Introduction Je vous propose de revenir ensemble sur cette encyclique avec un regard analytique. J’ai essayé de dégager un certain nombre de grandes arrêtes de la pensée du pape sur l’écologie intégrale. Il s’agit donc d’un regard plus analytique que synthétique. Il aurait été plus logique que j’intervienne avant Mr. de Plunkett qui d’emblée nous a proposé un regard très acéré sur l’encyclique. Pour des raisons pratiques, Mr. de Plunkett, ne pouvant rester parmi nous cette après midi, cela n’a pas été possible. Je ne vais pas revenir sur les aspects les plus contingents de l’encyclique, n’ayant pas les compétences scientifique pour discuter du diagnostic (ch 1) et des lignes d’orientation et d’action (ch 5), en revanche je me propose de donner un regard transversal sur elle. La pensée du pape comme celle de Jean-Paul II est beaucoup plus circulaire que linéaire, synthétique qu’analytique, si bien que certains thèmes clefs sont repris et approfondis tout au long du texte au risque d’être un peu noyés dans l’ensemble. Mon but est donc de dégager les grandes lignes de la pensée du pape. J’aborderai la question du public à qui le texte est adressé, ensuite la question des limites, puis celle de l’interdépendance (les réseaux) et de l’unité, puis de la dignité de la création, des grandes causes de la crise écologique, puis des solutions suggérées par le pape et enfin nous terminerons sur quelques questions. 1 Une encyclique pour tous les hommes de bonne volonté o Insistance caractérisée sur ce point o D’ailleurs il a été très bien accueilli par des non croyants o Mais cela n’empêche pas le pape d’avoir des chapitres entier faisant référence à « des convictions de foi » §62 comme il le dit au début du second chapitre intitulé « évangile de la création ». Il invite à sortir d’un certain laïcisme et considère qu’un dialogue « intense et fécond » peut avoir lieu entre la science et la religion. Il ajoute « je veux montrer dès le départ que comment les convictions de foi offrent aux chrétiens, et aussi à d’autres croyants, de grandes motivations pour la protection de la nature et des frères et sœurs les plus fragiles »§64 o On notera cependant que le cœur de sa démonstration s’adresse aux chrétiens. En effet, pour lui, une écologie humaine passe par une conversion écologique en profondeur et cette conversion elle s’adresse aux chrétiens : Je veux proposer aux chrétiens quelques lignes d’une spiritualité écologique qui trouvent leur origine dans des convictions de notre foi (Chapitre 6, partie 3) 2 - Les limites Le pape met particulièrement bien en lumière un travers principal de notre époque qui veut que la liberté soit sans limite. Paradoxalement cette absolutisation de la liberté va de pair avec un relativisme. Le sujet étant au centre du monde, tout lui devient relatif. o (S’accepter comme créature et ne pas prendre la place du créateur) En citant Benoit XVI au § 6 : il ajoute que Le péché originel est le refus des limites d’une liberté devenue folle. On a fini par penser que la liberté humaine n’a pas de limites, elle a donc tout pouvoir sur la nature mais c’est oublier « que l’homme ne se crée pas lui-même, [..] il est aussi nature » 6 1 o cette liberté illimité conduit au gaspillage, en effet « le gaspillage des ressources de la Création commence là où nous ne reconnaissons plus aucune instance au-dessus de nous-mêmes ». relativisme et absolu de la liberté Ce refus que la réalité fixe des limites provient d’une « voracité » de l’homme qui vient combler le vide de son cœur enfermé en lui-même et dans son égoïsme. 