Education, population et croissance en France après la
Seconde Guerre mondiale : une analyse cliométrique.1
Magali Jaoul 2 (LAMETA, Université Montpellier I)
Résumé
Cet article développe une étude cliométrique de l’évolution du système éducatif
et son lien à la population et au processus de croissance afin de mettre en évidence
un lien de causalité entre les sphères éducatives et économiques pour le cas de la
France depuis 1949.
INTRODUCTION
F. Perroux (1969) définit la croissance comme « l’augmentation soutenue
pendant une ou plusieurs périodes longues, d’un indicateur de dimension, le
produit global net en termes réels ». Un tel bouleversement n’est toutefois possible
qu’avec un spectaculaire développement des connaissances et n’a lieu que lorsque
se trouvent réunies des conditions certes techniques mais aussi sociologiques. Si
divers facteurs – population, formation… interviennent dans la croissance, leur
rôle peut être inégal selon les périodes, voire selon les pays ou les régions. Chez les
Classiques libéraux, l'éducation était avant tout une valeur sociale propre au champ
politique et l'éducation générale, socialement réservée n'intervenait pas dans
l'économie. Cependant, cette façon de penser va faire un grand pas car entre 1776
et 1848, la dépense d'éducation se transforme : lecture et écriture sont généralisées ;
l'éducation ne concerne plus seulement les hautes classes mais toute la population
si bien que depuis près d’un siècle, l’éducation n’est plus une sphère isolée mais
tient une place à part entière dans le système économique : il n'est pas d'activité
professionnelle, sociale, politique, morale, qui ne relève à quelque degré que ce soit
de l’action éducative.
Ainsi, après avoir longtemps ignorer l’éventuelle influence du savoir sur le
processus de croissance, les économistes ont peu à peu pris conscience du rôle qu’il
pouvait jouer dans l’économie (Arrow, 1962). Avec les théories du capital humain
(Becker, 1962 ; Schultz, 1961) puis de la croissance endogène (Lucas, 1988 ;
Romer, 1990 ; Rebelo, 1991), le savoir est placé au cœur même du processus de
croissance.
1 Cet article s’intègre dans une action incitative du CNRS (Aides à Projets Nouveaux), sous
la direction de Claude Diebolt, intitulée “Analyse cliométrique de la relation éducation-
croissance en Europe aux 19ème et 20ème siècles”.
2 L’auteur remercie Claude Diebolt pour ses remarques et commentaires.
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Une analyse cliométrique
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Qu’elle soit un bien collectif ou un bien individuel, l’éducation apparaît dans la
théorie du capital humain comme indispensable à la croissance économique ; dans
les théories de la croissance endogène, le lien entre croissance économique et
accroissement du niveau de capital humain est on ne peut plus explicite.
Toutefois, dans de nombreux pays industrialisés, ce lien n’apparaît pas comme
une évidence ; divers travaux comme ceux de Benhabib & Spiegel (1994), Jones
(1995) ou plus récemment Diebolt & Monteils (2000) ont en effet remis en cause
les résultats présentés notamment par Lucas (1988) et Romer (1990), si bien que la
tendance actuelle semble se détacher des Nouvelles Théories de la Croissance en
posant le problème « de la poule et de l’œuf », à savoir qui de l’économie ou de
l’éducation pousse l’autre ?
Aussi, aujourd’hui, où le développement et la croissance d’une nation semblent
dépendre plus que jamais de son niveau culturel et scientifique et par la même de la
valeur de son enseignement, il nous est apparu intéressant de s’interroger sur le lien
existant entre éducation et croissance économique, car si la relation n’est plus à
démontrer, le sens réel de cette liaison reste indéterminé.
Partant de là, l’objet de cet article est de proposer, à travers une analyse
cliométrique, une étude de cette relation, en France depuis la Seconde Guerre
mondiale, afin de mettre en évidence d’éventuelles relations de causalité entre les
sphères éducatives et économiques. Notre présentation s’articulera en deux étapes,
tout d’abord une présentation des données et des méthodes utilisées, ensuite, une
présentation des résultats.
