ANESTHESIE PEDIATRIQUE PAR UN ANESTHESISTE NON PEDIATRE 105
URGENCES VISCERALES EN ANESTHESIE
PEDIATRIQUE
E. Goujard. Department of Anesthesia, Montreal’s Children Hospital, Mc Gill Univer-
sity, Montreal, Qc, Canada.
INTRODUCTION
Les urgences viscérales de l’enfant étaient, restent et resteront l’une des préoccupa-
tions majeures des anesthésistes. Associées aux urgences traumatologiques, elles
représentent une activité pédiatrique importante et spécifique des gardes. Si l’on com-
pare la mortalité de l’appendicite aiguë rapportée par Pledger dans les années 60, où
204 enfants décédaient (Tableau I), à celle des années 80 où 35 enfants mouraient de
cette affection, un énorme progrès a été réalisé [1, 2]. La rapidité et la qualité du dia-
gnostic chirurgical, la qualité de la réanimation préopératoire, l’amélioration des soins
anesthésiques ont permis de transformer le pronostic de cette affection aujourd’hui
presque banale.
Il n’en reste pas moins que les enfants de moins de 4 ans gardent une mortalité [2] et
un risque de péritonite plus élevés que la tranche d’âge supérieure, et qu’il convient
toujours de rester vigilant dans nos soins. De la même façon, le risque d’inhalation lors
de ces anesthésies en urgence est proche de 1 pour 373 versus 1 pour 4544 anesthésies
pour un cas chirurgical électif [3]. Même si la morbidité rapportée dans cette étude
provenant d’un centre tertiaire américain est faible, il n’y a pas lieu de minimiser cette
redoutable complication anesthésique.
Les urgences néo-natales souvent traitées dans des centres spécialisés présentent
aussi des pathologies gravissimes avec plus de 48 % de décès chez les prématurés
opérés de perforation gastro-intestinale [4]. Là aussi, subsistent quelques problèmes
péri-opératoires, qui sur un terrain particulièrement fragile, ne laissent aucune place à
la moindre erreur d’anesthésie, fut-elle même minime.
La multiplicité des étiologies ne s’oppose pas avec le fait d’aborder ces urgences
d’une manière simple, en axant la prise en charge sur les principaux problèmes que sont
l’hypovolémie, l’antibiothérapie, les risques d’inhalation et les traitements antalgiques
postopératoires (Tableau II).
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1. PERIODE PRE-OPERATOIRE
1.1. DIAGNOSTIC CHIRURGICAL
Une fois éliminé le problème du diagnostic différentiel de la gastro-entérite, à l’ori-
gine de la majeure partie des consultations pour symptomatologie abdominale aiguë
aux urgences pédiatriques. Le diagnostic chirurgical est basé en grande partie sur l’ana-
lyse des signes cliniques qui gardent toujours une grande valeur chez l’enfant. Le
diagnostic chirurgical a aussi beaucoup profité des progrès de l’imagerie médicale [5].
Tableau I
Facteurs en relation avec le décès lié à l’appendicite aiguë de 1963 à 1967 en
Angleterre et au pays de Galles chez 204 enfants d’après Pledger [1]
sna5<stnafnE
tauqédanineidiuqilegassilpmeR4552
eimrehtrepyH915
*eiséhtsenA915
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snoisluvnoC318
sispeS311
selacigrurihcsnoitacilpmoC61
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noitabutni'decnesbarapsenneiréaseiovsedelortnocedtuafédteeiséhtsena'd
.elaéhcartodne
Tous les âges
Tableau II
Etiologies des urgences viscérales de l’enfant [4, 5]
Appendicite aiguë
Cholécystite aiguë
Invagination intestinale Aiguë
Sténose du pylore
Malrotation / volvulus intestinal
Hernie étranglée
Occlusion sur bride
Diverticule de Meckel
Péritonite secondaire : appendicite, cholécystite, diverticule de Meckel
Colite pseudo-membraneuse
Entérocolite ulcéro-nécrosante (prématuré et immunodeprimé)
ANESTHESIE PEDIATRIQUE PAR UN ANESTHESISTE NON PEDIATRE 107
L’abdomen sans préparation et surtout l’échographie sont des examens de débrouillage
sensibles et rapides à obtenir. Ils ont modifiés les approches diagnostiques et thérapeu-
tiques. La sémiologie clinique reste bien entendu primordiale, notamment dans les grands
tableaux septiques ou occlusifs. La rapidité d’intervention est alors un facteur impor-
tant pour la survie et la morbidité de ces urgences. Comme on le voit encore en 1980;
37 % des enfants présentant un tableau d’appendicite aiguë sont morts, avant qu’une
intervention chirurgicale n’ait pu avoir lieu [2]. Il est licite de faciliter l’intervention,
tout en débutant une réanimation efficace en se focalisant sur les différents points rap-
portés dans le tableau I.
