Nr. 9, 2007
Transport, croissance et démographie.
Une analyse cliométrique
Riadh HARIZI
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TRANSPORT, CROISSANCE ET DEMOGRAPHIE
UNE ANALYSE CLIOMETRIQUE
Riadh HARIZI1
Résumé : Bien qu’une relation très étroite ait été établie entre le transport et la croissance dans
de nombreuses approches théoriques, les mécanismes régissant les différentes causalités entre
les deux sphères sont très peu étudiés de manière empirique. L’objet de cet article est, dès
lors, de proposer une analyse cliométrique permettant d’étudier et de déterminer les
différentes relations entre les variables du système de transport et la croissance économique et
démographique, ici pour le cas de la Tunisie (1962-2005). Est-ce que les transports
influencent la croissance économique ? Cette influence est-elle réciproque ? Si oui, existe-il
un effet de « boucle rétroactive » entre les investissements dans le domaine de transport et la
croissance économique et démographique ?
Indexation : C32 C51 N77 R41
Mots-clefs : croissance économique et démographique, cliométrie, transport, trafic.
Transport, Growth and Demography
A Cliometric Analysis
Abstract:
Although there is an establishment of a close relationship between transport and growth in
many theoretical approaches, causal mechanisms are empirically less studied. The purpose of
this paper is to propose a cliometric analysis of the relationships between transport system
variables, economic growth and demography. This analysis is applied to Tunisian data (1962-
2005). More precisely, does transport affect economic growth? is this effect bidirectional?
And is there any retroactive effect between transport investment and economic and
demographic growth?
Keywords: Economic and demographic growth, cliometrics; transport, traffic.
INTRODUCTION
A la différence des autres composantes du capital public, les infrastructures de transport
constituent un élément essentiel de la mobilité des individus et des marchandises2. Les
transports, comme d’autres branches d’activités économiques et domaines d’interventions
publiques, favorisent la croissance économique et démographique à travers l’emploi et les
dépenses qui leurs sont consacrées (Berndt & Hansson, 1991 ; Ralle 1993 ; Dalenberg et
Partridge, 1995).
1LAMETA/CNRS, Université de Sousse (Institut Supérieur du Transport et de la Logistique). 12, rue Abdallah
ibn Ezzoubeir, B.P. 247, 4029, Sousse – Tunisie. Je remercie vivement Claude Diebolt, pour l’aide qu’il m’a
apporté dans la confection de cet article. Les éventuelles insuffisances demeurent bien sûr miennes.
2En conditionnant notamment les déplacements professionnels et de loisir des individus et en facilitant
l’écoulement des biens sur les marchés, l’achat et la livraison entre fournisseurs et clients géographiquement
dispersés.
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Les transactions économiques nécessitent une infrastructure de transport particulière
permettant de relier l’offre et la demande de biens et de services. Le bon fonctionnement
d’une économie implique un niveau de trafic de marchandises et de personnes permettant la
réalisation de ces différentes transactions (Orus, 1997 ; Fritsch, 1995). Toute croissance
économique a donc besoin de trafic et sans trafic il n’y a pas d’échanges sur le marché des
biens et des services. Ces différentes liaisons entre trafic et croissance peuvent être
modélisées et traitées de point de vue économétrique. L’analyse implique l’utilisation de
séries longues appelées «séries temporelles» nécessitant un traitement économétrique
particulier. L’analyse de la coïntégration, par exemple, a pour avantage l’identification de la
véritable relation entre deux variables en recherchant d’abord l’existence éventuelle d’un
vecteur d’intégration et en éliminant ensuite son effet (Engle et Granger, 1983 et 1987).
La mesure la plus judicieuse des bénéfices induits par les infrastructures de transport ne
réside pas dans l’évaluation de la part de la production ou de la productivité imputable aux
dépenses correspondantes (Garcia Milà et al., 1996). D’abord parce que ces infrastructures ne
constituent qu’une partie d’un stock de capital beaucoup plus vaste et englobant de nombreux
biens privés (comme le parc automobile). Ensuite parce qu’une grande partie de leurs effets
transite par les gains de temps induits par la construction et l’amélioration des réseaux. Ces
gains de temps résultent à la fois d’une décongestion du réseau traditionnel, de
l’accroissement des vitesses moyennes sur les nouvelles infrastructures, ou encore des progrès
techniques liés généralement au secteur des transports (Lafourcade, 1999).
