soit un véritable instrument de théâtre. Le caractère décisif de cette formule excède cependant
la seule réalisation concrète d’un lieu scénique moderne, d’une architecture moderne : cela
relève d’abord d’une projection, d’un mouvement, d’un élan qui excède le dispositif, quel
qu’il soit. L’étude historique montre que le théâtre a constamment excédé les espaces qui lui
ont été dédiés ou qu’il a investis. Nous pouvons facilement observer que les projets de théâtre
sphérique de la première moitié du XXe siècle sont restés des utopies et n’ont pas connu de
réalisation tangible. Pour autant, l’objectif d’un théâtre de l’espace n’est pas resté sans effet
concret : tout le théâtre du XXe siècle est redevable à ces utopies, qui se sont réalisées
souvent dans un autre cadre que celui de la sphère. Nous aurons l’occasion de revenir sur la
relation entre ces deux termes essentiels: accès et excès.
Du point de vue des conditions nécessaires à toute représentation, les enjeux de la
persuasion et de la justesse semblent déterminants quant aux voies empruntées et aux
stratégies choisies : il s’agit de convaincre. A cet égard, échapper aux conventions habituelles
pour en imposer de différentes est un leitmotiv de l’histoire des arts exprimé assez souvent
avec une volonté de rupture. L’objectif revendiqué régulièrement est de créer des conditions
plus ou moins inédites, inouïes, innovantes, inhabituelles, originales, radicales. Faire succéder
le jamais vu au déjà vu, et cela concerne bien sûr autant la place du spectateur (la salle) que ce
qui est montré (la scène), autant le rassemblement que la représentation.
L’INVENTION DE NOUVELLES SCENOGRAPHIES : UTOPIE ET REPRESENTATION
De là procède le désir récurrent d’inventer de nouvelles scénographies (briser le cube
scénique, casser le quatrième mur, abandonner la boîte noire, renoncer au décor, unifier scène
et salle, rompre avec la scène frontale, s’inscrire dans l’espace social), d’investir de nouveaux
espaces (urbains et ruraux : friches, squats, anciens bâtiments industriels, granges, etc.)
composant de nouveaux territoires de l’art
, propices à repenser le temps de la rencontre, à
modifier la relation avec le public au sein du processus de création, pendant et après la
représentation. Quoique la scénographie au XXe siècle ait emprunté souvent une voie
antinaturaliste, la question du réalisme n’est pas éteinte comme en témoigne la volonté
actuelle de susciter un effet de réel. Elle semble même s’exacerber au sein des exemples que
nous allons convoquer. De là aussi vient le désir de favoriser de nouvelles voies d’écriture, de
composition, de création dont les traits saillants expriment des orientations caractéristiques.
Celles-ci semblent privilégier la sensation par rapport à la signification, l’indétermination par
rapport à la définition, la métamorphose par rapport à la forme arrêtée, la fluidité par rapport à
la fixité, le processus par rapport au produit ou au résultat, le work in progress par rapport à
l’œuvre, le corps sensible par rapport à l’intellect, l’espace indéfini - l’espace flou - par
rapport à un lieu défini, l’immatérialité par rapport à la matérialité, l’hybridation des arts et
des medias par rapport à l’ontologie artistique et à la frontière soi-disant naturelle de chaque
Constatant le développement, en dehors des champs institutionnels et marchands, de nombreux lieux et
projets artistiques revendiquant leur inscription sur le territoire, Michel Duffour, alors secrétaire d'Etat au
Patrimoine et à la Décentralisation culturelle, a pris l'initiative, en octobre 2000, de confier à Fabrice Lextrait,
ancien administrateur de la friche marseillaise La Belle de Mai, une mission d'observation et d'analyse sur ces
espaces de création et d'action culturelle. Rendu public, le 19 juin 2001, le rapport intitulé « Friches, laboratoires,
fabriques, squats, projets pluridisciplinaires...Une nouvelle époque de l'action culturelle » pointe les fondements
communs et les différences de plus d'une trentaine d'espaces. Dans la suite de ce rapport, une rencontre
internationale « Nouveaux territoires de l'art » s’est tenue à Marseille en février 2002 à la Friche Belle de Mai,
mettant en évidence ce que l’on a nommé les Fabriques. L’équipe des NTA a rejoint l'Institut des Villes. Se
reporter à deux ouvrages qui synthétisent cette question : Nouveaux territoires de l‘art, propos recueillis par
Fabrice Lextrait et Frédéric Kahn, Editeur Stéphane Place, Paris 2005. Les Fabriques, lieux imprévus,
TransEuropeHalles, Editions de l’Imprimeur, Besançon, 2001.