MERCREDI 2 JANVIER 2013 23 À cœur ouvert Rendez­vous avec le stress Attente à une poussée d’énervement. » Le reste de la famille acquiesce. « On ne l’a pas vu, ce ne sera possible que quand ils lui auront trouvé une chambre. » Le fils s’agace. L’incompréhen­ sion le gagne. « Si ça se trouve, il ne sait même pas qu’on est là. S’ils savent qu’ils ont tant de patients dans l’année, ils pour­ raient agrandir ! » Dans ce huitième volet de notre série sur l’hôpital d’Auxerre, nous vous emmenons dans son quotidien : les opérations programmées, mais aussi l’attente et l’angoisse des patients et de leur famille… Catherine Lambertini [email protected] « Ça va aller. […] C’est un ancien combattant » L’ hospitalisation imprévue passe, dans la majeu­ re partie des cas, par les urgen­ ces. Dans la salle d’attente dé­ diée aux familles et accompagnants des patients, les doigts se tordent, les yeux rou­ gissent, le stress gagne du ter­ rain. « Ce n’est pas opérable. Il faut attendre que ça se résorbe. » Mercredi dernier, midi, cinq personnes d’une même famille attendent des nouvelles du pa­ triarche. Le matin, vers 8 heu­ res, l’une de ses filles a appelé le SAMU. Il y avait urgence. L’homme de 71 ans avait « tout un côté paralysé ». Les pom­ ANGOISSE. Dans la salle d’attente des urgences, les familles des patients appréhendent le diagnostic et les solutions proposées par l’équipe médicale. PHOTO FLORIAN SALESSE piers sont venus le chercher et l’ont emmené aux urgences. Sur place, une partie de la fratrie se rejoint. Commencent alors de longues heures d’attente, pour q u a t re d e s h u i t e n f a n t s e t l’épouse. « C’est l’angoisse », lâche l’uni­ que fils. Le diagnostic est tombé relativement tôt : AVC (accident vasculaire cérébral). Mais la fa­ mille peine à être informée et la confusion s’installe. Caillot ? Hémorragie ? Le patient a subi un scanner, dont les images ont été envoyées à Dijon. « Ils disent que ce n’est pas opérable. Il faut attendre que ça se résorbe. » Vers 12 h 30, en manque de nouvelles, l’une des filles part à la rencontre d’un médecin, sui­ vie par sa mère. Quelques mi­ nutes plus tard, les deux fem­ mes ressortent. L’esprit plus Anesthésie « Ça paraît plausible qu’ils aient peur » La peur des aiguilles, de l’inconnu, du noir, de ne pas se réveiller, d’être malade au réveil, de ce que le chirurgien va trouver pendant l’intervention ou l’angoisse de lâcher prise. L’anesthésie renvoie nombre de patients à des peurs ancestrales. L’acte est pourtant scientifique. « Ça paraît plausible que les gens aient peur, puisqu’on en­ tend de temps en temps parler d’accident », conçoit le Dr Pier­ re Rodriguez, chef de service anesthésiologie­réanimation. Le risque de choc allergique existe en effet. « On compte un cas de choc grave pour 1.000 pa­ tients. » En un quart d’heure, le temps d’une consultation pré­ anesthésique (obligatoire avant toute opération), le médecin tente, si besoin, de rassurer le malade. Trois drogues sont utilisées pour l’anesthésie à des degrés divers : un dérivé de la morphi­ ne pour bloquer la douleur, la narcose, pour faire dormir, et le curare pour le relâchement clair, mais pas apaisé pour autant. « C’est une hémorragie dans le cer veau, on nous a montré l’image. Ce n’est pas opérable, confirme­t­elle. C’est grave. » Ses yeux s’emplissent de larmes. Elle les retient. Sa sœur, celle qui a prévenu les se­ cours, est en état de choc de­ puis le matin. Elle ne dit pas un mot. « Ils disent que ça peut être dû Douleur Une prise en charge aux techniques multiples S’il existe des centres ou des unités antidouleur dans les hôpitaux français, celui d’Auxerre ne dispose que d’une consultation antidouleur, sans lit d’hospitalisation ni équipe spécifiquement dédiée. OPÉRATION. Durant tout le long de l’intervention chirurgicale, l’anesthésie est prolongée par intubation et intraveineuse. PHOTO C. L. musculaire. Le narcotique, d’abord induit en intraveineuse est remplacé par une forme ga­ zeuse tout au long de l’interven­ tion, en fonction de l’âge et du poids du patient. « On baisse les doses avant la fin de l’interven­ tion. » Si le médecin prescrit les doses et la