D.U. Nutrition du Sportif AF Creff
Troubles du comportement alimentaire
du sportif
Anorexie – Boulimie – Binge eating – Restriction :
Rappels taxinomiques
Dr Didier Chapelot
Laboratoire des Réponses Cellulaires et Fonctionnelles à l'Hypoxie, EA 2363
Equipe Physiologie du Comportement Alimentaire et Psychologie Cognitive
UFR Santé Médecine et Biologie Humaine
Université Paris 13
Pour tout contact : co[email protected]
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I. L'anorexie
I.1. Repères historiques
En 1689, un cas de phtisie nerveuse est décrite par Morton en ces termes “état de maigreur extrême que le
malade s’impose en réduisant son alimentation”
En 1883, Huchard lui donne le nom “d’anorexie mentale”
En 1885, Charcot préconise la cure d’isolement, considérée comme efficace, entérinant l’étiologie
psychiatrique de cette affection
En 1914, Simmond décrit 4 cas de cachexie hypophysaire qui font germer l’espoir chez les somaticiens d’une
cause endocrinienne à l’anorexie mentale, donc pharmacologiquement curable. On aboutit au concept de
cachexie psycho-endocrienne de l’adolescence ou d’endocrino-névrose juvénile
Dans les années 70, l’anorexie mentale revient à une définition essentiellement psychique et nutritionnelle
(Feighner corrigé par le DSM - Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders - 1972)
I.2. Eléments permettant de poser le diagnostic
L’assouplissement des critères de Feighner fait entrer dans l’anorexie mentale des individus qui, sans
présenter des troubles alimentaires sévères, ont manifestement un comportement alimentaire sponta
perturbé.
On verra l’ambiguïté de cette évolution avec le comportement alimentaire restreint qui, lui, touche dans
certaines catégories sociologiques, plus de la moitié des individus.
En pratique, les experts recommandent que le diagnostic soit porté lorsque les 6 caractères suivants sont
manifestes.
A noter qu’une altération métabolique concomitante peut exister et qu’il n’est question dans la définition que
d’absence, entre elle et l’anorexie mentale, de relation de causalité, ou tout au moins d’uni-causalité.
La discussion porte actuellement sur l’utilité ou non de séparer les groupes en fonction des phénomènes de
vomissements provoqués.
En réalité les Américains intègrent à l’anorexie mentale le comportement boulimique.
La principale différence réside tout de même dans la cachexie, absente le plus fréquemment chez le
boulimique, présente chez l’anorexique mentale. Tant et si bien qu’en France, ces deux syndromes sont
distincts.
I.3. Aspects épidémiologiques
L’incidence est de 2 à 8 cas pour 100 000 habitants par an. La prévalence est de 1 à 4 pour 1000 chez les
adolescents. Dans 90% des cas il s’agit d’une femme. L’âge de début varie de 15 à 17 ans jusqu’à 20 à 24
ans. La sous évaluation de cette prévalence est probable, car niée par les patients, souvent la famille et parfois
les médecins.
I.4. Hypothèses étiologique
Les dysfonctionnements de l’hypothalamus comme origine commune de l’anorexie mentale, représentent une
hypothèse qui n’est plus retenue. Toutes les perturbations neuroendocriniennes mises en évidence dans
l’anorexie mentale sont vraisemblablement secondaires à la diminution du poids. La plupart d’entre elles
régressent d’ailleurs lorsque le poids retourne à sa valeur initiale.
L’étiologie la plus communément admise est psychiatrique, même s’il existe des combats d’école sur sa
nature exacte. Jusqu’à présent, la notion de famille anorectique semble s’être imposée. D’une manière
caricaturale, il s’agit d’une famille où le père a réussi professionnellement, la mère s’est souvent surinvestie
dans l’éducation de ses enfants, où les frontières entre générations sont floues, et où parents et enfants sont
continuellement impliqués dans les problèmes les uns et des autres.
L’anorexique reprendrait le contrôle de son existence et se soustrairait à l’emprise parentale (fréquemment
maternelle), par son comportement anorexique.
Pourquoi ce comportement-là ? Il faut peut-être y voir un mode de pression antérieurement exercé sur l’enfant
par l’un des deux parents, et auquel l’enfant a attribué une valeur symbolique d’autorité.