204 A la suite de Jean-Paul II la transformation de la réalité doit être régulée en partant de la nature comme étant donnée : « la capacité propre à l’être humain de transformer la réalité doit se développer sur la base du don des choses fat par Dieu à l’origine » 5 citant centesimus annus Interprétation de la domination Genèse 1 pose question et le pape veut répondre à ceux qui affirment que la Révélation est à l’origine des désordres écologiques en affirmant que l’homme doit dominer la création en la soumettant : il revient longuement sur l’interprétation de Genèse 1, 28 « « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettezla. » C’est le péché originel qui a dénaturé « la mission de soumettre la terre de la cultiver et de la garder ». « nous ne sommes pas Dieu. La terre nous précède et nous a été donnée » §67 A la mission de soumettre il faut ajouter qu’en Gn 2, 15 il est demandé à l’homme de « cultiver et garder » le jardin du monde. « cela implique une relation de réciprocité responsable entre l’être humain et la nature ». Le pape à la suite de Saint François va alors mettre en avant la relation de fraternité avec notre « sœur nature » et ce dès le 1er §. Son disciple saint Bonaventure rapportait que, « considérant que toutes les choses ont une origine commune, il se sentait rempli d’une tendresse encore plus grande et il appelait les créatures, aussi petites soient-elles, du nom de frère ou de sœur » §11. permettant que la force et la lumière de la grâce reçue s’étendent aussi à leur relation avec les autres créatures ainsi qu’avec le monde qui les entoure, et suscitent cette fraternité sublime avec toute la création, que saint François d’Assise a vécue d’une manière 221 si lumineuse. La meilleure manière de mettre l’humain à sa place c’est de proposer la figure d’un Père créateur et unique maître du monde » 75, l’homme comme lieu-tenant, très belle pages sur le regard contemplatif du Christ qui voit la création comme témoignant de la paternité divine et revenant au Père « à la fin des temps quand le Fils remettra toutes choses au Père et que ‘Dieu sera tout en tous ‘ » § 100 Mais l’homme a cependant une mission qui le « met au-dessus de la nature » sans en faire la fin ultime : « la fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous, mais le Christ » cependant, « […]l’être humain, doué d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du Christ, est appelé à reconduire toutes les créatures à leur Créateur » 83 N’est-ce pas une façon de parler de son rôle paternel (le pape ne fait pas cette articulation paternité fraternité) 2 Il reste néanmoins que le christianisme a favorisé le formidable essor de maîtrise de la nature en délivrant la nature de ses dieux, en la dé-mythologisant. Mais le pape invite à un sursaut en montrant qu’elle n’est pas pur objet mais créature. 3 - Interdépendance Dans un monde globalisé, invitation à la prise de conscience que nous sommes liés. Lien nature, homme et Dieu. o Un lien spatial qui est fait d’unité, de relation : unité Tout d’abord un constat que tout le monde peut faire. A travers le réchauffement climatique et les migrants qui fuient la misère, se dégage une prise de conscience de la nature globale des problèmes il y a crise car les liens inter personnels sont atteints (internet) Le positionnement de l’homme comme dominateur de la nature a pu laisser penser que l’homme pouvait s’abstraire de la nature. Il faut réaffirmer que Le livre de la nature est unique (Benoit XVI). En effet, toutes les créatures sont liées, chacune doit être valorisée avec affection et admiration, et tous en tant qu’êtres, nous avons besoin les uns des autres. 42 Crime contre la nature = crime contre nous-même 8 St François par l’harmonie qu’il vit avec la nature, par la réconciliation avec toutes les créatures, d’une certaine manière il retourne à « l’état d’innocence » St Bonaventure § 66 relation « Ces récits [de la création]suggèrent que l’existence humaine repose sur trois relations fondamentales intimement liées : la relation avec Dieu, avec le prochain, et avec la terre. Selon la Bible, les trois relations vitales ont été rompues, non seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de nous. Cette rupture est le péché. L’harmonie entre le Créateur, l’humanité et l’ensemble de la création a été détruite par le fait d’avoir prétendu prendre la place de Dieu, en refusant de nous reconnaître comme des créatures limitées »66. Le monde est créé selon le modèle trinitaire, nous reviendrons dessus o Lien intra générationnel et intergénérationnel : responsabilité sur l’avenir, il s’agit de s’abstenir de l’égoïsme humain qui ne prend pas en compte les conséquences des actes et des politiques sur les générations à venir (question du TEMPS) o La question de la propriété tient ici une place importante. Elle