Ma baby-sitter est une télé, est-ce grave docteur ? Une analyse des

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Ma baby-sitter est une télé, est-ce grave docteur ?
Une analyse des conséquences de l’exposition chronique à la
télévision.
« Une habitude, anodine en apparence, prise par de nombreux parents »
(Jean-Marc Guilé, 2008)
Sophie TERCIER RAHMAN
Lorraine MORIER
Il est aujourd'hui courant d'entendre les
coucher (Zimmerman et al., 2007) et
parents dire qu’ils profitent d'une
n'hésitent pas à installer un poste dans la
« pause » en
laissant leurs enfants
chambre de leur enfant. Pour Guilé (2003),
devant la télévision. En Suisse romande,
le rôle des parents est d'accompagner la
les enfants entre 3 à 14 ans regardent la
séparation graduelle qui permet à l'enfant
télévision en moyenne 61 minutes par
de s'endormir sans crainte. Selon ce
jour (OFS). C’est le média le plus
chercheur, en utilisant « Mère télévision »
consommé par les 7 à 14 ans (SRG SSR,
comme substitut au moment du coucher de
2004). De nombreuses études se sont
manière
intéressées aux risques et bienfaits
confrontation,
potentiels
transition, pas d'ennui, pas d'attente, tout
pour
le
développement
répétée,
la
« on
évite
séparation,
pas
la
de
cognitif, social et physique des enfants
est rempli » (Guilé, 2003).
qui regardent souvent la télévision.
Mais peut-on alors parler de négligence ?
Quelles
les
Elle est définie comme « le fait de ne pas
conséquences ? Est-ce qu’il faudrait,
accorder à l’enfant (ou pas en suffisance)
dans certains cas, parler de négligence ?
les soins élémentaires, la surveillance et la
On dénonce souvent les situations où les
stimulation nécessaire – à savoir le nourrir,
parents laissent leur enfant regarder des
s’en occuper, veiller à sa santé, le stimuler
programmes inappropriés pour leur âge,
et l’éduquer, et le protéger contre les
mais qu'en est-il du fait même de laisser
dangers » (rapport du Conseil fédéral,
l'enfant « à la garde du média? ». Evans et
2012). La négligence est caractérisée par le
al. (2011) relèvent que presque la moitié
fait d'omettre plutôt que de commettre et se
des parents disent utiliser la télévision
décline en quatre formes : corporelle,
comme « baby-sitter ». D'autres l'utilisent
socio-émotionnelle,
pour calmer leur enfant ou au moment du
intellectuelle.
pourraient
être
Dans
médicale
ses
et
conclusions
concernant la situation des enfants en
temps passé devant le petit écran est
Suisse, le Comité des droits de l'enfant
souvent associé à une consommation
relève un manque de données sur les
élevée d'aliments caloriques (Charreire,
enfants négligés et un manque de stratégie
2011). Cette consommation additionnée à
nationale
la
de
protection
de
l'enfant
sédentarité
des
surpoids
et
risques
(Humanrights, 2015). Une étude menée par
importants
Slack, Holl et al. (2004) a montré que les
(Saelens et al., 2002). De plus, regarder la
parents qui permettaient à leurs jeunes
télévision deux heures par jour augmente
enfants de regarder souvent la télévision
de 20 % les risques de diabète de type 2,
(dès 4 heures par jour) risquait quatre fois
de 15 % les maladies cardio-vasculaires, et
plus de faire l’objet de négligence. Celle-ci
de
se repère souvent de manière indirecte, par
(Grontved et al, 2011).
l'observation
Entre 3 et 5 ans, regarder des programmes
de
ses
conséquences
(Perrault, I. et Beaudoin, G., 2008 ; voir
13 %
de
implique
toute
cause
de
d'obésité
mortalité
éducatifs semblerait tout de même avoir
aussi Ethier et Lacharité, 2000). Quelles
des effets positifs sur la mémoire à court
seraient alors les conséquences d'une
terme et sur la reconnaissance des mots.
exposition chronique à la télé sur le
Cependant, il n'y a aucun effet positif sur
développement physique, psychique et
d'autres
social de l'enfant qui permettraient, dans
mathématiques et la compréhension de
certains cas, de parler de négligence ?
lecture (Zimmerman et Christakis, 2005).
Sur le plan de la santé physique, l’un des
Concernant le langage, pour un enfant
problèmes
l'exposition
entre 8 et 16 mois, une heure quotidienne
chronique à la télévision se trouve être un
de vidéos, même adaptées aux très jeunes
affaiblissement de la qualité du sommeil
enfants, appauvrit de 10 % son lexique
(Harlé et Desmurget, 2012). De plus, le
(Zimmerman et al. 2007). En outre, pour
principaux
de
domaines,
comme
les
les enfants entre 2 et 4 ans, passer deux
comportements agressifs et impulsifs sont
heures
poste
des conséquences de l'exposition aux
probabilité
programmes télévisés qui diffusent des
dans
images violentes
par
jour
multiplierait
par
d'observer
des
devant
trois
la
retards
le
le
développement du langage (Chonchaiya et
L'étude menée par Pagani, Fitzpatrick et al.
