CORRIGÉ
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AUTRUI • SUJET 5
droits se situe donc à un autre niveau : celui de la sensibilité. Rousseau le
dit déjà dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité
parmi les hommes. Nous avons en commun avec les bêtes la capacité de
souffrir. Il faut donc se retenir de les faire souffrir inutilement. Remarquons
toutefois que la relation est déséquilibrée. Les animaux ne peuvent revendi-
quer des droits dont ils n’ont pas l’idée. Ils n’ont pas non plus de devoirs
envers nous. C’est donc nous qui nous limitons en vertu d’un sens moral
que Rousseau nomme la pitié.
Dans son ouvrage Le Principe Responsabilité, Hans Jonas défend la thèse
selon laquelle « pouvoir oblige » afin d’inciter les hommes d’aujourd’hui à
ne rien faire qui puisse compromettre l’existence décente des générations
futures. La nature doit être préservée de façon à ce que nos successeurs
lointains puissent y vivre humainement. Ce thème renverse le sens tradi-
tionnel de la responsabilité. Celui-ci concerne habituellement l’action faite.
Or ici, il nous faut songer aux conséquences possibles de nos actes sur des
personnes que nous ne connaîtrons jamais. Nous devons penser à nos
successeurs sans rien attendre d’eux en retour. Ainsi, il apparaît que ce
devoir de préservation par la limitation de notre puissance technologique a
pour raison d’être l’attention à l’égard d’autrui. La nature n’est pas un sujet
de droit, elle est concernée dans la mesure où elle constitue notre biotope.
B. Autrui et soi : le lien à l’universel
L’analyse de Jonas montre bien que l’idée d’humanité est le fondement du
devoir. Nous voyons par là que l’idée de devoir implique une présence de
l’universel. La religion chrétienne l’indique par le thème du prochain. Kant le
souligne en se fondant sur une loi de la raison affirmant que l’attitude
morale consiste à se demander si la maxime, ou règle particulière de sa
propre action, peut devenir le principe d’une loi pour tous. Il faut élever sa
pensée au-delà de son intérêt particulier et s’efforcer de se mettre à la
place de tout autre. Nous voyons ainsi que les devoirs envers autrui impli-
quent des obligations envers soi. C’est en ce sens que Hegel déclare que
le premier devoir envers soi est de se former, de travailler à perfectionner sa
raison, de façon à pouvoir saisir ce qui importe véritablement. L’homme
borné ou grossier ne voit que son intérêt quand l’individu cultivé est capable
de considérer ce qui se présente sous plusieurs points de vue et, dans cette
variation, de dégager l’essentiel. Le lien nécessaire entre soi et autrui est
manifeste dans le second impératif de la morale kantienne : « Agis de telle
sorte que tu traites l’humanité dans ta personne comme dans la personne
d’autrui, toujours en même temps comme fin, jamais simplement comme
moyen. » Ce commandement interdit de reléguer autrui au rang d’un simple
instrument de nos désirs. Il exige que nous le respections même quand
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