L`intégration de la responsabilité sociale dans l`entreprise - FGM

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L’intégration de la responsabilité sociale dans l’entreprise
Fadoie Mardam-Bey MANSOUR - Directeur du Centre d’Etudes Bancaires
I. Introduction
Le concept de responsabilité sociale d’entreprise (RSE) diffère selon les sociétés, les cultures
et les idéologies présentes. Mais les affaires ne peuvent pas s’établir isolément de la société,
elles en dépendent de façon manifeste. Outre la nécessité des profits pour la continuité de
toute entreprise, l’existence de celle-ci dépend de la société, ainsi que son développement et
sa persistance. La RSE serait une des expressions de l’interdépendance et de la mutualité des
intérêts entre ces deux parties. Nulle entreprise ne peut ignorer ses responsabilités sociales
affirme K. Davis qui demande : « Can business afford to ignore social responsibilities ? »
(dans California Management Review, 2, 1960, cité par (Igalens et Joras, 2002), alors que
W.C. Frederick, dans la même revue (même numéro), écrit que les hommes d’affaires
exercent leurs responsabilités lorsqu’ils considèrent les besoins et les intérêts de ceux qui
peuvent être affectés par leurs actions. Rappelons ici les responsabilités des grandes
entreprises telles qu’elles ont été définies en 1971 par le Comité du développement
économique « Committee for economic development » établi aux États-Unis en 1942: la
production, le maintien des emplois, l’information du consommateur, le respect de
l’environnement et des conditions de travail, la lutte contre la pauvreté, le mécénat et la
citoyenneté (Carroll, 1991).
La RSE empêche qu’une entreprise soit réduite à un simple agent de production. L’entreprise
se trouve ainsi impliquée dans un processus de gestion, celui de considérer la RS comme une
dimension stratégique et un facteur de développement. Cela nécessiterait donc un
changement majeur dans les perceptions des dirigeants: L’entreprise devrait, pour
sauvegarder sa réputation, répondre aux revendications de toutes ses parties prenantes
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, elle
pourrait aussi trouver un sens à ses actions et non pas strictement adapter un modèle prêt à
être adopté. C’est ce que Schoemaker, Nijhof, Jonker (2006) appellent « trouver son identité
spécifique et propre à ses valeurs ». En tant que personne morale, elle se doit d’intégrer les
normes morales. Mais alors, où seraient les limites de cet engagement ? (Renouard, 2007).
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Expression introduite par Freeman en 1984 dans sa théorie des parties prenantes.
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Nous verrons dans cet article si la RSE est pour toutes les entreprises ou pour les grandes
seulement. Puis, nous passerons en revue les différentes étapes d’intégration de la RSE dans
l’entreprise ; du déni de la RSE à la stratégie et au changement culturel. Puis comment cette
intégration est faite, quels sont les obstacles, les facilitateurs et les limites d’une telle
intégration. Nous verrons comment l’entreprise intègre la RSE dans ses relations avec ses
parties prenantes externes (pouvoirs publics, clients et société civile) et internes (ressources
humaines). Nous nous attarderons d’une façon particulière sur ces dernières relations.
II. La RSE et la taille de l’entreprise
De prime abord, la RSE semble être réservée aux grandes entreprises. Et c’est un point
important à analyser dans l’étude de la RSE dans les pays dont l’économie est peu
développée et les entreprises nationales sont relativement de petite ou de moyenne taille.
Dans les études faites sur la RSE en Tunisie (Ben Yedder et Souaï, 2009), au Maroc
(M’hamdi et Trid, 2009) ou en Roumanie (Burlea Schiopiu. et Ciobanu, 2005), la taille de
l’entreprise constitue un élément majeur de leur problématique. Rappelons que dans la
majorité des recherches menées sur le reporting, la taille est une variable principale. Il serait
donc, sans aucun doute, pertinent de croire que la RSE se rapporte aux entreprises de grande
taille. Reprenons le modèle de Carroll ; il faut que l’entreprise soit solide économiquement et
qu’elle réponde aux exigences légales avant de passer au stade de l’éthique et de la
responsabilité sociale. Nous pouvons également reprendre la théorie de l’agence ; la
séparation entre le propriétaire et le dirigeant, occasionnée par l’agrandissement de
l’entreprise, est capable d’engendrer des abus de la part du dirigeant, mais ces abus peuvent
être limités par une bonne gouvernance ou par un code d’éthique, ce qui ne serait pas
nécessaire dans le cas d’une petite ou moyenne entreprise.
