actualité sur la monnaie,Schumpeter et Tocqueville

publicité
Réflexions d’actualité sur la monnaie
Dans les chroniques du Lundi de Charles Gave
Tout le monde se sert de la monnaie pour mesurer la valeur des choses ou des services produits
ou vendus, mais personne ne sait vraiment pourquoi la monnaie a de la valeur. C’est la l’un des
paradoxes extraordinaires de notre monde et j’ai longuement écrit dans le passé à ce sujet…
(Voir les articles consacrés à la monnaie sur ce site). Compte tenu de l’action actuelle des
banques centrales, il me semble que je dois mettre à jour les idées que j’avais sur la monnaie qui
sont peut-être devenues inopérantes.
Il s’agit donc là d’une réflexion de nature conceptuelle visant à réactualiser mes schémas de
pensée.
En effet, tous ceux qui s’intéressent à l’économie ont une espèce de modèle intuitif autour duquel
s’organisent leurs réflexions et à partir duquel ils arrivent à leurs conclusions. C’était bien
entendu mon cas.
Il me faut donc commencer par une description de mon ancien modèle.
Pour l’observateur des marchés financiers que j’étais et que je reste, la monnaie était
toujours au centre du système.
Deux entités étaient à l’origine de sa création ( je simplifie à dessein).
1. La banque centrale qui seule avait le pouvoir de créer de la monnaie « ex
nihilo ».
2. Les banques commerciales qui dans notre système actuel créait du « crédit »,
c’est-à-dire qui permettait un développement de la « liquidité » se traduisant en
contrepartie par une augmentation de l’endettement.
Une fois la monnaie ou le crédit créés, ils se diffusaient dans l’économie «réelle» avec les effets
habituels sur l’activité, le chômage, les taux d’intérêts, les taux de change etc.Quand cette
monnaie atteignait les frontières du système, elle avait alors de l’influence sur le prix des actifs,
actions obligations, immobiliers, marché de l’art …
Le PRIX de ces actifs variait en fonction de l’excédent ou de l’insuffisance de monnaie.
Trop de monnaie, les prix des actifs montaient, pas assez, ils baissaient et c’est cette notion qui
était derrière la vieille plaisanterie boursière:
« Investir est très facile. Il suffit de savoir s’il y a plus d’idiots que d’argent ou plus d’argent que
d’idiots.»
Et donc les actifs servaient de réserve de liquidité, ils étaient en quelque sorte des « éponges à
liquidité».
Trop de liquidités, et nous avions un marche haussier, pas assez et nous avions un marché
baissier. Les variations du cours des actifs étaient ce qui permettait au système de retourner à
l’équilibre au travers de chaque cycle. Mon travail consistait à évaluer dans quelle situation nous
étions à chaque moment et à investir ou désinvestir en conséquence.
Ce monde n’existe plus et donc la quasi totalité des travaux que j’ai pu faire depuis
quarante ans est périmée, ce qui est un peu déconcertant.
Pourquoi ?
En voici la raison.
Dans les cycles précédents, nous avons eu une expansion extraordinaire de l’endettement en
général et du système bancaire en particulier, ce qui a déclenché et accompagné une hausse tout
à fait extraordinaire du PRIX de tous les actifs. Et du coup, le système économique est devenu
très fragile en raison d’un excès de l’endettement ce qui le rend incapable de supporter une
baisse sensible des prix de ces mêmes actifs.
L’endettement n’avait en effet pas entrainé une hausse du stock de capita productif (machines
outils, usines etc..) mais une hausse de la valeur du stock de capital improductif (immobilier,
transferts sociaux) et donc la capacité à servir la dette et à la rembourser s’est écroulée.
Je m’explique.
Que le lecteur imagine qu’il ait acheté l’indice de la bourse de Paris en s’endettant massivement.
Si l’indice CAC venait à baisser, il aurait immédiatement des «appels sur marge» et se
retrouverait ruiné assez rapidement.
