La construction bois prend de la hauteur

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Technique & Chantier
ENQUÊTE
STRUCTURE
La construction bois
prend de la hauteur
Pour construire des immeubles en bois au-delà du R + 2, les justifications des performances de résistance
au feu et d’isolation acoustique faisaient défaut. Plusieurs études sont actuellement menées pour y remédier.
L
a construction bois a la faveur du public.
Les projets fleurissent et gagnent de la
hauteur, avec des immeubles de logements R + 5 mis en chantier dans l’Hexagone
et des projets jusqu’à R + 11 en Allemagne, par
exemple. Mais l’usage du bois reste largement
cantonné aux maisons individuelles. Logements collectifs et bâtiments non résidentiels
ne représentent que 10 % de la construction
bois (1). « Certes le bois se démocratise et
ne fait l’objet d’aucun obstacle réglementaire, constate Serge Le Nevé, responsable
Conseil, innovation, appui technique au
FCBA (institut technologique Forêt, cellulose,
bois-construction, ameublement). Pour autant
nous manquons de données pour justifier les
performances face à l’incendie et la prédiction
du comportement acoustique. » Ce sont les
principaux freins à la construction bois audelà du R + 3. C’est pourquoi plusieurs études
ont été lancées par différents organismes,
CSTB (Centre scientifique et technique du
bâtiment), FCBA et Codifab (Comité professionnel de développement des industries
françaises de l’ameublement et du bois)
en tête. Les travaux sur la réglementation
incendie, débutés en 2009 et dont les résultats
seront publiés en 2013, ont consisté à mener
des essais sur la résistance au feu des parois
à ossature bois, dans le sens du DTU 31.2, soit
des montants en bois tous les 60 cm, remplis
d’isolant et fermés de plaques de plâtre. Il
s’agit de tester dix configurations de murs et
planchers, en variant les doublages en plaques
de plâtre, leur qualité, positionnement, type
d’ancrages, etc. Objectif : fournir des justifications constructives pour une résistance
au feu jusqu’à 90 minutes. « La précision et la
standardisation limitent les défauts d’interprétation et contribuent au développement du
bois au-delà des R + 3 en résidentiel, voire dans
les établissements recevant du public », estime
Serge Le Nevé.
L’autre chantier qui débute en 2012 concerne
la limitation de la propagation du feu en
façade des systèmes à ossatures bois. « Les
solutions retenues dans la version révisée de
l’instruction technique (IT) 249 impliquent
entre autres des isolants de types laines minérales, ce qui peut être limitatif », note Stéphane
Hameury, chef de projet de la mission Bois
et construction durable au CSTB. L’étude qui
va débuter vise à tester des recoupements de
façade et une variété d’isolants pour diversifier les solutions. A plus long terme, un projet
de DTU sur les façades à ossature bois sur
noyau en béton est prévu dans le cadre du
programme Règles de l’art Grenelle environnement 2012, animé par l’Agence Qualité
Construction. Enfin, l’étude Acoubois vise à
pallier le manque de méthodologie pour prédire par le calcul les performances d’isolation
acoustique d’un ouvrage léger. Lancée en 2010
par Cerqual, le CSTB et le FCBA, l’étude modélise le comportement acoustique des systèmes
bois et établit une banque de données des
solutions évaluées. n Dossier réalisé par Julie Nicolas
(1) Source : Collection Xerfi Research 2010.
Voir aussi dans ce numéro le cahier
pratique « Structures en bois :
vérifications avec les Eurocodes ».
L’EXPERT
CSTB
Sécurité incendie : une logique par type d’ouvrage
STÉPHANE HAMEURY,
chef de projet de
la mission Bois et
construction durable
au CSTB.
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M Que dit la réglementation
incendie sur la construction bois ?
La réglementation incendie n’obéit
pas à une logique par matériaux,
mais par type de bâtiment. Les
bâtiments d’habitation sont classés
en quatre familles, avec autant
d’exigences de stabilité au feu des
éléments porteurs verticaux et de
degré coupe-feu des planchers et
parois séparatives des logements.
En résumé, pour les maisons
individuelles de la première famille
(un étage sur rez-de-chaussée),
l’exigence est de 15 minutes sur
les éléments porteurs verticaux.
Elle est de 30 minutes pour les
bâtiments de la deuxième famille
(trois étages sur rez-de-chaussée),
puis passe à 1 heure en troisième
famille (bâtiments d’habitation
limités à 28 m en hauteur). Enfin, en
quatrième famille, où le plancher
bas du logement le plus haut
se trouve à plus de 50 m du sol,
l’exigence est portée à 90 minutes.
M Quel est l’enjeu pour le bois
en troisième famille et au-delà ?