technique, au bloc, les gestes sont assurés par les infirmiers anesthésistes. « Ils sont la cheville ouvr ière de l’acte. S’ils viennent à manquer, on ferme des salles d’opéra­ tion. » ■ C. L. Les enfants, un peu perdus, essaient alors de comprendre ce qui les a amenés là. Le médecin a parlé d’énervement. Ils cher­ chent des explications. « De toute façon, il a toujours été comme ça », tranche le fils. Une formule courante, qui pour une personne en bonne santé n’aurait soulevé aucun étonne­ ment. Mais, étreint par le re­ mord d’avoir pu évoquer son père au passé, il se reprend : « Enfin, il est toujours comme ça. Mais ça va aller. Ce n’est pas la première fois. Il a déjà eu un triple pontage. Et puis, c’est un ancien combattant. Il a fait la guerre », se rassure le jeune homme. Comme il peut. « Il aurait mieux valu un caillot, ils auraient pu le fluidi­ fier. Le problème, c’est qu’il pre­ nait justement des médica­ ments pour fluidifier le sang. » Ils ont conscience que l’instant est crucial. Ne pas pouvoir voir leur père, le toucher leur est in­ supportable. Surtout s’il devait lui arriver quelque chose. Mais ça, ils s’interdisent d’y penser. Ils se résignent. Et patientent. ■ Le Dr Rodriguez est le seul à tenir cette consultation pour la­ quelle il faut compter deux à trois mois d’attente. La deman­ de est importante (250 nou­ veaux patients chaque année) et les pathologies parfois lourdes. « Ce que je rencontre le plus souvent, ce sont des cas de lom­ balgie (douleurs du dos) et de douleurs diffuses ostéomuscu­ laires (fibromyalgie) », indique le Dr Rodriguez qui, afin de par­ venir à soulager les douleurs, s’appuie sur des gestes techni­ ques (auprès d’ostéopathes, po­ dologues, psychologues…) et des médicaments (psychotropes et antalgiques). Mais il a également recours à l’auriculothérapie, « une techni­ que qui rééquilibre les états psycho­émotionnels », en pi­ quant de minuscules aiguilles sur des points précis de l’oreille. Le médecin dit obtenir 70 % de « bons résultats ». Même si, « par fois, les patients sont sceptiques. » En tout cas, le pre­ mier conseil, c’est qu’il faut ac­ cepter sa douleur. « Quand on est constamment en révolte, on a toujours mal. » ■ C. L. TECHNIQUE. L’auriculothérapie. C. L. 24 MERCREDI 2 JANVIER 2013 MERCREDI 2 JANVIER 2013 25 À cœur ouvert Opéré le matin, de retour chez soi le soir 7 heures La préparation ■ LE FONCTIONNEMENT DU BLOC OPÉRATOIRE Organisation. Sauf urgences, la programmation du bloc opératoire se fait sur la semaine, avec les opérations sous anesthésie générale du lundi au jeudi, en ambulatoire ou avec hospitalisation classique. Le vendredi est réservé aux autres actes, notamment ceux ne nécessitant qu’une anesthésie loco-régionale. Chaque chirurgien a des vacations, sur lesquelles il est autorisé à programmer des opérations, les autres journées étant consacrées à la consultation. Le programme doit être terminé avant le jeudi, 14 heures, pour validation. Il est vérifié une dernière fois le vendredi après-midi, jour où sont répartis les personnels soignants d’astreinte sur les différentes opérations. Spécialités. Le bloc du centre hospitalier, qui draine notamment les personnes âgées qui font des chutes, fait beaucoup de traumatologie. Dans le domaine digestif, la quantité d’opérations de chirurgie bariatrique (de l’obésité) est importante. En orthopédie, l’essentiel des actes est concentré sur le bas du corps (hanche, fémur) ainsi que sur l’épaule et le poignet. Les actes chirurgicaux relevant de la neurologie, de l’ophtalmologie et de l’oto-rhino-laryngologie (ORL), du facial et du rachis (colonne vertébrale) ne sont pas pratiqués à l’hôpital d’Auxerre. Iade/Ibode. Les infirmiers anesthésistes (Iade) et de bloc opératoire (Ibode) diplômés d’État suivent une formation spécifique, sur concours et complémentaire à celle dispensée en Institut de soins infirmiers (IFSI). Celle-ci est de deux ans pour les Iades, qui exercent dans les domaines de l’anesthésie-réanimation, de la médecine d’urgence et de la prise en charge de la douleur. Le cursus est de 18 mois pour les Ibodes, qui exercent ensuite au sein d’une équipe en bloc hospitalier, en