Et bien, l’ensemble de nos systèmes économique et bancaire est dans cette situation et ne
pourrait pas supporter une baisse des prix des actifs improductifs. Si le prix des actifs se mettait à
plonger fortement, des appels sur marge gigantesques auraient lieu et le système s’effondrerait
selon un schéma décrit de façon prodigieuse par Irving Fischer en 1934 dans un article publié
dans Econometrica, « The Debt Deflation Theory of Great Deppressions» (A lire absolument pour
ceux qui parlent l’Anglais).
Et donc les banques centrales ont décidé d’agir.
Et pour ce faire, elles ont décidé de mettre centre du système LE PRIX DES ACTIFS et d’empêcher
ceux-ci de baisser. Et pour ce faire, les banques centrales achètent directement ces actifs dans
les marchés et impriment autant d’argent qu’il est nécessaire pour arriver à ce résultat.
La quantité de monnaie dans le système n’est plus déterminée par les besoins de
l’économie réelle mais par la nécessité pour le prix de certains actifs de ne pas
baisser.
Nous avions depuis toujours un système qui allait de la monnaie à l’économie réelle et de là au
prix des actifs.
Nous sommes passés à un nouveau système ou le cheminement logique va du prix des actifs à la
quantité de monnaie, l’économie réelle n’étant même plus prise en considération dans la
production de monnaie.
Le lecteur comprendra pourquoi je suis perplexe…
Ce qui ne va pas m’empêcher d’essayer de répondre à quelques unes des questions que ce
meme lecteur doit se poser.
Premier question.
Est-ce que cela va marcher ?
Honnêtement, j’en doute. Le capitalisme est un système Darwinien, ce que Schumpeter a fort
bien traduit par sa formule de la destruction créatrice. Tout l’effort des banques centrales
consiste à empêcher la destruction de ceux qui ont fait des erreurs énormes, qu’il s’agisse de
gouvernements ou de sociétés financières, ce qui logiquement veut dire que comme la
destruction n’a pas lieu, la création ne peut avoir lieu et donc que la croissance économique va
s’arrêter graduellement, ce qui rendra impossible le remboursement des dettes et vouera à
l’échec la tentative des banques centrales de gagner du temps, en attendant je ne sais quel
miracle… C’est le schéma qui sévit au Japon depuis trente ans.
Deuxième question.
Quand les marchés vont ils se rendre compte que la nouvelle politique des banques centrales est
vouée à l’échec ? Je n’en ai pas la moindre idée et je soutiens que c’est le cas de la quasi totalité
des observateurs. La question du « quand », en fait est une mauvaise question puisque le futur
est inconnaissable et que les banques centrales ont des moyens qui peuvent apparaitre comme
illimités.
Par exemple, depuis son origine, je dis que l’euro est une monnaie qui ne peut pas marcher et
qu’il allait mettre l’Europe que j’aimais en faillite. La plupart des gens depuis 2000 me
demande quand la crise marquant la fin de l’euro va avoir lieu, ce à quoi je leur ai répondu la
plupart du temps « je ne sais pas ». En revanche, je sais ce que vous ne devez pas avoir dans vos
portefeuilles tant que l’euro existe….
Troisième question.
Pourquoi cette politique devra s’arrêter un jour ?
A cela, la réponse est assez simple. Parce qu’une révolte des populations l’imposera. Il faut en
effet bien comprendre que la politique actuelle des banques centrales ne cherche qu’à protéger
les puissants et ceux qui sont bien en cours. Il s’agit d’une des plus invraisemblables applications
dans l’Histoire du « capitalisme de connivence « que j’ai souvent dénoncé ici. Une ploutocratie a
pris le pouvoir dans nos Démocraties et l’exerce pour préserver ses rentes. Dans ce système, les
riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres. Cela amène toujours a une révolte des
damnés de la terre comme on l’a fort bien vu au moment de la chute du mur de Berlin. Les
peuples, un jour, vont donc reprendre le contrôle de leurs destinées et virer les élites
incompétentes et corrompues qui les ont amenés dans la situation actuelle.
Quatrième question.
Comment me protéger ?
Ce que je dis est assez simple : La crise qui s’annonce devra amener à un changement des élites.
Historiquement, ces changements d’élites peuvent se passer de façon démocratique ou de façon
révolutionnaire, ce que l’on a fort bien vu dans les années 30 en Europe.
