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Colloque de Fès – 2006
Cela peut nous intéresser dans la mesure où une femme vient bien
pour un homme représenter cet objet perdu, objet a, et aussi sur ce
qu’il en est du rapport au symbolique d’un être parlant de ce côté-là,
c’est-à-dire en position féminine. Or, nous dit Lacan, une femme ne
peut se sentir dans cet ordre symbolique qu’en quelque sorte engagée
elle-même comme objet dans quelque chose qui la transcende, qui la
soumet, et c’est ce qui fait le caractère fondamentalement conflictuel,
voire sans issue de sa position. À moins de ne se soumettre à cet ordre,
fut-ce temporairement, pour que sa position soit autre chose que
conflictuelle. Mais il n’y aura pas pour autant de rapport sexuel sauf à
ce qu’elle y entre en fonction en tant que mère.
Et c’est peut-être pour répondre à ce fait qu’il n’y a pas de rapport sexuel,
que l’on rencontre en Islam et en particulier au Maghreb la croyance au
raged, l’enfant endormi dans le ventre de sa mère. Selon cette croyance,
la croissance du fœtus est arrêtée par magie blanche et peut reprendre
des années plus tard. Dès les premiers siècles de l’islam, on légifère sur
ce point pour résoudre le problème posé par la naissance d’un enfant
dont la mère est veuve ou répudiée. Les quatre grandes écoles juridiques
(hanétes, malékites, chaites, hanbalites) ont admis de longues durées
de grossesse, deux, quatre, voire cinq ans, comme c’est le cas dans l’école
malékite, école la plus répandue au Maghreb. Ce ne sont ni le Coran ni la
Sunna qui ont été sollicités pour justier la doctrine mais des cas d’espèce
attestant d’un usage établi. Cette croyance reste vive de nos jours, elle a
même fait récemment l’objet d’un lm : L’E n fa nt e n d o r m i, de Yasmine
Kassari, qui raconte l’histoire d’une jeune femme marocaine de la région
de l’Oriental dont le mari émigre à l’étranger le lendemain de leurs noces
et qui veut attendre son retour pour mettre son enfant au monde. Joël
Colin, auteur d’une thèse sur le sujet, rapporte quant à lui dans son
travail les propos d’un médecin du service de gynécologie-maternité de
l’hôpital de Tizi-Ouzou en Algérie. La question de l’enfant endormi
revient fréquemment dans les entretiens avec les patientes, pour cacher
des relations adultérines quand le mari est absent, a émigré à l’étranger et
qu’il faut expliquer des durées anormales de grossesse et dans les cas de
stérilité car il s’agit d’une situation où elle risque d’être répudiée.
« Tout se passe, nous dit Joël Colin, comme si des modalités
contradictoires traversaient la société et le droit de telle sorte qu’au
rigorisme violent et excessif qui se manifeste dans le crime d’honneur et
les châtiments légaux s’oppose un antidote porteur de détente, l’enfant
endormi et les longues durées de grossesse, capables de rétablir l’ordre
lui aussi, mais par des solutions apaisantes. » Il me semble que c’est
aussi une manière d’inscrire la jouissance féminine dans la relation