel et l’imaginaire
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cet espace de communication partagé puisque la teneur de notre objet
d’étude continue de se dérober. C’est comme si les anthropologues ou les
sociologues avaient continuellement à résoudre la question de savoir si la
société et les systèmes symboliques qui les gouvernent sont le résultat de
l’activité humaine. Pour les géographes, la question du statut de l’espace
autour de « l’humain/non-humain » se pose encore. « L’espace est-il donc
distinct du social ? Le considère-t-on comme externe ou interne à la
société ? » demandait encore récemment Christian Grataloup (2000, p. 57).
Mettre en rapport le matériel avec l’idéel, c’est forcément convoquer les
instances réputées subjectives. Celles-là ont longtemps été l’apanage des sec-
teurs « culturels ». La géographie n’est bien sûr pas restée étrangère au souci
de s’intéresser aux univers de sens et de valeurs pour en trouver les expres-
sions spatialisées. D’où la constitution logique d’une branche « culturelle »
aux côtés d’autres domaines de compétences parfois bien proches comme la
« géographie sociale ». Mais cette distribution des objets de la géographie
peut devenir contre-productive si elle devient l’outil même, par la catégori-
sation qu’elle rend effective, de la séparation des instances « objectives » et
« subjectives ». Certes, la spécialisation en sous-champs caractérise la plupart
des disciplines. Cependant, pour la géographie, elle redouble l’immense dif-
ficulté à se saisir d’un objet stable dont la définition doit nécessairement
mobiliser le couple « idéel/matériel ». L’idéel n’intéresse pas seulement les
spécialistes des expressions culturelles, mais tous ceux qui ont à cœur de
comprendre en quoi l’espace est le vecteur puissant de la construction de nos
vies humaines. Parce que le socle commun reste à construire, la désignation
d’une « géographie culturelle » prend le risque de séparer ce qui doit être
d’abord rassemblé au sein de ce consensus théorique minimal toujours fragile
et qu’il nous faut travailler
en commun
.
L’objectif de cet article tentera de convaincre de cette nécessité d’œuvrer
d’abord pour un chantier commun. Conçue en deux étapes, la progression
partira du contexte de la discipline géographique pour discuter les fragilités
qui viennent d’être mentionnées. L’objectif de cette première étape n’est
pas de dresser un « bilan de la géographie culturelle » proposé par ailleurs
(Chivallon, 2003). Il est plutôt de comprendre comment le fonctionnement
du champ disciplinaire forme obstacle à la formulation d’énoncés basiques
partagés. Cette étape sera l’occasion de montrer les contradictions qui
assaillent les connaissances pourtant les plus soucieuses de réconcilier les
deux faces de l’espace, la physique et la mentale. Elle plaidera pour un
savoir non dispersé dans des compartiments sous-disciplinaires qui dotent
d’efficacité le séparatisme spatial. Une deuxième partie consistera à proposer
un canevas théorique inspiré par des auteurs dont le propos a paru convain-
cant pour résoudre certaines contradictions qui habitent nos manières de
nous saisir du couple matériel-idéel. Dans cette perspective, on développera
l’idée selon laquelle le « réel » dans ces formes les plus physiques, ne peut
se comprendre sans entrevoir l’imaginaire sociétal — instance on ne peut
plus « subjective » — qui le fabrique. Par cette voie, il s’agit de convaincre
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