A noter les ambiguïtés de ce modèle:
le profil sociologique de la famille que nous venons de décrire est de moins en moins la règle
la classique hyperactivité intellectuelle est de moins en moins rencontrée
dans une étude récente, les antécédents de dépression personnelle et de deuil familial au premier
degré étaient des éléments plus fréquents chez les anorexiques mentales que chez les sujets contrôle
(problème de l’absence de la dépression dans la définition)
la valeur symbolique de la prise alimentaire pourrait très bien être remplacée par celle du poids (de
la silhouette) et la cellule familiale par la société. Dans ce cas, c’est plus par adhésion
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obsessionnelle aux codes de son environnement que par son refus que l’anorexie mentale se
développerait.
I.5. Tableau clinique général
Aspect général : jeune fille extrêmement maigre, au visage émacié, et qui nie sa maigreur.
Première urgence: déterminer si c’est une maigreur ou une dénutrition, c’est à dire une décompensation de
l’organisme dont certaines fonctions sont altérées (musculaires, immunitaires)
Cliniquement: la dénutrition s'accompagne de signes:
cutanés : peau sèche, desquamation
trophiques : phanères (ongles striés, cassants, bifides), pileux (lanugo, alopécies)
hydro-électrolytiques : rétention hydrosodée avec oedèmes des membres inférieurs
muqueux: glossite
viscéraux: hépatomégalie
Critères de dénutrition: la dénutrition s’évalue par l’Indice de Masse Corporelle (IMC ou en anglais Body Mass
Index = BMI) qui est le rapport du poids sur la taille rapportée au carré (taille en mètre, poids en kilo). Cet IMC
est normal entre 20 et 25, il est idéal autour de 21, insuffisant au-dessous de 18. La perte pondérale (> 25%) doit
être désormais remplacé par le BMI (< 13). Plus il est faible plus la dénutrition est sévère, mais il ne fait pas la
différence entre masse cellulaire active et masse grasse. D’autre part plus que la valeur absolue, c’est la rapidité
de la chute pondérale qui est importante (cinétique).
Autres méthodes d’évaluation:
circonférence brachiale, plis cutanés (lors de la renutrition surtout)
mesure de la composition corporelle par impédancemétrie qui permet de différencier masse grasse et masse
cellulaire active.
Aspects diététiques:
mécanismes : la composition du régime alimentaire résiduel va déterminer en partie les conséquences physio-
pathologiques. Lorsque l’apport protéique est très faible, l’organisme extrait de façon prioritaire de la masse
maigre les protéines nécessaires aux synthèses protéiques indispensables, ce qui entraîne une hypo-
albuminémie, ce qui entraîne une modification de l’osmolalité, et aboutit à la formation d’œdèmes. La perte
pondérale va donc être masquée par le gonflement des secteurs extracellulaire (parotides, membres inférieurs,
lombes).
en pratique : dans l’anorexie mentale, les apports protéiques sont fréquemment relativement conservés. Ce
sont les apports lipidiques qui sont le plus souvent réduits, ce qui provoque prioritairement une réduction de
la masse grasse. La masse maigre sera d’autant plus faible que l’activité physique est faible. Etant donné que
l’hyperactivité physique relative conduit les anorexiques à entretenir leur masse maigre (en majeure partie
protéique) et que les protéines bénéficient d’un appétit spécifique, on peut comprendre que ce respect relatif
des apports protéiques soit en partie d’origine physiologique.
Biologiquement
la dénutrition s’évalue sur plusieurs critères sanguins.
l’albumine (1/2 vie : 20 jours, valeurs normales: [38 - 45])
la préalbumine (1/2 vie : 2 jours, valeur normales: [25 - 45])
transferrine (1/2 vie : 8 jours, valeur [1,7 - 3,6])
autres marqueurs possibles (voir tableau) : la transerythrine et la Rétinol Binding Protéine.
aucun de ces facteurs biologiques ne permet un diagnostic précoce de l’anorexie mentale.
Tableau clinico-biologique
Endocrinologie de l‘anorexie mentale
Liée à la carence de synthèse d’un certain nombre d’acteurs enzymatiques: hypopituitarisme antéhypophysaire
hypothyroidie à basse T3 (tri-iodothyronine) alors que la T4 est normale. Ceci est du à la diminution de la 5’
désiodinase qui transforme la T4 en T3 : pas spécifique de l’anorexie mentale
hypercorticisme dû à la diminution de la 5’a-réductase et à l’augmentation du CRH (cortisol releasing
hormone)
hypogonadisme, avec des valeurs de FSH et de LH basses. La disparition de pulsatilité de la LH serait
probablement due au niveau très bas de leptine, lui-même dû à la masse grasse très faible. La sécrétion de
leptine est pulsatile, avec un cycle nycthéméral marqué par une acmé nocturne et un nadir diurne (vers midi).