1. DONNÉES ET MÉTHODES UTILISEES
1.1. Données statistiques
Afin de mener notre analyse, nous considérons les variables suivantes en
logarithmes depuis 1949 :
- Nombre de bacheliers (LBAC).
- Dépenses d’éducation (LDEP).
- Nombre de licenciés du supérieur (LLICEN).
- Population totale (LPOP).
- Effectifs scolarisés tous niveaux confondus (LSCO).
- Effectifs scolarisés dans le supérieur (LSUP).
- La croissance économique, évaluée par le PIB (LPIB).
Nos séries sont issues de deux sources principales : les annuaires statistiques de
l’INSEE et les travaux d’histoire quantitative de C. Diebolt.
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1.2. Méthodologie utilisée
Afin d’étudier les liaisons entre le PIB et les divers facteurs de croissance, nous
allons utiliser la modélisation VAR et la notion de causalité au sens de Granger. Ce
type d’étude se déroule en cinq étapes (Cf. notamment Diebolt & Litago, 1997)
1.2.1. Stationnarisation des variables
Avant tout traitement économétrique, il convient de s’assurer de la stationnarité
des variables étudiées.
Un processus Xt est dit stationnaire si tous ses moments sont invariants pour
tout changement de l’origine du temps. Il existe deux types de processus non
stationnaires : les processus TS (Trend Stationary Processes) qui présentent une
non-stationnarité de type déterministe et les processus DS (Difference Stationary
Processes) pour lesquels la stationnarité est de type aléatoire. Ces processus sont
respectivement stationnarisés par écart à la tendance et par un filtre aux
différences. Dans ce dernier cas, le nombre de filtre aux différences permet de
déterminer l’ordre d’intégration de la variable3. Afin de discriminer entre les deux
types de processus et d’appliquer la méthode de stationnarisation adéquate, nous
utilisons les tests de Dickey et Fuller.
1.2.2. Détermination du modèle VAR optimal
Après avoir stationnarisé les variables, nous construisons un modèle VAR
(Vector Auto Regressive). Ces modèles permettent, d’une part d’analyser les effets
d’une variable sur l’autre au travers de simulations de chocs aléatoires et d’autre
part de mener une analyse en terme de causalité.
Un modèle VAR à k variables et à p décalages, noté VAR (p) s’écrit :
tttptpttt AYDAYAYAYAAY
ν
ν
+=+++++= 022110 )(... où Yt
est un vecteur de dimension (k,1)et vt le vecteur des résidus.
Avant tout traitement, il convient de déterminer le retard p optimal ; il s’agit de
celui qui minimise les critères d’Akaike (AIC) et Schwarz (SBC). La connaissance
de ce retard est en effet nécessaire pour les étapes suivantes. Toutefois, si le retard
p demeure le même tout au long de l’étude, le modèle VAR déterminé à cette
étape, peut faire l’objet d’une modification, en fonction des résultats obtenus lors
de l’étape suivante.
3 S’il est nécessaire de différencier d fois une variables afin de la rendre stationnaire, on dit
qu’elle est intégrée d’ordre d, noté I(d).
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Une analyse cliométrique
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1.2.3. Etude de la coïntégration
L’analyse de la coïntégration présentée par Engle et Granger (1983, 1987)
permet d’identifier la véritable relation entre deux variables en recherchant
l’existence éventuelle d’un vecteur d’intégration et en éliminant son effet.
Deux séries Xt et Yt sont dites coïntégrées si :
- Elles sont affectées du même ordre d’intégration, « d ».
- Une combinaison linéaire de ces séries permet de se ramener à une
série d’ordre d’intégration inférieur, c’est à dire : Xt I(d) et Yt I(d),
telles que (a.Xt + b.Yt) I(d-b) avec d b 0.
On note (Xt, Yt) CI ( d, b).
Pour mettre en place ce test, on utilise la statistique de Johansen, λ , calculée à
partir des valeurs propres, λ i ,de la matrice définissant les relations de long terme
du modèle. Cette statistique se calcule comme suit : )1(
1
+= = k
ri i
Lnn
λλ
.
Elle suit une loi de probabilité (similaire à un khi-deux) tabulée à l’aide des
simulations de Johansen et Josélius.