De façon générale, quand cela se produit, il vaut donc mieux être investi dans des pays qui ont de
longues traditions démocratiques, c’est-à-dire en Europe du Nord ou dans les pays de Droit
Anglais plutôt qu’en Russie.
On peut aussi essayer d’identifier les pays où les zones géographiques qui ont compris le danger
et essaient de prendre de la distance avec la catastrophe qui parait s’annoncer. C’est dans cet
esprit que je recommande depuis un certain temps d’investir en Asie parce que la Chine est en
train de revenir à des prix de marché pour ses taux d’intérêts et ses taux de change tout en
développant les outils d’une solidarité régionale, ce qui devrait atténuer le choc. En revanche,
puisque le cœur du problème est aujourd’hui dans l’Europe de la monnaie commune, il parait
sage de mettre le plus de distance entre soi et le vieux continent
Conclusion
Quand le mur de Berlin est tombé, certains ont cru à « la fin de l’Histoire ». Or, une partie non
négligeable des élites, comme l’avaient fort bien vu JF Revel et avant lui Schumpeter partout et
toujours haïssent la Liberté et la Démocratie. Pour eux la chute de la dictature communiste était
une défaite personnelle.
Le déni psychiatrique aidant, tous ceux qui croient à la Technocratie et détestent la Démocratie et
le marché libre se sont alors regroupés immédiatement sous la direction de puissants génies tels
Delors et Trichet pour essayer de recréer ce qui venait d’échouer .
C’est à leur échec que nous sommes en train d’assister et tout cela va prendre du temps et faire
bien des victimes collatérales innocentes.
Je crains que cela soit inévitable.
Schumpeter et Tocqueville
Schumpeter, au début des années 20 était dans un café à Vienne avec un ami; entre Max Weber,
le grand, l’immense sociologue, et tous les trois de commencer à discuter sur ce qui se passait à
ce moment la en Russie, avec la prise de pouvoir par les communistes. Schumpeter, très
calmement annonce que l’expérience va échouer et qu’elle sera a l’origine de dizaines voir de
centaines de million de morts d’abord en Russie, et ensuite dans le monde entier. Plus
Schumpeter développe ses arguments, plus Max Weber devient agité et plus il se met à hurler
qu’il est absolument intolérable de prévoir de telles horreurs et de ne rien faire pour les
empêcher. Le ton continue à monter au point que Schumpeter se croit obligé de reprendre son
manteau pour sortir. Une fois dehors, son ami (qui a rapporte cette altercation) demande a
Schumpeter ce qu’il pensait de cette discussion.
Très calme, notre héros lui dit : « Je ne comprends pas comment un homme aussi bien élevé peut
crier aussi fort dans un café. »
Il y a dans cette anecdote tout ce que j’aime chez Schumpeter.
1. Une capacité incroyable à analyser une situation et à en tirer une conclusion
logique sans que ses préférences personnelles influent en quoi que ce soit sur son
analyse. Von Mises ou Hayek auront aussi cette capacité, mais il sera toujours
possible de leur opposer que leurs conclusions sont douteuses parce qu’entachées
par leurs préférences politiques personnelles. Pas Schumpeter. Il analyse froidement
la situation, et en tire les conclusions qui lui semblent s’imposer tout en faisant
abstraction de tout à priori normatif. C’est ce qu’il appelait avoir l’esprit
« scientifique ».
2. Il avait un humour incroyable que seuls Bastiat, Milton Friedman ou Keynes ont
approché, tant il est vrai que la plupart des économistes sont d’un ennui foudroyant.
Il disait qu’il avait trois buts dans la vie, être le meilleur économiste de tous les
temps, mais aussi le meilleur amant et le meilleur cavalier. Ensuite, il ajoutait « et
pour ce qui est des chevaux, j’ai encore des progrès à faire »
3. Il parlait toutes les langues, était d’une culture incroyable (voir son histoire des
idées économiques) et il est mort en lisant les tragédies d’Eschyle dans le texte en
Grec ancien. Il était aussi a l’aise en sociologie (son analyse de la sociologie de Karl
Marx est un classique) qu’en économie ou en économétrie…Bref, un géant de la
pensée, un vrai.
