Le Filou Revue semestrielle du Théâtre Massalia “Le théâtre

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Le Filou
Revue semestrielle du Théâtre Massalia
“Le théâtre interroge et pose des questions.
Il n’est pas un simple miroir réconfortant,
mais touche l’être à un endroit fondamental”
Sylviane Fortuny
Théâtre Massalia
Jeune public tout public
Le Filou N°0 - Décembre 2003
Le Filou est une publication du Théâtre Massalia, en vente 5
euros, comprise dans l’adhésion "Filou" au Théâtre Massalia
directrice de la publication : Graziella Végis
rédaction : Fred Kahn, Philippe Foulquié, Graziella Végis,
avec les contributions pour ce numéro de Denis Chabroullet,
René Renato Croci, Philippe Dorin et Marie Neuville
conception graphique, mise en page : Piquet Design Group
imprimerie : Siris
Dépôt légal décembre 2003, ISSN en cours
Producteur Théâtre Massalia, Direction Philippe Foulquié
La friche la belle de mai • 13331 Marseille cedex 3 • Tél :
0495049570 • Fax : 0495049567
www : theatremassalia.com • e-mail : [email protected]
L’équipe Massalia
Nathalie Bonino, Julien Castagna, Jany Cianferani, Philippe
Foulquié, Marion Héry, Patrice Laisney, Sabine Liautaud, Véra
Maero, Niquette Myrtil, Caroline Ninat, Marie Josée Ordener,
Eric Paté, Isabelle Richomme, Pascale Souteyrand, Graziella
Végis.
Sommaire
ce qui se fait, se pense, se raconte…
6 / centre ressources massalia
7 / Les réunions du groupe de travail
Mark Tompkins : la danse contemporaine, le jeu et les jeunes
8-9 / Du je(u) au nous
10-11 / Le jeu et les jeunes
Philippe Dorin : l’écriture dramatique et les jeunes
12-13 / Entre les mots
14-15 / Je ne sais pas si j’écris pour les enfants
Patrick Ben Soussan/Damien Bouvet
16-17 / La langue des corps
18-19 / Faire le clown
20-21 / Les jeux ne sont jamais faits
les oiseaux
22-23-24 / Les Oiseaux
25 / Aline Soler
Ce qui s’écrit, se lit, se dit, se crie…
28-29 / René Croci
30-31 / Zona Franca
32 / Enfants,emmenez vos parents…
33 / Les mots mais pas seulement par Philippe Foulquié
Ce qui se construit, s'experimente, se recherche...
36-39 / Les enfants, Edward Bond et le collège Versailles
40-41 / Alzhar, le Misanthrope, la friche, Marseille et le
monde
42-43 / La Mezzanine
Édito
Parce que le projet artistique du théâtre Massalia est
complexe, et qu’il ne peut pas se raconter en deux mots,
Parce que proposer du théâtre aux enfants et aux jeunes
aujourd’hui, n’est pas facile,
Parce que aller au théâtre aujourd’hui est un acte courageux,
Parce que la vie n’est jamais simple,
Le FILOU nouvelle formule est né !
Ce n’est plus un programme (pour cela demandez le programme
trimestriel de Massalia), mais une revue où nous aimerions, au
travers de nos pratiques et des expériences racontées mieux
vous faire connaître le Théâtre Massalia,
les réflexions, les idées, les désirs qui l’animent.
Spectateur, parent, enseignant, adolescent, animateur, artiste
ou professionnel de la culture ou de l’enfance :
vous pourrez y lire les synthèses des réunions des groupes de
travail qui se sont tenues dans l’année et au cours
desquelles, les artistes ont bien voulu nous faire partager
leur expérience de travail avec ou pour le jeune public;
vous pourrez lire des témoignages d’artistes ou autres
participants à des expériences théâtrales ; vous pourrez lire
aussi nos coups de gueules, nos coups de foudre...
Ce qui se fait... se pense... se raconte...
Ce qui s’écrit... se lit... se dit... se crie...
Ce qui se construit... s’expérimente... se recherche...
Graziella Végis
Ce qui se fait, se pense, se raconte…
Il vaut mieux garder ses souvenirs d’enfance en soi, plutôt
que de tenter de les vérifier.
Gao Xingjian Extrait de “La montagne de l’âme”
Graziella Végis
Un centre ressources jeune public au théatre massalia
Un lieu d’expériences et de pratiques artistiques et
culturelles
Le théâtre Massalia constitue dans le Grand Sud de la France
et particulièrement en région PACA, une structure de référence
jeune public, à reconnaissance nationale et européenne.
Depuis quelques années, le Théâtre Massalia défend et
développe un nouveau concept Jeune Public, au fait des
réalités artistiques et interdisciplinaires et en phase avec
l’évolution de l’action culturelle.
Ce concept, que l’on peut nommer “Centre Européen de
Productions Artistiques Interdisciplinaires Jeune Public”
s’appuie essentiellement sur le savoir faire de Massalia. En
considérant comme acquise la nécessité d’explorer les formes
artistiques dans leur diversité (des arts dramatiques aux
autres disciplines), ce nouveau concept repose sur une idée
essentielle : le croisement des disciplines artistiques,
principe fondamental de la création des œuvres pour le jeune
public et facteur d’innovation et de recherche.
L’activité de ce centre européen s’articule autour de la
production et de la circulation des œuvres, des explorations
qu’elles proposent et des réflexions qu’elles découvrent.
C’est dans ce contexte et dans une dynamique de développement
du projet, que s’inscrit cette idée de la mise en place d’un
Centre Ressources. Centré sur les questions du jeune public
(actualité artistique en région, projets d’action culturelle
innovants, réflexion sur la relation arts et jeune public), il
s’ouvrira également sur les formes artistiques dites
marginales (marionnettes au sens large, cirque…) avec
lesquelles le jeune public développe des relations
privilégiées.
Plus qu’un lieu d’information, ce Centre ressources sera le
reflet de la conception des relations aux jeunes publics que
développe Massalia au sein de la Friche La Belle de Mai.La
Friche la Belle de Mai représente à la fois un outil au
service de la création et un terrain d’expérimentation des
rapports aux publics. Massalia, en tant que principal
producteur théâtre de la Friche la Belle de Mai, est à
l’origine de l’installation dans ce lieu de différentes
compagnies artistiques.
Ces résidences sont autant de prétextes à inventer de
nouvelles formes de rapport au public : associer les enfants
et les jeunes au travail artistique donnant ainsi tout son
sens au terme de public partenaire artistique : rencontres
avec les artistes, suivi de l’élaboration des spectacles,
appropriation de l’objet artistique par une recherche créative
sur le thème ou sur la forme du travail engagé par les
artistes...
Depuis la rentrée 1999/2000, Massalia est acteur de
l’opération de jumelage qui lie l’ensemble des établissements
scolaires des quartiers Saint Mauront / Bellevue / Belle de
Mai à l’ensemble des acteurs artistiques et culturels de la
Friche la Belle de Mai. Cadre institutionnel non contraignant,
ce jumelage vise à établir une cohérence plus grande des
pratiques d’échanges artistiques et pédagogiques déjà
existantes et à multiplier
les propositions transversales comme celles de l’Espace
Culture Multimédia ou de Radio Grenouille. Dans ce contexte de
pratiques innovantes et d’expérimentation, ce Centre
Ressources se veut un lieu d’information mais également un
lieu de réflexion, sorte d’espace protégé, à l’écart de
l’urgence de programmation, un lieu où il s’agira d’observer,
d’analyser, et de mettre en relation les pratiques artistiques
et culturelles avec d’autres champs disciplinaires et
notamment scientifiques. Graziella Végis
www.theatremassalia.com
Le centre ressources jeune public est sur le site de Massalia.
