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ŒREPÈRES ET TENDANCES
ŒCONJONCTURES
ΠDOSSIER
˜ LIVRES ET IDÉES
God’s War
Par Christopher Tyerman
La guerre
au nom de Dieu
Les croisades constituent un événement
majeur de l’histoire de l’Europe et de ses
rapports avec l’Orient. Rapports tout
aussi compliqués que l’Orient lui-même,
dans la mesure où l’idée a priori simple
de refaire de Jérusalem et des lieux saints
du christianisme un territoire chrétien a
débouché sur une aventure historique
longue aux résultats imprévisibles.
Qui aurait pu penser que le prêche
d’Urbain II en 1095 lançant la première
croisade conduirait indirectement, un
peu plus d’un siècle plus tard, au pillage
par les croisés de Constantinople, une des
villes les plus emblématiques de la chrétienté. La guerre sainte médiévale, qui fut
aussi celle des chevaliers Teutoniques ou
de l’armée française en terre cathare,
réclame une analyse permanente, ne
serait-ce que pour comprendre celle à
laquelle certains tenants d’autres religions, aujourd’hui principalement l’islam,
ont décidé de se livrer.
* Professeur à l'université Paris I-Sorbonne.
MICHEL BALARD *
V
oici, avec le volume de Christopher Tyerman1 – et plus de
cinquante ans après la somme magistrale de Stephen
Runciman,A History of the Crusades2 –, une nouvelle synthèse
sur l’histoire des croisades, intitulée La guerre de Dieu ; un titre
qui renvoie sans doute aux réalités contemporaines d’un islamisme offensif, faisant du djihad la quintessence de la religion
prêchée par Mahomet. L’auteur se défend pourtant de toute
assimilation entre les entreprises des croisés aux XIIe et
XIIIe siècles et l’expansion coloniale ou le sionisme du siècle
dernier. L’originalité des croisades est d’avoir été un phénomène de violence approuvé par la société et soutenu par la religion, contre des ennemis réels ou imaginaires menaçant la
chrétienté occidentale. Dans le débat très actuel entre historiens « traditionalistes » de la croisade, pour qui seul compte
l’objectif – la libération de Jérusalem et des lieux saints –, et les
historiens « pluralistes », étendant l’idée et la pratique de la
croisade jusqu’à la libération de Vienne en 1683, voire même
jusqu’à l’expulsion des Hospitaliers de Malte par les forces de
Bonaparte (1798),Tyerman se range plutôt du côté des « pluralistes », bien qu’il consacre peu de pages aux derniers siècles du
Moyen Age et à la défense de la Méditerranée jusqu’à la victoire
chrétienne de Lépante (1571). Mais il a le souci d’insérer dans
des développements majoritairement consacrés au ProcheOrient le récit des hauts faits de la Reconquista en Espagne, ou
de l’expansion germanique en Europe de l’Est, tout en marquant
ce qui sépare les événements guerriers survenus dans ces
régions d’avec la croisade en Orient.
Après une large introduction résumant les principaux caractères de l’histoire européenne au XIe siècle, marquée par l’importance de la guerre comme ciment des institutions politiques et
1. Christopher Tyerman, God’sWar, Penguin Books, Londres, 2006, 1024 p.
2. S. Runciman, A History of the Crusades, 3 vol., Cambridge, 1951-1954.
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de l’autorité des gouvernants, l’ouvrage se répartit en huit pard’Alexis 1er, donne naissance au thème de la trahison des
ties et mène le lecteur de la Première Croisade aux expéditions
Grecs, qui ne fera que s’amplifier au cours du XIIe siècle. La
de la fin du Moyen Age. Tyerman est loin de prendre pour
prise quasi providentielle d’Antioche marque un moment
argent comptant le récit des chroniqueurs du XIIe siècle. Il
important de la croisade qui passe d’une guerre de libération
montre en effet à quel point, imprégnés par leurs lectures
des lieux saints à une guerre d’occupation des territoires
bibliques, ils cherchent à évoquer dans leurs descriptions des
conquis. Celle-ci se renforce après la chute de Jérusalem, qui
clichés de l’Ancien ou du Nouveau Testament, qui
impose aux croisés, si faibles numériquement, de
sont ainsi revivifiés par les armées de la croisade.
se rendre maîtres du littoral, des points forts et
Ainsi en est-il de la célèbre description par
des routes commerciales, dans une étroite
Suivant l’évolution
Raymond d’Aguilers du massacre ayant suivi la
dépendance vis-à-vis de l’Occident ; les répudu concept de
prise de Jérusalem en 1099 : l’image des flots de
bliques maritimes italiennes fournissent en effet
sang répandus par les croisés reprend une citation
l’appoint de leurs flottes pour le siège des villes
guerre sainte au
du livre des Révélations (14-20) plutôt que l’évicôtières et les indispensables secours en homcours du XIIe siècle,
dence d’une scène vécue.
mes et en matériel.