Son grand livre s’intitule » Capitalisme, Socialisme et Démocratie » et c’est dans ce livre
qu’il introduit la notion de « création destructrice » qui seule permet la croissance économique,
mais ce grand livre est incroyablement pessimiste.
Sa thèse, grossièrement résumée est la suivante.
Le capitalisme permet la croissance économique et une hausse du niveau de vie de tout un
chacun et il est le seul à les permettre.
Cette hausse du niveau de vie va permettre à la population entière d’être éduquée
Ce besoin d’éducation va créer une classe d’intellectuels qui ne pourront pas ne pas haïr de
toutes leurs forces la création destructrice tant ils voudront être les seuls a y échapper (si on
avait demandé aux dinosaures si le Darwinisme était une bonne idée, nul doute qu’ils auraient
répondu par la négative).
Cette classe intellectuelle allait certainement prendre le contrôle du système démocratique par
le vote, et son seul et unique but serait d’empêcher la création destructrice d’avoir lieu, ce qui
tuerait toute croissance et amènerait à de plus en plus d’interventions de la part du pouvoir
politique et donc à une chute encore plus forte de la croissance, la fin ultime étant un
corporatisme protectionniste et la stagnation économique au mieux, un écroulement du système
démocratique, au pire.
Schumpeter se hâtait d’ajouter que ce n’était pas ce qu’il souhaitait, mais ce qui lui semblait
inévitable…On voit à quel point cette analyse est différente de celle de Milton Friedman, pour qui
capitalisme et démocratie étaient l’envers et l’endroit de la même pièce de monnaie. J’ai
longtemps cru que Milton avait raison et que Schumpeter avait tort.
Les événements actuels m’amènent à penser qu’il n’avait peut être pas si tort que ca…Partout de
pseudo intellectuels ont pris le pouvoir (Obama, Holland, Monti, la commission Européenne), et ils
n’ont comme point commun que leur détestation du capitalisme et de la création destructrice.
Partout les prix de marché qui seuls permettent des décisions rationnelles sont supprimés (Euro,
taux d’intérêts) ou manipulés (Taux de change, salaire minimum, privilèges de la fonction
publiques, capitalisme de connivence,etc…).Partout ou les intellectuels ont pris le pouvoir, partout
les entrepreneurs sont vilipendés et taxés a mortJamais l’écart entre ces élites éduquées et le
peuple n’a été aussi immense, jamais les procédures électorales n’ont été autant manipulées
pour que cette caste des « cognoscenti » reste au pouvoir envers et contre tout. Entre Berlusconi
qui manipule l’électorat avec son réseau de télévisions et de journaux et les technocrates français
au pouvoir depuis longtemps grâce au contrôle qu’ils ont du monde de la culture et de l’éducation
nationale, je ne vois pas bien la différence.Pour éviter de tomber dans un pessimisme
Schumpetérien et garder mon optimisme Friedmanien, je peux peut être faire l’analyse suivante.
Il existe des pays où nous n’avions ni liberté économique ni Démocratie. Apres la chute du mur
de Berlin, les autorités dans ces pays ont DU donner à leurs peuples la liberté économique et
donc permettre à la destruction créatrice d’avoir lieu. La croissance a suiviCette croissance
amènera à terme à la Démocratie (thèse de Friedman), qui après quelques décennies sera
capturée par nos incompétents sur diplômés (thèse de Schumpeter).
Peut être après tout le cycle long est-il:
-Capitalisme
-Hausse du niveau de vie
-Apparition d’une classe d’intellectuels, qui s’emploient à tout foutre en l’air, avec tout le succès
que l’on voit en France en ce moment.
-Stagnation
-Révolution ou Reforme
-Baisse du niveau de vie
-Dictature
-Retour à la case départ?
Ce qui voudrait dire que en ce qui concerne le placement des capitaux, il faudrait être aujourd’hui
en Asie ou en Amérique Latine, surveiller les USA et la Grande Bretagne dans l’espoir d’un sursaut
et rester en Suède ou au Canada qui sont déjà passés par la case Révolution ou Réforme
Mais Dieu que l’Euroland est mal partie si cette analyse est juste…
Par Charles Gave
Téléchargement