Il propose la mise en liens de différents sites afin d’accéder
à l’actualité des spectacles et actions jeune public,
marionnettes et cirque dans la région (ou plus loin si
intéressant) et à une base de données liées à l’actualité de
Massalia, de la Friche, ou d’opérations intéressantes dans la
région ou ailleurs (accès à des bibliographies, des articles,
des œuvres, des textes, des images etc…), ainsi qu’à des
informations administratives, juridiques et fiscales. G.V.
Groupes de travail jeune public
Ces groupes de travail répondent à deux objectifs principaux :
réfléchir sur les aspects fondamentaux de la relation entre
l’art et le jeune public en sollicitant regards et analyses
des scientifiques, et alimenter la réflexion qui s’appuie à la
fois sur les pratiques actuelles et sur les réalités des
terrains.
Ils sont ouverts à des personnes d’horizons diverses mais qui,
dans leur pratique professionnelle sont en rapport constant
avec ce sujet.
Chaque réunion est articulée autour d’un thème précis avec un
intervenant invité : économiste, sociologue, inspecteur
d’académie, représentant d’association théâtre et jeune
public, psychanalyste, philosophe, pédo-psychiatre,
responsable de la petite enfance d’une ville, metteur en
scène, chorégraphe, musicien ou tout autre artiste qui a eu
une expérience de production avec des enfants, responsable
d’une structure culturelle française ou étrangère, architecte,
plasticien etc…)
Quatre réunions se sont tenues depuis janvier. Les pages qui
suivent en donnent la synthèse. Des relations d’expériences
aux commentaires avisés de spécialistes, ces réunions se
veulent un lieu d’information et d’échange autour des
expériences artistiques qui concernent les enfants et les
jeunes.
Afin de mieux répondre aux soucis des participants,
dorénavant, ces réunions se tiendront en fin d’après-midi et
dans le cadre du cabaret aléatoire de la friche la belle de
mai en collaboration avec Radio Grenouille.
Si vous souhaitez être personnellement informé du calendrier
des groupes de travail jeune public, faites nous le savoir au
04 95 04 95 70. G.V.
Groupe de travail autour de Mark Tompkins
Du je(u) au nous
Mark Tompkins est danseur chorégraphe. Il dirige la compagnie
I.D.A.
Le Théâtre Massalia a accueilli “La vie Rêvée d’Aimé” du 23 au
24 janvier 2003.
Les trois obsessions de Mark Tompkins ? La vie l’amour et la
mort. “C’est banal, mais essentiel”. Ce grand bonhomme
déguingandé, qui, à 49 ans, reste étonnamment juvénile, n’a
pas besoin de long discours pour communiquer sa passion. Il
sait trouver les mots justes et les images parlantes. Il a le
contact facile et le chic pour vous mettre à l’aise. Son
accent prononcé et son attitude directe et naturelle
trahissent ses origines américaines.
Danseur, chorégraphe et pédagogue
En effet, Mark Tompkins a quitté les Etats-Unis en 1973. Il
vit en France depuis. Pour autant, il serait vain d’essayer de
le réduire à un territoire. Les frontières, il n’en a cure.
Elles ne servent qu’à être transgressées. Ainsi, il est à la
fois danseur, chorégraphe et pédagogue et adore entremêler les
disciplines. Il alterne sans problème, les projets collectifs
et les solos, travaille sur l’intime tout en démultipliant les
résidences et les rencontres. De plus, parallèlement à ses
activités de directeur artistique de la Compagnie I.D.A., il
mène depuis des années une recherche sur l’improvisation et la
composition instantanée.
La danse, la musique, la vidéo, la lumière, la photo, les arts
plastiques… il ne rejette a priori aucun matériaux. “J’utilise
tout et n’importe quoi du moment que c’est nécessaire pour le
spectacle”. Mais cette multiplicité des langages se
cristallise autour d’une démarche extrêmement cohérente. “Mon
sujet c’est le corps. Tout traverse le corps. C’est notre
matière commune. Il est là avant la parole”. Avec Mark
Tompkins, l’enveloppe charnelle devient la source et
l’aboutissement de sensations et de pensées contradictoires,
informulables et impalpables, mais pourtant essentielle, car
garante du lien qui unit les êtres.
Pour arriver à ses fins, il n’hésite pas à explorer les zones
troubles de la condition humaine : l’ambivalence,
l’androgénie, le narcissisme… Tout ce qui favorise les allersretours entre le “moi” et le “nous”. De même, il inscrit
toujours l’acte de représentation au plus près du réel. Il
joue avec les situations du quotidien et de l’ordinaire, se
sert des coïncidences et des hasards de la vie, accumule les
citations qui résonneront dans la mémoire du spectateur. Mais,
il ne s’agit nullement d’opérer dans le réalisme, le
dispositif tout entier reste tourné vers la fiction. “Je
travaille par succession de trames : narratives, visuelles,
auditives, psychologiques. A chacun de reconstruire son
parcours à l’intérieur de ces propositions qui se croisent. A
la fin du spectacle, tout le monde a vu le même objet, mais
chacun se raconte une histoire différente”.
La communauté ainsi rassemblée va se reconnaître dans
l’affirmation d’une singularité inaliénable. Le corps intime
devient alors parti prenant du corps social vice-versa. Bref,
les spectacles Mark Tompkins sont politiques puisqu’ils
mettent simultanément à jour le miracle de l’individu et
l’inanité de l’individualisme. Fred Kahn
Mark Tompkins
Le jeu et les jeunes
Mark Tompkins est un touche-à-tout. Pas étonnant donc qu’il se
soit frotté au spectacle jeune public. Dans le cadre d’une
résidence à Strasbourg, il a su mener de front la création
artistique et l’intervention auprès d’un public de
préadolescents. Il a témoigné de cette expérience, mercredi 22
janvier, dans le cadre du groupe de travail sur la “relation
entre le théâtre, l’art en général et je jeune public”, mis en
place par le Théâtre Massalia.
Une résidence de 2 ans...
Mark Tompkins a expliqué comment, à l’occasion d’une résidence
de deux ans (1998-2000), il a monté un projet artistique,
intitulé “La vie rêvée d’Aimée”, pour et avec une population
de collégiens de la ville de Strasbourg et de sa région. “Il
ne s’agissait pas de faire de l’animation gratuite, ou du
baby-sitting, mais d’impliquer les jeunes dans un véritable
travail de création. Ils ont apporté certains des thèmes et
ont été inclus dans la première mouture du spectacle qui a été
présentée à Strasbourg”.
