Ann. Inst. Fourier, Grenoble
Version de travail – 25 septembre 2014
SUR LA COMPLÉTUDE DE CERTAINES VARIÉTÉS
PSEUDO-RIEMANNIENNES LOCALEMENT
SYMÉTRIQUES
par Nicolas Tholozan
Résumé. Nous prouvons que certains espaces pseudo-riemanniens
symétriques n’admettent pas d’ouvert strict divisible par l’action
d’un groupe discret d’isométries. Autrement dit, si une variété pseudo-
riemannienne compacte est localement isométrique à un tel espace,
et si son application développante est injective, alors la variété est
géodésiquement complète, et donc isométrique à un quotient de l’es-
pace modèle tout entier. Ces résultats étendent, sous une hypothèse
supplémentaire (l’injectivité de l’application développante), les théo-
rèmes de Carrière et Klingler selon lesquels les variétés lorentziennes
compactes de courbure constante sont géodésiquement complètes.
Completeness of certain pseudo-Riemannian (locally) symmetric
spaces
Abstract. We prove that certain pseudo-Riemannian symmetric
spaces do not admit a proper domain which is divisible by the action
of a discrete group of isometries. In other words, if a closed pseudo-
Riemannian manifold is locally isometric to such a model, and if its
developing map is injective, then the manifold is actually geodesi-
cally complete, and therefore isometric to a quotient of the whole
model space. Those results extend, under an additional assumption
(the injectivity of the developing map), the theorems of Carrière and
Klingler stating that closed Lorentz manifolds of constant curvature
are geodesically complete.
Introduction
Soit Xune variété lisse munie d’une action fidèle et transitive d’un
groupe de Lie Gde dimension finie. Une variété Mest dite localement
modelée sur Xlorsqu’elle est munie d’un atlas de cartes à valeurs dans X
2NICOLAS THOLOZAN
dont les changements de cartes sont des restrictions de transformations de
G. On dit aussi que Mest munie d’une (G, X)-structure, ou encore que M
est une (G, X)-variété, selon la terminologie de Thurston (voir section 1).
Certaines (G, X)-variétés apparaissent naturellement lorsque Mpossède
une structure géométrique rigide localement homogène. Par exemple, une
variété munie d’une métrique riemannienne plate est localement modelée
sur l’espace euclidien. Il existe de même une notion de métrique lorentzienne
de courbure nulle (voir par exemple [31], p. 63), et les variétés munies de
telles métriques sont localement modelées sur l’espace de Minkovski Rd1,1,
c’est-à-dire Rdmuni d’une métrique de signature (d1,1) invariante par
translations.
Certaines (G, X)-structures s’obtiennent en quotientant un ouvert Udu
modèle Xpar un sous-groupe discret de Gagissant librement et propre-
ment discontinûment sur U. De telles structures sont dites kleiniennes (voir
section 1.3). Dans le cas particulier où le domaine Uest le modèle Xtout
entier, la (G, X)-structure est dite complète. Lorsque Gpréserve une mé-
trique riemannienne sur X, il découle du théorème de Hopf-Rinow que
toutes les (G, X)-variétés compactes sont complètes (section 1.2). Mais ce
résultat n’est plus vrai pour d’autres espaces homogènes non riemanniens.
Ainsi, en conséquence du théorème d’uniformisation de Poincaré–Koebe,
toute surface de Riemann peut être munie d’une structure projective com-
plexe (i.e. une (PSL(2,C),CP1)-structure) kleinienne compatible avec sa
structure complexe. Toutefois, seule la sphère de Riemann possède une
structure complète.
La question de savoir sous quelles hypothèses les (G, X)-variétés com-
pactes sont complètes est une question ouverte. En particulier, dès que
Gpréserve une forme volume sur X, on ne connaît aucun exemple de
(G, X)-variété compacte non complète. La conjecture la plus célèbre dans
ce domaine est la conjecture de Markus, selon laquelle toute variété af-
fine compacte possédant une forme volume parallèle est complète (voir
section 2).
