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Le psychanalyste dans le monde d’aujourd’hui
Mensuel 100
Il me semble que si Lacan affirme dans ce passage que le malaise dans
la civilisation était déjà présent dans les temps antiques, ce n’est pas seu-
lement en raison de la composante anhistorique de ce malaise, mais à cause
d’une configuration historique tout aussi particulière.
Comme je l’ai déjà évoqué, ces écoles antiques auxquelles Lacan fait
référence ont vu le jour en Grèce, à la suite d’une période de bouleverse-
ments politiques et culturels qui ont changé à jamais notre civilisation.
Ce fut l’ère de l’invention de la démocratie – comme réponse à une crise
politique et sociale majeure – et de la philosophie, du développement des
arts en général ainsi que des arts-techniques (technai) destinés à l’exercice
politique dans la cité. Ce fut sans nul doute un moment crucial de notre
civilisation et nous n’aurions pas beaucoup de mal à imaginer les chambou-
lements dans l’ordre social qui régnait jusqu’alors.
Puis il y eut Socrate, personnage emblématique du génie mais aussi
du malaise de cette période, car il a été mis à mort, justement, au nom de
la démocratie…
Nous savons que Socrate est l’une des références majeures de Lacan,
convoqué du début à la fin de son enseignement, tantôt comme « pré-
figu ration » de l’analyste, tantôt comme hystérique : « Socrate, parfait
hystérique, était fasciné du seul symptôme, saisi de l’autre au vol. Ceci le
menait à pratiquer une sorte de préfiguration de l’analyse. Eût-il demandé
de l’argent pour ça au lieu de frayer avec ceux qu’il accouchait que c’eût été
un analyste, avant la lettre freudienne. Un génie quoi 11 ! »
Il n’est pas non plus sans rapport, in fine, avec le « discours » de
la science : « Le nommé Socrate, s’il a pu soutenir un discours dont ce
n’est pas pour rien qu’il est à l’origine du discours de la science, c’est pour
avoir fait venir, comme je le définis, le sujet à la place du semblant 12. »
Les dialogues socratiques, tels que Platon nous les rapporte, nous rendent
palpable la façon dont Socrate se servait de sa position de « non-savoir »
(S), position qu’il revendiquait d’ailleurs, faisant accoucher du savoir les
ignorants certes, mais faisant surtout tomber de leurs escabeaux ceux qui
se croyaient savants.
Deux des instaurateurs de discursivité désignés par Lacan apparte-
naient à ce monde antique : Socrate, pour le discours hystérique, mais
aussi Lycurgue, le législateur de Sparte (qui aurait vécu quelques siècles
auparavant), que Lacan associe à l’instauration du discours du maître 13. Il
est à remarquer que tous les deux appartenaient encore à la tradition orale,
n’ayant pas laissé d’écrits ! Plutarque dit : Lycurgue « ne voulut pas qu’on
écrivît aucune de ses lois ; il le défendit même par une de ces ordonnances