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TALKING POINTS
Nouveau monde, nouveaux enjeux, nouvelle pensée
La Chine refuse d’être vieille avant d’être
riche
9 novembre 2015, Paris
Talking Points
Sommaire
Nouveau monde, le fait de la semaine:
La Chine supprime la politique de l’enfant unique
Un signal politique
Nouveaux enjeux, la question de la semaine:
La chine sera-t-elle victime du middle-income
trap?
Le leadership politique chinois se mobilise pour éviter le piège du middle-income
trap, une stagnation économique due à une compétitivité dégradée par la
démographie et des coûts trop élevés. Il annonce un programme majeur de
développement technologique et scientifique afin d’accélérer la montée en
gamme de la production chinoise. Les entreprises occidentales ont bénéficié
depuis deux siècles du privilège exclusif de l’innovation. Elles doivent se préparer
à le partager, pour le meilleur et pour le pire. Le renoncement à la politique de
l’enfant unique n’est pas en revanche une décision démographique de grande
ampleur. Il doit être compris pour ce qu’il est réellement: le signal que la Chine
refuse d’être vieille avant d’être riche.
Philippe Tibi, avec David Baverez (depuis Hong Kong)
09/11/15
Pergamon Campus SAS - 52, rue de Vaugirard - 75006 Paris - +33 (0)6 09 10 06 08 – www.pergamoncampus.com
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La fin de la politique de l’enfant unique
Actualité
Le Parti Communiste Chinois (PCC) a tenu son 5ème plenum la semaine dernière. Ses conclusions réaffirment
des positions déjà connues: expansion modérée (croissance de 6,5% p.a jusqu’en 2020!) et sortie de la
pauvreté pour 70 millions de personnes, transition vers la consommation et les services, maintien de la
politique d’ouverture internationale. L’observateur étranger aura surtout noté la fin de la politique de
l’enfant unique et le focus sur l’innovation, arme de combat pour accéder à une richesse partagée.
Ratio actifs/retraités
Ratio actifs/retraités
1979: Instauration de
la politique de l’enfant
unique
Assouplissements de
la règle
Illustration
Instaurée en 1979, la politique de l’enfant unique a simplement accompagné la fin de la transition démographique. La règle
a été assouplie en 2000 et 2013, en faveur de parents eux-mêmes enfants uniques, sans effet notable sur les naissances. La
très rapide décroissance de la proportion d’actifs dans la population posera des problèmes économiques redoutables.
Conclusion
La Chine est peut-être déjà tombée dans le « fertility trap », le piège de l’infertilité. Deux générations après sa
mise en place, le modèle de l’enfant unique est en effet devenu la référence culturelle dominante. Les
désirs de famille élargie se heurtent aussi à la contrainte économique du « coût d’un enfant »: immobilier,
éducation, soins médicaux.
Dans un premier temps, l’enfant unique a payé un dividende démographique. Il pose maintenant un
problème de croissance économique que le leadership chinois veut résoudre à travers des initiatives politiques,
sociales et technologiques. L’enjeu est considérable: il s’agit de gagner le combat contre le middle
income trap et d’éviter ainsi à la Chine d’être le premier pays devenu vieux avant d’être riche.
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La théorie du « middle income trap »
Seuls une dizaine de pays émergents de la décennie 1950 font
aujourd’hui partie du club des pays développés. Parmi eux le Japon, la
Corée, Singapour, Taiwan, Hong Kong, Israël et la Grèce, des pays dont le
PIB par habitant dépasse le seuil des 10-15000$, au contraire de
l’Argentine, le Brésil, l’Afrique du Sud ou la Turquie qui stagnent sous ce
niveau pour des raisons bien identifiées par la théorie économique (1):
Dans un premier temps, ces pays bénéficient du dividende
démographique et de l’urbanisation. Une main d’œuvre peu coûteuse
assure la compétitivité des produits locaux. Les investissements étrangers
affluent, typiquement dans les secteurs du textile et de l’électronique
qui ne réclament pas des travailleurs très qualifiés. Une partie de la
population sort de la pauvreté.
Dans un second temps, les salaires augmentent. Cela affaiblit les
entreprises. Le pays tente de recouvrer sa compétitivité grâce à la
dévaluation. Les exportations redémarrent. Le confort retrouvé
n’encourage pas les investissements dans des produits à plus forte valeur
ajoutée. La qualité de la production ne progresse pas. L’inflation importée
nourrit la hausse des taux d’intérêt. Elle dissuade les investissements
étrangers. La croissance ralentit et le PIB stagne.