Pour cette expérience, Mark Tompkins a travaillé dans les
collèges du bas-Rhin. Il s’est appuyé sur les structures de
l’éducation nationale et plus particulièrement sur l’Union
nationale de sport scolaire (UNSS) qui faisait le lien entre
les enfants et les artistes. Les rôles étaient clairement
répartis. Tout ce qui relevait de la pédagogie à proprement
parlée et de la discipline était du ressort de l’UNSS. “Nous
n’avons jamais remplacé les professeurs. Nous ne voulions pas
nous substituer à eux”. “Les enfants qui ont participé au
projet étaient tous volontaires”, a également précisé Mark
Tompkins pour bien souligner le fait que l’engagement des
participants est indispensable à la bonne réussite de ce type
d’aventure. “Nous leur demandions d’être professionnels et
responsables”. Il a aussi insisté sur le fait qu’une telle
relation ne peut se construire que sur un temps long.
Une compagnie spécifique...
La souplesse de Mark Tompkins est étonnante. Il cherche
toujours à adapter le dispositif de production aux nécessités
artistiques.
Ainsi, pour ce projet, il n’a pas hésité pas à former une
compagnie spécifique. Il a recruté 8 danseurs autant pour
leurs compétences que pour leur capacité à communiquer avec
les jeunes.
Il a tout d’abord formé huit groupes de travail. Chaque groupe
était composé d’un couple de danseurs professionnels et
d’enfants. Ces ateliers se réunissaient tous les quinze jours
environ. Les trois premiers mois (de janvier à début avril)
ont été consacrés à l’improvisation à partir des éléments de
décors du spectacle à venir. “Début avril, nous avons arrêté
le processus de recherche et commencé le travail de création”.
Le spectacle n’était pas pour eux mais avec eux
Rappelons ici que la démarche artistique de Mark Tompkins est
très ouverte. Il utilise aussi bien la danse, que la
théâtralité, le chant ou les éléments visuels, ce qui lui a
permis de s’adapter aux envies et aux compétences des enfants.
Il n’imposait pas un savoir faire, ni un modèle, mais ouvrait
un champ de possible dans lequel l’imaginaire de l’autre
pouvait s’épanouir et se développer. “Il fallait se mettre au
service des enfants. Le spectacle n’était pas pour eux, mais
avec eux”, a encore martelé Mark Tompkins.
Mark Tompkins ne voulait pas déroger à ses préoccupations
d’artistes. Il creuse toujours l’endroit du trouble. Ici, il a
donc choisi de travailler avec des préadolescents sur les
conflits qui émergent à cette période de la vie.
J’ai dû me censurer…
Pour autant, des contradictions inévitables sont apparues
entre un artiste qui ne cesse de remettre en cause “l’ordre
établi” et le contexte spécifique dans lequel il opérait. Le
sujet était particulièrement sensible. Comment traiter de la
sexualité pré-pubère, des relations souvent conflictuelles au
sein de la cellule familiale sans heurter certaines
sensibilités ? “Je me suis retrouvé en porte-à-faux et j’ai dû
me censurer, reconnaît Mark Tompkins. Dans ce contexte, il y a
des choses qu’on peut faire et d’autres que l’on ne peut pas
faire”.
Transmettre un désir de connaissance
Le débat qui a suivi l’intervention de Mark Tompkins était
animé et franc. Il n’a pas occulté les différences de
conception qui subsistent entre l’artiste et le corps
enseignant, entre le besoin de questionner les normes du
premier et les missions de socialisation et de pédagogie du
second. Mais, si les points de vue sont parfois
contradictoires, ils n’en sont pas moins complémentaires. Ils
reposent sur la capacité des uns et des autres à transmettre
un désir de connaissance, à éveiller la curiosité. Il est
apparu évident que ce type d’expérience demande énormément de
souplesse de part et d’autre. “Nous ne pouvons pas arriver
avec un produit clés en main, a expliqué Jean-Louis Badet qui
participe activement au processus de production de la
compagnie I.D.A. Chaque aventure est singulière. L’implication
du corps enseignant est donc aussi primordiale pour la
réussite du projet, que la force intrinsèque de la démarche
artistique. Fred Kahn
L’écriture dramatique et les Jeunes
Groupe de travail autour de Philippe Dorin, auteur
Cie Pour Ainsi Dire, Philippe Dorin et Sylviane Fortuny
Entre les mots
Philippe Dorin, auteur et Sylviane Fortuny, metteur en scène,
de la Compagnie “Pour Ainsi Dire” ont
présenté deux spectacles à Massalia : “En attendant le Petit
Poucet” en 2001 et “Dans ma maison de papier, j’ai despoèmes
sur le feu” du 4 au 7 février 2003.
Philippe Dorin et Sylviane Fortuny se sont rencontrés en 1994,
lors d’ateliers d’écriture en milieu scolaire. C’est dans ce
cadre qu’ils ont fabriqué leurs premiers dispositifs
fictionnels. Mais la fiction précède toujours l’écriture.
Alors, ils ont imaginé “une poubelle d’écrivain” dans
laquelle, tel un archéologue, l’enfant pouvait puiser pour
faire émerger des brides d’histoires du passé. Ils ont aussi
inventé un “jardin d’écriture”, ont semé des boulettes de
papier qui étaient ensuite déterrées, repiquées dans des pots
et arrosées d’encre bleue.
Des feuilles de papier, un peu d’encre, une poignée de
cailloux...
La langue n’était plus une chose immatérielle, elle venait au
contraire se nourrir de la matière du monde. Les enfants ont
besoin de cet ancrage concret pour ensuite pouvoir laisser
voguer au loin leur imagination. Le matériel de départ est
infiniment précieux et rare : des feuilles de papier, un peu
d’encre, une poignée de cailloux... Ce n’est pas précieux ?
N’importe quel gamin sait qu’un caillou recèle des aventures
fabuleuses, il a roulé dans des eaux énigmatiques, voyagé dans
d’innombrables poches, toutes plus mystérieuses les unes que
les autres. En un sens, Philippe Dorin, est resté un éternel
enfant. Il ne doute pas un seul instant que “toutes les
histoires du monde sont dans la matière”. C’est à-dire à
portée de main.
En 1997, Philippe Dorin et Sylviane Fortuny s’associent pour
de bon et fondent la compagnie Pour ainsi dire. Lui écrit,
elle met en scène. Chacun sa partie. Et même si les mots sont
les fondations de l’édifice spectaculaire, ils sont remis en
jeu au présent, sur le plateau, nous sont proposés dans une
forme scénique et plastique qui leur donnent vie sans
nullement leur ôter leur liberté de mouvement. Cette parole
est théâtrale parce qu’elle se vit au présent. “Dans la pensée
de la réplique”. Ainsi les personnages “sont toujours dans
l’instant où les choses sont dites”. Comme les enfants, ils ne
préméditent pas leurs réactions. “Les enfants sont happés par
les grands sujets de l’existence, ils les prennent de plein
fouet. Mais sans préméditation”, explique Philippe Dorin. De
fait, le spectateur accueille les images dans son esprit,
elles ne s’imposent pas, elles résonnent.
“Il suffit de nommer pour que la chose advienne...”
Et la légèreté de la forme tranche avec la gravité des sujets
abordés : il est question, de la mort, de l’amour, de la
relation entre les êtres, de l’errance, de la solitude, de
l’amitié et de tant d’autres choses qui, mises bout à bout,
fabriquent une vie.
