Vente de lunettes sur Internet

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Vente de lunettes sur Internet : un bien ou un mal pour les patients ?
La loi relative la consommation du 13 février 2013 instaure, entre autres, la libéralisationdes ventes de lunettes
et de lentilles sur Internet, pour en faire baisser le prix. Mais au-delde cet avantage direct, les patients n’ont-ils
pas redouter des « effets pervers » ?
Spécialité(s) :
● Médecin
spécialiste
Sommaire
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Introduction
Un objectif clair : faire baisser le prix des lunettes
Centrage des verres : une étape délicate
Quelle qualité pour les centrages réalisés sur Internet ?
L'importance de bien informer ses patients
Pour aller plus loin
Auteur : Thierry HOUSELSTEIN, Directeur du comité médical, MACSF - Le Sou Médical / MAJ : 20/04/2016
Introduction
Le 13 février 2014, le projet de loi relatifla consommation, dite loi Hamon, aété adopté définitivement par l’Assembléenationale. Grande première, elleautorise un investisseur
s’installercomme opticien, condition d’embaucherun salarié diplômé d’optique. Elleimpose par ailleurs aux ophtalmologistesd’inscrire sur l’ordonnance l’écart pupillairedu patient, en
plus des correctionsnécessaires pour améliorer sa vue. Àcela s’ajoute une disposition qui enlèveaux opticiens et aux pharmaciensl’exclusivité en matière de vente desproduits
d’entretien des lentilles.
Un objectif clair : faire baisser le prix des lunettes
Toutes ces dispositions font suite auxcritiques sur le prix élevé des lunettes :470 euros en moyenne, soit deux foisplus qu’au Royaume-Uni, en Espagne,en Italie ou en Allemagne,
d’après lescalculs de la Cour des comptes publiésen septembre 2013.Selon une étude UFC-Que choisirréaliséeen avril 2013, chaque paire de lunettesvendue rapporte, en
moyenne, 275 eurosau vendeur, soit 70 % du prix de vente.Une marge que l’association de consommateursqualifie d’« exorbitante », etqu’elle explique par le nombre croissantde
magasins d’optiques, porté par l’augmentationdu nombre de diplômés quisortent chaque année des écoles d’optique.Avec 11 422 points de vente enFrance, le nombre d’opticiens a
augmentéde 47% en 12 ans, alors que le besoin,lui, n’a progressé que de 13 %. Le marchéayant progressé moins vite que lesimplantations, le chiffre d’affaires parmagasin a
baisséde 6,6 % entre 2005et 2012. Selon UFC-Que choisir, en2012, chaque magasinn’a vendu que880 paires de lunettes,soit 2,8équipements parjour ouvré, et lesfrais fixes des
magasinsse sont répercutéssur ces seules 2,8 paires delunettes. Selon cette étude, maintenir larentabilité suppose donc de vendre desmontures des prix élevés.
Deuxième facteur d’inflation, selon UFC-Que choisir: la seconde paire de lunettes« offerte », dont les dépenses marketingreprésentent 60 euros par paire etplombent la facture des
consommateurs.Selon le ministère chargé de la Consommation,ces tarifs élevés, conjugués une faible prise en charge par l’Assurancemaladie (entre 4,44 et 31,14 euros par
monture), contraignent près de 3 millionsde Français n’ayant pas d’assurancecomplémentaire renoncer aux soinsd’optique. D’où la volonté de faire baisserles prix d’environ 25% en
introduisantune dose de concurrence avec lavente en ligne sur Internet.
« Cela va permettre de rendre plus d’unmilliard d’euros de pouvoir d’achat auconsommateur », s’est félicité BenoîtHamon, ministredélégué laConsommation etporteur de la loi.
Ces déclarationsont suscité devives réactions dela part du Syndicatdes opticiens entrepreneurs(SynOpE),qui a rappeléque le rôled’un opticien ne se limite pas mesurerl’écart
pupillaire ; il mesure aussi ladistance du verre par rapport l’oeil,et cette mesure doit être faite directementsur le porteur de montures. LeSynOpE a également déploré la menaceque
ces arguments purementéconomiques font peser sur plusieursmilliers d’emplois du secteur, qui compte35 000 opticiens.
