Astérix et le leadership

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Astérix et le leadership
Dévouvrir et enrichir son style de leadership par la bande dessinée.
Article publié dans Bizz, février 2003
La relève vient d’arriver au camp retranché de Babaorum : le nouveau centurion, bien
décidé à en découdre une bonne fois pour toutes avec les Gaulois, harangue ses troupes:
il s’agit de restaurer l’autorité bafouée de Rome… et de raser le village gaulois ! Les
instructions sont claires et précises : à l’attaque, en rangs serrés, et pas de cadeau ! Le
début d’une aventure où vont se croiser non seulement l’ambitieux centurion, mais aussi
Jules César lui-même, Abraracourcix le chef des irréductibles Gaulois, et un certain
Saugrenus, l’ingénieux conseiller de Jules César. Quatre personnages, qui dans cette
aventure vont incarner quatre styles de leadership bien caractérisés : allez-vous
reconnaître le vôtre (ou celui de votre patron) ?
Le style de leadership « centurion »
La manière d’agir du nouveau centurion présente deux caractéristiques : d’une part il est
très clair sur les objectifs (raser le village gaulois pour restaurer le prestige de l’empire),
et d’autre part il est directif sur la manière d’y arriver (l’ordre de bataille). Il sait ce qu’il
veut, et il des idées précises sur la stratégie à développer pour y arriver. Sa
communication
avec
ses
collaborateurs
(en
l’occurrence,
les
légionnaires)
est
unidirectionnelle : le chef parle, et les collaborateurs écoutent - ou font semblant
d’écouter en n’en pensant pas moins - et exécutent ensuite. Lorsque le leader style
centurion « communique », c’est pour définir l’objectif, haranguer ses collaborateurs à
l’atteindre, et prescrire la marche à suivre. Homme (ou femme) de décision, mais pas de
dialogue, le centurion ne se pose pas beaucoup de questions, et il en pose encore moins
à ses collaborateurs. Déterminé et autoritaire, habitué à être obéi, c’est une personne de
pouvoir qui souvent inspire sinon le respect, du moins une crainte révérentieuse.
Manque de chance pour le nouveau centurion romain, son idée d’attaquer le village
d’Astérix tombe au mauvais moment : c’est aujourd’hui l’anniversaire d’Obélix ! Des
Romains tout frais ? Quelle aubaine ! Astérix et ses amis décident de les « offrir » en
cadeau à Obélix : pendant que celui-ci distribue généreusement les baffes et met les
légions en pièces, ses amis Gaulois lui chantent en chœur « Joyeux Anniversaire». Il est
évident que si le centurion avait été plus à l’écoute des légionnaires expérimentés, sa
stratégie aurait été différente…
Est-ce à dire que le style de leadership centurion est toujours condamné à l’échec ?
Certainement pas. Au contraire, il constitue, dans certains contextes, une ressource dont
les leaders auraient tort de se priver. Par exemple :
•
Il y a urgence : au moment où le Titanic commence à couler, on n’attend pas du
commandant qu’il consulte son équipage : il s’agit au contraire pour lui d’être
extrêmement directif et précis pour répondre avec efficacité au danger imminent.
•
Attention danger ! : des procédures très strictes et un style très directif sont
opportuns, voire indispensables, pour éviter la catastrophe dans certaines
opérations à haut risque, qu’il s’agisse d’une greffe de cœur, d’une opération
commando, ou du fonctionnement d’une centrale nucléaire.
•
Le syndrome du bleu : un nouveau collaborateur, inexpérimenté dans l’entreprise
ou dans la fonction, est généralement en déficit d’informations sur le quoi et le
comment. L’écouter ne servirait pas à grand chose : il a besoin de directives
claires et précises.