C’est la pulsatilité des sécrétions qui semble déterminante pour leur efficacité.
Les profils endocriniens sont consécutifs à la diminution d’activation de l’hypothalamus.
Gynécologie de 1 ‘anorexie mentale
aménorrhée : elle est quasi constante. Elle précède parfois l’amaigrissement. En fait précède surtout sa
découverte, du fait d’un transfert de masse corporelle du compartiment adipeux vers le comportement
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musculaire. Ceci est lié à l’hyperactivité physique et à l’apport protéique conservé. La chute de la leptine
entraîne une absence d’ovulation et de menstruation. Elle apparaît pour un IMC de 15 à 17 selon les
individus. La pulsatilité est essentielle puisque la simple réinitiation de celle-ci entraîne des cycles
ovulatoires et la fertilité (mais attention aux suites psychiques et physiques d’une grossesse chez une
anorexique mentale).
réapparition des cycles lors de la reprise du poids.
Troubles hépatiques et digestifs
Cliniquement, les plus fréquents sont le reflux gastro-oesophagien et le ralentissement du transit
Biologiquement:
augmentation des ALAT (alanine-acyl-transferase) et des ASAT (aspartate-acyl-transférase)
augmentation aussi des phosphatases alcalines
augmentation des amylases due à la sécrétion parotidienne
Troubles métaboliques et minéraux
Diminution de la tolérance au glucose = insulino-résistance de jeûne
Augmentation du cholestérol (étiologie?)
Ostéoporose par diminution de la vitamine D, du calcium, et des oestrogènes, ce qui entraîne des tassements
vertébraux (20% à 5 ans)
Troubles hémato-immunitaires
Alors qu’IgG et IgM sont faibles, les infections sévères sont rares
Anémie macrocytaire par carence vitaminique qui masque les conséquences des carences d’apport
Insuffisance rénale
Evaluée par la clairance de la créatinine (formule de Cockroft) fondée sur la créatininémie, protéine fabriquée
par le muscle. Prendre en compte la masse maigre pour interpréter le résultat.
Complications cardiaques
Cardiomyopathies liées à la fonte protéique et aggravée par l’hypokaliémie, elle-même aggravée parfois par
l’utilisation de laxatifs.
I.6. Dépenses énergétiques (DE)
Elle représente un facteur diagnostic de gravité. En effet la DE par kilogramme de masse maigre est
d’environ 30 kcal/jour. La diminution de la DE est proportionnelle à la réduction de cette masse maigre. La
dépense énergétique devant s’équilibrer avec les apports pour maintenir le poids constant, on voit qu’au fur et
à mesure de l’amaigrissement, les apports nécessaires pour maintenir le nouveau poids devront diminuer.
D’autant plus que:
o l’objectif de l’anorexique n’est pas de maintenir son poids mais de le réduire
o la thermogenèse post prandiale (8 à 10 % de la prise énergétique) va être d’autant plus réduite que les
apports sont faibles, ce qui ampute encore la DE.
Donc plus la masse cellulaire active est faible plus la DE est basse.
I.7. Prise en charge
La prise en charge comporte 2 volets : psychique et nutritionnel
1.7.1. Psychique
Le volet psychique comporte souvent une période d’hospitalisation afin de soustraire le patient à son
environnement familial, prégnant dans cette affection puisqu’on parle même de famille anorectique. Il
comporte aussi différents type de techniques psychothérapeutiques qui ont pour but de supprimer l’utilisation
par le patient de l’alimentation comme moyen d’affirmer son autonomie ou de conduire un conflit.
La méthode la plus utilisée en France est d'ordre psychanalytique mais aux USA, les thérapies cognitivo-
comportementales sont en vogue depuis de très nombreuses années.
1.7.2. Nutritionnel
Lorsque la situation nutritionnelle est par trop dégradée et qu’une réalimentation volontaire n’est pas
obtenue, il devient nécessaire de procéder à une réalimentation plus coercitive pour éviter une issue fatale à
court-terme. Un contrat est alors proposé comme compromis entre les 2 parties : médecin qui ne veut pas que
le patient décède et patient qui veut que l’on respecte sa liberté d’action.
Biologiquement la renutrition corrige les désordres hydro-électrolytiques en quelques jours, les marqueurs
protéiques de dénutrition sont corrigés en 2 à 4 semaines. La masse maigre représente 50% de la reprise
pondérale.