“Il suffit de nommer pour que la chose advienne. Ce qui est
dit existe”. Et ça marche. Pour que le miracle opère, il ne
faut pas être encombré par des formules savantes et un savoir
pesant. Il ne faut pas faire le malin et le virtuose. Pas
d’exercice de style, juste la logique poétique qui échappe à
toute autre logique. Et les mots se succèdent et avec eux
naissent des situations, des couleurs et des sons, des idées
claires et des pensées sombres… La limpidité des phrases ne
fait que rendre plus flagrante la profondeur du propos.
Exemple : “On ne peut pas se passer les uns des autres, le
manque de chacun est le comble de l’autre”.
Le théâtre devient ainsi un espace d’apparition sans aucun
trucage ni effets spéciaux. Tout est déjà là à l’état latent.
Ainsi, dans “Dans ma maison de papier j’ai des poèmes sur le
feu”, le noir le plus total est une nécessité absolue,
puisqu’il appelle la lumière qui viendra révéler la nature
profonde des choses. De même, “le texte est un squelette
autour duquel s’agrége la chair invisible du monde sensible”.
En peu de mots, il faut tout dire
“Je n’écris pas pour les enfants, mais ce sont les enfants qui
m’ont permis d’être écrivain à part entière”. Pour Philippe
Dorin, il n’y a pas à proprement parler d’écriture pour les
enfants. Bien sûr, l’univers mis en œuvre doit rester
accessible : “J’utilise des mots simples et des situations
concrètes. En peu de mots, il faut tout dire. Quand j’écris,
j’essaye de ne pas voir plus loin que le bout de mon nez”.
Pour autant, nous ne sommes pas face à une narration linéaire,
mais à des situations sensibles, un enchaînement de sensations
et d’émotions qui par petites touches dessinent les contours
de notre humanité. “Les mots ne construisent pas des
histoires, ils les détruisent”, ajoute l’auteur qui préfère de
loin le retranchement à la redondance. L’essentiel n’est donc
pas dans les mots, mais entre.
Avec Philippe Dorin et Sylviane Fortuny, l’enfant spectateur
n’est pas conforté dans une posture immature et irresponsable.
Il n’est pas face à un univers qui lui serait réservé, mais
dans un monde qui comporte sa part d’angoisse et de peur, un
monde qui le concerne et donc l’englobe. “Le théâtre interroge
et pose des questions.
Il n’est pas un simple miroir réconfortant, mais touche l’être
à un endroit fondamental”, affirme Sylviane Fortuny.
Il y a bien sûr une dimension ludique essentielle à l’acte
théâtrale. Elle fait lien et soude la collectivité. Mais si le
jeu libère les forces invisibles de l’imaginaire, il n’a pas
pour fonction de divertir, de nous sortir de nous-mêmes. Cet
imaginaire est partie intégrante du réel, il se pourrait même
qu’il le constitue.
Les enfants savent bien ça. Les artistes aussi. “Ce qu’il y a
de plus réel en moi, ce sont les illusions que je crée”.
Fred Kahn
Philippe Dorin
Je ne sais pas si j’écris pour les enfants
“Celui qui écrit, intégralement, se retranche” Mallarmé
Je ne sais pas si j’écris pour les enfants. Ce que je sais,
c’est que ce sont les enfants qui m’ont permis de devenir
écrivain à part entière. D’abord parce que la première fois
que j’ai pu écrire quelque chose jusqu’au bout, et qui tienne
debout, c’était pour les enfants. Et surtout, d’écrire pour
les enfants m’a obligé à trouver des mots simples, à poser des
situations concrètes, sans qu’à aucun moment le propos ne soit
altéré. Et c’est ce dépouillement, cette simplicité qui au
bout du compte, a fabriqué ma marque d’écriture, celle par qui
on me reconnait aujourd’hui comme écrivain, et entre les
autres ; en peu de mots, il faut tout dire.
Quand j’écris, j’essaie de ne pas voir plus loin que le bout
de mon nez. Je n’ai aucune grande vision de l’histoire que je
vais écrire. Si j’écris, c’est bien parce que je ne sais pas
comment le dire. Alors, j’essaie de n’être que dans la pensée
de la réplique. Ce sont les mots qui en font naître d’autres
et qui vont donner sens, par association d’idées, ou plutôt,
par déduction. Je retranche. Chaque réplique est la suite
logique d’une longue soustraction. Le total, c’est le mot
“fin”. Je crois que les mots sont comptés, dès la naissance.
J’ai l’impression que dans les cours de récréation, les
enfants fonctionnent aussi comme ça. Leurs jeux sont dans
l’instant où les choses sont dites.
Les situations n’existent que le temps des mots qui sans
arrêt, les défont. En fait, les mots ne construisent pas des
histoires. Ils les détruisent, sans cesse, comme dans ce poème
de Francis Ponge qui raconte que la roche est, depuis
l’origine de la terre, dans un processus lent et inéxorable de
destruction continuelle, de désintégration.
N’être que dans la pensée de la réplique, c’est aussi ce que
nous demandons à nos acteurs au sein de la Compagnie Pour
Ainsi Dire. Comme si, au bout, c’était le dernier mot qu’il
leur restait à dire. Dire, nommer, les gens, les choses, les
situations, suffit. Les affirmer plutôt que les jouer.
Dire juste, c’est juste le dire. C’est ce qui rend le mieux
pour nous cette idée d’enfance sur scène. Ce qui fait par
exemple qu’on ne se pose jamais la question de savoir si c’est
un enfant ou un adulte qui joue l’enfant qui le dit.
Etre dans le seul instant où les choses sont dites permet de
toucher aux sujets essentiels, la vie, l’amour, la mort, en
plein cœur, sans complaisance et sans ménagement. On doit
parler de tout aux enfants plus qu’à tout autre encore. Leur
ignorance de la vie est si grande que tous les grands sujets
de l’existence les attrapent de plein fouet et les laissent
KO.
Nous les adultes, nous avons cette petite part de déjà vécu
qui nous console tant bien que mal. Les enfants n’ont que les
héros des contes pour les rassurer. Mais on doit leur parler
sans préméditation. Mes personnages n’arrivent pas avec des
intentions. Il n’y a aucune arrière-pensée dans leur bouche.
Je voudrais qu’ils aient cette façon très triviale qu’ont les
enfants de dire tout haut et trop fort des choses qu’on ne
doit pas dire, en tout cas pas comme ça ou pas à ce moment là,
et qui mettent dans l’embarras, qui laissent sans voix.
Écrire, c’est fait pour provoquer le silence, faire bondir
loin devant les pensées, aussi loin qu’on le faisait avant
avec la délimitation des propriétés dans certaines régions
immenses. La terre vous appartenait aussi loin que votre voix
pouvait porter.
Dernièrement, une enseignante me racontait qu’après avoir vu
“Dans ma maison de papier…”, les enfants étaient restés muets
à la sortie du théâtre, en grand désappointement. Puis, au fur
et à mesure qu’ils se sont rapprochés de l’école, les langues
ont commencé à se délier. Et enfin, une fois en classe,
c’était un torrent de paroles.
A force de chercher des mots simples pour écrire mes
histoires, il ne m’en est pas resté beaucoup. Ma réserve de
vocabulaire s’est considérablement réduite. Avec si peu,
comment faire une histoire. Cela me fait penser à ces
cuisinières, devant le frigo vide, qui doivent composer un
menu pour le soir pour une famille entière d’affamés.