étroite collaboration avec le chirurgien. ■ LE BLOC OPÉRATOIRE EN CHIFFRES 15.600 C’est, approximativement, le nombre d’actes chirurgicaux (comprenant les anesthésies) qui ont été pratiqués en 2011 au centre hospitalier d’Auxerre. AVANT. Avant d’être emmené au bloc opératoire, Bruno a été douché et a subi plusieurs analyses. Bruno (*), âgé de 77 ans, a tout intérêt à être matinal. Il va subir le premier acte chirurgical de la journée. Une hernie in­ guinale. Son opération est programmée en ambulatoire, depuis un mois et demi. Dé­ barqué à l’hôpital à 7 heures, il a d’abord été douché, avant une batterie d’analyses : température, tension, constantes vitales. Le personnel soignant lui a administré un calmant afin qu’il soit le plus détendu possible. Et s’est assuré auprès de ses pro­ ches qu’il ne sera pas seul, à domicile, à son retour de l’hôpital. « En ambulatoire, il doit toujours y avoir une personne avec le patient, la nuit qui suit l’opération », ex­ plique l’infirmière d’astreinte. La chambre dans laquelle le septuagé­ naire patiente a le teint blanc livide, bien plus que lui dont les joues sont légère­ ment rosies. Il n’est pas inquiet, se tourne les pouces – au sens propre comme au fi­ guré – et bouge légèrement les pieds, plai­ sante au sujet de son bracelet : « Ils ont mis mon nom et ma date de naissance, pour ne pas se tromper. » Ce n’est que 45 minutes après son arri­ vée que le brancardier viendra enfin le chercher pour le conduire au bloc. Il at­ tendra encore une petite demi­heure dans la salle dite d’accueil, auprès d’autres ma­ lades, simplement recouverts d’une blou­ se et d’une couverture. Régulièrement, le personnel du bloc passe pour prendre des nouvelles de chacun des patients, séparés les uns des autres par une sorte de para­ vent blanc. Pendant ce temps, l’équipe prépare la salle d’op. Jusqu’à ce qu’enfin, le futur opéré entre… ■ (*) Il s’agit d’un prénom d’emprunt. 8.700 Parmi les actes pratiqués en 2011, c’est, approximativement, le nombre d’actes opératoires. 70 Le bloc emploie 70 agents paramédicaux. 8 h 15 À peine 40 minutes s’écoulent entre l’anesthésie et la fin de l’intervention Allongé sur la table d’opération, Bruno est d’abord pris en charge par l’équipe d’anesthésie. Électrodes, perfusions, il est vite raccordé à tout un tas de fils. « Elle est toujours là, votre hernie ? », taquine le chirurgien, qui fait les cent pas dans le service en attendant d’être à pied d’œuvre. L’équipe est d’humeur badine. Petit tacle de l’infirmier anesthésiste (Iade) à l’interne de sa spécialité : « Tu vas de­ voir prendre l’escabeau », en référence à sa petite taille. On sent la sympathie qui les unit. Sans pour autant qu’ils per­ dent le patient de l’œil. À 8 h 20, ce dernier ferme les yeux, mais peine à vraiment s’endormir. L’infirmier tire réguliè­ rement sur ses paupières pour vérifier qu’il est inconscient, avant de l’intuber, cinq minutes après. Une fois Bruno sédaté, son corps est désinfecté par une aide­soignante. Sous l’effet de la bétadine®, sa peau tire sur le rouge brique. Pendant ce temps, l’Ibode (infirmière de bloc opératoire) prépare le kit de chirurgie : pinces à clamper (servant à fermer les vaisseaux pour stopper l’hé­ morragie), scalpels, solutions diverses, etc. Une fois le chi­ rurgien équipé, il ne reste que les champs stériles à poser. Le praticien effectue son premier acte chirurgical à 8 h 38 : il implante une aiguille dans le ventre du patient, et diffuse du gaz carbonique pour lui gonfler l’abdomen. Avant de le raser à l’endroit où il pratiquera les incisions. « Pour être chirurgien, il faut avoir la célérité des barbiers », s’amuse­ t­il. Le septuagénaire est opéré par cœlioscopie. Peu inva­ sive, cette technique permet à l’équipe médicale de ne pas 4 Parmi les actes pratiqués, c’est, approximativement, le nombre d’anesthésies pratiquées en 2011. CHIRURGIE. Bruno est opéré par cœlioscopie. Cette technique permet au chirurgien d’intervenir sans ouvrir l’abdomen du patient. Il manœuvre à l’aide de trocarts et d’une caméra, introduits dans de petites incisions. PENDANT. De longues minutes s’écoulent avant que Bruno, allongé sur la table