MALLIA Loïc
Master 1 BEE
Ethno-botanique. 2013/2014
Vigna unguiculata
Biologie, diversité, écologie et agronomie
Le genre vigna appartient à la famille des fabacées qu'on appelle aussi légumineuses. Beaucoup d'espèces de
« haricots » autrefois classées dans le genre Phasoleus ou Dolichos comme anciennement Phasoleus cylindricus
rebaptisée Vigna unguiculata subsp. cylindrica(1) sont aujourd'hui classées dans le genre vigna (2,3). Ces
variations taxinomiques transparaissent dans les noms vernaculaires des espèces du genre vigna et des sous
espèces de vigna unguiculata qui vont du dolique au pois en passant par le haricot : Dolique asperge, cow pea,
haricot-kilomètre ou pois-kilomètre, black eyed pea...
De nombreuses sous espèces de Vigna unguiculata regroupées en anglais sous le nom vernaculaire de cow pea
ou dolique à œil noir en français sont cultivées comme plantes alimentaires pour leur graines : Vigna unguiculata
subsp.unguiculata (black eyed pea en Amérique du nord, niébé en Afrique ou encore cornille en France), Vigna
unguiculata subsp. Cylindrica (dolique mongette), Vigna unguiculata subsp. Sesquipedalis (yardlong beans,
dolique asperge ou haricot kilomètre) et d'autres pour leur gousse : principalement Vigna unguiculata subsp.
Sesquipedalis mais on consomme aussi les jeunes gousses de niébé en Afrique occidentale.
Toutes les variétés cultivées de Vigna unguiculata sont des herbacées annuelles à reproduction très
majoritairement autogame. Les feuilles sont généralement glabres,vertes et organisées en structure trifoliées. Les
deux feuilles latérales sont asymétriques, les fleurs violettes (3,5). Les rares plantes qui pratiquent de la
reproduction allogame sont polynisées par les abeilles (5).
Les trois principales variétés cultivées ont des formes, des répartition et des utilisations assez variées. Voici un
bref descriptif de ces sous espèces (3,5)
-Vigna unguiculata subsp.Sesquipedalis : Le dolique asperge, haricot-kilomètre ou pois-kilomètre, est une
plante herbacée grimpante pouvant atteindre 3 à 4 mètres de hauteur et est surtout planté avec le maïs qui lui sert
de tuteur. Il est cultivé comme plante potagère pour ses gousses et graines comestibles. Les gousses cylindriques,
vert pâle sont remarquables par leur longueur, jusqu'à 80 cm à maturité, voir un mètre chez la variété « dolique
géante ». Ces gousses contiennent une dizaine de graines en forme de rognons de couleur variée selon les variétés,
rose, rouge, noir. Il est très consommé au sud de l'Asie, principalement frais, sous forme de jeunes gousses de 30
cm environ comme le haricot vert. Sa saveur serait un mélange de haricot et d'asperge.
-Vigna unguiculata subsp. Cylindrica : De très nombreux noms vernaculaires : mongette, dolique, dolique
mongette, bannette (Provence), haricot à œil noir, dolique à œil noir, coco œil noir, cornille, pois à vaches, haricot
indigène, pois chique, voamba (Madagascar), dolique de Chine ou encore niébé au Sénégal (à ne pas confondre
avec le niébé du reste de l'Afrique qui désigne la sous espèce vigna unguiculata subsp unguiculata). C'est une
plante herbacé qui mesure environ 60 cm de haut. Les fleurs sont blanches teintées de roses (un violet pâle), les
gousses droites de 15 à 25cm de long. Les graines sont semblables à de petits haricots réniformes de couleurs
variables : blanches avec une tache noire au hile, entièrement noires ou brun rougeâtres.
-Vigna unguiculata subsp unguiculata : Elle est nommée black eye pea aux Etats unis, dolique à œil noir, pois
à vache ou niébé en Afrique. Cette espèce à port rampant est courante dans toutes les régions tropicales et
subtropicales du monde si l'on exclue l'Afrique centrale humide : en Amérique latine, dans le Sud des États-Unis
et surtout en Afrique ou sa culture constitue une importante source de nourriture et de fourrage.
Étant donnée l'importance économique et alimentaire du niébé, seule l'écologie de cette sous espèce sera
renseignée ici.
