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Une cause biologique à l’alcoolisme | Le Devoir
2016-09-01 15:44
SCIENCE
Une cause biologique à l’alcoolisme
31 août 2016 | Pauline Gravel | Science et technologie
Photo: Dmitry Kostyukov Agence France-Presse
«Un comportement compulsif [tel que celui observé] poussera les personnes alcooliques à continuer à boire malgré le fait qu’ils
vont perdre leur emploi et leur famille, qu’ils ont des accidents de voiture», explique Estelle Barbier.
La réduction de l’activité d’une enzyme intervenant dans la communication entre les neurones du
cortex préfrontal serait responsable de la dépendance à l’alcool, indique une étude publiée mardi
dans le journal Molecular Psychiatry qui pointe ainsi une cause biologique à l’alcoolisme et qui
explique les grandes difficultés, voire l’incapacité qu’éprouvent les alcooliques à se libérer de leur
dépendance.
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Les chercheurs qui ont fait cette découverte ont d’abord induit une dépendance à l’alcool chez des
rats en les exposant 14 heures par jour à des vapeurs d’alcool, et ce, pendant sept semaines. Ils ont
ensuite privé ces mêmes rats d’alcool pendant trois semaines et ont alors observé que ces rats
étaient devenus alcooliques car ils présentaient différents symptômes d’une dépendance, tels qu’un
comportement anxieux et une consommation accrue d’alcool lorsque celui-ci redevenait disponible.
État de manque
Estelle Barbier, stagiaire postdoctorale au Center for Social and Affective Neuroscience de l’Université
Linköping en Suède, a récemment découvert chez ces rats en « état de manque » après trois
semaines de privation une diminution de l’expression de l’enzyme Prdm2 dans le cerveau, plus
particulièrement dans le cortex préfrontal. « La fonction de cette enzyme consiste à ajouter un
groupement méthyle à des histones, qui sont des protéines situées au coeur de l’ADN des gènes.
Cette enzyme dite épigénétique contribue donc à réguler l’expression des gènes, en l’occurrence des
gènes qui sont impliqués dans la neurotransmission et qui favorisent la libération des
neurotransmetteursdans les synapses [espace entre les neurones]. Une réduction de l’activité de la
Prdm2 entraîne une diminution de l’expression de ces gènes, et donc vraisemblablement une
diminution de la neurotransmission », a expliqué au Devoir la chercheuse.
Mme Barbier et ses collègues ont ensuite ajouté de la quinine à la solution d’alcool servie aux rats
dans le but de la rendre très amère, voire répugnante pour les rats. Les rongeurs ayant été exposés
à l’alcool ont néanmoins continué à boire cet alcool en dépit de ses propriétés négatives,
contrairement aux rats normaux qui se sont désintéressés de cette boisson infecte. « Un tel
comportement compulsif où les rats ont tellement besoin de ressentir les effets psychostimulants de
l’alcool qu’ils en consomment même si celui-ci n’est pas bon au goût nous a confirmé que les rats
étaient toujours esclaves de leur dépendance. Un tel comportement compulsif poussera les
personnes alcooliques à continuer à boire malgré le fait qu’ils vont perdre leur emploi et leur famille,
qu’ils ont des accidents de voiture », a indiqué la biologiste moléculaire.
Elle rappelle que l’une des régions du cerveau qui contrôlent les comportements compulsifs, impulsifs
ainsi que la prise de décision est le cortex préfrontal. « Or, c’est justement dans cette région du
cerveau que nous avons trouvé la diminution de l’enzyme », a-t-elle souligné.
Pistes de thérapie
Une diminution de l’enzyme Prdm2 dans le cortex préfrontal induirait et contribuerait donc à
maintenir un comportement compulsif ? Chose certaine, quand les chercheurs ont diminué l’activité
de l’enzyme Prdm2 dans le cortex préfrontal de rats normaux, ces derniers ont augmenté leur
consommation d’alcool, sont devenus davantage prédisposés aux rechutes liées au stress et ont
développé ce comportement compulsif qui les poussait à consommer de l’alcool en dépit de son goût
repoussant, autant de caractéristiques propres aux rats ayant développé une dépendance.
« Cette recherche vise à détecter les mécanismes qui sont impliqués dans la dépendance à l’alcool
afin de les normaliser. Toutefois, pour le moment, nous ne disposons pas de molécules capables
d’augmenter l’activité d’une enzyme comme Prdm2, dont l’activité est diminuée. Toutes les drogues
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connues sont plutôt des inhibiteurs », a indiqué Mme Barbier qui envisage une autre piste
d’intervention.
Dans une étude précédente, la chercheuse avait observé « une méthylation accrue de l’ADN des rats
dépendants à l’alcool ». Elle avait également remarqué que « quand on inhibait l’enzyme responsable
de la méthylation de l’ADN, ces rats retrouvaient un niveau de consommation normal ». « Or comme
l’expression de Prdm2 est elle-même modulée par des enzymes spécialisées dans la méthylation de
l’ADN, en inhibant ces enzymes, on pourrait probablement restaurer les niveaux de Prdm2. Il existe
justement des drogues qui ont été approuvées par la FDA et qui sont actuellement utilisées dans la
recherche sur le cancer qui pourraient s’avérer une possible voie thérapeutique, avance-t-elle.
Comme ils agissent sur de nombreux gènes, il y a toutefois le danger qu’ils provoquent des effets
secondaires. »
L’étude a été effectuée entièrement chez le rat. « Reste à vérifier si le même effet se produit chez
l’humain », prévient-elle. Les chercheurs savent toutefois que « l’enzyme Prdm2 est fortement
exprimée dans le cortex préfrontal de l’humain, même si son rôle n’a été étudié jusqu’à maintenant
que dans le cancer. On commence tout juste à s’intéresser au rôle qu’il joue dans le cerveau. »
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