Les mots, j’en mets un tous les cinquante mètres.
Ils me servent à baliser le terrain, en quelque sorte, et
l’histoire est comme un pont que le spectateur doit jeter luimême au-dessus du vide, entre deux balises.
Dans nos spectacles, c’est plein de vide. Un jour, à la sortie
de “En attendant le Petit Poucet”, une dame a demandé à son
fils : “Ça t’a plu ?” L’enfant a répondu oui. La mère : “Eh
ben t’es pas difficile !” C’est sûr, question histoire, le
rendez-vous est manqué. Sur scène, il n’en reste plus que les
miettes. Je me souviens aussi d’un enfant qui, parce que “En
attendant le Petit Poucet” se jouait devant un rideau rouge, a
cru que le spectacle n’avait jamais commencé.
Ce que nous essayons de montrer, ce sont plutôt des choses
invisibles comme le temps qui passe, les pensées qui
traversent, l’attente de quelqu’un. C’est le négatif de
l’histoire. Le texte est un squelette. La chair est invisible.
Sur le papier déjà, le texte de théâtre est un squelette. Les
noms des personnages superposés au centre de la page sont
comme des vertèbres, les répliques comme des rangées de côtes,
de part et d’autre. Le texte de théâtre est un spectre, en
lui-même.
Je voulais juste indiquer deux ou trois choses. J’ai
l’impression que je les complique. On nous dit que nos
spectacles sont difficiles à comprendre.
Pourtant, nous essayons d’être le plus simple, le plus clair
possible.
Quand j’écris, moi j’ai toujours la tête penchée vers le bas,
sur la feuille de papier. C’est là que ça se passe. Je me sens
plus proche de quelqu’un qui plante des pommes de terre que de
quelqu’un qui a la tête perdue dans les étoiles.
Quand le monde est né, il y a des endroits qui sont restés
vides, non peuplés d’hommes, de bêtes et de paysages, un peu
comme ces recoins qu’on oublie toujours lorsqu’on peint une
porte ou une fenêtre. Ces endroits, les hommes ont mis quatre
murs autour, et ils les ont appelés théâtres. A l’intérieur,
ils ne cessent d’y faire, d’y défaire et d’y refaire le monde,
le pire et le meilleur.
Pour qu’il y ait du théâtre, il faut d’abord qu’il y ait le
noir et le silence. C’est pour cette raison que j’ai
l’impression que toutes les pièces de théâtre commencent par
“Allume !” et “Qui parle ?”. Le théâtre, c’est toujours
quelque chose qui sera dit demain. Philippe Dorin
Groupe de travail autour de Patrick Ben Soussan et Damien
Bouvet
La langue des corps
Patrick Ben Soussan
Patrick Ben Soussan, pédo-psychiatre a été sollicité par
Massalia pour une sorte de commentaire du spectacle de Damien
Bouvet de la Cie Voix Off “Chair de Papillon” programmé à
Massalia du 11 au 13 février 2003.
Patrick Ben Soussan est pédopsychiatre et travaille à
l’Institut Paoli Calmettes et à l’hôpital de La Timone à
Marseille. Il est né et a grandi dans un milieu culturel où
les histoires de famille racontées avaient une place très
importante. Chaque histoire faisait l’objet d’une mise en
scène, donnant toute son importance aux mots, au langage du
corps, et à l’exacerbation des émotions.
Enfant, il a donc baigné dans ce “théâtre de famille” qui lui
a transmis une pratique de l’oralité, et qui finalement ne l’a
jamais lâché. En effet, dans son travail en pédopsychiatrie,
il utilise le théâtre, le conte, la musique.
Il est très sensible au monde de la culture, à tout ce qui se
transmet, à l’art au sens de l’expérience, de l’émotion
esthétique.
Il dirige depuis 1996 la revue Spirale et depuis 1997 la
collection Mille et un Bébés chez Erès, toutes deux consacrés
aux bébés dans tous leurs états. Depuis le mois d’avril, il
fait partie du conseil d’administration du théâtre Massalia.
G.V.
Groupe de travail autour de Patrick Ben Soussan et Damien
Bouvet
La langue des corps
Patrick Ben Soussan
Patrick Ben Soussan, pédo-psychiatre a été sollicité par
Massalia pour une sorte de commentaire du spectacle de Damien
Bouvet de la Cie Voix Off “Chair de Papillon” programmé à
Massalia du 11 au 13 février 2003.
Patrick Ben Soussan est pédopsychiatre et travaille à
l’Institut Paoli Calmettes et à l’hôpital de La Timone à
Marseille. Il est né et a grandi dans un milieu culturel où
les histoires de famille racontées avaient une place très
importante. Chaque histoire faisait l’objet d’une mise en
scène, donnant toute son importance aux mots, au langage du
corps, et à l’exacerbation des émotions.
Enfant, il a donc baigné dans ce “théâtre de famille” qui lui
a transmis une pratique de l’oralité, et qui finalement ne l’a
jamais lâché. En effet, dans son travail en pédopsychiatrie,
il utilise le théâtre, le conte, la musique.
Il est très sensible au monde de la culture, à tout ce qui se
transmet, à l’art au sens de l’expérience, de l’émotion
esthétique.
Il dirige depuis 1996 la revue Spirale et depuis 1997 la
collection Mille et un Bébés chez Erès, toutes deux consacrés
aux bébés dans tous leurs états. Depuis le mois d’avril, il
fait partie du conseil d’administration du théâtre Massalia.
G.V.
La rencontre entre Damien Bouvet auteur de “Chair de Papillon”
et le pédopsychiatre Patrick Ben Soussan est une évidence.
D’un côté un spectacle qui creuse à l’endroit des peurs
ancestrales qui déchire le voile des conventions sociales pour
laisser apparaître notre part irréductible d’animalité, de
l’autre un médecin constamment confronté à des enfants
développant les symptômes du trouble, de la crise et même
parfois de la rupture avec leur environnement. Entre les deux,
une vérité de l’être impossible à atteindre.
Comme tous les spectacles intenses et denses, “Chair de
Papillon” entraîne le spectateur dans les zones inconfortables
et intimes de notre être. Il y est question de transformation,
de métamorphose, de passage entre un état et un autre.
L’imaginaire de ce spectacle entre donc en parfaite résonance
avec le développement et les changements qui s’opèrent chez
l’enfant pendant qu’il grandit, notamment à l’adolescence,
moment particulièrement critique de l’évolution humaine. Mais
Damien Bouvet nous offre bien plus qu’une simple métaphore du
passage de l’enfance à l’adolescence. D’ailleurs, il ne
s’adresse pas à un public en particulier.
“Je n’ai pas de public pré-établi. J’espère concerner autant
un enfant de 3 ans et demi qu’un spectateur averti. En fait je
propose un théâtre qui a définitivement besoin et de l’enfant
et de l’adulte pour exister”.
De même que lors des différents stades de la vie nous sommes à
la fois les mêmes et fondamentalement des autres, ce spectacle
nourrit plusieurs strates de la conscience et de
l’appréhension du monde. Comme l’explique Patrick Ben Soussan
: “Chacun porte en soi l’enfant, l’adulte, le vieillard et
celui qui va mourir”. Damien Bouvet télescope les archétypes
mythologiques et légendaires pour mieux les réactualiser. Il
utilise les ressorts du fantastique et du rêve non pas pour
nous éloigner de la réalité, mais, au contraire, pour en
augmenter l’étendue.