Le niébé est une variété de basse altitude (moins de 1500m) à croissance rapide: le semis du niébé, se fait l'été de
fin juillet à août suivant la durée de la saison des pluies , 4 à 6 semaines après la plantation des premières cultures
de sorgho, maïs ou mil en culture de rotation et se récolte au bout de deux mois. Il tolère de grandes variétés de
textures de sols, durs ou très sableux, voir composé à 80% d'argile est aussi tolérant pour son pH même si il
préfère les sols légèrement acides. Les variétés précoces et extra-précoces sont tolérantes à la sécheresse ce qui lui
permet de pousser au Sahel notamment où la pluviométrie est inférieure à 500mm/an tant que les températures
restent aux alentours des 30 degrès. Le niébé est en outre tolérant à l'ombre(7,10,13). Les doses de phosphates
recommandées par l'IITA(Institut international d’agriculture tropicale, Ibadan, Nigeria) pour la culture du niébé
sont de 30kg par hectare cultivé. Par contre, en bonne légumineuse, le niébé possède des racines ponctuées de
nodules qui abritent des rhizobium capables de fixer l'azote atmosphérique ce qui le dispense de gros besoins
d'azote minéral et lui permet de fixer 84kg d'azote atmosphérique en quelques semaines si les rihzobium sont
efficaces (8) . Parmi les légumineuses, le niébé serait d'ailleurs celle qui aurait les associations mutualistes les
moins spécifiques (9).
Tout ces traits écologiques font du niébé un « engrais vert » essentiel dans les cultures de rotation et tout
particulièrement dans les sols peu fertiles d'Afrique subsaharienne ou on le cultive avec le sorgho, le maïs ou le
mil. On consomme largement les graines de niébé à travers le monde ou il fait parfois parti de repas très
symboliques: au sud des états-unis par exemple, manger des « black eye peas » le jour du nouvel an augure une
année prospère. En Inde on réduit les graines en poudre et les mélange à de la pâte de riz pour confectionner des
kozhukattai, patisseries que l'on mange pour rendre honneur au dieu hindou Ganesh (3). Mais la consommation de
niébé est particulièrement cruciale en Afrique ou l'on utilise l'ensemble de la plante. La consommation des
gousses en septembre dans les cultures traditionnelles africaines permet de subsister pendant cette période
sombrement appelée « période de la faim » jusqu'aux récoltes de cultures « premières » (maïs, mil et sorgho) qui
ont lieu d'octobre à décembre(12). Les jeunes feuilles extrêmement riches en protéines (25% du poids sec de la
graine) notamment en acides aminés essentiels lysine et trypsine(11) sont également consommées. Le niébé est
aussi une plante de fourrage de première importance dans ces régions. Les grains sont utilisés pour nourrir le
bétail, et les tiges pour faire un foin très riche pendant la saison sèche qui se vend de manière importante dans les
marchés d'Afrique occidentale (13). Au Nigeria on utilise les fibres récupérées des tiges de niébé pour la
confection de filets à poisson et de papier. On lui attribue également dans ces régions de nombreuses vertus
médicinales : guérison contre le venin de serpent, utilisation pour le traitement des cloques, prévention contre les
morsures d'insectes, les douleurs à la poitrines, et même le traitement des crises d’épilepsie(5). L'Afrique de
l'ouest et l'Afrique centrale sont les premières régions productrices de niébés au monde en produisant 64% des 3,3
millions de tonnes de niébé (FAO 2001) vendues chaque année (3).
L'histoire de vigna unguiculata
L'histoire de la domestication du niébé est étroitement associée à celle des céréales d'Afrique subsaharienne, il y a
cinq à six mille ans, où il a été étroitement associé à la culture du sorgho et de mil(14). Comme il a été dit plus
haut les traits écologiques de cette légumineuse en faisait déjà un partenaire particulièrement utile dans la culture
de sols pauvres en azote minéral de ces régions.
Les niébés sauvages de l'est sont génétiquement plus diversifiés que ceux de l'ouest ce qui suggère que l'ancêtre
sauvage du niebé cultivé serait une variété vivace (Vigna.ungicuilata var. spontanea), qui vient d'Afrique de l'Est,
probablement d'Ethiopie (15) . On suppose cet ancêtre s'est répandu à l'ouest et au sud de l'Afrique avec une perte
de variabilité. Cette migration a été accompagnée par un changement vers une durée de vie plus annuel et un
système de reproduction comprenant plus d'autofécondation (15).
Jusqu'à récemment un seul événement de domestication probablement au nord du continent était suggéré au
Nigeria notamment (17). Cependant trouver le lieu précis de l'origine de la domestication s'avérait difficile du fait
d'un flux de gène entre les formes sauvages et domestiques de niébé. Des marqueurs spécifiques au niébé
domestique se retrouvent indifféremment dans des niébés sauvages sur tout le pourtour du continent africain : du
Sénégal en Afrique du sud en passant par le Congo, le Niemen et le Kenya (16). Or si les variétés sauvages
réparties sur l'ensemble du continent possèdent indifféremment ces marqueurs comment retrouver l'ancêtre du
niébé domestique et son lieu de domestication ? Un article plus récent suggère q'il n'y aurait pas eu un mais deux
événements de domestication du niébé. On connaît en effet 2 pools majeurs de gènes de niébé en Afrique. Les
variétés locales du pool 1 sont surtout réparties à l'ouest de l'Afrique tandis que la majorité des variétés du pool 2
sont localisées à l'Est. Chacun des pools de gènes est plus proche des variétés sauvages de niébé de la même
région géographique : cela indiquerait deux événements de domestication conduisant à la formation de deux
différents pools de gènes.