Tyerman montre
Tyerman s’interroge sur les origines de la guerre
Favorisée par le morcellement politique de la
son élargissement
sainte chrétienne. Tout en reprenant la doctrine
Syrie-Palestine à la fin du XIe siècle, la conquête
par la papauté
classique élaborée par saint Augustin, il remarque,
des croisés aboutit à la création des Etats latins,
qui l’utilise contre
à juste titre, que la reconnaissance du christiacomté d’Edesse, principauté d’Antioche, comté
nisme comme religion officielle de l’Empire et l’ude Tripoli et royaume de Jérusalem.Tyerman met
les ennemis du
nion de l’Eglise et de l’Etat ont favorisé l’essor de
en évidence ce qui différencie ces nouveaux
pape en Italie ou
la guerre juste, qui devient sainte lorsque la
Etats. Edesse est dans une dépendance totale viscontre des brigands
papauté réformée en prend l’initiative pour établir
à-vis de ses voisins musulmans et disparaît dès
l’ordre droit de la chrétienté en se servant d’ar1144, victime du réveil islamique. Antioche
du nord de la
mes temporelles. Circonstancielle dans la chréadopte des pratiques institutionnelles grecques
France, aussi bien
tienté occidentale, la guerre sainte est au
et normandes et, malgré les morts en bas âge de
que contre les
contraire fondamentale dans la foi islamique. Les
ses princes, résiste aux prétentions de souveraideux conceptions se rejoignent avec la croisade,
neté byzantine. Tripoli constitue une association
musulmans.
où se conjuguent les intérêts de la papauté réforlâche de seigneuries semi-indépendantes. Quant
mée et la lutte contre les menaces extérieures de
au royaume de Jérusalem, Etat de garnison prol’islam. C’est ce qu’exprime le pape Urbain II dans
tégeant les lieux saints, il est le cœur émotionnel,
la célèbre homélie prononcée à l’issue du concile de Clermont
politique et stratégique de l’outre-mer latin. Dans le débat hisle 25 novembre 1095, première déclaration publique du noutoriographique sur la nature de la colonisation issue de la
veau concept de guerre sainte, conçue comme un acte pénitencroisade, Tyerman adopte le point de vue exprimé par le bel
tiel promu par la papauté pour répondre à la tension vers le
ouvrage de Ronnie Ellenblum3. Loin d’être une société d’aparsalut de la société chrétienne. La réponse est bien connue,
theid, les Etats latins ont vu s’établir des contacts inévitables
quoique les raisons du succès du recrutement restent quelque
entre les diverses communautés qui les composent, bien que
peu mystérieuses.
les barrières sociales, politiques, religieuses et ethniques aient
exclu un multi-culturalisme intégré. Loin d’être aussi une coloLe récit de la marche des croisés vers Constantinople puis vers
nisation exclusivement urbaine, l’installation des Francs s’est
Jérusalem n’apporte guère de nouveauté. Pourtant, l’auteur
effectuée dans les régions occupées majoritairement par des
revient sur les douloureux épisodes du massacre des juifs dans
chrétiens orientaux ou dans des zones à faible population
les régions rhénanes. Il les explique classiquement comme une
rurale. Ainsi s’est formée dans le royaume de Jérusalem une
vengeance des chrétiens pour la Crucifixion, mais il y voit aussi
société mixte de Francs et de chrétiens orientaux, une
une cause financière : l’appât des biens matériels est à la base
« société de frontière », chrétienne sous hégémonie franque,
du pogrom qui cimente l’identité du groupe des croisés.A l’armais n’incluant pas d’élément musulman, ce qui expliquerait le
rivée des troupes devant Constantinople se pose le problème
silence des sources latines sur celui-ci.
