Le combat pour une mort digne
d’un amoureux de la vie
« Quand il y a un conflit entre la vérité et la vie, je choisis la vie »
, déclare Hubert Reeves
lorsqu’on l’interroge sur son engagement comme membre du comité d’honneur de
l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, qui milite pour le droit à une
assistance médicalisée en fin de vie. Citer la vie pour se donner la mort ? Pour Hubert
Reeves, tout est une question de choix entre
« les principes de notre culture judéo-
chrétienne »
et la réalité de la vie. Il cite Nietzsche :
« Ce qui importe, ce n’est pas
tellement ce qui est vrai, mais ce qui aide à vivre. »
Son combat contre l’acharnement thérapeutique ne date pas d’hier. En 1991,
il préface l’ouvrage « Final Exit », plaidoyer en faveur de l’euthanasie. Le livre
est interdit à la vente en France. En 1999, il signe « l’appel des 132 pour la désobéis-
sance civique », dans lequel Pierre Bourdieu, Françoise Giroud, Albert Jacquard,
Michel Onfray, Michel Polac, Agnès Varda, Hubert Reeves et bien d’autres déclarent :
« Notre mort nous appartient »
.
« Les choses se sont améliorées avec la loi Leonetti
sur les droits des malades et la fin de vie. Mais des situations inhumaines perdurent »
,
estime-t-il, citant le cas Vincent Lambert, tétraplégique de 38 ans en état végétatif
chronique depuis cinq ans, dont le sort a rouvert le débat sur la fin de vie.
aux générations futures non pas comme
une abstraction mais à travers sa
famille, ses enfants, ses petits-enfants,
est motivant. Simplement, il faut que
cette vigilance citoyenne intervienne
non pas en admirant la beauté de
la nature mais au moment où se
prennent les décisions : lorsqu’on vote,
lorsqu’on consomme, lorsqu’on décide
de faire telle activité plutôt que telle
autre. Chacune de ces décisions a des
implications de court et de long terme.
En passant de l’astrophysique à l’écologie,
peut-on dire que vous avez délaissé
l’univers pour la Terre ?
L’univers et la terre sont également
importants. L’astronomie nous dit d’où
l’on vient, comment on en est arrivé,
nous les humains, à exister. L’écologie
nous dit comment rester dans un
monde aujourd’hui menacé par
l’activité humaine.
Cette menace met-elle l’avenir de la planète
en danger ?
La planète continuera de tourner
autour du soleil, la vie reviendra. La vie
est très résistante : voyez les extrêmo-
philes, ces organismes qui vivent
dans des milieux sous 0°C ou au-dessus
de 100°C, hyper-acides ou radioactifs.
Nous, humains dévastateurs, n’arrive-
rons pas à éliminer la vie. Ce qui est
menacé, c’est l’humanité, qui risque
un appauvrissement considérable
de ses conditions de vie par la destruc-
tion des cadeaux que la nature nous
ore gratuitement : l’air, l’eau, les vers
de terre qui oxygènent les sols et les
insectes qui pollinisent les plantes.
L’ère de l’anthropocène (ndlr : période
qui débute avec la Révolution indus-
trielle et durant laquelle l’activité
humaine devient prépondérante dans
le système terrestre) nous a permis
de vivre de grands progrès en matière
de conditions de vie, l’espérance de vie
humaine est passée de 25 ans à 80 ans.
Qu’est-ce qui suivra dans les siècles
à venir ? C’est à nous d’en décider.
On dit que l’homme se distingue
des animaux par son intelligence.
Pourquoi ne la met-il pas à profit pour sortir
de cette impasse ?
L’homme a eectivement une intel-
ligence fantastiquement supérieure
à celle des animaux. Il a inventé
la culture, la musique, les sciences,
exploré les lois de la nature. C’est
cette intelligence qui nous a permis
de survivre alors que l’homme est un
animal bien mal armé pour se défendre
dans la nature. C’est aussi cette intelli-
gence qui nous a conduit à faire des
armes : des èches, des épées, des fusils,
la bombe atomique. Notre intelligence
nous a sauvés ; elle nous menace. La
question n’est donc pas d’être intelli-
gent, mais de s’en servir à bon escient.
La science est-elle l’avenir de l’homme
ou son arme de destruction ?
La science peut donner le meilleur
comme le pire. Ce n’est qu’un instru-
ment et non un domaine de valeurs.
Elle ne dit pas ce qui est bien ou pas ;
elle dit comment faire. S’il s’agit de
construire un avenir enviable pour
l’homme, il vaut mieux faire appel à la
philosophie, la morale ou la spiritualité.
Et développer un humanisme élargi
qui ne considère pas que l’être humain
a tous les droits parce cette attitude
implique sa propre destruction.
* Tribune « Avec moins faire mieux »,
parue dans Libération le 5 décembre 2013.
www.hubertreeves.info
www.humanite-biodiversite.fr
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