d’opération, ne soit pleinement anesthésié. ouvrir le ventre. Le chirurgien effectue trois petites en­ tailles pour passer les trocarts, sortes de longues tiges qui sont introduites à travers la paroi de l’abdomen de Bruno et grâce auxquelles il va pouvoir opérer. La première inci­ sion, de onze millimètres, sert à insérer la caméra. Le mé­ decin effectuera son intervention en fonction de ce qu’il verra sur l’écran auquel elle est reliée. Les deux autres cou­ pures ne sont que de cinq millimètres. Elles permettent d’introduire une pince et un scalpel miniatures, qui vont disséquer la hernie. Un travail d’une précision extrême. Une fois cet ouvrage effectué, il ne reste qu’à positionner et fixer une prothèse. L’intervention en tant que telle n’aura duré qu’une quinzaine de minutes. L’opération ter­ minée, les trois entailles sont refermées par des agrafes, sur lesquelles sont disposés des pansements. Si aucune complication ne s’est présentée lors de l’inter­ vention, le réveil est plus dur pour Bruno qui, une fois l’ab­ domen nettoyé par les soignants, ne reprend toujours pas conscience. Un peu trop de stress, d’après l’Iade. Et l’une des drogues injectée pour l’opération que son corps peine, à l’évidence, à éliminer. Il tente de le stimuler, mais n’ob­ tient qu’une « petite réponse ». À l’extérieur, d’autres mala­ des attendent leur chirurgie. Plusieurs personnes s’activent déjà à préparer la salle pour le suivant. L’infirmier appelle la salle de réveil pour l’informer de l’arrivée de Bruno. Une bouteille d’oxygène, à laquelle il est relié, est fixée au lit. Il quitte la salle d’opération, encore intubé. ■ C’est le nombre de salles d’opération au sein du bloc général : deux salles pour la chirurgie orthopédique, deux pour la chirurgie générale et digestive, une pour l’urologie et la chirurgie vasculaire, une pour les endoscopies et coloscopies, la dernière est réservée aux actes de cardiologie. C’est le nombre de salles d’opération qu’il y aura au sein du bloc gynécologieobstétrique du futur pôle mère-enfant, dont une sera réservée pour les césariennes. Elles ne sont que de deux dans l’actuelle maternité. 6.900 35 7 Le nombre de chirurgiens en exercice au bloc : 11 anesthésistes, 15 pour le bloc central, deux gastro-entérologues et sept en gynécologie-obstétrique. 2 C’est le nombre de blocs au CHA : un bloc général et un bloc gynécologie-obstétrique. Ce dernier déménagera au moment de l’ouverture du pôle mère-enfant. Il n’y aura alors plus qu’une salle de réveil, à la jointure des deux blocs, contre deux auparavant. 9 h 05 Le réveil prend du temps Entre son entrée dans la salle de réveil et le mo­ ment où il reprend conscience, une heure tout juste se sera écoulée. Régulièrement, une infirmiè­ re tente de le ranimer. Elle l’appelle, lui tapote le front. « Il n’y a pas vraiment de tendances dans la durée que prend le réveil. Ça dépend du métabo­ lisme de chacun », explique­t­elle. Elle ne peut pas l’extuber, au risque qu’il ne parvienne pas à respi­ rer seul. À proximité, une petite dizaine de per­ sonnes émergent tour à tour de leur anesthésie. Ce n’est qu’à 10 heures que Bruno se réveille. D’un seul coup. D’abord le visage crispé par l’ef­ fort, il tente de reprendre souffle. Puis tout son corps se remet ensuite à bouger. Au moment de l’extubation, il a l’air sonné, perdu même, la main tenue par celle, rassurante, de l’un des membres de l’équipe soignante, qui tente de le réorienter. Il reste sous oxygène, diffusé par le biais d’un cordon nasal, et ne demande s’il a bien été opéré et si tout s’est bien passé qu’au bout de quelques minutes. Bruno ne quittera pas la salle de réveil avant une bonne heure, le temps pour l’équipe de s’assurer que toutes ses constantes vitales sont correctes. De retour dans le service de chirurgie ambulatoire, il sera encore une fois ausculté, dans l’après­midi, avant de pouvoir quitter hôpital. ■ APRÈS. Bruno met une heure à ouvrir les yeux, et reste sonné un moment. Reportage réalisé par Laurenne Jannot (textes) et Florian Salesse (photos) [email protected] 26 MERCREDI 2 JANVIER 2013 À cœur ouvert Philippe Sousa fait partie des rouages Portrait fonction