des relations avec les Grecs. Les négociations avec le basileus
Alexis 1er Comnène déterminent la nature et la future percepSuivant l’évolution du concept de guerre sainte au cours du
tion de la campagne : l’empereur veut pouvoir contrôler l’arXIIe siècle, Tyerman montre son élargissement par la papauté
mée et ses chefs en cherchant à utiliser les institutions
qui l’utilise contre les ennemis du pape en Italie ou contre des
familières aux croisés (serment vassalique), alors que ceux-ci
brigands du nord de la France, aussi bien que contre les musulattendent une assistance sans arrière-pensée, voire une participation importante des Grecs à l’expédition vers Jérusalem.
L’incompréhension devient totale sous les murs d’Antioche,
3. R. Ellenblum, Frankish Rural Settlement in the Latin Kingdom of Jerusalem,
dont le siège est abandonné par le contingent byzantin. Cette
Cambridge 1998.
défection, à laquelle s’ajoute celle de l’armée de renfort
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LA GUERRE AU NOM DE DIEU
mans. Il majore sans doute à l’excès le succès du pèlerinage
tique, une idée que les travaux récents de David Jacoby contraipacifique vers Jérusalem dans la première moitié du XIIe siècle,
gnent à nuancer fortement.
en l’opposant à l’enthousiasme limité que manifeste l’Occident
pour les guerres saintes vers l’Orient. Il faut que l’on constate
Passant en Occident,Tyerman s’intéresse ensuite aux croisades
le réveil du monde musulman avec Zengi et la prise d’Edesse
contre les Albigeois. Il définit la théologie et la structure de
pour que la papauté appelle à une nouvelle croisade, dont elle
l’Eglise cathare, une hérésie venue du dualisme des Bogomiles
codifie les règles par la bulle Quantum praedecessores
implantés dès le Xe siècle en Bulgarie, en Macédoine et en
er
(1 décembre 1145), et pour que la voix de saint Bernard
Thrace. Le succès des cathares en Languedoc vient de la fairéussisse à convaincre les souverains de France et de l’Empire
blesse de l’autorité politique, du réseau lâche de la hiérarchie
à prendre part à l’expédition projetée. L’échec né des dissenecclésiastique et du manque de coopération entre l’Eglise et les
sions en Terre sainte est un choc pour la chrétienté, où s’exseigneurs laïcs. Aussi la croisade est-elle conçue comme une
priment de vives critiques sur l’idée et la pratique de la guerre
extension des missions confiées aux légats pontificaux, mais
sainte chrétienne. Pourtant les victoires de
passe rapidement sous le commandement des
Saladin, qui s’empare de Jérusalem en octobre
seigneurs du nord de la France, puis de Louis
1187, réveillent les ardeurs et suscitent en
VIII, jusqu’au traité de Paris d’avril 1229 qui livre
L’auteur note que
Occident une réinvention de l’idée de croisade.
la plus grande partie du Midi à la domination
la chute de
La prédication s’organise – et Tyerman insiste
capétienne. La poursuite des hérétiques devient
justement sur ses modalités en Angleterre –, la
l’affaire de l’Inquisition, une institution qui n’a
Constantinople en
taxation pour la croisade est instituée, le
plus rien à voir avec l’idée de croisade.
1204, contrairement
transport par mer devient la norme et les privià la prise de
lèges offerts aux croisés se précisent. L’idée et
En même temps qu’il se préoccupe des cathares,
la pratique de croisade se séparent du pèleriInnocent III relance la croisade au secours de la
Jérusalem en 1099,
nage. La Troisième Croisade voit s’appliquer ces
Terre sainte. L’encyclique Quia Major d’avril 1213,
ne suscite aucun
nouvelles normes. La reprise d’Acre détermine
puis le décret Ad liberandam du quatrième
enthousiasme en
la survie et la nature de la présence européenne
concile du Latran cherchent à organiser la nouau Levant pour un siècle.
velle expédition devant unir les ambitions uniOccident et ne
verselles de la papauté à l’impérialisme naissant
provoque qu’une
Avec l’arrivée d’Innocent III sur le trône de saint
des Hohenstaufen. On sait ce qu’il advint de la
immigration limitée et
Pierre (1198), la croisade devient, sous le nom
Cinquième Croisade qui avait pour objectif
de negotium crucis, la préoccupation essentielle
l’Egypte, considérée comme la clef de la Terre
une colonisation en
de la papauté. Le nouveau pontife organise présainte. L’insuffisance des effectifs, l’obstination du
grande partie avortée.
