mans. Il majore sans doute à l’excès le succès du pèlerinage
pacifique vers Jérusalem dans la première moitié du XIIesiècle,
en l’opposant à l’enthousiasme limité que manifeste l’Occident
pour les guerres saintes vers l’Orient. Il faut que l’on constate
le réveil du monde musulman avec Zengi et la prise d’Edesse
pour que la papauté appelle à une nouvelle croisade,dont elle
codifie les règles par la bulle Quantum praedecessores
(1er décembre 1145),et pour que la voix de saint Bernard
réussisse à convaincre les souverains de France et de l’Empire
à prendre part à l’expédition projetée.L’échec né des dissen-
sions en Te rre sainte est un choc pour la chrétienté, où s’ex-
priment de vives critiques sur l’idée et la pratique de la guerre
sainte chrétienne.Pourtant les victoires de
Saladin,qui s’empare de Jérusalem en octobre
1187, réveillent les ardeurs et suscitent en
Occident une réinvention de l’idée de croisade.
La prédication s’organise –etTyerman insiste
justement sur ses modalités en Angleterre –, la
taxation pour la croisade est instituée,le
transport par mer devient la norme et les privi-
lèges offerts aux croisés se précisent. L’idée et
la pratique de croisade se séparent du pèleri-
nage.LaTroisième Croisade voit s’appliquer ces
nouvelles normes.Lareprise d’Acre détermine
la survie et la nature de la présence européenne
au Levant pour un siècle.
Avec l’arrivée d’Innocent III sur le trône de saint
Pierre (1198), la croisade devient, sous le nom
de negotium crucis,la préoccupation essentielle
de la papauté. Le nouveau pontife organise pré-
dication et pénitence,mais, comme le relève
Tyerman, il codifie plus qu’il n’innove.Son appel
lancé dès son élection aboutit à la Quatrième
Croisade et à la déviation de l’expédition vers
Constantinople.Tyerman ne peut éviter d’entrer
dans le débat historiographique vieux de plus
d’un siècle.Comment des chrétiens ont-ils pu
s’emparer d’une ville chrétienne,la piller et la
dépouiller de ses reliques et de ses trésors les plus insignes ?
Qui sont les coupables ? Sont–ce les Vénitiens soucieux de
recouvrer leur hégémonie économique dans l’empire byzantin,
la papauté qui a perdu le contrôle de la croisade qu’elle a lan-
cée ou les pèlerins qui se sont laissés manipuler par des chefs
avides de gloire et de conquête ? Tyerman analyse ces hypothè-
ses, en remarquant que l’Egypte offrait aux Vénitiens davantage
d’opportunité de profit que Constantinople, où ceux-ci avaient
leur place assurée.Ilrelève surtout la désintégration de
l’Empire byzantin après la mort de Manuel 1er Comnène,
l’indifférence des provinces envers le sort de la capitale,lafor-
mation de dynasties locales, l’essor de la corruption et de la
piraterie.Dans la perspective comparative qui est la sienne,l’au-
teur note que la chute de Constantinople en 1204, contraire-
ment à la prise de Jérusalem en 1099, ne suscite aucun
enthousiasme en Occident et ne provoque qu’une immigration
limitée et une colonisation en grande partie avortée.L’empire
latin est pour lui un échec politique, financier,culturel et dynas-
tique,une idée que les travaux récents de David Jacoby contrai-
gnent à nuancer fortement.
Passant en Occident,Tyerman s’intéresse ensuite aux croisades
contre les Albigeois. Il définit la théologie et la structure de
l’Eglise cathare,une hérésie venue du dualisme des Bogomiles
implantés dès le Xesiècle en Bulgarie,en Macédoine et en
Thrace.Le succès des cathares en Languedoc vient de la fai-
blesse de l’autorité politique,du réseau lâche de la hiérarchie
ecclésiastique et du manque de coopération entre l’Eglise et les
seigneurs laïcs. Aussi la croisade est-elle conçue comme une
extension des missions confiées aux légats pontificaux, mais
passe rapidement sous le commandement des
seigneurs du nord de la France, puis de Louis
VIII, jusqu’au traité de Paris d’avril 1229 qui livre
la plus grande partie du Midi à la domination
capétienne.La poursuite des hérétiques devient
l’affaire de l’Inquisition, une institution qui n’a
plus rien à voir avec l’idée de croisade.
En même temps qu’il se préoccupe des cathares,
Innocent III relance la croisade au secours de la
Te rre sainte.L’encyclique Quia Major d’avril 1213,
puis le décret Ad liberandam du quatrième
concile du Latran cherchent à organiser la nou-
velle expédition devant unir les ambitions uni-
verselles de la papauté à l’impérialisme naissant
des Hohenstaufen. On sait ce qu’il advint de la
Cinquième Croisade qui avait pour objectif
l’Egypte, considérée comme la clef de la Te rre
sainte.L’insuffisance des effectifs, l’obstination du
légat Pélage,la défection du roi de Jérusalem,
Jean de Brienne,l’attente toujours déçue de l’ar-
rivée de l’empereur Frédéric II,autant de raisons
d’un échec cuisant, qui aurait pu se transformer
en une restauration du royaume de Jérusalem,à
un moment où l’empire ayyubide entrait dans
une phase de déstabilisation. Les succès étaient
ailleurs :en Espagne et dans les régions baltiques.
Tyerman distingue Reconquista et croisade,la première étant un
long processus politique et un état d’esprit de reconquête, initié
dès le XIesiècle,la seconde étant plutôt un événement ponctuel.
Il n’en reste pas moins que par analogie avec la Première
Croisade,les principes et privilèges de la guerre sainte se sont
appliqués dans la péninsule Ibérique.Dans le monde nordique,
dès l’annonce de l’extension des indulgences de croisade aux
campagnes menées contre les Wendes païens (1147), la guerre
sainte s’est trouvée associée à l’expansion territoriale et à un
processus de christianisation et de germanisation, dont les prin-
cipaux artisans ont été sans conteste les chevaliersTe utoniques,
mais aussi tous les colons occidentaux venus peupler Livonie,
Prusse et Estonie.La continuité de la croisade est assurée jus-
qu’en 1423 par les arrivées successives de contingents alle-
mands.
La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la défense de
l’outre-mer au XIIIesiècle.Tâche difficile,puisqu’au contraire
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Sociétal N° 57 A3etrimestre 2007
LA GUERRE AU NOM DE DIEU
L’auteur note que
la chute de
Constantinople en
1204, contrairement
à la prise de
Jérusalem en 1099,
ne suscite aucun
enthousiasme en
Occident et ne
provoque qu’une
immigration limitée et
une colonisation en
grande partie avortée.
L’empire latin est pour
lui un échec politique,
financier, culturel et
dynastique.