Il ne nous renvoie donc pas une image idéalisée de l’enfance.
“Pour moi c’est un état monstrueux.
Quand on est gosse, on est dans un train fantôme”. L’enfant
n’a pas la prétention de comprendre un monde qui le dépasse
complètement tout en l’englobant entièrement. En ce sens, il
est sans doute plus proche de la vérité que les adultes.
L’enfant sait que le jeu est une affaire à prendre au sérieux
que, comme ils disent, si tu triches t’es mort !!! C’est à cet
endroit d’une perte de contrôle assumée que Damien Bouvet veut
nous entraîner. Alors il puise jusque dans les tréfonds de la
toute petite enfance, refait émerger des émotions brutes, des
peurs et des émerveillements enfouis au fond de nous et il les
confronte à notre regard dans le présent de la représentation.
Ce travail très sensoriel passe essentiellement par le corps,
par la conscience corporelle. “Je fouille dans un avant mot”.
Patrick Ben Soussan n’est pas dépaysé. D’abord parce qu’ayant
baigné très jeune dans le milieu culturel il est
particulièrement sensible “aux effets” du spectacle vivant.
Ensuite parce que professionnellement, il doit, lui aussi,
fouiller dans le non-dit pour résoudre des traumatismes
enfantins. Il sait que l’enfant capte les choses autrement,
mais qu’il les capte. “Selon l’âge, on regarde les choses
différemment. Le plus important, c’est ce qui est transmis. On
peut être touché à n’importe quel âge par un spectacle, mais
on le sera de manière différente”.
“Chair de Papillon” peut concerner des enfants très jeunes
parce qu’il aborde des questions fondatrices. Il nous
interroge à l’endroit de notre devenir. Donc sur un processus
autant biologique que poétique et philosophique comme l’a
rappelé Patrick Ben Soussan “L’appétence de tout enfant est de
devenir adulte”. L’enfant se projette, à travers des histoires
qui peuvent être d’une incroyable cruauté, dans un avenir
qu’il ignore, qui lui fait peur et pourtant qu’il désire.
Pendant ce temps, l’adulte “se reconstruit à partir de ce
qu’il a été”.
Certes, tout le monde ne verra pas le même spectacle. Et c’est
tant mieux. Chez l’adulte, “Chair de Papillon” éveillera la
conscience d’une altérité indéfinissable mais vitale. Chez
l’enfant, ce spectacle mettra en jeu les ressorts de la
différenciation entre le masculin et le féminin, le père et la
mère ou encore entre l’enfance et l’âge adulte.
Cette proposition travaille également à l’endroit de
l’adolescence qui par définition est l’âge du passage entre
deux états d’être. Un moment inconfortable où l’on quitte le
territoire connu et relativement protégé de l’enfance pour
entrer dans un nouveau monde, de nouvelles sensations avec un
nouveau corps. “Chair de Papillon”, est une expérience
sensible qui ne reproduit pas du même, mais nous plonge dans
le mouvement de l’être vivant. Fred Kahn.
Damien Bouvet
Faire le clown
Damien Bouvet est un clown. Mais ce n’est pas une posture
anecdotique et divertissante. Il s’agit d’un véritable
engagement artistique. Il pourrait en parler pendant des
heures et avec passion. “Le clown c’est Becket ou Michaux.
C’est un état, une façon d’être totale. C’est à la fois une
source de savoir et une source d’oubli de son savoir. C’est un
art du corps qui permet de penser simultanément la forme et le
contenu. D’autre part, le clown est un miroir qui nous offre
une image dérisoire et décalée de l’être humain”. Ce n’est pas
par hasard si Damien Bouvet cite Michaux et fait référence à
l’un de ses poèmes. “...Clown, abattant dans la risée, dans le
grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute
lumière je m’étais fait de mon importance / Je plongerai. /
Sans bourse dans l’infini esprit sous-jacent, ouvert à tous, /
Ouvert moi-même à une nouvelle et incroyable rosée / à force
d’être nul / et ras... / et risible..”.
Damien Bouvet partage avec Michaux le souci d’exacerber la
vie, de toucher aux sources de l’identité et de
l’authenticité. Comme le poète qui pratiquait “la descente
dans les nerfs”, il manipule un matériau extrêmement
dangereux. Il n’hésite pas à frôler le ridicule, à remettre
complètement en jeu son ego, à détruire délibérément toute
représentation valorisante mais factice de son être.
Dans un essai sur ce poème de Michaux, Camilla Gjorven et
Pierre Grouix, ont su montrer comment la figure du clown peut
devenir une véritable arme critique sur la condition humaine :
“au sens premier du terme -rustre, ruffian-, le clown
appartient au plus bas degré de l’organisation des hommes.
C’est de l’échelle sociale qu’il dégringole, jusqu’à se faire
paria barbare, indigne. C’est dire ce que cette figure peut
avoir de peu attirant à première vue. Mais, par un
renversement grotesque, le clown n’est plus le dernier d’un
ordre, mais le premier, le seul, d’un nouvel ordre, d’un ordre
à part qu’il résume”*. Contrairement aux idées reçues, un vrai
clown n’est pas dans la surenchère, mais dans une forme
d’humilité qui lui permet de devenir représentatif de
l’humanité : “S’il veut exister, le clown doit mobiliser
l’ensemble de ses forces dans un projet d’être. […] Se
dépouiller, quitter tous ses vêtements de circonstance pour
être ce qui les lie tous, le corps qui les porte, sans
plus”**.
Le rire devient alors une expérience qui permet de sortir de
soi-même pour mieux se retrouver. Une expérience physique qui
passe obligatoirement par le corps, le traverse, sans
l’encombrer. “Je ne fabrique pas des images mais du corps,
explique Damien Bouvet. Le théâtre c’est avant tout du corps”.
C’est dans ce corps partagé que se reconnaissent sans doute
les enfants de tout âge. Il y a là quelque chose qui dépasse
l’entendement et qui est pourtant parfaitement entendu. Reçu
cinq sur cinq. Fred Kahn
* & ** Lecture de “Clown” d’Henri Michaux, par Camilla Gjorven
et Pierre Grouix.
Essai disponible sur internet : www.maulpoix.net/clown.html
Patrick Ben Soussan
Les jeux ne sont jamais faits
De multiples expériences ont démontré que, par le jeu, on
pouvait comprendre et même parfois résoudre certains troubles
profonds de l’enfant. La création artistique apporte également
des réponses à des pathologies lourdes. Mais, il faut éviter
les rapprochements trop hâtifs. Le jeu d’enfant n’a rien à
voir avec le jeu d’artiste. Les territoires peuvent être mis
en contexte à condition de bien les différencier.
