Voici,avec le volume de Christopher Tyerman1–et plus de
cinquante ans après la somme magistrale de Stephen
Runciman,A History of the Crusades2–, une nouvelle synthèse
sur l’histoire des croisades,intitulée La guerre de Dieu ;un titre
qui renvoie sans doute aux réalités contemporaines d’un isla-
misme offensif, faisant du djihad la quintessence de la religion
prêchée par Mahomet. L’auteur se défend pourtant de toute
assimilation entre les entreprises des croisés aux XIIeet
XIIIesiècles et l’expansion coloniale ou le sionisme du siècle
dernier.L’originalité des croisades est d’avoir été un phéno-
mène de violence approuvé par la société et soutenu par la reli-
gion, contre des ennemis réels ou imaginaires menaçant la
chrétienté occidentale. Dans le débat très actuel entre histo-
riens «traditionalistes » de la croisade,pour qui seul compte
l’objectif –la libération de Jérusalem et des lieux saints –, et les
historiens «pluralistes », étendant l’idée et la pratique de la
croisade jusqu’à la libération de Vienne en 1683, voire même
jusqu’à l’expulsion des Hospitaliers de Malte par les forces de
Bonaparte (1798),Tyerman se range plutôt du côté des «plura-
listes », bien qu’il consacre peu de pages aux derniers siècles du
Moyen Age et à la défense de la Méditerranée jusqu’à la victoire
chrétienne de Lépante (1571). Mais il a le souci d’insérer dans
des développements majoritairement consacrés au Proche-
Orient le récit des hauts faits de la Reconquista en Espagne,ou
de l’expansion germanique en Europe de l’Est,tout en marquant
ce qui sépare les événements guerriers survenus dans ces
régions d’avec la croisade en Orient.
Après une large introduction résumant les principaux caractè-
res de l’histoire européenne au XIesiècle,marquée par l’impor-
tance de la guerre comme ciment des institutions politiques et
117
Sociétal N° 57 A3etrimestre 2007
Les croisades constituent un événement
majeur de l’histoire de l’Europe et de ses
rapports avec l’Orient.Rapports tout
aussi compliqués que l’Orient lui-même,
dans la mesure où l’idée a priori simple
de refaire de Jérusalem et des lieux saints
du christianisme un territoire chrétien a
débouché sur une aventure historique
longue aux résultats imprévisibles.
Qui aurait pu penser que le prêche
d’Urbain II en 1095 lançant la première
croisade conduirait indirectement, un
peu plus d’un siècle plus tard, au pillage
par les croisés de Constantinople,une des
villes les plus emblématiques de la chré-
tienté.La guerre sainte médiévale,qui fut
aussi celle des chevaliers Teutoniques ou
de l’armée française en terre cathare,
réclame une analyse permanente,ne
serait-ce que pour comprendre celle à
laquelle certains tenants d’autres reli-
gions,aujourd’hui principalement l’islam,
ont décidé de se livrer.
*Professeur à l'université Paris I-Sorbonne.
La guerre
au nom de Dieu
MICHEL BALARD *
LIVRES ET IDÉES
CONJONCTURES
REPÈRES ET TENDANCES DOSSIER
God’s War
Par Christopher Tyerman
2. S. Runciman, A History of the Crusades,3vol., Cambridge,1951-1954.
1. Christopher Tyerman, God’sWar,Penguin Books, Londres, 2006,1024 p.
de l’autorité des gouvernants,l’ouvrage se répartit en huit par-
ties et mène le lecteur de la Première Croisade aux expéditions
de la fin du Moyen Age.Tyerman est loin de prendre pour
argent comptant le récit des chroniqueurs du XIIesiècle.Il
montre en effet à quel point, imprégnés par leurs lectures
bibliques, ils cherchent à évoquer dans leurs descriptions des
clichés de l’Ancien ou du Nouveau Te stament, qui
sont ainsi revivifiés par les armées de la croisade.
Ainsi en est-il de la célèbre description par
Raymond d’Aguilers du massacre ayant suivi la
prise de Jérusalem en 1099 :l’image des flots de
sang répandus par les croisés reprend une citation
du livre des Révélations (14-20) plutôt que l’évi-
dence d’une scène vécue.