Par ailleurs, la RSE n’est pas uniquement liée à la taille de l’entreprise, elle se rapporte aussi
à son domaine d’actions et à l’impact de celles-ci sur son environnement proche aussi bien
que lointain. Avec la globalisation et l’intensification de l’investissement étranger direct dans
les pays émergents, la RSE a été confrontée à de nouveaux problèmes tels que les relations de
la grande firme étrangère avec les travailleurs locaux et ses effets sur l’environnement
naturel.
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Les entreprises n’ont pas toutes les mêmes missions ni les mêmes valeurs pour s’engager
dans des actions de RSE. Et ceci est d’autant vrai pour des entreprises se trouvant dans un
même pays et dans un même secteur. Les comportements des différents « ayant droits » sont
très variés et les intérêts des uns peuvent se trouver en conflit avec ceux des autres. L’impact
des actions socialement responsables sur la performance de l’entreprise diffère d’une
entreprise à une autre. Cela dépend de sa taille, des compétences de ses employés, de sa
réputation et des diverses manières dont elle est perçue par les parties qui sont en relation
avec elle.
La taille de l’entreprise est une notion relative à l’environnement socio-économique dans
lequel elle exerce ses activités. Les impacts de ses actions doivent être facilement perçus par
la société pour pouvoir lui attribuer le qualificatif de responsable socialement. Nous ne
devons pas toutefois perdre de vue que toutes les entreprises, quelle que soit leur taille,
doivent agir d’une manière responsable.
III. Étapes d’intégration de la responsabilité sociale dans l’entreprise
III.1. L’intégration de la responsabilité sociale dans la stratégie
Intégrer la RSE dans sa stratégie fait partie des tâches les plus difficiles à accomplir par
l’entreprise. Comment l’entreprise peut-elle englober tous les aspects de son travail dans sa
stratégie tout en veillant à ce que ceux-ci soient socialement responsables ? Selon Arenas et
Mària (2011), très peu d’entreprises seraient capables d’intégrer la RSE dans leur stratégie.
En fait, les deux auteurs précités parlent de quatre types de stratégies d’entreprises qui
peuvent également représenter les étapes consécutives de l’application de la RSE dans
l’histoire de l’entreprise :
- le déni de la RSE et la défense contre ceux qui l’encouragent, à la manière du courant
de Friedman. N’oublions pas cependant que Friedman lui-même a insisté sur la nécessité
de respecter la loi et les valeurs de la société et, malgré que ces dernières aient beaucoup
changé au fil du temps, elles semblent être désormais très proches de celles réclamées
actuellement pour la RSE !
- les donations : l’entreprise donne de l’argent à différents projets indépendamment de
ses affaires et sans relation directe avec son travail ; ce type d’action assimilé à la RSE par
l’entreprise serait plutôt un coût.
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- la réaction à des pressions extérieures en vue de réduire les risques sociaux et
environnementaux qui menacent l’entreprise et son développement. Afin de préserver ses
intérêts, l’entreprise se soucie d’actions RSE et soutient certains projets sans que ceux-ci
fassent réellement partie de ses propres activités. Cela pourrait nous faire penser au
courant de « Corporate Social Responsiveness » et plus particulièrement au modèle de
Votaw et Sethi (1973)
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- l’attitude proactive: l’entreprise entreprend des pratiques qui correspondent aux
principes sociaux et environnementaux et entrent en interdépendance avec eux. Il s’agit
d’une réelle intégration des valeurs sociales dans les actions de l’entreprise qui vont de
pair avec sa stratégie. La RSE devient ainsi une source d’avantage compétitif pour
l’entreprise qui « impressionnerait » alors le consommateur par ses actions allant au-delà
de ses attentes. De cette façon, l’entreprise améliore son environnement compétitif, tout en
investissant dans ses capacités. Autrement dit, l’activité de l’entreprise concorde avec les
valeurs de la société et celles de ses parties prenantes. Ce serait la stratégie idéale pour
faire œuvrer la RSE.
