Transport Liaisons dangereuses La propulsion contrarotative Azipod® d’ABB ouvre de nouveaux débouchés aux ferries de la compagnie japonaise Shin Nihonkai Lars Anderson, Thomas Hackman L Shin Nihonkai Ferry, principal opérateur japonais de ferries, a réceptionné en 2004 deux bâtiments flambant neufs et de technologie innovante. Les nouveaux ferries RoPax furent les premiers au monde à être dotés du système de propulsion contrarotative Azipod® d’ABB. Au cours des premiers mois en mer, l’opérateur annonce une baisse notable de la consommation de carburant et une exploitation plus économique. a compagnie Shin Nihonkai Ferry (SNF) encadré 1 , pionnière du trafic ferry rapide, fut la première à ouvrir une liaison dans la mer du Japon en 1970. En 1995, elle faisait construire deux navires rapides (31 nœuds), le Suzuran et le Suisen. Plus récemment, fidèle à son esprit d’innovation, elle décidait d’équiper deux nouveaux ferries rapides du système de propulsion électrique par pod CRP Azipod®. Toujours plus Les deux bâtiments venus grossir la flotte de la compagnie SNF, le Hamanasu et le Akashia, ont été livrés en 2004 par les chantiers navals Mitsubishi Heavy Industry (MHI) de Naga64 Revue ABB 3/2006 Liaisons dangereuses Transport saki. D’une longueur hors-tout de 224,5 m pour une vitesse en service de 31,5 nœuds, ces deux navires RoPax (ferries rouliers à passagers) sont les plus grands et les plus rapides du Japon encadré 2 . Ils sont également les premiers navires au monde à bénéficier du système de propulsion contrarotative CRP Azipod® d’ABB. Avantages de la propulsion par CRP Azipod® une solution à stabilisateur anti-roulis à un aileron et système propulsif CRP Azipod® qui combine une hélice principale et une hélice Azipod® de 17,6 MW en arrière dans le même axe 1 . Construire un prototype suppose toujours une prise de risque. Toutefois, la propulsion CRP Azipod® étant la seule solution permettant d’assurer une liaison quotidienne, la SNF et les chantiers navals MHI « se jetèrent à l’eau », décidant par la même occasion de sortir d’une impasse de plusieurs décennies en voulant concrétiser les potentiels de la propulsion contrarotative encadré 3 . ABB Marine a ainsi livré pour chacun des deux navires une hélice Azipod® de 17,6 MW, fonctionnant en tandem avec une hélice orientable en nacelle (pod) immergée. ABB a également fourni les systèmes de contrôlecommande ainsi que les systèmes de production et de distribution d’énergie de 27 MW et 6,6 kV. Le japonais SNF exploite de nombreuses liaisons maritimes entre les îles d’Honshu et d’HokEncadré 1 Shin Nihonkai Ferry (SNF) kaido au nord du pays. La ® propulsion CRP Azipod , Raison sociale Shin Nihonkai Ferry Co., Ltd. choisie principalement pour Effectifs 585 personnes (231 à terre, 354 en mer) réduire les dépenses de carSiège Osaka (Japon) burant, offre de nombreux Succursales 9 au Japon autres avantages. Président Yasuo Iritani Avec ses 573 miles nautiques, la liaison Maizuru-Otaru est la plus longue de l’opérateur. Son exploitation quotidienne a toujours nécessité trois ferries qui faisaient la traversée en 30 heures à la vitesse de 20 nœuds, avec une ponctualité quasi irréprochable. Pour assurer cette liaison quotidienne avec seulement deux ferries, il fallait des navires d’une plus grande capacité et plus rapides (30,5 nœuds). Or, en essayant de résoudre le problème, la SNF s’est vite rendue compte qu’une telle vitesse entraînerait une consommation de carburant prohibitive. Pour qu’une liaison à deux ferries soit viable, la SNF devait trouver une solution permettant de faire des économies de carburant substantielles (en restant dans le domaine du possible). Lors de la présentation du concept CRP Azipod® et de son haut rendement propulsif