A paraître dans : Philip Miller et Anne Zribi-Hertz. 2003. Essais sur la grammaire
comparée du français et de l'anglais. Paris, Presses Universitaires de Vincennes. 2
syntaxique (voir notamment leur tableau p.16). Tous ces emplois ont en commun que le
verbe de perception établit une relation entre un expérient sujet (animé et le plus
souvent humain) et un thème objet2, qui dénote selon les cas une entité au sens strict, un
événement, un fait, une éventualité, etc.
Dans ce cadre général, il faut insister sur l'importance des deux dimensions centrales
selon lesquelles les verbes de perception se distinguent entre eux, d'une part la modalité
(visuelle, auditive, tactile/proprioceptive3, olfactive ou gustative), d'autre part le fait que
la perception soit involontaire ou volontaire (auquel cas l'expérient est en même temps
agent). Nous présentons dans le tableau 1 ci-dessous les verbes étudiés dans ce chapitre.
Même si les différences sont moins simples que ne le laisse entendre cette typologie
bidimensionnelle, on constatera que les propriétés intrinsèques de notre
conceptualisation des différentes modalités sensorielles et notre conceptualisation du
degré de contrôle de la perception par l'expérient influent considérablement sur la
complémentation et l'on constatera que le verbe voir est loin d'être prototypique. Ceci
est bien connu et est souvent mentionné mais, dans la littérature, la grande majorité des
exemples traités relèvent de la perception visuelle et en particulier de voir et see, ce qui
conduit quelquefois à biaiser les résultats. Pour des raisons d'espace, nous ne pourrons
pas entièrement échapper à ce défaut, mais nous essayerons cependant de ne pas prendre
en compte la seule perception visuelle.
2 Pour l'anglais, il faut en plus tenir compte de l'emploi parfois appelé ‘copule’ disponible pour les verbes
de perception look, feel, smell, et taste (ainsi que sound, qui n'est pas à proprement parler un verbe de
perception), p. ex. This cloth feels soft, dont nous n'aurons pas l'occasion de traiter dans ce chapitre. Ce
qui distingue principalement cet emploi des autres est que le thème apparaît comme sujet du verbe de
perception et que l'expérient est exprimé par un complément indirect optionnel en to. Cet emploi apparaît
en français mais de façon extrêmement contrainte : il est limité aux emplois olfactifs de sentir ou
l'«attribut» peut être soit un SAdj, soit un SN : Ce dessert sent bon /sent la violette. Cependant, cet
emploi avec un SAdj est limité aux jugements subjectifs (Ce dessert sent très bon / #très fruité à
contraster avec This dessert smells very good / very fruity). Goûter permet des emplois similaires, mais
uniquement avec des SN comme « attributs » : Ce dessert goûte la fraise. Certaines variantes régionales
du français, notamment dans le nord et la Belgique, permettent des emplois copules de goûter avec
attribut adjectival : %Ce plat goûte délicieux (nous utilisons le signe % pour indiquer la variabilité des
jugements selon les dialectes). Pour les autres modalités, on trouve dans ces constructions certains verbes
qui n'ont pas d'emploi comme verbe de perception classique (par exemple sonner dans Ce piano sonne
faux), et des périphrases (avoir l'air). Nous n'aurons pas non plus l'occasion de parler dans cet article de
l'emploi de voir et see, parfois appelé ‘semi-auxiliaire’ dans la tradition française, où le sujet du verbe
n'est pas un expérient et peut être animé ou inanimé, p.ex. Le président / Cette coupe de cheveux a vu sa
popularité baisser au cours des derniers mois ; The president / This haircut has seen its popularity go
down during the last months, cf. p. ex. Bat-Zeev Shyldkrot (1984).
3 Nous groupons ces deux modalités qui s'expriment par le même verbe dans les deux langues et dont la
délimitation n'est pas toujours aisée à déterminer. Sur la proprioception, de sens méconnu dans la
classification traditionnelle et qui nous permet de connaître les positions de nos parties du corps les unes
par rapport aux autres ainsi que nos états et sensations internes, voir par exemple Sacks (1985).
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