Pruksananonda,
et
(2010) a montré qu’un enfant en bas âge
Desmurget, 2012). On peut expliquer cet
fortement exposé à la télévision était
effet négatif par le simple fait que, lorsque
ensuite plus susceptible d’être rejeté ou
la télé est allumée, l'enfant parle moins et
raillé par ses camarades. Un enfant qui
entend, ou comprend, moins de mots, car il
regarde beaucoup la télévision, et qui a
est moins sollicité par son entourage (Harlé
donc un temps restreint pour interagir
et Desmurget, 2012). On constate toutefois
socialement, risque de peu développer de
qu’aucune étude n’a été réalisée sur la
compétences
nature
des
2008
in
interactions
Harlé
lors
du
sociales.
Selon
Tisseron
(2008), une trop grande exposition à la
visionnement de la télévision (Christakis et
télévision pourrait perturber la relation
al., 2009). On peut supposer que, dans
d'attachement, car la télévision risquerait
certains cas, les interactions sont de bonne
de prendre la place du parent, et l'enfant ne
qualité et peuvent participer au bon
pourrait se sentir bien et sécurisé qu'en
développement cognitif de l'enfant.
présence d'un écran allumé. Le moratoire
En ce qui concerne l'attention de l'enfant,
de Serge Tisseron met en avant les propos
on a constaté qu'un enfant de moins de
d’Hefez
3 mois qui consomme quotidiennement
d'interaction avec l'entourage et le manque
1 heure de télévision voit ses risques de
d'appropriation du monde, empêchant ainsi
présenter un trouble de l'attention doubler à
l'enfant de devenir acteur, mais lui
l'école primaire (Zimmerman, 2007). Des
permettant de rester un simple spectateur.
qui
souligne
le
manque
Au vu des troubles que nous avons relevés
« négligence socio-émotionnelle ».
et des conclusions de l'étude menée par
Les
Slack, Holl et al. (2004), qui révèle que
montrent que les parents qui sont les plus
cette pratique se retrouve dans beaucoup
enclins à utiliser la télévision comme baby-
de cas de négligence, nous estimons que
sitter sont non seulement ceux qui ont une
certaines situations sont préoccupantes.
attitude positive envers la télévision et qui
Cependant, on peut parler de négligence
pensent qu'elle offre des bénéfices pour
seulement si les dommages physiques,
l'enfant, ainsi que ceux qui regardent eux-
cognitifs et sociaux sont importants ou
mêmes beaucoup la télévision, mais aussi
risquent de l'être. Concernant la santé
les parents avec un haut degré de
physique, rester assis et regarder la
formation. Ces derniers profiteraient de la
télévision au-delà de 2 heures implique des
télévision
conséquences néfastes qui témoignent
disponibilité pour leurs enfants malgré leur
d'une négligence corporelle. Sur le plan
cognitif, l'exposition chez les enfants en
bas âge, le choix d'un programme non
adapté ou non éducatif et le manque
d'interactions pendant le visionnement peut
entraîner
des
troubles
témoigneraient
d'une
cognitifs
qui
négligence
intellectuelle. Au niveau social, les enfants
en bas âge sont particulièrement enclins à
développer des problèmes relationnels et
des problèmes d'attachement. Dans les cas
les plus extrêmes, on peut parler de
travaux
en
menés
cas
par
de
Eggermont
manque
de
réticence par rapport à son utilisation.
Si aucune étude ne prouve que laisser
l'enfant fréquemment devant la télévision
est de la négligence, il apparaît que les
résultats qui en découlent sont tout de
même particulièrement préoccupants. En
effet, des centaines d’études démontrant
scientifiquement les effets désastreux de
l’exposition chronique à la télévision ont
été
recensées
par
le
chercheur
en
neurosciences M. Desmurget, dans son
livre « TV-lobotomie ». Ces conséquences
peuvent être significativement réduites si
l'adulte est bienveillant à l'égard de
En Suisse, nous relevons un manque de
l'enfant. Pour une utilisation saine de la
recommandations officielles concernant
télévision,
of
l’utilisation de la télévision. Aussi Harlé et
Pediatrics (2009) recommande un temps
Desmurget (2012) invitent-ils les pédiatres
limité, des programmes adaptés, des
et médecins généralistes à faire de la
interactions de qualité. En revanche, elle
prévention
préconise d’éviter les écrans pour les
cherchent ainsi à éviter une utilisation
enfants
erronée de la télévision et à réduire les
de
l’American
moins
de
Academy
2 ans.
Une
consommation alimentaire réduite devant
le petit écran (Charreire, 2011) est
également favorable pour une bonne santé.
risques
auprès
pour
des
les
parents.
Ils
enfants.
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Sitographie
« Le moratoire de Serge Tisseron contre les bébés téléphages »
URL : www.cairn.info/revue-spirale-2007-4-page-187.htm.
Consulté le 27 avril 2015
Les conclusions du comité des droits de l’enfant envers la Suisse
Concluding observations on the combined second to fourth periodic reports of Switzerland
(CRC/C/CHE/CO/2-4) (pdf, english, 18 p.)
Committee on the Rights of the Child, 4 février 2015
Consulté le 27 avril 2015
Office fédéral de la statistique OFS (1985-2013) Télévision : Utilisation selon la région
linguistique, l'âge et le sexe
http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/16/03/key/ind16.indicator.16010305.160
105.html
Consulté le 28 avril 2015
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