point de vue formel. Ni le corps du texte, ni les passages des couloirs scéniques ne sont à proprement
parler théâtraux puisque leur fonction est indéterminée. Autrement dit, au lieu d’en assurer
logiquement la représentation scénique, ces passages l’annulent comme le souligne Duras dans un
entretien accordé à Gilles Costaz où elle clarifie le rôle conféré auxdits passages :
Maintenant que j’ai écrit les Yeux bleus cheveux noirs, avec ces couloirs scéniques, pourquoi le faire au
théâtre ? Je l’ai donné au théâtre et je l’ai rendu impossible à jouer au théâtre. […] Parce que dans une
pièce de théâtre, je ne serais pas allée aux mêmes endroits que là. C’est toujours raccourci une pièce, par
rapport au texte ; le dialogue, quand-même, est là, mais je crois qu’ici, ce n’est pas assez. Il y a le vide
où je reste très longtemps, très souvent, la marée qui vient, la lumière, le passage des gens… Une scène
de théâtre, c’est trop petit pour contenir ça. Le livre non. Et, au théâtre, le décor est loin de ce qui se
passe entre les gens, il est séparé, sauf dans Tchekhov(6).
Ainsi, Duras distancie la mise en scène parce qu’elle l’a déjà convoquée dans les couloirs
scéniques. Les outils qui sont censés marquer la représentation scénique de la Maladie de la mort,
dépassent ce que le théâtre pourrait représenter. Ce qui importe à l’auteure ici ne semble pas être une
mise en scène réelle mais les processus mêmes qui régissent la mise en scène. Il serait alors
primordial de considérer ce roman dans cette optique-là dans la mesure où les couloirs scéniques ont
tendance à dérouler en scène l’histoire entière racontée dans le corps du texte.
Toutefois, si nous nous penchons sur les parties couloirs scéniques du texte, nous
découvrons qu’ils tiennent lieu d’indications opérationnelles pour la mise en scène. Et ils permettent
par conséquent à Duras de détourner le texte initial vers une forme hybride. Le décor prévu dans le
premier couloir scénique est celui mis en lumière dans l’incipit du récit premier qui est celui raconté
dans le corps du texte, et fait écho à celui du texte et réciproquement. Nous allons essayer de voir de
plus près ce décor dupliqué à trois reprises dans l’œuvre, deux fois dans le corps du texte et une fois
dans les couloirs scéniques.
Le noir serait fait dans la salle, la pièce commencerait.
La scène, dirait l’acteur. Elle serait une manière de salle de réception, sévèrement meublée de meubles
anglais, confortables, très lumineux, en acajou sombre. Il y aurait des chaises, des tables, quelques
fauteuils(7).
Après avoir raconté la rencontre entre l’homme et la femme du récit premier dans le hall de
l’hôtel, puis dans le bar de la ville, ce passage du couloir scénique survient comme une irruption de
théâtralité dans la diégèse qui conserve jusqu'ici une tonalité romanesque. Cette irruption nous
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