La résistance au feu des produits,
éléments de construction et
d’ouvrages est régie par l’arrêté du
14 mars 2011, modifiant l’arrêté du
22 mars 2004. Ce texte fait référence
à l’Eurocode 5 ou aux règles bois
feu 88. Or, les règles de moyens
proposent des solutions limitées à
une résistance au feu de 30 minutes.
La filière avait donc besoin d’essais
normalisés relatifs à l’étanchéité des
parois en ossature bois susceptibles
de répondre à une exigence
supérieure.
Retrouvez l’intégralité de l’interview
sur lemoniteur.fr/hameury
LE MONITEUR _ 9 mars 2012
LOGEMENTS
Une ossature légère
en bois grimpe en R+5
■ Afin de réaliser un immeuble R + 5 à Montreuil
(Seine-Saint-Denis) avec une ossature porteuse en bois,
les architectes de l’agence Graam ont trouvé une solution
originale : concevoir des appartements en triplex avec
un accès au niveau R + 3. Le bâtiment de 18 m de hauteur
est ainsi classé en deuxième famille, selon la définition
de l’arrêté relatif à la protection contre l’incendie des
bâtiments d’habitation du 31 janvier 1986. Les ossatures
intègrent des montants de 150 mm en épicéa massif fixés
sur des panneaux de particules assurant le contreventement et isolés par 160 mm de laine de verre. Le complexe
est complété côté intérieur par un pare-vapeur et des
plaques de plâtre. Longs de 13 m et hauts de 3,06 m, les
éléments de mur de façade ont été livrés sur le chantier
avec leurs menuiseries et le bardage en mélèze.
Ce projet a nécessité 108 m3 de bois adossés à une cage
d’escalier en béton. Chaque plancher repose sur deux
poutres muraillères fixées sur les parois verticales,
qu’il s’agisse de murs de bois ou du noyau de béton, en
fonction des endroits. Les solives reprennent ainsi les
efforts structurels. L’ensemble est contreventé à chaque
étage par le voile travaillant soigneusement « couturé »
aux montants. Les planchers, dont l’épaisseur totale varie
entre 35 et 40 cm en fonction des portées, comprennent
un vide d’air acoustique en sous-face qui atténue les
bruits d’impacts de 8 dB(A) de mieux que la nouvelle
réglementation acoustique qui demande une atténuation
de 58 dB(A) aux bruits d’impact. Le hors d’eau/hors d’air
a été réalisé en un peu plus de deux mois avec quatre
charpentiers et un grutier.
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AGENCE GRAAM
1. L’édifice de 540 m² Shon utilise une ossature en bois, habillée d’un bardage en mélèze ajouré
d’un côté et peint au rouge de Falun comme les maisons scandinaves de l’autre.
2. Le contreventement est assuré par la rigidification niveau par niveau, grâce aux muraillères
qui supportent le plancher supérieur. 3. Le voile de contreventement en panneaux de particules
est doublé d’un pare-pluie sur lequel est posé le bardage à claire-voie.
FICHE TECHNIQUE Maîtrise d’ouvrage : Migwetc. Maîtrise d’œuvre : Graam Architecture. Entreprises : GMC (gros œuvre béton) ; Socopa (ossature bois et menuiseries) ; TCR (second œuvre,
doublages, cloisonnements, électricité) ; Color’s (parquets, peintures).
9 mars 2012 _ LE MONITEUR
PHOTOS DANIEL ROUSSELOT
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3
3 Structure bois
HABITAT SOCIAL
Veiller à l’isolation
acoustique
entre logements
FICHE TECHNIQUE Maîtrise d’ouvrage : Atlantique
Habitations et Coopérative GHT. Maîtrise d’œuvre : Forma6.
Entreprise générale bois : Muréko. 1
1. Réalisés en épicéa massif
à plis croisés, les murs sont
livrés avec les ouvertures et les
rainures pour le passage des
fluides. 2. Si les cages d’escalier
et d’ascenseur sont en bois, les
escaliers autostables seront
en béton pour des raisons
d’acoustique et d’entretien.
PHOTOS MUREKO
■ Initialement prévu en béton, le projet du
bailleur social Atlantique Habitations à Vertou
(Loire-Atlantique) est réalisé finalement en bois.
Un choix qui permet de gagner douze mois de
chantier sur les deux ans projetés au départ,
grâce à la préfabrication. Non seulement les
murs en bois massif à plis croisés de 16 m x 3 m
sont livrés préfabriqués, mais aussi les salles de
bains de la société Arflex. « L’usage du bois massif contre-cloué permet à chaque mur d’assurer
la portance et le contreventement sans retrait
en cas de pluie », souligne Jean-Michel Lépineau, président de Muréko. L’enveloppe est ensuite isolée thermiquement par l’extérieur avec
120 mm de polystyrène expansé sous enduit
et 140 mm de laine de roche sous les bardages
en zinc et en bois. Une solution qui tient aussi
compte de la voie de circulation bruyante à
proximité des bâtiments.