Partant de là, nous proposons d’étudier la relation entre les transports et la croissance
économique et démographique en Tunisie depuis les années 1960. Notre ambition est aussi de
nous inscrire dans une approche cliométrique permettant d’accéder à une certaine historicité
de trafic en Tunisie « il s’agit désormais d’établir les conditions d’un troc efficace qui
permettrait la fusion entre l’histoire et l’économie »3. Cette approche cliométrique permet la
combinaison de certaines variables de natures différentes et apporte ainsi une série
d’éclairages et une nouvelle interprétation économique de quarante ans d’histoire de l’activité
économique et de trafic de marchandises et de voyageurs en Tunisie.
Dans un premier temps, nous présentons les sources statistiques des données utilisées et
les différentes variables caractérisant la sphère économique, celle des transports et celle de la
population. Dans un second temps, nous formulons le modèle empirique sujet d’étude en
respectant les étapes théoriques nécessaire. Enfin, dans un troisième temps nous apportons
quelques interprétations sur la dynamique du système de transport tunisien et son lien à la
croissance économique et démographique. Nos interprétations partent d’une étude de la
causalité, des résultats des chocs effectués sur les variables (fonctions de réponse
impulsionnelles) et d’une décomposition de la variance. Comment les transports influencent-
ils la croissance économique et démographique ? Le trafic est-t-il sensible aux mutations
structurelles de l’économie ? Peut-on parler d’un effet de retour de la croissance économique
et démographique sur les politiques des transports ? Si ces effets existent, quels sont les
mécanismes régulateurs de cette « boucle rétroactive » s’exerçant entre les investissements
dans le domaine de transport, le trafic des personnes et des marchandises et la croissance
économique et démographique ?
3Diebolt C., 2001, « Présentation de l’Association Française de Cliométrie » p. 1 et Diebolt C., 2005, « La
Cliométrie se rebiffe ». Le lecteur intéressé trouvera tous les détails sur le site web de l’AFC :
http://www.cliometrie.org.
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1 Sources statistiques et variables retenues
Signalons tout d’abord que notre étude part de la combinaison d’un certain nombre de
variables appartenant aux sphères du transport et de la croissance ainsi que de la population
totale du pays étudié. Contrairement aux techniques de l’économétrie traditionnelle, nous
utilisons les techniques de modélisation des séries temporelles dans le but, non pas de relier
des variables entre elles, mais plutôt d’étudier la dynamique d’une variable. Cette dernière est
en effet essentielle pour deux raisons : les avancées de l’économétrie ont montré qu’on ne
peut relier que des variables qui présentent des propriétés similaires, en particulier une même
stabilité ou instabilité ; les propriétés mathématiques des modèles permettant d’estimer le lien
entre deux variables dépend de leur dynamique.
Notre ambition est de savoir si certaines relations sont économétriquement possibles tout
en évitant les équations trop compliquées qui, le cas échéant, n’ont pas nécessairement de
sens. L’approche dynamique que nous présentons sous forme d’étapes permet aussi de
s’intéresser aux relations de causalité. En effet, pour qu’un mouvement d’une variable en
provoque une autre, il est nécessaire qu’il le précède. Une simple concomitance de deux
évènements révèle davantage une source commune. L’utilisation de retards d’une variable4
dans les équations autorise la mesure des effets de causalité et permet également de connaître
la durée de transmission entre une source et son effet. Nous présentons, dans un premier
temps, les données retenues ainsi que les diverses sources statistiques utilisées. Ensuite, dans
un second temps, nous présentons les variables retenues dans notre modèle empirique.
1.1. Sphères du transport et de la croissance économique et démographique : une brève
présentation
Les décisions prises à un moment donné dans le cadre des politiques économiques et de
développement régional se traduisent ultérieurement par des mutations structurelles des
activités économiques. La concrétisation de ces politiques économiques s’accompagne
généralement de certaines mesures concernant essentiellement le domaine de transport. Ce
domaine constitue à son tour un vecteur stimulant la mobilité de la population et des
marchandises. Si la mobilité des hommes et des marchandises conditionne la croissance
économique, les mutations d’une économie inhibent ou déclenchent des flux de transport. Ces
flux de marchandises et de personnes sont nécessaires à la fois aux activités économiques de
production et de consommation. L’examen des interactions de la croissance économique et du
trafic en Tunisie au moyen d’un indicateur d’intensité montre que cette économie en
développement a vu se développer un secteur dont l’intensité de transport en trafic
kilométrique de marchandises est faible5. Ce pays a connu un glissement de son activité
économique du secteur agricole, nécessitant un important volume de trafic kilométrique de
marchandises, vers les services et à moindre degré vers l’industrie, deux secteurs qui
nécessitent beaucoup plus de trafic kilométrique de personnes que de celui de marchandises
(Harizi, 2006).