La réalité de la vie, c’est la perte…
Patrick Ben Soussan rappelle qu’étymologiquement, prendre
soin, signifie être présent. Une présence qui répond à une
pathologie ou comble une “absence”, une angoisse, un manque et
ce, de la même façon que le théâtre vient compenser notre
finitude et notre peur de la mort. “A travers l’art, nous nous
démultiplions. Nous avons la possibilité d’allonger notre vie,
de la changer mille fois”, explique le pédopsychiatre. L’acte
artistique est une manifestation de la pensée qui peut donc
être envisagée comme une forme de symptôme de la vie. La
création vient alors compenser cette perte qui est consécutive
de toute existence. “La réalité de la vie, c’est la perte,
rappelle Patrick Ben Soussan. Dès les premières secondes de
notre existence, nous sommes confrontés à cette question de la
perte. La vie commence par une séparation et tout au long de
notre vie, il nous faut trouver un équilibre et faire en sorte
que ce que l’on acquiert compense ce que l’on perd”.
Le jeu théâtral repose donc sur des codes et des conventions,
une mise à distance, qui n’ont rien à voir avec le jeu de
l’enfant…
Mais pour autant, peut-on dire que le jeu de l’enfant à la
même fonction que le jeu théâtral qui, lui, nous permet de
déjouer la mort ? Pour Patrick Ben Soussan, une telle
assertion est beaucoup trop réductrice. “Nous plaquons sur le
jeu de l’enfant notre vision d’adulte. L’enfant ne joue pas au
sens où nous l’entendons. Il fait une expérience vitale. Pour
un petit enfant, perdre son doudou, c’est terrible.
Le monde disparaît. Il ne peut pas mettre à distance cette
expérience. Il la vit en lui-même”. Le jeu théâtral repose
donc sur des codes et des conventions, une mise à distance,
qui n’ont rien à voir avec le jeu de l’enfant. Le spectacle se
déroule dans un moment et un lieu déterminé, alors que, “pour
l’enfant, le jeu contamine tout son environnement. Il est
profondément ce à quoi il joue”.
Et, forcément, un jeune enfant ne ressentira pas un spectacle
de la même façon qu’un adulte. “Il ne sait pas ce que c’est et
en même temps, il peut complètement entrer en résonance avec
une proposition artistique. Au-delà de la parole, il reconnaît
quelque chose qui lui est adressé directement. Il ne
fonctionne pas sur la séduction, mais sur quelque chose de
plus essentiel qu’il arrive à capter”.
La rencontre avec la création artistique est, comme toute
rencontre, une expérience structurante pour un individu en
train de se construire. “Au moins on fait de rencontres, au
moins on emmagasine d’expériences, au plus on se rétracte”,
prévient le pédopsychiatre.
“Et, les enfants aujourd’hui sont beaucoup moins soumis aux
effets de rencontres que par le passé”. Anna Arendt a
parfaitement analysé comment les modèles culturels
s’effondrent à mesure que la société se fragmente. A
l’avènement de l’individu répond une crise de la transmission,
un rétrécissement de la culture commune, de la culture
partagée. Le repli sur soi rend le monde plus étriqué. A
l’inverse, l’acte artistique est une immense fenêtre qu’il
faut ouvrir en grand et dès le plus jeune âge. Fred Kahn.
Groupe de travail autour de Aline Soler
Les oiseaux
“Les oiseaux” : c’est le nom que s’est donné le groupe
d’enfants et d’adultes réunis à Yutz, ville de l’agglomération
thionvilloise, autour des écrits d’Armand Gatti (à
l’initiative notamment de René Croci, instituteur). Aline
Soler, réalisatrice radio, tente à Marseille la même
expérience, avec la complicité de Fatima Nacer, institutrice à
l’école Félix Pyat.
Des oiseaux de Yutz aux oiseaux de Marseille
C’est un soir de février 2001, en Avignon, qu’Aline Soler
entend parler pour la première fois, de la bouche même
d’Armand Gatti, des Oiseaux de Yutz. A l’origine du projet :
une simple lecture d’Armand Gatti à Thionville. Mais les mots
du poète ont rencontré l’oreille de René Croci, un instituteur
engagé et passionné. Cet enseignant de CM1 à l’Ecole Pasteur
de Yutz, petite commune de l’agglomération thionvilloise,
décide alors de transmettre à ses élèves l’émotion qu’il a
ressentie. Il lit en classe le livre en question, en
l’occurrence “La Parole errante”, et initie un début de
correspondance entre les enfants et Armand Gatti. Celui-ci
répond par l’envoi à chacun de son livre. Ce geste apparemment
anodin déclenche une véritable passion.
L’engouement est d’autant plus incroyable que l’œuvre de Gatti
est dense et foisonnante. Mais emportés par leurs élans et
surtout guidés par René Croci, les Oiseaux (c’est ainsi que se
sont rebaptisés les enfants) décident de réaliser leur propre
livre, “Qu’est-ce que c’est que cet Est-Ouest”. Fraternisant
avec les mots d’Armand Gatti, ils parlent de leurs origines,
de leurs expériences, de leurs vies. “Un texte qui dépasse la
parole d’enfants, explique Aline Soler. Car, ils ont pu avoir
accès à un univers poétique que, jusque-là, ils ignoraient et
qu’ils ont su s’approprier”.
Aline Soler décide d’abord de réaliser un simple reportage sur
cette aventure. Mais elle prend rapidement conscience du
potentiel fondamental de cette expérience de vie. Elle
comprend alors qu’il ne faut pas travailler sur les Oiseaux,
mais avec eux. “De même que René Croci les avait amenés à se
saisir de mots, de crayons, de formes et de toutes leurs
capacités à écrire, dessiner, raconter, je voulais mettre à
leur disposition micro, magnétophone et banc de montage pour
qu’ils racontent radiophoniquement cette histoire
extraordinaire”.
En 2001 et 2002, elle travaille régulièrement avec les Oiseaux
de Yutz. Et l’enthousiasme étant contagieux, en septembre
2002, le projet prend racine à Marseille. Fatima Nacer,
enseignante à l’école Félix Pyat, convaincue de la pertinence
de ce type d’action, décide d’impliquer sa classe CE2-CM1-CM2
dans le dispositif. Dans le même esprit qu’à Yutz, mais avec
sa propre logique et ses nécessités internes, le groupe des
Oiseaux de Marseille va prendre son envol.
Le projet continue donc son évolution. Il est rebaptisé “Ceux
qui ne sont jamais nommés dans l’Histoire”. Comme à Yutz, il
se développe hors des périodes scolaires. Comme à Yutz, les
enfants sont, comme par miracle, hyper motivés. Lors
d’ateliers organisés à la Friche la Belle de Mai, Aline Soler,
la comédienne Anne Ayçoberry et Nicole Félix développent les
capacités créatrices des enfants à partir de la matière
concrète du monde. Tous ensemble, ils construisent des
chroniques et des récits de vie. Ils partent de connaissances
familiales et personnelles, de lectures, mais aussi de thèmes
et de préoccupations actuels. “Nous n’hésitons pas à parler de
la guerre. Chacun apportant des éléments de réponse à travers
son vécu et ses propres connaissances”.
Cette prise de parole n’a donc rien de spontané. Elle est trop
précieuse pour être gâchée. “La parole, comme la pensée, se
construit, se forge, s’enrichit, se corrige, s’améliore”,
précise Aline Soler. Les enfants se voient ainsi offrir de
vrais temps de recherche et de liberté. “La définition d’un
mot dont ils ignoraient le sens devient alors prétexte à jouer
avec l’étymologie, l’association… d’autres mots, d’autres
sens. Ainsi tout devient possible, de multiples propositions
émergent et cette dynamique de travail offre aux plus
“timides” une place véritable, l’occasion de dire et de faire,
d’être singulier dans un temps collectif”.