1.2. CONDITIONNEMENT PREOPERATOIRE
1.2.1. ANTIBIOTHERAPIE PROPHYLACTIQUE ET CURATIVE
Le traitement antibiotique se différencie peu de celui de l’adulte. En effet, les
germes en cause sont sensiblement les mêmes à pathologie équivalente [6]. L’étude
bactériologique des appendicites et des péritonites appendiculaires montrent des cultu-
res souvent polymicrobiennes avec une flore comprenant une prédominance
d’escherichia coli (77 %), de bactéroïdes fragilis (55 %), de streptocoque faecalis (35 %),
de pseudomonas (22 %) et autres germes (16 %) [6].
Les BGN et Cocci G+ sont donc les principaux agents pathogènes en cause, suivis
dans une moindre mesure par les germes anaérobies. Dans le cadre de l’antibioprophy-
laxie les données classiques s’appliquent tant en terme de choix de molécules que de
durée du traitement (ex: amoxycilline + acide clavulanique). Les posologies sont pro-
pres à la pédiatrie en milligramme par kilogramme, sans dépasser les doses unitaires
des adultes dans tous les cas (Tableau III).
En curatif et devant des tableaux graves (intensité, retard diagnostic, importance de
la péritonite, signes septicémiques...) une bithérapie est recommandée : une bêtalacta-
mine et un aminoside sont une association logique (Tableau III). La durée de la bithérapie
est variable mais au moins supérieure à 2 jours, sans dépasser 5 jours d’aminoside. La
durée totale du traitement sera classiquement prolongée sur des arguments d’évolution
clinique et biologique comme la numération des leucocytes et la mesure de la CRP,
encore très populaire en pédiatrie.
La culture bactérienne peropératoire est un élément important pour le suivi des
patients surtout lors des sepsis graves, lorsque les enfants ont été exposés à un traite-
ment antibiotique récent [5] et chez l’enfant immunodéprimé. L’isolement d’une bactérie
résistante suite à la pression de sélection d’une antibiothérapie antérieure sont particu-
lièrement à craindre en pédiatrie. En effet, la pharmacopée de ville est riche en différente
formes orales d’ampicillines ou de céphalosporines de deuxième et troisième généra-
tion largement utilisées pour différentes affections de la sphère ORL si communes chez
l’enfant, augmentant le risque de sélection d’un germe résistant [7]. Un écouvillon et
une culture du pus sur des flacons d’hémocultures permettent en postopératoire d’adapter
secondairement le traitement antibiotique grâce à l’antibiogramme. Une allergie aux
bêtalactamines fait préférer une trithérapie lors d’un syndrome septique abdominal
(Tableau III).
1.2.2. HYPOVOLEMIE
L’hypovolémie est souvent associée aux urgences digestives de l’enfant. La pre-
mière cause est une carence d’apport dont l’enfant est d’autant plus sensible qu’il est
d’un plus jeune âge. La seconde est liée aux pertes induites par l’hyperthermie, des
vomissements, un syndrome diarrhéique ou un troisième secteur intra-abdominal. Les
signes cliniques sont classiquement dominés par la constance de la tachycardie asso-
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ciée plus tardivement que chez l’adulte à une hypotension artérielle. C’est alors dans ce
contexte un signe de gravité qu’il faudra savoir corriger le plus rapidement possible par
une expansion volémique conséquente (Tableau IV).
Un défaut de perfusion périphérique avec un allongement du temps de recoloration
cutanée chez le nouveau-né et le nourrisson, des signes cutanés de déshydratation (fon-
tanelle, pli cutané) font partie de ce tableau. Des signes d’oligurie sont parfois retrouvés,
eux aussi éléments de gravité. Le bilan biologique permet rapidement d’analyser les
troubles métaboliques et le retentissement sur la fonction rénale.
L’hypovolémie est corrigée par les différents solutés dont nous disposons, le plus
rapidement possible avant l’intervention chirurgicale. La normalisation des différents
signes vitaux, pression artérielle, fréquence cardiaque, diurèse sont les objectifs à
atteindre. Une sonde urinaire permettra d’évaluer la diurèse plus précisément, s’assu-
rant de la qualité du remplissage liquidien lors d’atteintes viscérales sévères, de choc
hypovolémique persistant, d’insuffisance rénale associée ou non à des déséquilibres
métaboliques complexes.
1.2.3. EQUIPEMENT PREOPERATOIRE
Très souvent l’abord des voies veineuses périphériques de l’enfant ne pose pas de
problème. La cathétérisation de la veine de la face dorsale de la main, du pli du coude
voire d’une saphène interne à la cheville permettront de débuter l’expansion volémique
et l’anesthésie. Même si la position de celle-ci n’est pas idéale, il sera toujours temps
a - Curatif standard
1. Amoxycilline + ac clavulanique : 50 mg.kg-1 IVD à l’induction
puis 25 mg.kg-1 IVL toutes les 6 heures
•App simple: 1 injection
•Péritonite: durée 5 jours IV
•App gangréneuse: durée +/- 2 jours IV
•Ischémie d’une anse: durée +/- 2 jours IV
2. Gentamicine: 1.5 mg.kg-1 IVL toutes les 12 heures
Durée: 2 à 3 jours
Indications: péritonites, rupture d’organes creux, entérocolite...