qui autorise d’importantes économies de carburant, les dirigeants de la SNF se sont montrés intéressés. A l’issue d’une étude approfondie, les chantiers MHI ont opté pour Revue ABB 3/2006 Principales filiales du groupe Kanko Kisen, Hankyu Ferry, Kampu Ferry, Orient Ferry, Japan Cruise Line, Kyowa Shoji Encadré 2 Caractéristiques techniques Ferries RoPax Hamanasu et Akashia Longueur 224,82 Largeur 26,0 10,0 Profondeur jusqu’au 2ème pont Tirant d’eau 7,4 Tonnage 34 131 Port en lourd 6649 Capacité passagers 820 Cabines passagers 144 Capacité remorques 158 Capacité voitures 65 Vitesse maximale 32,04 Vitesse en service 30,5 Puissance installée 50 400 Puissance propulsive totale 42 800 17 600 Hélice Azipod® m m m m t t L’appareil propulsif comprend deux moteurs Wärtsilä 12V46 entraînant une hélice orientable par l’intermédiaire d’un réducteur à double étage. Deux autres moteurs 12V46 entraînent des alternateurs qui alimentent l’hélice Azipod®. La puissance fournie par l’hélice orientable est de 25,2 MW et de 17,6 MW par l’hélice Azipod®, soit au total 42,8 MW. Pour atteindre la même vitesse, un système de propulsion classique à double ligne d’arbre aurait exigé une puissance installée totale d’environ 47 MW. Avis de tempête nœuds nœuds kW kW kW Equipements fournis par ABB pour chaque navire 1 alternateur principal (3 450 kVA, 6,6 kV) 2 alternateurs principaux (14 353 kVA, 6,6 kV) 3 armoires point neutre 3 armoires régulateur de tension 1 tableau de distribution principal 6,6 kV 2 transformateurs de propulsion 1 transformateur d’excitation 1 convertisseur de propulsion 1 système de propulsion CRP Azipod® 17,6 MW 2 moteurs de propulseur 2 transformateurs de distribution 2 dispositifs de prémagnétisation des transformateurs de propulsion 2 alimentations sans interruption (UPS) 1 système de contrôle-commande de la propulsion contrarotative La mer du Japon connaît deux saisons très marquées : l’hiver et l’été. L’hiver (novembre à mars), la navigation y est particulièrement difficile avec des tempêtes tristement célèbres, des températures qui chutent sous zéro et la formation de glace sur les navires, bien que la mer ne gèle jamais vraiment. Les vents qui soufflent lors des tempêtes hivernales dépassent fréquemment 30 m/s avec des vagues de plus de 8 m de haut. Lorsque les vagues atteignent plus de 5 m, la SNF retarde ou annule normalement les départs. Toutefois, les liaisons maritimes étant très longues, les conditions climatiques peuvent varier en cours de route et les navires être ralentis par des tempêtes imprévues. Maintenir 65 Liaisons dangereuses Transport une vitesse de croisière élevée est donc indispensable ; en effet, toute réduction de 1,5 nœud de la vitesse se traduit par un retard d’une heure à l’arrivée. Si le temps est plus clément en été, c’est également la saison des typhons, certes plus faciles à anticiper car se déplaçant plus lentement. Néanmoins, il arrive que les ferries doivent braver la tempête pour assurer leurs liaisons quotidiennes. Promesses tenues Pour Yasuo Iritani, président de la SNF, ce sont les résultats prometteurs des études menées sur le concept Azipod® qui ont emporté sa décision. « Si ces navires coûtent un peu plus cher à construire que les ferries classiques, les économies en exploitation Encadré 3 suffisent à rentabiliser le surcoût de départ », précise-t-il, ajoutant que ces nouveaux ferries ont également permis d’atteindre l’objectif principal : l’exploitation d’une liaison quotidienne Maizuru-Otaru. Par rapport à la desserte précédente, le temps de rotation a été réduit de 25 %. « Par rapport à la desserte précédente, le temps de rotation a été réduit de 25 %, ouvrant des opportunités pour le fret maritime. Ainsi, nous constituons une alternative