4Ce sont les valeurs des mêmes variables au cours des périodes précédentes.
5L’intensité de transport est le trafic par dinars de valeur ajoutée. Elle est calculée par le rapport entre le trafic
considéré (voyageurs ou marchandises) et la valeur ajoutée d’une économie. Ce rapport exprime le besoin d’une
économie en trafic pour pouvoir créer chaque année sa valeur ajoutée. D’autres détails se trouvent dans Harizi,
2006.
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Ceci dit, le choix des variables nécessaires à la présente étude reste un problème délicat
à résoudre. Si la croissance économique peut être représentée par le Produit Intérieur Brut
(PIB), la sphère des transports peut contenir plusieurs variables de natures différentes. Nous
pensons que la population est, a priori, un facteur central, car sans lui il n’y a pas de force
travail qui soit prête à concrétiser le développement. La partie de cette force de travail
intéressante dans notre sujet est celle qui exerce directement dans le domaine des transports.
C’est pour cette raison, que nous retenons les effectifs travaillant dans le secteur des
transports, le nombre d’emplois créés annuellement dans ce domaine et l’emploi total de
l’économie. Certes, les investissements dans les transports sont énormes, mais ils ne sont pas
répartis d’une manière égales. Ceci s’explique par les priorités dictées par les Plans de
Développement Economique et Social (PDES) depuis les années 1960 et les priorités des
Plans d’Aménagement des Territoires (PAT). La prise en compte des dépenses publiques de
chaque mode à part pose désormais des problèmes de multicolinéarité dans la modélisation6.
Aussi, nous retenons les dépenses totales du domaine des transports tous modes confondus.
La restructuration de l’économie tunisienne au cours des années 1980 a changé
indirectement les logiques de la mobilité. En effet, le parcours moyen d’une tonne de
marchandises a connu une baisse depuis la fin des années 1980 alors que le parcours moyen
d’un voyageur a au contraire progressé depuis la même date (Harizi, 2007). Ce constat nous
conduit à penser à des effets de retour de la croissance économique et démographique sur les
politiques de transport.
1.2. Les variables retenues
L’étude des interactions entre le PIB, la population et les divers facteurs de croissance
relatifs au domaine des transports suppose l’existence d’une ou de plusieurs chaînes de
causalité entre les variables appartenant aux deux sphères. La croissance est désormais
représentée par le PIB, alors que l’ensemble des variables appartenant au transport peut
regrouper tous les facteurs s’articulant autour de ce domaine et pouvant, d’une part exercer un
effet direct ou indirect sur le développement de ce secteur, d’autre part contribuer à la
croissance économique et démographique.
Le trafic est une variable intéressante pour cette étude. Les changements des logiques de
mobilité nous amène à intégrer le trafic kilométrique des voyageurs et le trafic kilométrique
des marchandises. L’emploi du domaine de transport constitue à son tour une variable
pertinente appartenant à la fois aux deux sphères. Ainsi, nous considérons les variables
suivantes en logarithmes depuis 1962 :
- les dépenses totales relatives au domaine du transport (LDTDT) ;
- le nombre d’emplois créés dans le domaine du transport (LECDT) ;
- l’emploi total dans les transports, tous modes confondus (LEDT) ;
- l’emploi total dans l’économie (LETE) ;
- le trafic kilométrique des voyageurs (LTKV) ;
- le trafic kilométrique des marchandises (LTKM) ;
- la population totale (LPOP) ;
- la croissance économique, évaluée par le PIB (LPIB).
6Ceci est dû à la simple raison que la somme des dépenses par mode (aérien, routier, ferroviaire, maritime et
télécommunications) est égale aux dépenses totales du domaine de transport.
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