Les accessions d'Asie et d'Europe sont plus proches des accessions d'Afrique de l'ouest et celles d'Amerique
(black eyed pea) d'Afrique de l'est ce qui suggère que les niébés Eurasiatiques proviennent des niébés
domestiqués en Afrique de l'ouest et ceux d’Amérique de ceux domestiqués en Afrique de l'est. (19).
On pense que le niébé a été introduit en Europe vers 300 avant J.-C. Il est fait pour la première fois mention d'un
vigna unguiculata sous le nom de Lobios dans les textes du botaniste grec Discoride (40 av JC) et on le retrouve
dans les textes de Pline l'ancien (Phasiolum) à la même époque ce qui suggère que l'espèce était déjà relativement
commune dans le bassin méditerranéen(4,6). Il aurait été introduit en Inde vers 200 avant J.-C (6). Suite à la
sélection par l’homme en Chine, en Inde et en Asie du Sud-Est, ces variétés originaires d'Afrique de l'ouest le
niébé auraient connu une nouvelle diversification qui a abouti à deux groupes de cultivars : le Groupe
Sesquipedalis, aux longues gousses utilisées comme légume, le Groupe Biflora, cultivé pour ses gousses, ses
graines sèches et son fourrage(6).
On a longtemps cultivé la sous espèce Vigna unguiculata subsp. cylindrica en Europe et notamment en France
sous le nom de dolique mongette avec d'autres légumineuses tels que la fève, les petits pois et la gesse, bien avant
l'arrivée du haricot, originaire d'Amérique. Cette plante est citée sous le nom de Fasiolum (cf Pline l'ancien)
parmi les plantes potagères recommandées dans le capitulaire De Vilis datant du IXe siècle (3,6). Celui-ci s'est
substitué à la mongette dans notre alimentation et lui a pris son nom latin (Phaseolus) qui a donné « fayot » et
même son nom vernaculaire plus tardif de « mongette » ou « mogette », qui de nos jours désigne aussi en France
un haricot de type « lingot » (celui du cassoulet!)(3).
Faits divers et perspectives...
Les téguments entiers ou des extraits aqueux, éthanoliques, acides ou alcalins des gousses de niébé auraient un
effet inhibiteur de la croissance bactérienne de Clostridium perfringens, (la bactérie responsable de la gangrène) et
de sa production gazeuse. On noterait une diminution significative de la flatulence du à cet effet inhibiteur.(20).
Deux antifungiques isolés à partir de graines de niébés désignées comme les alpha et beta antifungiques ont été
capables d'inhiber la reverse transcriptase du VIH de type 2 et une des glycohydrolases associée à l'infection par le
VIH, l'alpha-glucosidase(21).
Vigna unguiculata semble avoir un avenir prometteur surtout du fait de sa composition extrêmement riche en
protéines. Le niébé est ainsi de plus en plus souvent inclus dans les régimes du bétail pour en enrichir la
nourriture, surtout chez les moutons (même si cet apport ne semble pas suffisant). Au Soudan le remplacement de
30% du régime de poulets par des graines de niébé a augmenté de manière significative leur gain de poids(11).
Cette efficacité est prometteuse en termes de santé et d'éthique car elle permettrait aux agriculteurs d'améliorer
leur rendements sans avoir recours à des protéines animales. Un régime au niébé qui remplace 30% des farines
animales a également été testé avec succès sur tilapia, poisson abondamment élevé et consommé dans le
monde(23).
Des régimes incluant le niébé sont également testés et proposés à des populations qui souffrent de carences
alimentaires comme c'est par exemple le cas au Vénézuela ou, du fait de leur culture, les enfants ne mangent que
très peu de légumineuses (22).
Concernant l'amélioration des niébés, l’essentiel des améliorations sur les systèmes, a concerné la culture pure
surtout en ce qui concerne les mécanismes de résistance à Macrophomina phaseolina, principal ravageur du niébé
en Afrique. Des recherches récentes ont montré qu'une rotation annuelle de mil, suivi d’arachide, puis de la
céréale et du niébé, a le potentiel d’étouffer suffisamment le champignon, et de réduire l’étendue de la maladie sur
cette dernière légumineuse (12). Dans un contexte d'eutrophisation des écosystèmes, de problèmes de
multirésistances des ravageurs, l'élégance des cultures de rotations pourrait-elle grâce au niébé ouvrir de
nouvelles perspectives « durables » ?
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