ne peut être absolutisée et la doctrine sociale de l’Eglise a toujours défendu la destination commune des biens 93 c’est-à-dire finalement que les biens ne doivent pas être une occasion de division o Conséquences Lien écologie et approche sociale « une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans 3 les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres » 49 D’où l’idée d’écologie intégrale o (Une réconciliation (67) On aurait imaginé Is 12, réconciliation des animaux entre eux et avec l’homme. Parler de famille humaine (13)) 4 - La dignité de la création o Entre immanence et transcendance Un regard plus large pour quitter l’anthropocentrisme sans tomber dans le bio centrisme 119 Le concept de création apparaît ici comme central car il insère la nature dans un projet d’amour. « pour la tradition judéo-chrétienne, dire création, c’est signifier plus que nature, parce qu’il y a un projet de l’amour de Dieu dans laquelle chaque créature a une valeur et une signification ». La nature « s’analyse, se comprend et se gère, mais la création peut seulement être comprise comme un don » §76 o Ni divinisée, ni chosifiée (profanée) Des affirmations très fortes de la présence de Dieu dans la nature : citant Bartholomée « c’est notre humble conviction que le divin et l’humain se rencontrent même dans les plus petits détails du vêtement sans coutures de la création de Dieu, jusque dans l’infini grain de poussière de notre planète » 9. « L’assurance que le Christ a assumé en lui-même ce monde matériel et qu’à présent, ressuscité, il habite au fond de chaque être, en l’entourant de son affection comme en le pénétrant de sa lumière »221 « L’univers se déploie en Dieu qui le remplit tout entier. Il y a donc une mystique dans une feuille, dans un chemin dans la rosée, dans le visage du pauvre. » l’idéal est « d’arriver à trouver Dieu en toute chose » et citant Bonaventure « la contemplation est d’autant plus éminente que l’homme sait trouver Dieu dans les créatures extérieures » 233 Ces affirmations fortes ne veulent pas dire que le pape serait panthéiste. En effet le christianisme a contribué à démystifier la nature : « Sans cesser de l’admirer pour sa splendeur et son immensité, elle ne lui a plus attribué de caractère divin »78. Elle est cependant plus qu’une chose « Chaque créature possède sa bonté et sa perfection propres (…) Les différentes créatures, voulues en leur être propre, reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la sagesse et de la bonté infinies de Dieu. C’est pour cela que l’homme doit respecter la bonté propre de chaque créature pour éviter un usage désordonné des choses ». 69 la conscience que chaque créature 61 reflète quelque chose de Dieu et a un message à nous enseigner ; ou encore l’assurance que le Christ a assumé en lui-même ce monde matériel et qu’à présent, ressuscité, il habite au fond de chaque être, en l’entourant de son affection comme en le pénétrant de sa lumière 4 Citant aussi St Jean de la Croix pour qui les « choses sont Dieu même » Non parce que les choses limitées du monde seraient réellement divines, mais parce que le mystique fait l’expérience de la connexion intime qui existe entre Dieu et tous les êtres » 234 Dans « l’Eucharistie, la création trouve sa plus grande élévation. ». Uni au Fils incarné, présent dans l’Eucharistie, tout le cosmos rend grâce à Dieu » 236 (St François la nature comme « splendide livre » 12 5 - Les grands coupables o Egoïsme et aveuglement négation du pb, indifférence, résignation, ou confiance aveugle dans les solutions techniques l’excuse du pragmatisme et du réalisme 217 égoïsme collectif 204, personnes autoréférentielles, voracité d’un cœur vide o Le consumérisme et l’immédiateté « Activité commerciale et productive fondée sur l’immédiateté »32 Le marché tend à créer un mécanisme compulsif pour placer ses produits. C’est une liberté pour consommer 203, alors que « ceux qui ont en réalité la liberté, ce sont ceux qui constituent la minorité en possession du pouvoir économique et financier » 203 beaux § montrant que l’égoïsme crée un vide à combler en consommant l’homogénéisation du consumérisme qui est une fausse unité et qui fait disparaître la