Séminaire « Cinéma et Sciences » (Paris-Diderot/Arias) Coordination : Jacqueline Nacache ([email protected]) Institut National d’Histoire de l’Art, 2 rue Vivienne, 75002 Paris Séance inaugurale : mercredi 26 janvier 2011, 17h-20h « SCIENCE, SCIENTISME ET CINEMA » Baudouin Jurdant et Jean-François Ternay Intervention de Baudouin JURDANT Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais a suscité, à l’époque de sa sortie sur les écrans en 1980, de nombreuses discussions passionnées sur les thèses scientifiques développées par Henri Laborit et que Resnais transfigure en en faisant l’enjeu des histoires qu’il nous raconte dans son film. Celui-ci, en tout cas, ne laissait personne indifférent. Souvent présenté comme un documentaire scientifique, le film me semble pouvoir prétendre à une autre dimension qui échappe complètement aux fonctions didactiques que l’on attribue généralement au « cinéma du réel ». La question à poser en l’occurrence est plutôt celle-ci, de quel « réel » s’agit-il dans Mon oncle d’Amérique ? Avons-nous vraiment affaire à une présentation du fonctionnement du cerveau humain ? Est-ce une apologie d’Henri Laborit ? Est-ce une analyse des déterminations inconscientes de nos comportements ? La thèse développée dans cette intervention est qu’il s’agit d’une véritable oeuvre d’art qui exhibe de façon particulièrement brillante et percutante l’idéologie scientiste au sein de laquelle nous vivons et pensons. Né en 1942 en Belgique, Baudouin JURDANT est engagé en 1962 comme journaliste professionnel aux Dernières Nouvelles d'Alsace, ce qui lui permet de terminer ses études universitaires dans le domaine des sciences sociales (philosophie, ethnologie, sociologie, psychologie, linguistique). Il quitte ce journal en 1967 pour entamer une thèse de doctorat de 3e cycle qu'il soutiendra en 1973 sous le titre Les problèmes théoriques de la vulgarisation scientifique (publiée en 2009 aux Editions des Archives Contemporaines). En 1968, il devient assistant de psychologie sociale du Professeur Abraham Moles à l'Université de Strasbourg. En 1969, il est engagé par l'Université de York (Grande Bretagne) pour participer à une grande enquête de socio-linguistique au Belize. Il revient à Strasbourg en 1974, en tant qu'enseignant-chercheur, membre du Groupe d'Etude et de Recherche sur la Science de l'Université Louis Pasteur (GERSULP), l’une des premières équipes de recherche STS dont il prend la direction en 1976. Il entame alors une thèse de doctorat d'Etat, Ecriture, monnaie et connaissance, qu'il soutient en 1984. De 1980 à 1991, il est l'un des co-rédacteurs en chef avec Michel Paty de la revue internationale Fundamenta Scientiae publiée par Pergamon. Nommé professeur en 1989, il élabore le projet Jardin des Sciences pour promouvoir la culture scientifique à Strasbourg. Il est l'auteur d'une centaine d'articles scientifiques et le traducteur de plusieurs ouvrages de Paul Feyerabend, Ian Hacking et Harry Collins. Muté à Paris-Diderot en 1997, il y dirige actuellement le master professionnel « Journalisme scientifique », dans le cadre du master « Cinéma, Documentaire, Médias » de l’UFR Lettres, Arts, Cinéma, qu’il co-dirige avec Jacqueline Nacache. Intervention de Jean-François TERNAY En science, le réductionnisme est une des méthodes utilisées pour appréhender les objets et les phénomènes. Ainsi, concernant le corps humain, il est tout à fait passionnant de l’analyser en terme d’hormones, de réseaux neuronaux, de gènes, de protéines, de cellules… Il s’agit d’extraire de la complexité des mécanismes, des relations, des objets signifiants. Il est intéressant de rapprocher cette réduction, de celle bien connue qu’opère le cinéma sur ce même réel. La conjonction des deux réductions : celle opérée par la science et celle opérée par l’image cinématographique, nous offre ainsi de merveilleux voyages dans l’invisible du corps humain. Vu du côté des scientifiques, le réductionnisme n’est qu’une méthode, et ceux-ci affichent haut et fort qu’a priori, ils ne confondent pas la réalité complexe de l’humain et les relations biochimiques qu’ils ont pu mettre en évidence par exemple. Mais qu’en est-il quand l’image, et la théorie afférente, sort du laboratoire pour se trouver projetée sur les écrans cinématographiques ? Dans le domaine du cinéma documentaire et du reportage journalistique « scientifiques », la révélation des invisibles, notamment celle de notre cerveau, le siège de notre conscience, et celle du développement embryonnaire, siège de notre reproduction et donc de l’avenir de l’espèce humaine, donne lieu à des représentations aux prises avec les logiques de production, de réalisation et de diffusion lourdes d’investissements idéologiques. C’est ce que je vous propose d’analyser à travers quelques exemples éclairants. Docteur en histoire et philosophie des sciences, Jean-François TERNAY est maître de conférences à l’Université Paris-Sud 11, et réalisateur de nombreux documentaires scientifiques et institutionnels. Ses recherches portent principalement sur trois axes : • Les problèmes éthiques soulevés par l’impact des médias sur la relation du corps médical aux familles en matière d’aide à la procréation. • Les représentations de l’embryon humain, de la fécondation à la naissance. • L’utilisation de l’image et de l’audiovisuel dans les médias (science et médecine). Parmi ses principales publications : « L’image et la recherche : voir-mesurer-simuler » et « Quand l’imagerie scientifique entre en communication », Cinémaction, «Du film scientifique et technique »., Corlet, 2010 ; « Pour une responsabilité éthique de la communication », in E. Hirsch (dir.), Pandémie grippale : l’ordre de mobilisation, Paris, Le Cerf, 2009 ; « Bébé gadget » Ravages, Editons Descartes et cie, Paris, 2009 ; « Reproduction version 2.0, La marchandisation des corps », in R. Frydman, E. Papiernik, C. Crémière. J.L. Fischer (dirs), Avant la naissance, 5000 ans d'images, Ed. De Conti, 2009 ; « Images médicales du fœtus humain, appropriation et détournement », in Actes du Colloque International de Fribourg « L’embryon face au temps de la vie, face au temps de l’histoire ».V. DASEN (dir.) Ed. In Folio, 2007.