Tyerman s’interroge sur les origines de la guerre
sainte chrétienne. To ut en reprenant la doctrine
classique élaborée par saint Augustin, il remarque,
à juste titre, que la reconnaissance du christia-
nisme comme religion officielle de l’Empire et l’u-
nion de l’Eglise et de l’Etat ont favorisé l’essor de
la guerre juste,qui devient sainte lorsque la
papauté réformée en prend l’initiative pour établir
l’ordre droit de la chrétienté en se servant d’ar-
mes temporelles. Circonstancielle dans la chré-
tienté occidentale,la guerre sainte est au
contraire fondamentale dans la foi islamique. Les
deux conceptions se rejoignent avec la croisade,
où se conjuguent les intérêts de la papauté réfor-
mée et la lutte contre les menaces extérieures de
l’islam. C’est ce qu’exprime le pape Urbain II dans
la célèbre homélie prononcée à l’issue du concile de Clermont
le 25 novembre 1095, première déclaration publique du nou-
veau concept de guerre sainte,conçue comme un acte péniten-
tiel promu par la papauté pour répondre à la tension vers le
salut de la société chrétienne.La réponse est bien connue,
quoique les raisons du succès du recrutement restent quelque
peu mystérieuses.
Le récit de la marche des croisés vers Constantinople puis vers
Jérusalem n’apporte guère de nouveauté. Pourtant,l’auteur
revient sur les douloureux épisodes du massacre des juifs dans
les régions rhénanes. Il les explique classiquement comme une
vengeance des chrétiens pour la Crucifixion, mais il y voit aussi
une cause financière:l’appât des biens matériels est à la base
du pogrom qui cimente l’identité du groupe des croisés.A l’ar-
rivée des troupes devant Constantinople se pose le problème
des relations avec les Grecs. Les négociations avec le basileus
Alexis 1er Comnène déterminent la nature et la future percep-
tion de la campagne :l’empereur veut pouvoir contrôler l’ar-
mée et ses chefs en cherchant à utiliser les institutions
familières aux croisés (serment vassalique), alors que ceux-ci
attendent une assistance sans arrière-pensée,voire une partici-
pation importante des Grecs à l’expédition vers Jérusalem.
L’incompréhension devient totale sous les murs d’Antioche,
dont le siège est abandonné par le contingent byzantin.Cette
fection, à laquelle s’ajoute celle de l’armée de renfort
d’Alexis 1er,donne naissance au thème de la trahison des
Grecs, qui ne fera que s’amplifier au cours du XIIesiècle.La
prise quasi providentielle d’Antioche marque un moment
important de la croisade qui passe d’une guerre de libération
des lieux saints à une guerre d’occupation des territoires
conquis. Celle-ci se renforce après la chute de Jérusalem, qui
impose aux croisés, si faibles numériquement, de
se rendre maîtres du littoral, des points forts et
des routes commerciales, dans une étroite
dépendance vis-à-vis de l’Occident;les répu-
bliques maritimes italiennes fournissent en effet
l’appoint de leurs flottes pour le siège des villes
côtières et les indispensables secours en hom-
mes et en matériel.
Favorisée par le morcellement politique de la
Syrie-Palestine à la fin du XIesiècle,la conquête
des croisés aboutit à la création des Etats latins,
comté d’Edesse,principauté d’Antioche,comté
de Tripoli et royaume de Jérusalem.Tyerman met
en évidence ce qui différencie ces nouveaux
Etats. Edesse est dans une dépendance totale vis-
à-vis de ses voisins musulmans et disparaît dès
1144, victime du réveil islamique.Antioche
adopte des pratiques institutionnelles grecques
et normandes et, malgré les morts en bas âge de
ses princes, résiste aux prétentions de souverai-
neté byzantine.Tripoli constitue une association
lâche de seigneuries semi-indépendantes. Quant
au royaume de Jérusalem, Etat de garnison pro-
tégeant les lieux saints, il est le cœur émotionnel,
politique et stratégique de l’outre-mer latin.Dans le débat his-
toriographique sur la nature de la colonisation issue de la
croisade,Tyerman adopte le point de vue exprimé par le bel
ouvrage de Ronnie Ellenblum3.Loin d’être une société d’apar-
theid, les Etats latins ont vu s’établir des contacts inévitables
entre les diverses communautés qui les composent, bien que
les barrières sociales, politiques, religieuses et ethniques aient
exclu un multi-culturalisme intégré. Loin d’être aussi une colo-
nisation exclusivement urbaine,l’installation des Francs s’est
effectuée dans les régions occupées majoritairement par des
chrétiens orientaux ou dans des zones à faible population
rurale.Ainsi s’est formée dans le royaume de Jérusalem une
société mixte de Francs et de chrétiens orientaux,une
«société de frontièr,chrétienne sous hégémonie franque,
mais n’incluant pas d’élément musulman, ce qui expliquerait le
silence des sources latines sur celui-ci.