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1.8. Evolution et pronostic
Les chiffres de “guérison”, c’est à dire de maintien du poids fixé comme objectif, sont variables d’une équipe
à l’autre (se méfier de la plus ou moins grande latitude que les auteurs donnent au terme guérison). Celle-ci
est estimée de 30 à 80 % selon les études, 10 à 20 % restent maigres et avec une anorexie mentale
compensée, 10 à20 % restent anorexiques, 5 à 10 % décèdent prématurément. Autres évolutions plus rares (5
à 10 % selon les séries) : boulimie, anorexie et même obésité.
Il existe des signes de mauvais pronostic: âge d’apparition précoce, durée longue d’évolution, psychoses,
dépression, vomissements provoqués.
II. Le Binge Eating Disorder
II.1. Définition
Il n’y a pas d’équivalent en francais. C’est un excès alimentaire de type boulimie, sans vomissements. Il est
inscrit désormais dans le DSM IV. Il résulterait d’une levée d’inhibition sur terrain restreint.
Selon le DSM IV (1994), deux symptômes principaux:
o Spt 1 : Manger, en une courte période de temps (à peu près 2 h), une quantité d'aliments qui excède ce
qu'un individu mangerait au cours d'une période similaire dans des circonstances similaires
o Spt 2 : Sentiment de perte de contrôle au cours de l'épisode (eg. Le sentiment qu'on ne peut s'arrêter de
manger ou en tout cas contrôler ce qu'on mange
Le BED fait partie du diagnostic de la boulimie (voir plus bas) avec une fréquence > 2 fois par semaine
pendant 3 mois.
Les BED boulimiques ou les BED anorexiques contrôlent intensément leur prise énergétique
La peur de devenir gros existe
II.2. Prévalence
Selon les critères du DSM IV, on peut compter de 2 à 5% de la population en sachant que la grande majorité est
composée d'individus non anorexiques ni boulimiques
II.3. Analyse des épisodes de Binge Eating
Taille.
Difficile de les quantifier. Certains surestiment la quantité du fait qu'ils ont l'impression de ne pouvoir se
contrôler ou que les aliments concernés leur paraissent interdits.
Actuellement, on limite la définition aux Binge Eating > 1000 kcal avec un sentiment de prise incontrôlable.
Les boulimiques ont généralement des Binge Eating doublent des BED
Fréquence.
Selon le DSM IV, il faut deux fois par semaine, sur deux jours différents de la semaine, pendant 3 ou 6 mois. En
général, la fréquence est d'une dizaine par semaine dont 5 sont > 1000 kcal. Tous ces chiffres sont extrêmement
variables d'un cas à l'autre.
Contenu.
Le choix n'est pas, dans le BED, commandé par les préférences ou par des soucis diététiques d'où le nom de
chaos diététique parfois donné à ces épisodes. Certains caractères sensoriels semblent exercer un rôle d'amorce
de l'épisode : sucré, doux, onctueux, crémeux. Certaines compositions ont été suspectées => rôle des glucides
pour faire remonter le niveau de sérotonine (neuromédiateur qui agit sur l'humeur et qui d'ailleurs augmente
pendant l'effort). Ce modèle physiologique, proposé par Wurtmann est aujourd'hui fort contesté.
Humeur.
Avant l'épisode : anxiété, frustration, solitude, tension, ennui, dépression sont le plus fréquemment rencontrés.
Pendant l'épisode : niveau d'anxiété et de dépression diminuent mais sentiment "d'incontrôlabilité" désagréable
Après l'épisode : apparition de nouveaux sentiments négatifs tels que culpabilité, abandon, désarroi, et de
nouveau dépression qui peut conduire à se provoquer volontairement un vomissement (on le dit alors auto-
induit).
Situation socio-affective.
Chômages, problèmes financiers souvent rencontrés mais la multitude des situations d'échec socio-affectif
possible rend difficile l'établissement d'un portrait type. Psychopathologie le plus fréquemment secondaire au
BED et non causale mais là aussi, c'est une moyenne.
II.4. Causes
II.4.1. Hypothèse de la contre-régulation. Dans les années 80, deux chercheurs, Herman et Polivy rapportent un
phénomène paradoxal chez les individus restreints. Après un milk-shake d'environ 250 kcal, les sujets restreints
mangent plus de glace qu'en l'absence de milk-shake alors que les sujets non restreints, très logiquement,
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