Le test fonctionne par exclusion d’hypothèses alternatives quant au nombre de
relations de coïntégration r. On teste d’abord l’hypothèse nulle Ho : r = 0 contre
l’hypothèse alternative r >0. Si Ho est acceptée, la procédure de test s’arrête sinon,
on passe à l’étape suivante. Ce schéma est reproduit tant que Ho est rejetée. Si pour
le test de Ho : r = k contre r >k, Ho est rejetée, cela signifie que les variables ne
sont pas coïntégrées.
Cette procédure est effectuée directement par les logiciels d'économétrie4. Le
traitement de séries chronologiques impose ce test afin d’éviter les risques de
régressions fallacieuses. De plus, dans le cadre de la modélisation VAR, la
présence de coïntégration nécessite une correction du modèle (Vector Error
Correction Model) qui tienne compte de cette relation.
1.2.4. Etude du modèle VAR (ou VECM)
Si l’étape précédente met en évidence des relations de coïntégration, l’étude se
fera à ce niveau sur le modèle VECM ; dans le cas contraire, on poursuit l’analyse
à l’aide du modèle VAR déterminé lors de la deuxième étape. Les modèles VAR
permettent d’analyser les effets d’une politique économique au travers de deux
outils :
- L’analyse des fonctions de réponse impulsionnelle. Elles permettent de
mesurer l’impact d’un choc sur les variables.
4 Nous utilisons ici le logiciel E-Views 2.0.
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- La décomposition de la variance de l’erreur de prévision de chaque
variable par rapport à un choc ; si un choc sur l’erreur de prévision de
y1t n’affecte pas la variance de l’erreur de y2t, celle-ci est considérée
comme exogène car elle évolue de manière indépendante.
Il est alors possible d’étudier les impacts que les variables ont les unes sur les
autres. Néanmoins, si ce type de modélisation nous renseigne sur l’impact qu’ont
les variables les unes sur les autres, elle n’indique pas le sens de la causalité.
1.2.5. Etude de la causalité
Au niveau théorique, la mise en évidence de relations causales entre les
variables économiques permet une meilleure appréhension des phénomènes
économiques, et amène des informations supplémentaires quant à l’antériorité des
événements entre eux et par là même, permet la mise en place d’une politique
économique optimisée. Nous utilisons ici la notion de causalité développée par
Granger : la variable y1t cause la variable y2t, si la prévision de cette dernière est
améliorée en incorporant à l’analyse des informations relatives à y1t et à son passé.
Soit le modèle VAR(p) :
[]
[]
[
]
[]
[
]
[]
[
]
[
]
[]
tipti
i
p
i
pti
ii
ti
ii
ti yBAyBAyBAAoy ,,2,221,11, ....
ε
+++++=
(i*1) (i*1) (i*i) (i*1) (i*i) (i*1) (i*i) (i*1) (i*1)
Le test s’effectue ensuite en deux temps :
- On teste Ho : y2t ne cause pas y1t c’est à dire que les coefficients des
blocs matriciels B sont nuls.
- On teste H’o : y1t ne cause pas y2t c’est à dire que les coefficients des
blocs matriciels A sont nuls.
Si on est amené à accepter les deux hypothèses alternatives H1 et H’1 , on parle
de boucle rétroactive.
Le test s’effectue par comparaison des modèles VAR contraints (UVAR) par les
hypothèses nulles et non contraints (RVAR).
On calcule le ratio de vraisemblance correspondant L* :
)()(* UVARRVAR LnLncnL = Σ est la matrice des
variances/covariances des résidus du modèle correspondant, n est le nombre
d’observations et c représente le nombre de paramètres estimés dans le modèle
contraint. L* suit une loi de khi-deux à 2p degrés de liberté (X²(2p)).
Si L* est supérieur à la valeur critique tabulée, on rejette la validité des
contraintes, c’est à dire que l’on admettra la présence d’une relation causale. Au
niveau du traitement statistique, on acceptera une relation causale dans le cas où la
probabilité calculée (PROB) est inférieure au risque de première espèce (10%).
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