dication et pénitence, mais, comme le relève
légat Pélage, la défection du roi de Jérusalem,
L’empire latin est pour
Tyerman, il codifie plus qu’il n’innove. Son appel
Jean de Brienne, l’attente toujours déçue de l’arlancé dès son élection aboutit à la Quatrième
rivée de l’empereur Frédéric II, autant de raisons
lui un échec politique,
Croisade et à la déviation de l’expédition vers
d’un échec cuisant, qui aurait pu se transformer
financier, culturel et
Constantinople.Tyerman ne peut éviter d’entrer
en une restauration du royaume de Jérusalem, à
dynastique.
dans le débat historiographique vieux de plus
un moment où l’empire ayyubide entrait dans
d’un siècle. Comment des chrétiens ont-ils pu
une phase de déstabilisation. Les succès étaient
s’emparer d’une ville chrétienne, la piller et la
ailleurs : en Espagne et dans les régions baltiques.
dépouiller de ses reliques et de ses trésors les plus insignes ?
Tyerman distingue Reconquista et croisade, la première étant un
Qui sont les coupables ? Sont–ce les Vénitiens soucieux de
long processus politique et un état d’esprit de reconquête, initié
recouvrer leur hégémonie économique dans l’empire byzantin,
dès le XIe siècle, la seconde étant plutôt un événement ponctuel.
la papauté qui a perdu le contrôle de la croisade qu’elle a lanIl n’en reste pas moins que par analogie avec la Première
cée ou les pèlerins qui se sont laissés manipuler par des chefs
Croisade, les principes et privilèges de la guerre sainte se sont
avides de gloire et de conquête ? Tyerman analyse ces hypothèappliqués dans la péninsule Ibérique. Dans le monde nordique,
ses, en remarquant que l’Egypte offrait aux Vénitiens davantage
dès l’annonce de l’extension des indulgences de croisade aux
d’opportunité de profit que Constantinople, où ceux-ci avaient
campagnes menées contre les Wendes païens (1147), la guerre
leur place assurée. Il relève surtout la désintégration de
sainte s’est trouvée associée à l’expansion territoriale et à un
l’Empire byzantin après la mort de Manuel 1er Comnène,
processus de christianisation et de germanisation, dont les prinl’indifférence des provinces envers le sort de la capitale, la forcipaux artisans ont été sans conteste les chevaliers Teutoniques,
mation de dynasties locales, l’essor de la corruption et de la
mais aussi tous les colons occidentaux venus peupler Livonie,
piraterie. Dans la perspective comparative qui est la sienne, l’auPrusse et Estonie. La continuité de la croisade est assurée justeur note que la chute de Constantinople en 1204, contrairequ’en 1423 par les arrivées successives de contingents allement à la prise de Jérusalem en 1099, ne suscite aucun
mands.