Une pression sur
les profits et les
revenus
Une demande
contrainte en
Occident
Des marges
réduites en
Chine
PIB/h lors de l’élaboration d’un modèle validé par des données récentes
La théorie du middle income trap (2005) décrit cette situation de
blocage du PIB par habitant sous le seuil des 10000$. Ce piège caractérise
une économie coincée entre deux types de concurrents. D’une part les
pays développés qui proposent des produits situés sur la frontière
technologique. D’autre part une seconde vague de pays émergents qui
gagnent des parts de marché grâce à des salaires encore moins élevés.
Le Japon et la Corée ont échappé à ce piège en réinvestissant leurs profits
dans l’innovation et la montée en gamme de la production.
Le PIB actuel de la Chine est de 7500$ par habitant. Il atteindra le seuil du
middle income trap vers 2020. C’est pour éviter la stagnation que le
leadership chinois annonce un effort technologique massif.
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La Chine doit relever un défi politique complexe
Eliminer les
investissements
improductifs
Augmenter la
consommation
Réduire les
inégalités
La Chine s’est d’abord conformée au modèle classique de décollage
des pays émergents: monnaie sous-évaluée, travail bon marché,
investissements massifs et performances à l’exportation. Elle est
devenue l’atelier du monde.
Sa population lui a cependant conféré un avantage particulier au
regard du modèle standard. La Chine a obtenu des transferts de
technologie en échange de l’accès à son immense marché intérieur.
Elle est ainsi déjà devenue compétitive dans des secteurs complexes
comme l’énergie et les TGV, les télécoms, le nucléaire. Les difficultés de
nos champions nationaux Alstom, Alcatel et Areva en témoignent.
Malgré ce succès, le leadership politique sait que l’économie chinoise est
confrontée à une série de problèmes:
① Des surcapacités industrielles en raison d’investissements excessifs
dont la productivité marginale ne cesse de décroitre.
② L’inefficacité de nombreuses SOE (entreprises d’Etat) qui
préemptent l’accès au crédit.
③ La nécessité de changer graduellement de modèle. Plus de
consommation intérieure, moins d’investissements. Moins d’inégalités
entre les régions. Restructurer la fiscalité des terres. Développer une
protection sociale compatible avec la compétitivité du pays.
④ La réduction de la pollution et d’ inégalités devenues insupportables
et massivement critiquées sur les réseaux sociaux. Des inégalités qui
caractérisent les pays englués dans le middle income trap.
Ces problèmes sont porteurs de contradictions politiques. La
croissance se heurte désormais aux vested interests, des groupes
d’intérêts qui défendent leurs positions. Le leadership a pour mission de
trouver une solution, à la chinoise, c’est-à-dire dans le strict cadre
d’une stabilité politique non négociable.
Le compromis politique est nécessaire mais non suffisant.
La hausse rapide des salaires (10% par an) impose en effet une
accélération de l’innovation pour éviter le middle income trap.
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Innover ou stagner (1)
Une productivité
en baisse
Des lacunes dans
les secteurs à
haute intensité
scientifique
La dernière enquête de McKinsey (2) montre que la productivité baisse en
Chine, comme partout dans le monde. Cela traduit l’épuisement des
traditionnels moteurs de croissance, liés à la seconde révolution
industrielle (moteur à explosion, électricité, transports modernes).
Dans le communiqué de conclusion du 5ème plenum, la Chine identifie
clairement la nouvelle frontière technologique: l’usine intelligente et les
robots, les matériaux innovants, les sciences de la santé, l’exploration de
l’espace et des océans, l’aviation du futur (on notera l’opportune
présentation la semaine dernière du C919 du chinois COMAC, destiné à
concurrencer Airbus et Boeing).
Beaucoup d’observateurs se montrent sceptiques vis-à-vis de ces
prétentions. Ils relèvent une absence à l’échelon international dans des
secteurs clefs comme l’automobile, les médicaments et la biotech. La
Chine n’est pas identifiée comme le pays de l’innovation, mais comme celui
de l’imitation (la Chine « éponge technologique ») et d’un avantage
comparatif obtenu grâce à des économies d’échelle inégalables et une
maitrise exceptionnelle de « l’expérience client ». Comme le relève
McKinsey, une niche sur le marché chinois est en effet équivalente à un
marché majeur dans n’importe quelle autre pays du monde. Pour les
sceptiques, ceci ne suffit pas à garantir un saut technologique.