3. Ornidazole (Tibéral®): 30 mg.kg-1 IVL toutes les 24 heures
durée: 1 à 2 jours
Indications: péritonites, fasciite nécrosante, gangrène gazeuse...
b - Allergie au ß-lactamines (triple association)
1. Clindamycine : ( Dalacine®) :10 mg.kg-1 IVL toutes les 6 heures
2. Gentamicine : (cf a 2)
3. Ornidazole : (cf a 3)
c - Suspicion d’E Coli ampi -Résistant
Cefoxitine (Méfoxin®): 15 à 40 mg.kg-1 IVL toutes les 6 heures
d - Après analyse de l’antibiogramme
•Céfotaxime (Claforan®): 50 mg.kg-1 IVL toutes les 6 heures
•Ceftazidime ( Fortum®): 50 mg.kg-1 IVL toutes les 8 heures
•Pipéracilline/tazobactam: 100 mg.kg-1 IVL toutes les 8 heures
•Imipénème: 10 mg.kg-1 toutes les 8 heures
•Vancomycine: 10 mg.kg-1IVL toutes les 6 heures
•Amikacine: 7,5 mg.kg-1 IVL toutes les 12 heures
Tableau III
Antibiothérapie et urgences septiques abdominales pédiatriques
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durant l’anesthésie et après un premier bolus liquidien de reposer la perfusion dans de
meilleures conditions chez un enfant sous anesthésie.
En cas d’hypovolémie importante, la veine jugulaire externe est une alternative
intéressante qui permet de perfuser efficacement n’importe quel type de soluté. Sa fixa-
tion au cou est parfois gênante en postopératoire et source d’obstructions liées à son
caractère positionnel. Dans de très rares cas, un cathétérisme de la veine fémorale peut
être nécessaire. Plus facile d’accès qu’une voie centrale jugulaire interne ou sous-
claviaire chez l’enfant conscient et hypovolémique, elle permet de temporiser jusqu’à
l’intervention.
Chez l’enfant en choc hypovolémique, avant ou après échec des autres techniques,
en première intention dans un contexte d’urgence et d’instabilité hémodynamique
majeure, une ponction intra-osseuse permet un remplissage et l’injection des différen-
tes drogues de réanimation et d’anesthésie [8, 9]. Le site de ponction le plus adapté est
loca-lisé sur la crête tibiale, un centimètre en dessous de la tubérosité antérieure.
Secondairement, un cathéter central remplacera cette voie intra-osseuse. Sa morbi-
dité, quand elle est utilisée durant moins de 24 heures, est faible avec un risque d’ostéite
inférieure à 0,5 %
.
Une sonde gastrique est le complément indispensable des syndromes occlusifs. Une
sonde gastrique double voie est préférable dans ce cas. Le diamètre minimal actuelle-
ment disponible est de 10 unités Charrière et cette sonde peut s’utiliser au dessus de 6
à 8 kg. Elle est mal supportée chez certains enfants et peut être remplacée par une
sonde simple voie de 8 Ch chez les nourrissons. La vidange gastrique permet une dimi-
nution de la pression intra-abdominale qui favorise la course diaphragmatique et la
ventilation du petit enfant. La diminution du volume intragastrique est l’autre facteur
recherché dans ce contexte d’anesthésie d’un «enfant à l’estomac plein».
a - les produits
1. Cristalloïdes : Ringer lactate ou Sérum Physiologique NaCl 0,9%
10 à 20 mL.kg-1 en 10 à 30 minutes
2. Hydroxyéthyl-amidon :
10 à 20 mL.kg-1 en 10 à 30 minutes (sans dépasser 33 mL.kg-1.jour-1)
3. Macromolécules :
10 à 20 mL.kg-1 en 20 à 30 minutes
b - chronologie du remplissage
Considérer (1) en première position
Considérer (1) + (2) en cas d’ hypovolémie sévère, choc persistant, importance
du troisième secteur ...
Considérer (3), si (2) non disponible ou au dessus des posologies maximales
recommandées de (2).
Considérer les produits sanguins et dérivés uniquement sur des arguments
cliniques et biologiques (Albumine, PFC, CG) :
- Hypoprotidémie majeure
- Anémie > 6 à 7g.dL-1, hémorragie post-traumatique...
- Trouble de la coagulation associé : CIVD, fibrinolyse aiguë...
Tableau IV
Expansion volémique
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