au fret aérien pour les denrées alimentaires périssables chères. Non seulement nous amé- 20 % de carburant en moins L’objectif de départ était de réduire de 10 % la consommation de carburant des ferries Hamanasu et Akashia par rapport aux traditionnels navires à deux lignes d’arbre. En mai 2004, le Hamanasu est le premier à prendre la mer pour des essais très attendus. Lors des essais de vitesse, réalisés avec une répartition 55/45 de la puissance entre les hélices avant (55 %) et arrière (45 %), le navire atteignit 32,04 nœuds, un véritable exploit ! Encore plus exceptionnel, le faible niveau de consommation de carburant, sans équivalent pour le secteur. Les essais en mer validèrent ainsi les résul- Les avantages de la propulsion contrarotative La propulsion contrarotative intéresse les armateurs à double titre : le rendement propulsif accru grâce à la récupération par l’hélice contrarotative arrière de l’énergie et la meilleure répartition de la charge de poussée sur un plus grand nombre de pales d’hélice dans un espace confiné. L’accroissement de la surface totale balayée par les pales permet d’améliorer les caractéristiques de cavitation et donc de fournir plus d’énergie à un système de propulsion contrarotative à hélices de diamètre plus petit, point particulièrement important pour les navires puissants à faible tirant d’eau. Pour les hélices de diamètre standard, la propulsion contrarotative présente un troisième avantage, à savoir une réduction du bruit et de la cavitation. Enfin, l’utilisation d’une propulsion Azipod à l’arrière améliore notablement la manœuvrabilité. Avantages pour la SNF Les navires RoPax Akashia et Hamanasu sont les premiers à être équipés de la propulsion contrarotative Azipod®. Ils consomment 20 % de carburant en moins que leurs prédécesseurs pour une capacité de transport supérieure de 15 %. La réduction des coûts de maintenance et de pièces de rechange des moteurs Diesel devrait induire des économies supplémentaires. 66 liorons nos performances, mais en plus nous élargissons nos débouchés ». Liaison maritime : Desserte quotidienne Maizuru-Otaru : 573 miles nautiques Deux possibilités : 3 ferries à la vitesse de 20 nœuds pour une traversée en 30 h 2 ferries à la vitesse de 30,5 nœuds pour une traversée en 20 h Le cahier des charges : puissance propulsive accrue et économies de carburant La solution : une hélice principale à 4 pales orientables (diam. 5,6 m) et une hélice Azipod® à 5 pales (diam. 4,8 m). Avec leur coque à haut rendement hydrodynamique, leur stabilisateur anti-roulis à un aileron et leur système de propulsion en nacelle immergée CRP Azipod®, ces navires sont particulièrement stables et performants. La puissance étant répartie entre les deux 3,1 kV 6,6 kV Variateur W 12V46C12600 kW W 12V46C12600 kW 2910 kW W 12V46C12600 kW W 12V46C12600 kW CRP AZIPOD 17,6 MW 3,1 kV Variateur 6,6 kV hélices, la taille de chaque hélice peut être réduite, permettant de diminuer d’autant le bruit et les turbulences. L’hélice Azipod® peut également servir de gouvernail, contribuant à un écoulement en aval plus régulier et une puissance accrue. Le navire est plus facile à manœuvrer à vitesse réduite et dans les ports, ce qui raccourcit les temps d’escale. Ferries de la compagnie SNF – Agencement des machines La puissance propulsive installée totale est de 42,8 MW dont 25,2 MW (60 %) fournis par l’hélice avant et 17,6 MW (40 %) par l’hélice Azipod®. Les ferries Hamanasu et Akashia affichent un gain de rendement hydrodynamique de 10–15 % par rapport aux navires classiques à double ligne d’arbre. Ce rendement propulsif remarquable est obtenu en combinant deux systèmes de propulsion distincts dans une configuration à ligne d’arbre unique : une hélice