initiale, il a à charge, passées 21 heures, les transports de prélève­ ments au laboratoire, le nettoyage du bloc, et file même un coup de main à la sécurité en cas de con­ frontation avec un patient impatient. Brancardier à l’hôpital depuis deux ans, Philippe Sousa évoque son quotidien au CHA, à la fois partout et nulle part. Laurenne Jannot [email protected] Le grade de brancardier n’existe pas D rôle de coïncidence. Il est féru de méca­ nique. Sur le meuble télé de son salon s’entas­ sent les dizaines de voitu­ res miniatures qu’il collec­ tionne. Résident à Saint­Florentin, il expli­ que, les yeux sombres mais tout sour ire, que lorsqu’il quitte l’hôpital, il prend sa voiture, souffle, démarre, et a « 27 bornes pour se relaxer ». Philippe Sousa aime l’automobile, écoule une bonne partie de son temps libre avec d’autres passionnés. Pour­ tant, ce sont bien des brancards qu’il passe des journées entières à faire rouler. Philippe exerce le métier de brancardier depuis un peu plus de deux ans. An­ cien ouvrier spécialisé, il veut une véritable recon­ version lorsqu’intervient son licenciement. C’est un ami salarié dans le milieu hospitalier qui le met sur la voie. « Certaines personnes prennent ça pour de l’ac­ quis. » Autant de missions qui ne sont pourtant que peu reconnues. Philippe jette un œil à sa fiche de paie, n’y trouve pas le gra­ de de brancardier, spécifi­ cité qui n’est précisée que dans la catégorie « affec­ tation ». « Nous sommes tous des assistants de ser­ vice hospitalier qualifiés (ASHQ). » Voire hyperqua­ lifiés, dans les petits riens du quotidien. Quelque chose du souffre-douleur Il prend les choses avec du recul. Mais s’il assure que les relations avec le reste de l’équipe médicale relèvent, au cas par cas, « du rapport humain », il finit par admettre que oui, le brancardier a quelque chose du souffre­douleur quand il y a des problè­ mes de fonctionnement. « Des fois, il y a un couac complet à cause d’un re­ tard initial. Des gens s’af­ folent pour rien. Et on est les premiers qui arrivent sur place ; certains tempè­ rent, d’autres non. » Alors, Philippe a tendan­ ce à tout noter, pour éviter les « boulettes ». Et passe dans les couloirs comme si de rien n’était. Il sourit à l’évocation des guéguer­ res entre services, entre collègues, et des histories de coucherie, « sujet ré­ current ». Lui s’est fixé une règle : « Je ne vois rien, je n’entends rien. » Mais re­ connaît que ses oreilles ne sont pas totalement her­ métiques. « Du fait qu’on passe dans tous les servi­ c e s, o n e s t u n p e u l e s liaisons. » Conscient de l’apparence ingrate de son métier, il n’en est pas moins pleine­ ment satisfait. « Personne n’est indispensable mais tout le monde est utile. » Comme des centaines de collègues, il a fini par « vi­ vre hôpital », espère y évo­ luer ; et à l’inverse de ses anciens emplois, ne con­ çoit pas de le quitter. Lui sans qui l’hôpital aurait du mal à tourner. ■ « Le rôle, c’est de brancarder » Il ne prodigue pas de soin, mais comme la ma­ jor ité des employés de l’hôpital, s’il est là, c’est pour les patients et le con­ tact, « pas pour gagner du pognon ». Modeste sur son rôle, il estime ne pas faire un gros boulot. « Mais si on arrête, c’est la merde… » À l’écouter dé­ rouler le fil de ses activi­ tés, il paraît pourtant bien vite incontournable. « Le rôle du brancardier, c’est de brancarder », rap­ pelle­t­il. Mais il y a les glissements de tâches, n o m b re u x , s u r t o u t d e nuit. Car si en journée, il est plutôt cantonné à sa ■ BIO EXPRESS 1975 Naissance de Philippe Sousa, à Tonnerre. 1995 Il entre dans la vie active, initialement dans une fabrique industrielle de meubles. 2010 Il effectue un stage au mois de mai à l’hôpital d’Auxerre, avant d’enchaîner avec un CDD. è RENDEZ-VOUS 2011 Philippe entre à l’hôpital en qualité de brancardier vacataire. Il est titularisé sur son poste un an plus tard, le 1er juillet 2012. MARDI 8 JANVIER BRANCARDIER. Philippe Sousa travaille au sein du centre hospitalier depuis maintenant près de trois ans. PHOTO FLORIAN SALESSE Volet n°9. Focus sur quelques maladies rares, ou complexes, à prendre en charge.