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loin le plus important des risques. Il aug-
mente avec la quantité de consommation
quotidienne de tabac et le nombre d’années
de consommation.
Une consommation excessive d’alcool est
le second plus important facteur de risque.
Il a un effet synergique avec le tabagisme,
de sorte que l’effet combiné est plus que
multiplié.
Cet ensemble de constatations nous amène
à regretter, dans le domaine de l’addiction
à l’alcool et/ou au tabac, que le chirurgien-
dentiste ne soit que peu ou pas associé, dès
sa formation initiale et de surcroît en for-
mation continue, à une démarche de pré-
vention des risques, voire de sevrage.
Il peut – pour ne pas dire il doit – être
impliqué dans tous les programmes pré-
sents et à venir, car il est à une place privi-
légiée de par les conséquences de ces
addictions sur la santé bucco-dentaire et sur
la représentation de soi.
L’approche au cabinet dentaire
Une première constatation : les toxicomanes
fréquentent peu les cabinets dentaires, et les
chirurgiens-dentistes le leur rendent bien.
Les raisons en sont multiples :
•leur état de dépendance ;
•leur expérience passée négative du chirur-
gien-dentiste ;
•la difficulté des chirurgiens-dentistes à
s’investir avec des patients peu solvables ou
peu persévérants dans leurs soins, quand ce
ne sont pas les deux à la fois ;
•une anxiété exacerbée ;
•une absence de démarche culturelle pour
la promotion de la santé bucco-dentaire ;
•un problème économique et parfois le
manque de couverture sociale, ce qui
nécessite de la part du praticien d’avoir des
relais avec des travailleurs sociaux ;
•la couverture médicale universelle, dans sa
part complémentaire pour le dentaire, a plus
aggravé la situation (par un panier de soins
limitatif, des tarifs inappropriés, une absence de
prise en charge de l’accompagnement social
et administratif) qu’elle ne l’a améliorée ;
•l’absence de réseau de soins coordonnés,
particulièrement avec le secteur dentaire.
De fait, cette situation conduit nombre de
confrères médecins ou de travailleurs
sociaux à adresser ce type de patients à un
service hospitalier de stomatologie, les ser-
vices d’odontologie étant très peu nom-
breux et presque exclusivement dédiés à la
formation des étudiants en chirurgie-den-
taire.
C’est pourquoi ces patients sont générale-
ment vus en urgence. Et cette rencontre
avec un stomatologiste se solde la plupart
du temps par des extractions multiples et
un retour à la case départ.
On n’a ainsi rien réglé d’autre que la dou-
leur (certains diront que ce n’est déjà pas si
mal ; l’odontologiste y voit au contraire
l’échec médical).
Le patient est (parfois un peu plus) handi-
capé sur le plan masticatoire, son esthé-
tique est encore plus atteinte et sa margina-
lisation accentuée.
Ce qui est vrai, c’est que les cabinets den-
taires libéraux sont peu habitués à prendre
en charge ces patients, et les centres de
santé ne peuvent être à eux seuls une réponse.
En effet, une telle prise en charge pose
aujourd’hui des problèmes financiers, car
le seul mode de financement est le paie-
ment à l’acte, là où l’accompagnement
social et administratif est important, et le
temps une caractéristique principale de la
prise en charge de ces patients.
Quand, néanmoins, la rencontre se fait
entre le praticien et son patient “addict”, la
douleur et le préjudice esthétique sont sou-
vent à l’origine de la première consultation.
Mais ce que nous constatons surtout, c’est
une volonté de tourner la page par une
réhabilitation orale complète qui sera
longue et difficile.
La première approche est donc psycho-
logique il va falloir établir une relation de
confiance entre le praticien et le patient,
point de départ de tout traitement mais
encore plus appropriée dans la circonstance.
Si la prise de rendez-vous doit être adaptée,
il faudra néanmoins considérer le toxico-
mane comme un patient à part entière, sans
complaisance ni jugement moral et sans
tenter de jouer un rôle abusif de psycho-
logue qui aboutirait à une rupture de la
relation thérapeutique.
Le dialogue et l’interrogatoire médical doi-
vent permettre d’obtenir un certain nombre
d’éléments qui orienteront le diagnostic et
pourront révéler une contamination par le
VIH ou par le virus de l’hépatite B ou C.
Malgré toutes les précautions à prendre,
aucune de ces difficultés ne représentent un
obstacle au traitement de ces patients.
On notera, en revanche, une approche dif-
férente suivant la manière dont ils gèrent
leur toxicomanie. Ainsi, l’ancien toxicoma-
ne ou celui en traitement de substitution est
beaucoup plus facile à soigner, car la
consultation est souvent motivée par un
désir de réhabilitation complète, esthétique
et fonctionnelle, qui s’inscrit dans un souci
de restaurer un confort et une intégrité cor-
porelle, base de toute réinsertion sociale.
Une prémédication sédative, bien que déli-
cate, sera souvent instaurée chez les toxico-
manes actifs et ceux en cure de sevrage.
Pour tous, notre attitude sera fonction de
l’évolution de la relation praticien-patient ;
la préparation psychologique étant la
meilleure des prémédications.
Trois objectifs doivent guider le praticien
dans son plan de traitement :
1. Traiter l’urgence, qu’elle soit au niveau
de la douleur ou de l’esthétique, si possible
en une seule séance et dans un temps le
plus court possible.
2. Supprimer les foyers infectieux chro-
niques qui peuvent provoquer à distance
des complications infectieuses en instau-
rant une antibiothérapie prophylactique.
3. Créer les conditions fonctionnelles d’une
alimentation correcte. Dans tous les cas, le
choix de reconstruction prothétique ne sera
guidé que par le dialogue avec le patient et
non par des a priori de quelque nature
qu’ils soient.
En cas de chirurgie ou de traitement paro-
dontal, un bilan d’hémostase doit être pres-
crit. Il faudra prévoir des hémostatiques
locaux ou éventuellement une gouttière
hémostatique après les extractions.
Notre expérience à Ivry (associant centre
de santé polyvalent et centre méthadone) et
au sein du service de santé publique dentaire
du Conseil général du Val-de-Marne, nous
a conduits à proposer la création d’un
réseau social dentaire, non limitatif aux
seuls addicts, apte à coordonner l’offre de
soins bucco-dentaires au secteur social
départemental et aux autres réseaux du
département, donc en lien avec les réseaux
d’addictions.
Malgré les difficultés à la faire prendre en
compte par le Fond d’amélioration de la
qualité des soins en ville (FAQSV) Île-de-
France, nous sommes persuadés que seule
cette démarche répondra d’une manière
durable à ce qui est à la fois un problème
médico-social et culturel.