Selon Lozano, tel que cité par Arenas D. et al. (op.cit.), l’entreprise devrait se comparer à la
Terre telle que représentée par le système astrologique de Copernic ; elle ne doit pas se
comporter comme si elle était le centre du monde mais plutôt agir en fonction des autres, à
savoir la société et les autres parties prenantes, et se mettre même à leur service. Quand les
actions menées dans le cadre de la RSE ne concordent pas avec la stratégie de l’entreprise,
elles ne peuvent donc perdurer et lui restent externes, étant uniquement commandées par
l’urgence et répondant aux revendicateurs sous l’effet de leur pouvoir, sans aucun lien de
fond avec l’activité de l’entreprise. L’entreprise qui veut devenir RS, doit intégrer les actions
sociales qu’elle entreprend dans sa stratégie et faire preuve d’une différenciation par rapport
aux autres (Hess, Rogovsky et Dunfee, 2002).
Pour finir, il est vrai que l’entreprise supporte un coût supplémentaire en adoptant une
stratégie RSE, mais en contrepartie, elle préviendrait des risques importants aussi bien en
interne qu’en externe et qui auraient sur elle de graves répercussions directes ou indirectes.
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Pour Votaw et Sethi, l’organisation s’adapte au fur et à mesure de l’apparition des pressions sociales et de leur
institutionnalisation. Il s’agit d’un phénomène incrémental et non pas imposé par une stratégie (modèle
hiérarchique).
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III.2. L’intégration de la responsabilité sociale dans la culture
Pour mieux expliquer la culture d’entreprise, citons d’abord Helliegel, Slocum et Woodman
(1993) : « L’entreprise porte en soi une qualité invisible, un certain style, un caractère, une
manière de faire les choses qui peut être plus puissante que la volonté de telle personne ou de
tel système officiel. Pour comprendre l’âme de l’organisation, il faut aller chercher ce qui
existe sous les graphiques, les règlements intérieurs, les machines et les immeubles,
s’immerger dans le monde souterrain des cultures d’entreprise. » La culture d’entreprise
engloberait donc d’après Helliegel, les philosophies, les idéologies, les valeurs, les croyances,
les postulats, les attentes, les attitudes et les normes communes à ceux qui y travaillent. Selon
Mercier (2004), chaque entreprise a sa propre manière de réaliser ses activités qu’on appelle
« culture d’entreprise ». Pour Edgar Schein, cité par Helliegel et al. (op.cit.), la culture
d’entreprise se forme pour répondre aux problèmes affrontés par l’entreprise ; pour s’adapter
d’une part au monde extérieur et de survie et d’autre part aux problèmes d’intégration interne.
La culture d’entreprise est donc fortement liée au comportement de l’entreprise qui peut être
éthique ou pas. Cette culture se montre par la manière de penser et d’agir de l’entreprise sans
pouvoir toutefois en expliquer les raisons. Elle n’est pas figée dans le temps, mais elle évolue
en fonction des changements de l’environnement. Et tant que ces changements sont continus,
cette culture est en perpétuelle évolution ; elle explique les actions passées sans pouvoir
anticiper l’avenir.
Pratiquement, la culture d’entreprise paraît être assez influencée par des modes de vie
généraux ou par les relations sociétales établies selon les pays. A la différence des pays
occidentaux l’État apporte un fort soutien à sa population tout en engendrant des
comportements individualistes, les pays du Sud maintiennent encore une mentalité d’entraide
communautaire. Les grandes firmes, notamment celles qui ont des activités à l’étranger, ont
le plus souvent des salariés, des clients et des fournisseurs venant de différents milieux
sociaux et ayant des systèmes de valeurs différents, d’où la nécessité de poser les bases d’une
éthique commune et de formaliser des directives fondées sur des valeurs propres à leurs
organisations (Mercier, 2000). Notons à ce propos que dans certains cas, l’amalgame de
cultures au sein de l’entreprise peut constituer une contrainte aux changements et une entrave
à l’évolution (Aoun, 2008).
La culture d’entreprise peut être annoncée à travers une charte ou un autre type de
déclaration. Elle guide les comportements des employés certes, mais dans certains secteurs,
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