L’acoustique a fait l’objet d’études précises
qui ont mené l’acousticien à proposer deux
solutions d’isolation pour les planchers comme
pour les parois séparatives entre logements.
Epais de 180 mm, les planchers bois manquaient de masse. Une dalle béton, dont
l’épaisseur varie en fonction de la sous-face de
plancher (apparente ou non), a donc été coulée
sur un résilient acoustique. Les murs entre logements ne mesurant que 9 cm d’épaisseur, ils
sont isolés par une laine minérale acoustique et
un vide d’air. « Des mesures complémentaires
seront réalisées en mai, indique Jean-Michel
Lépineau, car deux appartements isolés avec
les mêmes complexes acoustiques pourront
présenter des performances distinctes, du fait
notamment des géométries et des surfaces
différentes. »
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Six jonctions murs/planchers en bois admises par la réglementation
Depuis mai 2010, l’instruction technique (IT) 249
sur la propagation du feu en façade intègre six
jonctions façade/planchers en bois : deux solutions
en mur-rideau et quatre en mur semi-rideau,
dont deux intègrent des panneaux contrecollés
à plis croisés. Leur logique se comprend à partir
des scénarios de propagation du feu dans un
bâtiment : il prend dans un logement au niveau N,
sort par la fenêtre, monte le long de la façade et
9 mars 2012 _ LE MONITEUR
ne doit pas rentrer au niveau N + 2, le N + 1 étant
pris en compte par les stratégies d’évacuation.
L’objectif des dispositifs est donc de cantonner les
flammes en évitant leur passage en nez de dalle,
par exemple grâce à une étanchéité de jonction en
laine de roche de 70 kg/m3 et à une lisse en bois
massif de 70 mm d’épaisseur. « Une épaisseur
suffisante pour résister une heure », précise
Yves-Marie Ligot, président de l’association
Ingénierie bois construction (IBC). Des bavettes
en acier à chaque niveau reportent les flammes
et les gaz chauds vers l’extérieur pour couper
l’effet cheminée. Enfin, pour éviter que le feu ne
pénètre au niveau supérieur, des parois coupefeu 30 minutes de l’extérieur vers l’intérieur sont
mises en place. Grâce à ces solutions et aux figures
associées, les maîtres d’œuvre vont s’affranchir
des justifications techniques au cas par cas.
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3 Structure bois
R + 6 à structure
poteaux-poutres
en lamellé-collé
TERTIAIRE
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1. Afin de garder apparentes les sous-faces des planchers, un soin particulier a été apporté
à l’assemblage des systèmes mécaniques. 2. Toutes les attaches métalliques entre les pièces
ont été cachées pour la protection au feu. Plaques et boulons ont donc été enfermés derrière
des goujons de bois. 3. Outre le surdimensionnement des éléments en lamellé-collé, la sécurité
incendie est assurée par une augmentation de 30 % du système de Sprinkleurs. Une issue de
secours supplémentaire a été ajoutée aux deux prévues par le Code de la construction.
■ Les 6 000 m² de bureaux en R + 6 de Fondaction CSN
à Québec (Canada) utilisent près de 1000 m3 de bois,
répartis à égalité entre la structure en bois lamellé-collé
et les platelages des planchers. Jusqu’en 2008 et la modification du Code de construction du Québec, il n’était
pas possible de dépasser le R + 4 avec des éléments porteurs en matériaux combustibles. Le calcul des résistances au feu a donc été revu et prend en compte aussi
bien le Code national du bâtiment (canadien) que les
Eurocodes et les codes américains. Résultat : les poutres
principales présentent des sections de 362 x 527 mm et
les poteaux des sections de 362 x 480 mm. Des dimensions qui comprennent un surdimensionnement de
40 mm sur toutes les faces des pièces pour assurer une
résistance au feu d’une heure minimum. Le bois se
consume en effet à la vitesse de 0,65 mm/minute, soit
39 mm en une heure. Le surdimensionnement a contribué à rigidifier la structure qui utilise par ailleurs des
cages d’ascenseur et d’escalier en béton. Le platelage, en
lamellé-collé aussi, mesure 89 mm d’épaisseur. Disposé
directement sur les poutres, il soutient le plancher du
niveau supérieur, composé d’une membrane acoustique, de contreplaqué et d’un revêtement. L’édifice
mesure ainsi 22,2 m de hauteur et a coûté 14,5 millions
de dollars canadiens (11 millions d’euros).
PHOTOS JONATHAN ROBERT/CECOBOIS
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FICHE TECHNIQUE Maîtrise d’ouvrage : Fondaction CSN. Maîtrise d’œuvre : Gilles Huot, architecte. BET structure : Idem. Fournisseur : Nordic Structure Bois.
Entreprises : Pomerleau (gérance de construction). Montage de la structure : Les constructions FGP.
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