La conjecture de Markus a été prouvée par Carrière dans le cas particulier
où la variété affine possède une forme quadratique de signature (d1,1)
parallèle ; autrement dit, pour les variétés lorentziennes plates [4]. Nous
l’étendons ici aux variétés lorentz-hermitiennes plates, avec toutefois une
hypothèse supplémentaire.
Théorème 1. — Toutes les (U(d1,1) ⋉ Cd,Cd)-variétés kleiniennes
compactes sont complètes.
ANNALES DE L’INSTITUT FOURIER
COMPLÉTUDE DES VARIÉTÉS LOCALEMENT SYMÉTRIQUES 3
(Le groupe U(d1,1) Cddésigne le groupe des transformations affines
complexes de Cddont la partie linéaire préserve une forme sesquilinéaire
de signature réelle (2d2,2).)
Le théorème de Carrière a été généralisé dans une autre direction par
Klingler dans [21]. Ce dernier prouve que les variétés lorentziennes com-
pactes de courbure constante sont complètes. Pour ces variétés, la complé-
tude de la (G, X)-structure est équivalente à la complétude du flot géodé-
sique de la métrique (voir section 1.2). On peut plus généralement conjec-
turer que toutes les variétés pseudo-riemanniennes compactes de courbure
constante, et même que toutes les variétés pseudo-riemanniennes compactes
localement symétriques (au sens de Cartan, voir section 1.2 ou [31], p.57)
sont géodésiquement complètes.
Dans [5], Dumitrescu et Zeghib s’intéressent aux variétés complexes com-
pactes de dimension 3 munies de métriques riemanniennes holomorphes
(i.e. de sections holomorphes partout non dégénérées du fibré des formes
quadratiques complexes sur le fibré tangent). Ils prouvent notamment que
de telles variétés possèdent toujours une métrique riemannienne holomorphe
de courbure constante, ramenant la classification de ces variétés à l’étude
de deux types de structures localement homogènes. Les premières (celles
de courbure nulle) sont localement modelées sur C3, muni de l’action affine
complexe du groupe SO(3,C)⋉ C3. Quant aux secondes (celles de cour-
bure constante non nulle), elles sont localement modelées sur PSL(2,C)
muni de l’action de PSL(2,C)×PSL(2,C) par translations à gauche et à
droite. Il n’existe malheureusement pas d’analogue holomorphe des théo-
rèmes de Carrière et Klingler, ce qui constitue le principal obstacle à une
classification topologique des 3-variétés complexes compactes possédant des
métriques riemanniennes holomorphes. Nous prouvons toutefois ici deux ré-
sultats qui étendent partiellement les théorèmes de Carrière et Klingler au
contexte holomorphe.
Théorème 2. Toutes les (SO(3,C)⋉C3,C3)-variétés kleiniennes com-
pactes sont complètes.
Théorème 3. — Soit Lun groupe de Lie semi-simple de rang réel 1,
muni de l’action de L×Ldonnée par
(g, h)·x=gxh1.
Alors toutes les (L×L, L)-variétés kleiniennes compactes sont complètes.
ARTICLE SOUMIS : COMPLETUDE_GXSTRUCTURESAIF_3.TEX
4NICOLAS THOLOZAN
Le théorème 3 s’applique en particulier à PSL(2,C). Dans sa version plus
générale, il fait pendant à des résultats récents de Kassel [19], Guéritaud–
Kassel [17], et Guéritaud–Guichard–Kassel–Wienhard [16] qui décrivent les
quotients compacts de Lpar un sous-groupe discret de L×L(voir section
3.2). En particulier, les auteurs prouvent dans [16] que, dans l’espace des
(L×L, L)-structures sur une variété M, le domaine des structures complètes
forme un ouvert.(1) Or, notre théorème a pour conséquence que ce domaine
est aussi fermé (corollaire 3.1). On en déduit le corollaire suivant :
Corollaire 4. — Soit Lun groupe de Lie semi-simple de rang réel 1,
et Mune variété compacte de même dimension que L. Alors, dans l’espace
des (L×L, L)-structures sur M, le domaine des structures complètes forme
une union de composantes connexes.