contrarotative, placée dans une nacelle immergée orientable à 360°, dans l’axe direct d’une hélice principale à entraînement mécanique située en amont, les deux hélices n’étant pas accouplées mécaniquement. Revue ABB 3/2006 Liaisons dangereuses Transport tats prometteurs des essais exhaustifs menés par MHI dans son bassin de Nagasaki. Après plusieurs mois d’exploitation, l’armateur annonçait une économie de carburant de l’ordre de 20 % par rapport aux deux anciens ferries à double ligne d’arbre et propulsion Diesel-mécanique temporairement exploités sur la même liaison. La vitesse en service de ces derniers n’atteignait que 29,4 nœuds, pour une capacité de transport inférieure de 15 %. Une manœuvrabilité accrue Autre atout : la grande manœuvrabilité du navire. Lors des manœuvres à vitesse réduite et dans le port, l’hélice Azipod® peut servir de gouvernail et de propulseur transversal. Restreinte en vitesses de croisière, la course de direction de l’Azipod permet, en revanche, aux gros navires Hamanasu et Akashia de manœuvrer à vitesse réduite sans l’aide d’un remorqueur dans des vents pouvant atteindre 18 m/s, ce qui est impossible pour des ferries à double ligne d’arbre, pourtant plus petits. Souplesse d’exploitation L’appareil propulsif offre également une grande souplesse en termes de distribution d’énergie. Ainsi, par exemple, les navires acheminent depuis Hokkaido de grandes quantités de denrées alimentaires périssables (produits laitiers et légumes) transportées en remorques réfrigérées qui doivent être branchées sur le réseau électrique de bord. Au retour, ces remorques sont vides et l’électricité 1 Hélices contrarotatives peut, au besoin, être utilisée pour les besoins de la propulsion. A l’inverse, lorsque les conditions météorologiques sont favorables, le navire peut effectuer le trajet en n’utilisant que trois moteurs, sans prendre aucun retard. La consommation de carburant des deux navires est inférieure de 20 % à celle des deux anciens ferries à double ligne d’arbre. Paroles d’expérience Kiyoshi Takaoka, responsable du département Marine, confirme que le client est ravi des performances des nouveaux navires qui, de surcroît, offrent une excellente manœuvrabilité et une grande stabilité par gros temps. M. Takahashi, capitaine du Hamanasu, se déclare lui aussi plus que satisfait : « Dans des conditions météorologiques normales, la stabilité de route est excellente. Nous ne sortons généralement pas lorsque les vagues dépassent 5 m de haut, mais il est parfois impossible d’éviter les typhons. L’été dernier, nous avons ainsi affronté des vagues de plus de 8 m accompagnées de vents extrêmement violents. Nous avons réduit notre vitesse à 20 nœuds, et malgré les conditions difficiles, le navire est resté totalement manœuvra- Revue ABB 3/2006 ble. De même, les manœuvres de port se font en toute sécurité grâce à la forte propulsion assurée par l’hélice Azipod®, équivalente à la poussée fournie par deux remorqueurs ». « La manœuvrabilité de l’Azipod reste tout aussi remarquable à des vitesses de cinq nœuds ou moins. L’accélération à la sortie du port est bien meilleure qu’avec d’autres navires, et à vitesse maximale, la vague de poupe est très réduite, signe d’une faible consommation de carburant ». Les chantiers navals MHI, qui ont construit les deux bâtiments, peuvent désormais préconiser la propulsion CRP Azipod® pour les ferries comme pour les bâtiments fortement sollicités (ex., navires méthaniers), pour lesquels une propulsion redondante est importante. Lars Anderson Wärtsilä Switzerland, Ltd. Winterthur (Suisse) [email protected] Thomas Hackman ABB Oy Helsinki (Finlande) [email protected] Bibliographie [1] Matti Turtiainen : Le transport maritime se met au vert, Revue ABB 3/2005 67