Selon les opticiens, les grands oubliés,dans ce débat axé sur les prix, sont lespatients, la santé visuelle et la qualitédes produits, et une loi sur la consommationn’est pas le bon
vecteur pourmodifier des textes qui relèvent du codede la santé publique.
Reste enfin une question majeure :les ophtalmologistes accepteront-ils demesurer systématiquement l’écart interpupillairede leur patient et de le reportersur l’ordonnance de verres
prescrits ? Celaentre-t-il dans le champ médical ?
Centrage des verres : une étape délicate
À l’heure actuelle, il existe deux typesde lunettes vendues sur Internet : leslunettes montées et les lunettes en kit(verres et montures séparément), lemontage se faisant ensuite en
magasin.La plupart des sites fournit les mêmesmontures, les mêmes verres et les mêmesgaranties que ceux distribués dans lesmagasins d’optique. Le critère le plusimportant en
termes de qualité devientalors la prise de mesures et le parfaitcentrage des verres en face des pupilles.Le centrage des verres de lunettes nécessitela prise de deux mesures : les
demi-écartspupillaires et la hauteur entre lebas de la monture et la pupille.Un mauvais centrage des verres a nécessairementdes conséquences.
Pour des verres unifocaux, un décentrementva engendrer un effet prismatique.Pour un décentrement de 1 cm et une correction de 6 ? (correction venduesur la plupart des sites),
l’effet prismatiquesera de 6 ? d’après la règle dePrentice (prisme induit en ? = décentrementen cm * x ? puissance en ?).L’effet prismatique va engendrer deshétérophories. Si les
réserves fusionnellesne sont pas suffisantes, le patient peutressentir des maux de tête occipitaux,des douleurs derrière les yeux, des yeuxqui tirent. L’acuité binoculaire est inférieure
la meilleure acuité monoculaire,et la vision stéréoscopique est mauvaise.Dans le plan horizontal, le couple oculairepeut compenser jusqu’3 dioptriesprismatiques. Par contre, dans
le planvertical, une différence de hauteur binoculaireinduisant un effet prismatiquesupérieur 1 ? peut ne pas être tolérépar le patient et lui créer, dans de nombreuxcas, un inconfort
ou une diplopie.Les tolérances de la norme ISO NF ENISO 21987 sont donc tout fait justifiées.
Pour les verres progressifs,en plus deseffets prismatiques, il y a un risque deréduction du champ de vision et d’inadaptation.Sur ces verres, le couloir deprogression entre la
vision de loin et lavision de près est étroit, de 4 5 mmde large. Un décentrement horizontalde 3 mm peut alors réduire les champsde vision jusqu’40%.Le décentrement vertical est
beaucoupplus sensible. En effet, la puissancevarie le long du couloir de progression :3 ? sur 20 mm, soit 0.15 ?/mm. Undécentrement de 5 mm va donc modifierla puissance de
0.75 ?. Or, un écartde 0.75 ? en sphère n’est pas acceptable.Lencore, la norme est tout fait justifiée.
Quelle qualité pour les centrages réalisés sur Internet ?
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Pour les lunettes montées
Pour les écarts pupillaires, la plupartdes sites de lunettes montées demandeune photo du sujet avec un étalon (règleposée sur le front, par exemple). Laprécision est alorsd’environ
3 mm. Eneffet, lors de la prisede la photo, le patientpeut regarder l’infiniou fixer son appareil photo (ou sa webcam)en vision de près. La convergencebinoculaire en VP n’est pas
prise encompte. Si on se réfère la norme ISONF EN 21987, il en découle (pour unprisme nul) que la puissance maximaleque ces sites devraient proposer est 0,67? / 0,3 cm = 2,25
? (règle de Prentice).Or, ces sites proposent tous des puissancesallant jusqu’6 ?, voire plus. Ilsne respectent donc pas la norme et sontproscrire.
La hauteur est la distance entre le bas dela monture et la pupille. Cette mesuredépend de la montureet de la façon dont elleest ajustée sur le visagedu patient. Il en découleque la
mesure enhauteur est impossible prendre surInternet. Il faudrait pour cela pouvoirajuster une monture distance !
