21
naturalistes (physico-mathématiques et neuro-cognitives), des descriptions héritées de la
phénoménologie soit pleinement fidèle à la pensée de Husserl qui a toujours combattu la
naturalisation de la conscience.
Le sens d'un objet ou d'une opération mathématique est un concept flou que l'on ne peut étudier
que par un discours renvoyant à d'autres concepts flous. Si les mathématiques se prêtent à une
interprétation univoque c’est en s’éloignant du sens par la formalisation. On n’accède à la
rigueur absolue qu’en éliminant la signification : l’absolue rigueur n’est possible que dans et par
l’insignifiance. Si la logique formelle ne traite pas du sens, ce dernier n’est pas totalement absent
de son mouvement même. En mathématique, on opère pratiquement toujours dans une situation
semi-formalisée : même quand l’explicitation est purement logique, le mathématicien pense le
sens. Cette présence du sens, dans toutes les manipulations, même formelles, est source de
contaminations mutuelles11. On voit mal comment, compte tenu de sa fragilité, le sens, au moins
au niveau ou les mathématiciens sont susceptibles de s’en saisir peut se maintenir au travers
d’une longue chaîne d’enchaînements logiques de façon suffisante pour qu’il soit concevable d’y
revenir en remontant la chaîne. Seul un sens radicalement transcendantal, et c’est bien ce dont
traite Husserl, peut survivre. Mais saisi à ce niveau, il devient un objet étranger à toute science
réalisée.
Selon Husserl, qui oppose la passivité à la réactivation12, le processus de création ultérieur se
fonde en particulier sur la réactivation de la fondation / origine. Il parle du ressouvenu, de re-
compréhension comme condition du partage. Cette idée est fondamentale pour ceux qui
étudient les mécanismes de la création. La production, devenue reproduction, est première dans
la transmission. Ce n’est pas la découverte qui est transmissible, mais le ressouvenu de la
découverte, sa reproduction (dont la démarche diffère de la démarche initiale). C’est
probablement dans cet écart qu’il faut rechercher les sources de la créativité. La découverte
s’esquisse dans des couches enfouies de notre pensée, elle se fait dans une passivité qui
justement rend nécessaire sa re-fondation active13. Dans le domaine de la technique ou de la
science, cette refondation s’appuie sur une trace, une forme d’écriture.
L’objet dont traite l’argumentation de Husserl est beaucoup plus global : c’est la spatio-
temporalité pure14 (cinématique et mécanique théorique y sont incluses) et il ajoute la nécessaire
présence perdurante des « objets idéaux ». Alors, l’être-là de la géométrie est-il la sensibilité a
priori, et Husserl ajoute-t-il quelque chose à Platon ou Kant ? Pourquoi, alors qu’il dit que c’est
bien son sujet, laisse-t-il la spatio-temporalité comme une sorte d’arrière plan ? En centrant son
texte exclusivement sur une géométrie (étendue) veut-il lui conférer une sorte de monopole de la
science de la spatio-temporalité ?
Husserl fait, à plusieurs reprises, référence à Galilée, parlant même (du moins dans la traduction
de Derrida) de « géométrie galiléenne », formule que je n’ai jamais lue ailleurs. S’il est possible
d’invoquer une géométrie galiléenne c’est autour du concept d’indivisibles développé par
Cavalieri (un élève de Galilée). Pour la Renaissance, dans le prolongement d’Euclide, le point,
qui ne peut être divisé en parties, est à l’origine de tout. Il engendre la ligne, qui compose la
figure du géomètre euclidien ou délimite la surface du peintre. La construction géométrique a
priori est la règle générale d’approche de tout objet visé dans la nature ou dans l’art. Le disegno
qui naît géométrique se transforme pour se rapprocher de l’agencement du réel. Plus qu’une
11 H.Lefebvre « Logique formelle et logique dialectique », Terrains, Ed. Sociales, Paris 1982. étudie le rapport forme/contenu
en logique. Tous les hommes sont mortels, Socrate est un homme, Socrate est mortel : il faut une
solide indifférence à l’humain pour prétendre que ce syllogisme, probablement le plus cité, n’est qu’une instance
particulière de A est un B, tous les B ont la propriété C, donc A a la propriété C.
12 E.Husserl : L'origine de la Géométrie. PUF Paris 1962 p 194.
13 Selon moi, mais cela ne semble pas le cas dans les quelques documents que j’ai lu, c’est cette partie du texte de Husserl
qui devrait interpeller les cogniticiens.
14 E. Husserl : L'origine de la Géométrie PUF Paris 1962 p 174.