enthousiasme en Occident et ne provoque qu’une immigration
limitée et une colonisation en grande partie avortée. L’empire
La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la défense de
latin est pour lui un échec politique, financier, culturel et dynasl’outre-mer au XIIIe siècle. Tâche difficile, puisqu’au contraire
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du siècle précédent où les Latins avaient pu profiter du mormoderne. De nombreuses manifestations en faveur de la croicellement politique de la Syrie-Palestine, des rivalités entre
sade peuvent être relevées dans des festivals, des confréries, des
cités-Etats et des coalitions changeantes dans le monde
guildes. Les plans de recouvrement de la Terre sainte génèrent
musulman, ils se trouvent au XIIIe siècle face à deux empires,
de vastes engagements populaires en 1309, en 1319-1320 et
les Mamelouks, promoteurs du djihad anti-latin après 1260, et
encore en 1514. L’idéal de croisade, qui peut agir comme un
les khanats mongols avides d’intervenir jusqu’en Syrie. En
mécanisme de promotion sociale, est bien vivant dans de nomTerre sainte, l’absence de pouvoir royal et les luttes de l’arisbreuses familles nobiliaires et s’exprime dans l’art et la littératocratie laissent une place importante aux rivalités des ordres
ture, par le succès des récits de croisade, par des enluminures,
militaires et des républiques maritimes italiennes, plus soudes vitraux, des sculptures et la représentation de spectacles
cieuses de leurs intérêts propres que du devenir des Etats
rappelant des scènes des croisades anciennes. Messes, prières et
latins. Les interventions de l’Occident ne sont pas toujours
supplications pour le recouvrement de la Terre sainte se multiheureuses. Frédéric II, croisé excommunié, a beau récupérer
plient, tandis que les testateurs sont incités à accorder des legs
quelques territoires par le traité de Jaffa (février 1229), sa
dans ce but. Cependant, malgré les efforts effectués pour élever
lutte implacable contre la papauté et contre
des conflits nationaux et séculiers au rang de
l’aristocratie hiéronymite ruine son succès. La
croisade, et malgré la fusion en France des idéocroisade en Egypte de saint Louis, la mieux
logies de la croisade et du destin providentiel de
L’Occident a mis du
préparée, la mieux organisée et la plus cohéla nation et de son roi, le déclin de l’idée comme
temps à comprendre
rente de toutes les expéditions du XIIIe siècle,
force vivante de la chrétienté est, pour Tyerman,
se termine en un piteux échec, à peine cominéluctable au XVIe siècle, particulièrement
quelles menaces contre
pensé par les quelques mesures défensives que
après la victoire de Lépante (1571).
la chrétienté
prend le roi capétien lors de son long séjour
représentait
en Terre sainte. Et que dire de sa seconde croiPartant de saint Augustin, et même d’Aristote,
sade qui se termine sous les murs de Tunis par
Tyerman offre au lecteur un long parcours à tral’expansion ottomane
la mort du souverain (25 août 1270) ? Le
vers l’idéologie de la guerre sainte et son appliqui, après la prise de
contraste entre les méthodes sophistiquées
cation sur les divers champs où la chrétienté
Constantinople (1453),
d’organisation et la nullité des résultats fait
occidentale affronte musulmans, hérétiques ou
douter en Occident de la validité de la croipaïens. Son ouvrage complète heureusement
s’en prend à Belgrade,
sade.
l’œuvre de Runciman, trop marquée par la
à l’Italie du Sud et
byzantinophilie de l’auteur, qui définissait la prise
jusqu’à Vienne.
Et pourtant, la guerre sainte demeure une idée
de Constantinople par les croisés de 1204
majeure en Europe à la fin du Moyen Age.
comme le plus grand crime contre l’humanité
Tyerman le démontre, sans reprendre toutefois
(mais qu’en est-il de la Shoah ?), et par une desles longs développements d’Alphonse Dupront sur le mythe de
cription trop systématique des luttes internes dans le royaume
croisade4, mais en examinant brièvement les traités de recoude Jérusalem. Bien qu’influencé par son prédécesseur, Tyerman
vrement de la Terre sainte, l’organisation des ligues et des expérenouvelle le thème par son sens des nuances, sa profonde
ditions, dont celle du roi de Chypre, Pierre 1er, contre
connaissance des sources occidentales, sa finesse d’analyse et la
Alexandrie, les croisades de Nicopolis (1396) et de Varna
qualité de son écriture.Tout juste pourrait-on lui reprocher une
(1444), la politique orientale des ducs de Bourgogne qui reprenvision trop occidentalo-centrique des croisades – négligeant
nent le flambeau de la croisade, mais n’entreprennent jamais la
l’apport des sources arabes, arméniennes ou chrétiennes orienmoindre réalisation sur le terrain oriental. L’Occident a mis du
tales –, et des références quasi exclusives à une historiographie
temps à comprendre quelles menaces contre la chrétienté
anglo-saxonne, qui est loin d’être unique dans l’histoire des
représentait l’expansion ottomane qui, après la prise de
croisades. A
Constantinople (1453), s’en prend à Belgrade, à l’Italie du Sud et
jusqu’à Vienne. La victoire chrétienne de Lépante n’est qu’un
coup d’arrêt donné à un impérialisme ottoman qui effraie
l’Europe jusqu’en plein cœur du XVIIe siècle.
Tyerman en conclut que la guerre de Dieu reste profondément
enracinée dans les mentalités occidentales jusqu’à l’époque
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4, A. Dupront, Le mythe de croisade, 4 vol., Paris 1997.
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