Ces sites prennent donc des mesures dehauteur statistiques ou standards, cequi pose un problème de santé publique,plus encore pour les verres progressifs.La norme n’est pas
respectée. Ces sitessont donc proscrire formellement pourles verres progressifs.
En conclusion, les sites de lunettes complètesconviennent uniquement pourles unifocaux de faible puissance (max2.25 ?).
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Pour les lunettes en kit
Comme nous venons de le voir, les limitesdes lunettes montées sur Internetviennent de l’absence de contact physiqueentre le patient et l’opticien. C’estseulement via ce contact
qu’un centragerigoureux peut être assuré, aussi bienen écart qu’en hauteur. Les sites de lunettesen kit résolvent ce problème : lesclients achètent les lunettes en kit (verres+
montures), le centrage se fait ensuitechez un opticien partenaire du site. Lanorme ISO NF EN 21987 peut ainsi êtrerespectée.
La vente de lunettes en kit sur Internetpermet donc d’équiper les patients enunifocaux et en progressifs sans risquede décentrage. Le contact physiqueentre le patient et l’opticien est
indispensable, au moins lors del’achat de verres progressifs. Les sitesd’achat de lunettes montées sont déconseiller afin d’éviter des insatisfactionsde patients inconfortables, qui
penseront que l’ophtalmologiste n’apas réalisé une prescription correcte.Les sites de vente de lunettes en kitsemblent en revanche offrir davantagede garanties pour assurer une
bonnequalité de confort visuel. Ces sites sonttrès peu nombreux, contrairement auxprécédents, puisqu’ils nécessitent unréseau d’opticiens partenaires.
Quand un patient se déclarera insatisfaitde ses verres, il ne faudra pas omettrede lui demander le mode d’achat de seslunettes, les lunettes livrées toute faiteset choisies sur Internet
pouvant débouchersur quelques déconvenues.
L'importance de bien informer ses patients
Afin de se prémunir contre d’éventuelles mises en cause en casd’insatisfaction d’un patient suite l’achat de lunettes sur Internet,la MACSF conseille ses sociétaires ophtalmologistes
d’informerle patient par le message suivant :
« Votre ophtalmologiste a indiqué votre écart pupillaire sur cetteordonnance, mesure nécessaire mais insuffisante pour garantirune adaptation satisfaisante et bon confort visuel avec
vos nouveauxverres. Il recommande un contact physique avec un opticien.Le centrage des verres correcteurs nécessite au minimumdeux mesures : écart pupillaire et hauteur entre
le bas de lamonture et votre pupille, qui ne peut se réaliser qu’avec unemonture posée et ajustée sur le nez du patient, de même quela distance verre-oeil. Acheter des lunettes sur
Internet est possiblemais alors, privilégier les lunettes en kit (achat des verreset de la monture sur Internet qui seront montés en magasin parun opticien partenaire du site Internet
près de votre domicile,après mesures directement sur vous). Les lunettes toutes montées,achetées sur Internet et livrées directement votre domicilesans intervention d’un opticien,
peuvent être source d’inconfortet d’insatisfaction malgré une parfaite prescription de votreophtalmologiste. Ce risque est majoré pour les verres progressifsafin de respecter la norme
ISO NF EN 21987».
Retrouvez cet article dans le numéro 55 de la revue Responsabilité
Responsabilité 55 Septembre 2014 (pdf - 3.22 Mo)
Pour aller plus loin
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Association française de normalisation, Norme ISO NF EN ISO 21987 ; 27 pages
Code de santé publique, article L. 4362-9 modifié par la loi n°2005-102 du 11 février 2005-art 81 JORF 12 février 2005
Valérie Ameline. Pratiques en Ophtalmologie, juin 2012 « Que penser de la vente en ligne des lunettes ? Le contact patient-opticien indispensable ? »
Valérie Ameline. Réalités ophtalmologiques, janvier 2013. « Lunettes sur internet : quelles solutions pour nos patients ? »
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Auteur : Thierry HOUSELSTEIN, Directeur du comité médical, MACSF - Le Sou Médical / MAJ : 20/04/2016
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