Autrement dit, il est impossible de déformer continûment une structure
complète en une structure incomplète. C’est cette question qui a initia-
lement motivé nos travaux. Nous ne savons toutefois pas s’il existe des
variétés compactes possédant des composantes connexes de structures in-
complètes. Il pourrait par exemple exister des variétés compactes possédant
des (L×L, L)-structures, mais ne possédant aucune structure complète.
La preuve des théorèmes 1 et 2 s’inspire des idées du théorème de Car-
rière. En supposant qu’il existe un ouvert strict Ude Cdmuni d’une ac-
tion proprement discontinue d’un sous-groupe Γ de U(d1,1) ⋉ Cd(ou
SO(3,C)C3), on remarque que le bord de Udoit contenir des “ellipsoïdes
dégénérés” sous l’action de Γ. La principale différence avec le théorème de
Carrière est que cette action est de discompacité 2 : les ellipsoïdes dégé-
nèrent non pas sur des hyperplans réels mais sur des hyperplans complexes,
de codimension réelle 2. La preuve du théorème 3 repose sur un raisonne-
ment analogue, mais sa transposition à la dynamique de l’action de L×L
sur Lnécessite quelques résultats classiques sur la structure des groupes
de Lie de rang 1.
Nos théorèmes ne s’affranchissent pas de l’hypothèse que la (G, X)-
structure considérée est a priori kleinienne, et la question plus générale
de la complétude des (G, X)-structures compactes reste ouverte. La mé-
thode utilisée pourrait en revanche s’adapter à d’autres géométries, comme
la géométrie pseudo-riemannienne plate de signature (d2,2), toujours
sous l’hypothèse que la structure est kleinienne.
1. La topologie de l’espace des (G, X)-structures sur une variété est présentée som-
mairement à la section 1.1. On consultera par exemple [13] pour plus de détails.
ANNALES DE L’INSTITUT FOURIER
COMPLÉTUDE DES VARIÉTÉS LOCALEMENT SYMÉTRIQUES 5
L’article s’organise comme suit. La section 1 contient uniquement des
rappels de la théorie générale des (G, X)-structures. On y précise la no-
tion de complétude et son rapport, dans le cadre pseudo-riemannien, avec
la complétude géodésique. Dans la section 2, nous nous focalisons sur la
géométrie affine. Nous rappelons la conjecture de Markus et les différents
résultats qui la concernent, et nous prouvons les théorèmes 1 et 2. La sec-
tion 3 s’intéresse aux groupes de Lie semi-simples de rang réel 1. Nous
recensons les divers résultats qui décrivent les quotients compacts de L
par des sous-groupes de L×L. Nous rappelons ensuite quelques propriétés
classiques des groupes de Lie de rang 1, qui nous permettent d’adapter la
preuve du théorème 1 et de prouver le théorème 3 et le corollaire 4.
Remerciements
L’auteur tient à remercier son directeur de thèse, Sorin Dumitrescu, ainsi
que Fanny Kassel, Yves Benoist et Charles Frances pour les discussions
fructueuses sans lesquelles ce travail n’aurait pas vu le jour.
1. Les (G, X)-structures et leur espace de déformation
Dans cette section, nous rappelons quelques principes généraux de la
théorie des (G, X)-structures, développée par Thurston dans [30], mais dont
l’idée remonte à Ehresmann. Considérons Gun groupe de Lie réel (de di-
mension finie), et Hun sous-groupe fermé de G. Le quotient X=G/H est
un espace G-homogène (i.e. une variété lisse munie d’une action transitive
de G). Soit Mune variété topologique de même dimension que X.
Définition 1.1. — Une (G, X)-structure sur Mest la donnée d’un at-
las (Ui, ϕi)iI(Ui)iIest un recouvrement ouvert de Met ϕiun difféo-
morphisme de Uidans un ouvert de X, tels que pour tous i, j, sur chaque
composante connexe de UiUj, il existe gGtel que
ϕj=g·ϕi.
On dira aussi que Mest localement modelée sur X, ou encore que Mest
une (G, X)-variété.
Une (G, X)-structure sur Minduit naturellement une structure de va-
riété lisse. Plus généralement, si Mest localement modelée sur X, toute
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