Présentation du C919
lundi dernier, dans la
foulée de la
conclusion des
travaux du plenum.
Un symbole de
l’indépendance
technologique de la
Chine
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Innover ou stagner (2)
Un effort
considérable
pour
l’innovation
Des leaders
technologiques
mondiaux
Des acquisitions
croissantes et
ciblées
Nous estimons cependant que le plan chinois mérite d’être pris au sérieux,
pour cinq raisons:
① Les entreprises chinoises sont déjà devenus des concurrents
redoutables dans les secteurs technologiques traditionnels.
②  La Chine est « l’autre pays de l’internet ». Le pays a créé des
leaders mondiaux (Alibaba, Tencent) à l’abri de la concurrence américaine.
Il compte 500 millions de smartphones. Huawei, Xiaomi, LeNovo sont des
concurrents sérieux pour Samsung, sinon Apple. Elle est également leader
dans le secteur des énergies renouvelables.
③ Selon pwc (3), les multinationales présentes en Chine considèrent
que l’innovation y progresse plus vite que dans leurs pays d’origine.
Elles classent 8 entreprises technologiques parmi les 10 plus innovantes en
Chine et citent la rétention des talents comme un de leurs problèmes
principaux. Le tournant de la position chinoise sur la propriété intellectuelle
démontre d’ailleurs que le pays recherche aujourd’hui des protections à
cet égard.
④ La Chine investit 2% de son PIB dans le R&D et n’est précédée que
par les Etats-Unis. 7 millions de diplômés sortent de l’université chaque
année, dont 30 000 PhD en science et engineering. Elle mène une
politique active de brevets (830 000 en 2013, premier pays au monde).
⑤ La Chine est un acteur notable du marché des acquisitions
internationales (5ème pour la période 2010-2015). Traditionnel acheteur
de sociétés minières et énergétiques, elle s’oriente désormais vers les
entreprises de haute technologie. Parmi les cibles récentes: Western
Digital, Motorola mobility, Omnivision, Pirelli. Une modalité simplifiée pour
acquérir des technologies indispensables.
L’ensemble de ces considérations procède d’un plan structuré. La Chine
n’a pas d’autre choix que de s’engager dans des initiatives de conquête.
L’alternative est la chute dans un middle-income trap synonyme
d’instabilité politique.
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Quid pour les dirigeants?
CONCLUSION
Ignorez la Chine à
vos périls
La Chine n’a pas d’autre alternative que l’engagement dans une politique déterminée d’avancées
scientifiques et technologiques. L’inaction serait synonyme de ralentissement économique, de réduction des
créations d’emploi et de fin des hausses de salaires. Ce résultat causerait une très grande insatisfaction
sociale et ouvrirait la porte à de nombreuses difficultés politiques.
La légitimité du gouvernement chinois procède de sa capacité à poursuivre le miracle économique. Il dispose
de nombreux atouts. La taille de la population en premier lieu. Des réserves de productivité dans les
campagnes et dans les SOE. Une abondance de capital pour procéder à des acquisitions. Des élites
intellectuelles nombreuses et ambitieuses. Notre perception est que l’absence d’une démocratie à
l’occidentale n’est pas la question du jour.
Il importe donc de considérer la Chine non seulement comme un marché, considérable et en expansion, mais
aussi comme un réservoir de concurrents développant des modèles nouveaux avec des structures de coût
disruptives. Certaines entreprises chinoises peuvent devenir des modèles à imiter.
QUE SUIVRE?
Un agenda chargé
① Les acquisitions chinoises, destinées à acheter du temps plutôt que des clients.
② Les innovations réalisées en Chine même. Interrogez vos filiales ou les experts basés en Chine.
③ Les nouveaux concurrents et leurs structures de coûts.
④ Les évolutions du consommateur chinois et la progression des marques locales (4).
⑤ Les avancées (ou la stagnation) des réformes politiques: SOE, réforme fiscale, libéralisation du secteur
financier.
NOTES
Aller plus loin
① http://www-wds.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/WDSP/IB/2015/08/26/090224b08309a15d/1_0/Rendered/PDF/
The0middle0income0trap0turns0ten.pdf
② http://www.mckinsey.com/insights/strategy/chinas_innovation_imperative
③ http://www.strategyand.pwc.com/global/home/what-we-think/reports-white-papers/article-display/2014-china-innovation-survey
④ http://www.economist.com/news/business/21677213-life-getting-tougher-foreign-firms-fittest-can-still-flourish-harder-road
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