Suivant l’évolution du concept de guerre sainte au cours du
XIIesiècle,Tyerman montre son élargissement par la papauté
qui l’utilise contre les ennemis du pape en Italie ou contre des
brigands du nord de la France,aussi bien que contre les musul-
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LIVRES ET IDÉES
CONJONCTURES
REPÈRES ET TENDANCES DOSSIER
3. R. Ellenblum, Frankish Rural Settlement in the Latin Kingdom of Jerusalem,
Cambridge 1998.
Suivant l’évolution
du concept de
guerre sainte au
cours du XIIesiècle,
Tyerman montre
son élargissement
par la papauté
qui l’utilise contre
les ennemis du
pape en Italie ou
contre des brigands
du nord de la
France, aussi bien
que contre les
musulmans.
mans. Il majore sans doute à l’excès le succès du pèlerinage
pacifique vers Jérusalem dans la première moitié du XIIesiècle,
en l’opposant à l’enthousiasme limité que manifeste l’Occident
pour les guerres saintes vers l’Orient. Il faut que l’on constate
le réveil du monde musulman avec Zengi et la prise d’Edesse
pour que la papauté appelle à une nouvelle croisade,dont elle
codifie les règles par la bulle Quantum praedecessores
(1er décembre 1145),et pour que la voix de saint Bernard
réussisse à convaincre les souverains de France et de l’Empire
à prendre part à l’expédition projetée.L’échec né des dissen-
sions en Te rre sainte est un choc pour la chrétienté, où s’ex-
priment de vives critiques sur l’idée et la pratique de la guerre
sainte chrétienne.Pourtant les victoires de
Saladin,qui s’empare de Jérusalem en octobre
1187, réveillent les ardeurs et suscitent en
Occident une réinvention de l’idée de croisade.
La prédication s’organise –etTyerman insiste
justement sur ses modalités en Angleterre –, la
taxation pour la croisade est instituée,le
transport par mer devient la norme et les privi-
lèges offerts aux croisés se précisent. L’idée et
la pratique de croisade se séparent du pèleri-
nage.LaTroisième Croisade voit s’appliquer ces
nouvelles normes.Lareprise d’Acre détermine
la survie et la nature de la présence européenne
au Levant pour un siècle.
Avec l’arrivée d’Innocent III sur le trône de saint
Pierre (1198), la croisade devient, sous le nom
de negotium crucis,la préoccupation essentielle
de la papauté. Le nouveau pontife organise pré-
dication et pénitence,mais, comme le relève
Tyerman, il codifie plus qu’il n’innove.Son appel
lancé dès son élection aboutit à la Quatrième
Croisade et à la déviation de l’expédition vers
Constantinople.Tyerman ne peut éviter d’entrer
dans le débat historiographique vieux de plus
d’un siècle.Comment des chrétiens ont-ils pu
s’emparer d’une ville chrétienne,la piller et la
dépouiller de ses reliques et de ses trésors les plus insignes ?
Qui sont les coupables ? Sont–ce les Vénitiens soucieux de
recouvrer leur hégémonie économique dans l’empire byzantin,
la papauté qui a perdu le contrôle de la croisade qu’elle a lan-
cée ou les pèlerins qui se sont laissés manipuler par des chefs
avides de gloire et de conquête ? Tyerman analyse ces hypothè-
ses, en remarquant que l’Egypte offrait aux Vénitiens davantage
d’opportunité de profit que Constantinople, où ceux-ci avaient
leur place assurée.Ilrelève surtout la désintégration de
l’Empire byzantin après la mort de Manuel 1er Comnène,
l’indifférence des provinces envers le sort de la capitale,lafor-
mation de dynasties locales, l’essor de la corruption et de la
piraterie.Dans la perspective comparative qui est la sienne,l’au-
teur note que la chute de Constantinople en 1204, contraire-
ment à la prise de Jérusalem en 1099, ne suscite aucun
enthousiasme en Occident et ne provoque qu’une immigration
limitée et une colonisation en grande partie avortée.L’empire
latin est pour lui un échec politique, financier,culturel et dynas-
tique,une idée que les travaux récents de David Jacoby contrai-
gnent à nuancer fortement.