diversité 144 mais surtout cela provoque un manque d’identité source d’angoisse 203 « Nous possédons trop de moyens pour des fins limitées et rachitiques » 203 o La technique et la technocratie Chosification : la pauvreté de St François était un renoncement à « transformer la réalité en pur objet d’usage et de domination » 11 voir aussi 82 Technologie et finances 54 La raison technique au-dessus de la réalité 115 Heidegger : l’araisonnement de la technique, le quantitatif / primat de l’économie sur la culture 6 - Les solutions o Cri d’alarme. On peut contester le diagnostic sur certains points, et les solutions, le constat d’une impasse est patent et la nécessaire révision de nos modes de vie semble incontournable. Très grand effort pour remonter des effets aux causes, comme nous venons de le voir. De même pour les remèdes envisagés, le pape fait des recommandations très pragmatiques mais ne se limite pas à cela et par paliers il remonte jusqu’à la Trinité qu’il voit comme modèle structurant de communion Dieu homme et nature et donc de paix. o Après avoir évoqué les nécessaires efforts d’éducation et l’appel « moral » à mettre en pratique réellement, le pape dans la partie III parle de conversion écologique. Là il s’adresse plus spécifiquement aux chrétiens. Pour lui, rien ne sera vraiment possible sans une mystique (216) qui passe par une conversion intérieure. Mais la conversion écologique sera aussi une conversion communautaire. 5 o Face à un monde où domine la marchandisation et le quantitatif, il faut remettre au premier plan la gratitude et la gratuité, passer par la reconnaissance du monde comme un don reçu du Père. 220 C’est une attitude contemplative pour aller de l’extérieur à l’intérieur, et rejoindre les liens qui nous unissent par le Père. o Si bien que c’est tout un style de vie prophétique et contemplatif. Prophétique probablement car le pape voit bien qu’il ne s’imposera pas par des décrets mais par contagion. C’est le style de vie qui doit changer et pas seulement notre utilisation des biens modernes. Contemplatif, car au lieu de consommer et d’être toujours insatisfait et à demander plus, il suffit d’apprécier les choses telles qu’elles sont. o D’où découle une mise en avant de la simplicité et de la sobriété. « moins est plus ». C’est toute une spiritualité du moment présent et une ascèse de façon à « être disponible à la vie » en limitant ses besoins. C’est une attitude d’humilité qui se démarque de l’orgueil de la possession et qui en conséquence facilite l’ouverture aux autres au lieu du repli sur soi. C’est la voie pour désamorcer l’inévitable violence du choc des égoïsmes et donc une voie de paix. Avec ses conséquences positives sur le bien commun. o Socialement il s’agit d’instaurer une civilisation de l’amour en « revalorisant l’amour dans la vie sociale » 231 et d’agir grâce à elle. Pour cela il faut revenir sans cesse à une mystique, une contemplation. L’Eucharistie étant un acte d’amour cosmique ou uni au Fils incarné tout le cosmos rend grâce. Il faut même remonter à la Trinité qui se reflète dans les créatures et donc qui en donne l’explication. o L’ampleur de la tâche : à la fois conversion individuelle et communautaire 219 La conversion écologique requise pour créer un dynamisme de changement durable est aussi une conversion communautaire. 219 : mais que veut dire cela ? une réforme des structures peut-elle être décrétée ? o La loi insuffisante sans changement personnel 211 o Affirmer la responsabilité individuelle tout en maintenant la responsabilité collective o Ne pas déresponsabiliser ni culpabiliser les personnes o Changement dans le style de vie 206 Des questions o L’amour en économie Une impossibilité pour le système libéral § 193 : décroissance pas compatible avec le capitalisme, pour le pape c’est un autre cadre conceptuel qui fait une place à l’amour du prochain, mais celui-ci est exclu du cadre libéral (l’intérêt égoïste comme moteur du fonctionnement autorégulé des sociétés, la main invisible de l’intérêt égoïste). Il faut opposer à ce cadre la conception des hommes comme frère (nature sociale de l’homme) Nous sommes dans une logique contractuelle qui sous-tend le contrat social. 6