Le style de leadership « Jules César »
En apprenant la nouvelle de la débâcle, Jules César est rouge de colère. Il convoque ses
conseillers et annonce clairement l’objectif : il s’agit de faire cesser cette situation qui
ridiculise l’empire ! Mais quant à la stratégie pour arriver à cet objectif, Jules César, à
l’inverse du centurion, ne donne aucune instruction : au contraire, il interroge («
J’attends vos conseils ! »), puis il se tait et écoute. Après bien des banalités, l’un des
conseillers, Saugrenus, propose un raisonnement inédit : pour que les Gaulois arrêtent
de se battre, il faut les occuper à autre chose. Intéressé, César continue à interroger et à
écouter. Le conseiller explique : en achetant les menhirs produits par les Gaulois, ceux-ci
penseront à produire et à s’enrichir, et oublieront de se battre. L’idée plaît à César qui
donne les pleins pouvoirs à son conseiller pour mettre son plan en œuvre.
Le point commun entre le style centurion et le style Jules César, c’est la clarté des
objectifs : dans les deux cas, le leader précise clairement le but. Ce qui les distingue,
c’est que le centurion énonce lui-même la stratégie (telling), tandis que Jules César,
interroge ses collaborateurs : que proposez-vous ? (asking). Il parle peu, et l’essentiel de
ses paroles est consacré à des questions. Pour le reste, il écoute. Jules César, c’est la
démonstration que l’on peut combiner un leadership fort avec une attitude de
questionnement et d’écoute.
Le style Jules César est efficace pour trois raisons :
•
L’effet de levier créatif : la tentation est grande pour le leader de se croire plus
malin ou plus savant que ses subordonnés. Pourtant, en mobilisant les ressources
créatives de ses collaborateurs, le leader obtient des solutions qu’il n’aurait jamais
imaginer lui-même : il ne serait jamais venu à l’idée au général de guerre Jules
César de créer un marché du menhir gaulois pour venir à bout des irréductibles
Gaulois ! Mobiliser les ressources créatives de ses collaborateurs, c’est facile : il
suffit de poser la (bonne) question : « Que proposez-vous ? »
•
Gestion du temps : en déléguant à ses collaborateurs le soin d’élaborer une
stratégie pour atteindre l’objectif, le leader style Jules César libère du temps et de
l’énergie mentale pour se consacrer à d’autres tâches : il n’y pas que le village
Gaulois à gérer dans l’empire romain…
•
La loi du bébé : même les parents qui aiment les enfants en général ont toujours
une préférence pour leurs propres enfants. Il en est de même pour les idées et les
projets : un collaborateur sera plus motivé à s’occuper de son idée, de son projet,
bref de son « bébé », plutôt qu’à jouer au baby-sitter pour les idées du patron. En
demandant au collaborateur ce qu’il propose pour atteindre l’objectif, le leader lui
donne l’occasion de s’approprier le projet, et donc de s’auto-motiver. La
motivation étant l’un des piliers de la réussite, la question du « que proposez-vous
? » est sans conteste une clé du succès pour le leader.
Et en effet, dans notre histoire, Saugrenus multiplie les démarches et son entreprise
remporte un vif succès : les Gaulois, Obélix en tête, ne pensent plus qu’à s’enrichir et à
vendre des menhirs aux Romains. Finir la chair à pâté : les Romains sont devenus des
clients précieux et respectables…
Le style Abraracourcix
Abraracourcix, le chef du village gaulois, est perplexe : ses valeureux villageois seraientils devenus fous ? « Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? » s’inquiète-t-il. Et lui-même,
ne devrait-il pas lui aussi se mettre à produire des menhirs ? Pour faire part de ses
doutes, il convoque Astérix et le druide Panoramix.
