Messe de la Cène du Seigneur 2013

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Homélie de Mgr Alain Planet, évêque de Carcassonne et Narbonne
Pour la Messe de la Cène du Seigneur
Carcassonne, le 28 mars 2013
L’exorde du chapitre 13 de saint Jean est d’une ample solennité. Nous
sommes au moment de la Pâque, la fête de la Pâque juive mais surtout la Pâque de
Jésus. C’est l’heure, c’est-à-dire la fine pointe du moment où s’accomplit le projet
de Dieu. Et c’est le moment où Jésus « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde les
aima jusqu’au bout ». Le mot qu’emploie Jean indique que c’est jusqu’à l’extrême,
jusqu’à l’accomplissement.
Or, voici que :« Au cours du repas, alors que le diable avait déjà jeté la trahison dans le
cœur de Judas […], sachant que le Père lui a tout donné dans ses mains qu’il sort de Dieu et qu’il
va à Dieu : il se lève du dîner, et il dépose ses vêtements ». Le geste qui va suivre, le
lavement des pieds, est situé et par avance explicité. Nous sommes au cours d’un
repas. Nous savons tous quel est ce repas : celui au cours duquel Jésus institue
l’Eucharistie. Le geste est posé alors même que le diable (le diviseur) est à l’œuvre
et que Judas a décidé de trahir : quelles que soient les contradictions, et la force de
l’œuvre des Ténèbres, malgré les divisions (et Jésus sait que Judas va le trahir : « Il
savait bien qui allait le livrer »), Jésus pose le geste qui annonce qu’il aimera les siens
jusqu’à l’extrême.
Mais plus encore, il le fait comme un acte de souveraine puissance puisque le
Père lui a tout remis et que Jésus en a pleine conscience. Et cet acte engage Dieu et
nous révèle la nature même de Dieu puisque Jésus « sort de Dieu et qu’il va vers Dieu ».
Une sorte de fenêtre s’ouvre sur l’intimité même de Dieu. Or le geste révélateur
commence par un dépouillement : « il dépose son vêtement, prend une serviette et s’en
ceint ». Un peu plus loin, le lavement des pieds achevé, l’évangéliste écrira : « il
reprend ses vêtements ». Or les deux verbes employés : déposer et reprendre sont déjà
employé dans ce même évangile au chapitre 10 (Jn 10,18) : « Ma vie, personne ne me
l’enlève, mais moi je la donne moi-même. J’ai le pouvoir de la déposer et le pouvoir de la reprendre,
tel est le commandement reçu de mon Père ». Le geste posé est donc une actualisation
anticipé de la Passion.
Et ce geste se place au cours du repas et du repas pascal. Dans les autres
évangiles, c’est l’institution de l’eucharistie qui interrompt le repas. Jean qui écrit
après eux n’a pas besoin de reprendre un récit connu mais il pose le lavement des
pieds comme la représentation de ce que signifie l’institution de l’eucharistie.
Le dialogue avec Pierre ouvre une autre perspective sacramentelle. Les
disciples, selon les prescriptions de la loi se sont purifiés par un bain lustral (cf Jn
11,55), il suffit donc d’enlever la poussière des pieds. Mais ce bain lustral, les
premiers chrétiens l’ont vu comme la figure du baptême et ce lavement des pieds
comme celui de la pénitence qui restaure l’entière pureté du baptême. «Le plus
souvent, même après le baptême on reste couvert de la souillure de ses fautes […]. Mais ceux qui
sont les vrais disciples de Jésus, au point de dîner avec lui, ont seulement besoin que leurs pieds
soient lavés par le Verbe »1.
Le sens total du geste est donné par Celui qui a repris ses vêtements, Celui
que les disciples verront ressuscité. « Comprenez-vous ce que je viens de faire ? Vous
m’appelez « Maître » et « Seigneur », et vous avez raison car, vraiment je le suis. Si donc moi, le
Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns
aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez vous aussi, comme j’ai fait
pour vous ».
Nous rouvrons la fenêtre sur l’intime de Dieu. Le Verbe de Dieu est bien
notre unique Maître, au sens où lui seul nous enseigne qui est Dieu et quel est son
projet. Il est le Seigneur, l’homme ressuscité en qui nous reconnaissons Dieu, luimême, venu nous sauver. Or Dieu se dit dans un homme nu, ceint d’un linge de
service, agenouillé devant les hommes dans un acte que les Juifs considéraient
comme indigne d’un esclave israélite.
La Toute-Puissance de Dieu qui, en Jésus, dispose librement de toute chose
et qui, en l’homme Jésus dispose librement de sa propre vie et de sa propre mort,
cette Toute-Puissance se dit dans un acte de total abaissement. Dieu est donc bien
un amour en acte, fait d’un don continu.
Et nous sommes invités à entrer dans ce mouvement que Jésus nous pose en
exemple. Il ne s’agit donc pas d’entendre le lavement des pieds comme une
invitation à la philanthropie ou à la simple générosité. Il s’agit d’y voir le modèle
même de notre vie. Nous sommes faits pour nous donner en servant. Au moment
où notre diocèse s’engage fortement dans la dynamique de Diaconia 2013, et où
nous sommes invités à « servir la fraternité », ne nous trompons pas de cible. Il s’agit
bien de rejoindre le mouvement pascal de Jésus qui librement dispose de sa vie
pour le service de ses frères, nous révélant ainsi la profondeur de l’Amour en acte
qui est Dieu et qui, par là, veut nous entraîner dans la vie même de la Trinité.
Nous comprenons alors la multitude des sens du lavement des pieds. Pour
entrer dans le mouvement trinitaire, il nous a fallu le baptême. Pour y progresser, il
nous faut la pénitence qui nous rend à notre pureté baptismale. Pour y demeurer il
nous faut l’eucharistie dans laquelle le Seigneur se donne pour que, unis à lui, nous
1
Origène Commentaire sur Saint- Jean, XXXII, 2,4. Trad. Solange BOUQUET
nous donnions à notre tour. Car au bout de tout cela c’est notre capacité à nous
donner en servant nos frères qui manifeste que nous vivons de la vie de Dieu.
Tandis que nous veillerons, tout à l’heure, auprès du Seigneur, mesurons à
quoi le Christ nous appelle, dans quel amour il nous entraîne et comment lui-même
a vécu et vit aujourd’hui ce qu’il nous demande.
« L’exemplarité du Seigneur vient de ce qu’en lui commence l’existence chrétienne. Il fonde
la possibilité d’être chrétien »2
2
Romano GUARDINI Le Seigneur, Alsatia, 1946, t.II, p. 69
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