Passant en Occident,Tyerman s’intéresse ensuite aux croisades
contre les Albigeois. Il définit la théologie et la structure de
l’Eglise cathare,une hérésie venue du dualisme des Bogomiles
implantés dès le Xesiècle en Bulgarie,en Macédoine et en
Thrace.Le succès des cathares en Languedoc vient de la fai-
blesse de l’autorité politique,du réseau lâche de la hiérarchie
ecclésiastique et du manque de coopération entre l’Eglise et les
seigneurs laïcs. Aussi la croisade est-elle conçue comme une
extension des missions confiées aux légats pontificaux, mais
passe rapidement sous le commandement des
seigneurs du nord de la France, puis de Louis
VIII, jusqu’au traité de Paris d’avril 1229 qui livre
la plus grande partie du Midi à la domination
capétienne.La poursuite des hérétiques devient
l’affaire de l’Inquisition, une institution qui n’a
plus rien à voir avec l’idée de croisade.
En même temps qu’il se préoccupe des cathares,
Innocent III relance la croisade au secours de la
Te rre sainte.L’encyclique Quia Major d’avril 1213,
puis le décret Ad liberandam du quatrième
concile du Latran cherchent à organiser la nou-
velle expédition devant unir les ambitions uni-
verselles de la papauté à l’impérialisme naissant
des Hohenstaufen. On sait ce qu’il advint de la
Cinquième Croisade qui avait pour objectif
l’Egypte, considérée comme la clef de la Te rre
sainte.L’insuffisance des effectifs, l’obstination du
légat Pélage,la défection du roi de Jérusalem,
Jean de Brienne,l’attente toujours déçue de l’ar-
rivée de l’empereur Frédéric II,autant de raisons
d’un échec cuisant, qui aurait pu se transformer
en une restauration du royaume de Jérusalem
un moment où l’empire ayyubide entrait dans
une phase de déstabilisation. Les succès étaient
ailleurs :en Espagne et dans les régions baltiques.
Tyerman distingue Reconquista et croisade,la première étant un
long processus politique et un état d’esprit de reconquête, initié
dès le XIesiècle,la seconde étant plutôt un événement ponctuel.
Il n’en reste pas moins que par analogie avec la Première
Croisade,les principes et privilèges de la guerre sainte se sont
appliqués dans la péninsule Ibérique.Dans le monde nordique,
dès l’annonce de l’extension des indulgences de croisade aux
campagnes menées contre les Wendes païens (1147), la guerre
sainte s’est trouvée associée à l’expansion territoriale et à un
processus de christianisation et de germanisation, dont les prin-
cipaux artisans ont été sans conteste les chevaliersTe utoniques,
mais aussi tous les colons occidentaux venus peupler Livonie,
Prusse et Estonie.La continuité de la croisade est assurée jus-
qu’en 1423 par les arrivées successives de contingents alle-
mands.
La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la défense de
l’outre-mer au XIIIesiècle.Tâche difficile,puisqu’au contraire
119
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LA GUERRE AU NOM DE DIEU
L’auteur note que
la chute de
Constantinople en
1204, contrairement
à la prise de
Jérusalem en 1099,
ne suscite aucun
enthousiasme en
Occident et ne
provoque qu’une
immigration limitée et
une colonisation en
grande partie avortée.
L’empire latin est pour
lui un échec politique,
financier, culturel et
dynastique.
du siècle précédent où les Latins avaient pu profiter du mor-
cellement politique de la Syrie-Palestine, des rivalités entre
cités-Etats et des coalitions changeantes dans le monde
musulman, ils se trouvent au XIIIesiècle face à deux empires,
les Mamelouks, promoteurs du djihad anti-latin après 1260, et
les khanats mongols avides d’intervenir jusqu’en Syrie.En
Te rre sainte,l’absence de pouvoir royal et les luttes de l’aris-
tocratie laissent une place importante aux rivalités des ordres
militaires et des républiques maritimes italiennes, plus sou-
cieuses de leurs intérêts propres que du devenir des Etats
latins. Les interventions de l’Occident ne sont pas toujours
heureuses. Frédéric II, croisé excommunié, a beau récupérer
quelques territoires par le traité de Jaffa (février 1229),sa
lutte implacable contre la papauté et contre
l’aristocratie hiéronymite ruine son succès. La
croisade en Egypte de saint Louis, la mieux
préparée,la mieux organisée et la plus cohé-
rente de toutes les expéditions du XIIIesiècle,
se termine en un piteux échecpeine com-
pensé par les quelques mesures défensives que
prend le roi capétien lors de son long séjour
en Te rre sainte.Et que dire de sa seconde croi-
sade qui se termine sous les murs de Tu nis par
la mort du souverain (25 août 1270) ? Le
contraste entre les méthodes sophistiquées
d’organisation et la nullité des résultats fait
douter en Occident de la validité de la croi-
sade.