Comme Jules César, Abraracourcix est un leader qui interroge ses collaborateurs
(asking). Mais il ne les interroge pas sur la stratégie pour réaliser un objectif clairement
défini, il les interroge sur ce que devrait être l’objectif lui-même. Abraracourcix doit faire
face à un contexte inédit, par rapport auquel il est incapable de définir un objectif, et il
décide de s’en remettre à ses collaborateurs. Ce style appelle les commentaires suivants:
•
Consultation bottom up ou désarroi top down ? Si la crainte des Gaulois est que le
ciel leur tombe sur la tête, le cauchemar de beaucoup de collaborateurs est
d’avoir plutôt des objectifs qui leur tombent sur la tête : des objectifs définis en
haut lieu, et imposés sans consultation ni implication. Consulter les collaborateurs
lors de l’élaboration des objectifs peut donc, dans une certaine mesure et dans
certaines circonstances, constituer une démarche intelligente, car elle permet de
recueillir des idées, et de motiver (loi du bébé). Mais une telle implication ne
constitue pas la solution à un désarroi de la direction : Abraracourcix consulte
Astérix et Panomarix, non pas pour les impliquer et les motiver, mais parce qu’il
n’a lui-même aucune idée de ce qui est en train de se passer ni de la réponse qu’il
convient d’apporter. Ce faisant, il risque de répandre son désarroi dans son équipe
ou dans son organisation. Si le capitaine demande en permanence à l’équipage
quelle pourrait bien être la destination, on peut se demander si le capitaine est
vraiment the right man on the right place.
•
S.O.S. Dirigeant : même le chef le plus brave et visionnaire peut être désorienté
et perplexe. Mais à qui en parler, auprès de qui trouver de l’aide ? Auprès de ses
collaborateurs ? Pas nécessairement une bonne idée. Ne vaudrait-il pas mieux
faire appel à un coach, à son propre supérieur hiérarchique, au conseil
d’administration, à des experts extérieurs ? Conseillons donc au dirigeant
d’identifier des personnes ou des espaces « ressources », auprès desquels il
pourra en toute liberté et en toute sécurité faire part de ses doutes et
interrogations et explorer des pistes pour faire face à ces défis.
La chance d’Abraracourcix est d’être secondé par des collaborateurs à la fois talentueux
et loyaux : Astérix et Panoramix, qui ont eux, une vision stratégique claire de la
situation, et de bonnes idées pour retourner l’arme contre l’agresseur.
Le style Saugrenus
Peu à peu, le vent tourne : les Romains achètent de plus en plus de menhirs, de plus en
plus chers. Les caisses de César sont presque vides, et bientôt la bulle spéculative du
menhir explose : le cours du menhir s’écroule. César est hors de lui. Pour Saugrenus, le
conseiller qui avait monté toute l’opération, c’est la panique : il ne sait plus quoi faire,
mais il le fait quand même, c’est-à-dire qu’il fait n’importe quoi. Le style de leadership
Saugrenus (mais peut-on parler de leadership dans ce cas ?), c’est la fuite en avant :
comme Abraracourcix, Saugrenus n’est pas clair sur les objectifs, il n’en a tout
simplement pas, mais néanmoins il est directif en prescrivant tout une série de mesures
(telling). Il dissimule son désarroi en dictant des marches à suivre et en mettant en
oeuvre des stratégies, mais celles-ci sont aberrantes car elles ne sont plus reliées à
aucun objectif. Que dire de ce style ?
•
Perte de crédibilité assurée : les leaders de style « Saugrenus » auraient tort de
se faire des illusions : personne n’est dupe. A plus ou moins brève échéance, les
collaborateurs s’aperçoivent que le roi est nu.
•
« Je ne suis pas un héros » : au moins, le leader style Abraracourcix a le courage
et l’honnêteté d’avouer sa perplexité, de reconnaître qu’il est dépassé par les
événements, et d’appeler discrètement à l’aide. Ce courage et cette simplicité lui
permettront finalement de gagner la bataille. L’humilité serait-elle une vertu
cardinale du leader ? Le leader style Saugrenus lui s’enferme dans un
autoritarisme sourd et aveugle qui mène à la ruine. Et en effet, Saugrenus finit
par recevoir une raclée des Gaulois, et l’histoire ne précise pas s’il échappera aux
fauves du cirque…
En guise de banquet : la métaphore du vêtement
Les styles de leadership sont en réalité des comportements : et les comportements, c’est
comme les vêtements : on peut – et c’est même conseillé – en changer selon les
circonstances. Il ne s’agit donc pas de s’identifier à un style, de cataloguer les individus
en les enfermant dans une case. Il s’agit au contraire de développer la conscience de son
propre fonctionnement et des autres fonctionnements possibles, pour se donner plus de
choix et aller vers plus de succès.
Antoine Henry de Frahan
Février 2003
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