Et pourtant, la guerre sainte demeure une idée
majeure en Europe à la fin du Moyen Age.
Tyerman le démontre,sans reprendre toutefois
les longs développements d’Alphonse Dupront sur le mythe de
croisade4,mais en examinant brièvement les traités de recou-
vrement de laTe rre sainte,l’organisation des ligues et des expé-
ditions,dont celle du roi de Chypre, Pierre 1er,contre
Alexandrie,les croisades de Nicopolis (1396) et de Varna
(1444), la politique orientale des ducs de Bourgogne qui repren-
nent le flambeau de la croisade, mais n’entreprennent jamais la
moindre réalisation sur le terrain oriental. L’Occident a mis du
temps à comprendre quelles menaces contre la chrétienté
représentait l’expansion ottomane qui, après la prise de
Constantinople (1453), s’en prend à Belgrade,à l’Italie du Sud et
jusqu’à Vienne. La victoire chrétienne de Lépante n’est qu’un
coup d’arrêt donné à un impérialisme ottoman qui effraie
l’Europe jusqu’en plein cœur du XVIIesiècle.
Tyerman en conclut que la guerre de Dieu reste profondément
enracinée dans les mentalités occidentales jusqu’à l’époque
moderne.De nombreuses manifestations en faveur de la croi-
sade peuvent être relevées dans des festivals,des confréries, des
guildes. Les plans de recouvrement de la Te rre sainte génèrent
de vastes engagements populaires en 1309, en 1319-1320 et
encore en 1514. L’idéal de croisade,qui peut agir comme un
mécanisme de promotion sociale,est bien vivant dans de nom-
breuses familles nobiliaires et s’exprime dans l’art et la littéra-
ture, par le succès des récits de croisade,par des enluminures,
des vitraux,des sculptures et la représentation de spectacles
rappelant des scènes des croisades anciennes. Messes,prières et
supplications pour le recouvrement de la Te rre sainte se multi-
plient, tandis que les testateurs sont incités à accorder des legs
dans ce but. Cependant, malgré les efforts effectués pour élever
des conflits nationaux et séculiers au rang de
croisade,et malgré la fusion en France des idéo-
logies de la croisade et du destin providentiel de
la nation et de son roi,le déclin de l’idée comme
force vivante de la chrétienté est, pour Tyerman,
inéluctable au XVIesiècle,particulièrement
après la victoire de Lépante (1571).
Partant de saint Augustin, et même d’Aristote,
Tyerman offre au lecteur un long parcours à tra-
vers l’idéologie de la guerre sainte et son appli-
cation sur les divers champs où la chrétienté
occidentale affronte musulmans, hérétiques ou
païens.Son ouvrage complète heureusement
l’œuvre de Runciman, trop marquée par la
byzantinophilie de l’auteur,qui définissait la prise
de Constantinople par les croisés de 1204
comme le plus grand crime contre l’humanité
(mais qu’en est-il de la Shoah ?), et par une des-
cription trop systématique des luttes internes dans le royaume
de Jérusalem. Bien qu’influencé par son prédécesseur, Tyerman
renouvelle le thème par son sens des nuances, sa profonde
connaissance des sources occidentales, sa finesse d’analyse et la
qualité de son écriture.To ut juste pourrait-on lui reprocher une
vision trop occidentalo-centrique des croisades –négligeant
l’apport des sources arabes, arméniennes ou chrétiennes orien-
tales –, et des références quasi exclusives à une historiographie
anglo-saxonne,qui est loin d’être unique dans l’histoire des
croisades. A
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LIVRES ET IDÉES
CONJONCTURES
REPÈRES ET TENDANCES DOSSIER
4, A. Dupront, Le mythe de croisade,4vol., Paris 1997.
L’Occident a mis du
temps à comprendre
quelles menaces contre
la chrétienté
représentait
l’expansion ottomane
qui, après la prise de
Constantinople (1453),
s’en prend à Belgrade,
à l’Italie du Sud et
jusqu’à Vienne.
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