A terme, l’ensemble des chroniques et pièces radiophoniques
émergeant de ce travail donnera lieu à l’édition d’un disque
et les écrits à la réalisation d’un livre. Mais les traces
laissées par les oiseaux de Yutz et de Marseille sont beaucoup
plus profondes. Les enfants auront appris à penser un rapport
au monde qui laisse une juste place à l’autre. Autrement dit :
“Etre un Oiseau, c’est ne pas être chasseur”. C’est une
qualité de pensée et une posture. Devenir Oiseau relève d’une
entreprise de socialisation politique. C’est une
responsabilité vis-à-vis des autres que l’on remet constamment
en jeu.
Ce projet amène donc l’enfant à se situer dans un groupe et,
en toute lucidité, à fabriquer sa place dans ce groupe. La
production de paroles et d’écrits redevient alors ce qu’elle
ne devrait jamais cesser d’être : la traduction d’une
tentative de réconciliation entre l’être et le monde. Car,
comme l’a très bien compris Aline Soler “pour faire le monde
autrement,
il faut d’abord être capable de le dire autrement”. Fred Kahn
Le salut d’un oiseau
qui vole très très haut
Le salut d’un oiseau
qui se pose sur un arbre
Le salut d’un chasseur
qui veut tirer sur un oiseau
Le salut d’un écrivain
qui défend l’oiseau
Le salut d’un écrivain qui emporte l’oiseau avec lui.
Farida
Un jour, un salut
Un jour un salut qui dit salut à un salut qui dit de dire
salut à un autre salut.
L’autre salut resalut le
salut en disant au salut “salue tous les saluts”. Le salut
salue tous les
saluts comme avait
dit le salut qui
l’avait resalué.
Adrianne
Un salut insuffisant
Le salut ne sera jamais salué
à sa juste valeur.
Le salut avec ses 5 lettres
déjà en disent plus. le salut
a sa personnalité, chaque salut a son salut personnel.
Le salut est insuffisant tout seul.
Il est constitué de plusieurs saluts, le salut est un pluriel
Insuffisant le salut constitué de plusieurs saluts forme un
salut insuffisant même si tous les saluts se rejoignaient, ils
seraient insuffisants.
Anissa S.
Les non nommés de l’histoire
Les non nommés seront nommés dans l’histoire
Les ministres, les présidents sont nommés dans l’histoire
Mais
Les enfants
Les écoles
Les enseignants
Ne sont pas nommés
C’est de l’injustice
Pas juste, nous nous voulons être nommés dans l’histoire
L ‘histoire ça se nomme
Etre nommés dans l’histoire c’est un rêve très difficile à
exaucer
Armand Gatti n’est pas nommé dans l’histoire
Nous nous le connaissons, j’en ai parlé à des personnes que je
connais et qui ne connaissaient pas Armand Gatti.
Nommer c’est exister
Nommer c’est vivre
Nommer c’est une histoire
Nommer c’est les présidents et les ministres
Nous allons être nommés grâce à une personne bien gentille,
aline
Anissa G.
L’écrit c’est notre
hyperespace si
nous y entrons c’est toujours dans l’espoir peut-être démesuré
de renaître dans un autre univers
Gatti choisi par Abdelbassat
Le salut
Le salut
Le salut
Le salut
Le salut
Le salut
Le salut
Faissoil
d’un oiseau qui vole dans les airs
d’un volcan qui descend vers la mer
d’un arbre qui est vert
d’un oiseau qui donne un cadeau à cassim
d’un pêcheur qui pêche à la mer
d’un chat qui n’aime pas les souris
d’une souris qui n’aime pas le fromage
L’oiseau que j’aime
Un oiseau qui chante bien
Tes yeux rayonnent au soleil
Avec ton petit bec orange
Tu es le plus beau oiseau que j’ai vu
Monte au ciel et emmène moi avec toi
Et tes pattes oranges et tes yeux bleus
Youssra
Il y a toujours un moment où les oiseaux de Giotto auxquels
s’adresse Saint François d’Assise, deviennent les oiseaux de
notre propre jardin, le chien de Saint Roch devient le propre
personnage du destin , le vieillard du jugement dernier en
haut de la Sixtine,notre voisin et le printemps de Boticcelli
notre propre printemps.
Gatti choisi par Cassim
Le salut d’un
Le salut d’un
Le salut d’un
Le salut d’un
Le salut d’un
Abdelbassat
oiseau qui n’a pas de mot
poisson qui n’aime pas nager
singe qui n’aime pas vivre dans la forêt
pêcheur qui n’aime pas pêcher les oiseaux
personnage qui ne veut pas faire son rôle
Je salue cette mer qui est verte et qui n’a pas de terre
Je salue la terre qui est toute verte avec les herbes et les
arbres
Je ne salue pas le noir qui est comme un cauchemar
Abdelbassat
structures qui soutiennent les oiseaux...
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le manguier - les non leaders solidaires...
Liste des oiseaux de
...partout
Anissa S Zaynaba Anissa G Kader Abdelbassat Elfayoum Caty
Yousra Faïssoil Amel Adrianne Housni Yasdine Christian Taofik
Frédéric Jason Farida FatimaCassim Mariam Ali Jihad Saad
Nicole Grenouille Anne Marie Jo Aline Caroline Philippe
Emmanuelle Graziella
Armand Dante Sauveur Auguste Laetizia René Renato Hélène
Marie-Claude Jeanine Patricia
Sarah Josiane Colette Nicolas Amandine Bobby Azizah Coralie
Damien Elisa Elodie Guido Halima Ibrahim Janus Leakkena
Matthias Michel Méryl Omür Rozin Sophary Sophia Stéphane
Vanarong
Yassine Zineb Noëlla Michelle Romain Selim Raymond Amina
Louise César Zorah Hajar Assia Cedric Sounia Houda Chakir
Pierre Hari Flora Alexandre Céline Mickaël Morgane Alexia
Maxime Sanaa Sophie Abdessamad Amèle Franck Aziza Youssef
Camel
Vanessa Emeline Hayet Laura Sonny Sofiane Karim Kenny Sandra
Aurélie Bachir Paddy Fathia Augustin Aurore Habib Bernadette
Aimhigin Stanislas Marie France Geneviève Bernard Carlo Ruben
Rayane Brahim
Aline Soler, réalisatrice de Mots et des Sons
Les oiseaux
Aline Soler a fait ses classes radiophoniques à Radio
Grenouille. Nulle part ailleurs, elle n’aurait pu trouver un
tel espace de liberté et d’apprentissage. Elle s’est d’abord
familiarisée avec les techniques du journalisme, du reportage,
puis, notamment grâce à l’atelier de production et de création
radiophonique Euphonia et à son responsable Lucien Bertolina
elle a pu franchir les différentes étapes du montage et de la
réalisation.
“Je m’intéresse à l’histoire des autres, à leur
exceptionnalité…”
Faut-il préciser que Radio Grenouille ne répond pas à des
impératifs d’audimat et de séduction facile, mais que cette
radio associative cherche à développer une véritable relation
d’intelligence avec l’auditeur ? “Qu’est ce que la radio peut
raconter aux gens et comment s’adresser aux autres ?”, c’est
sur la base de ce questionnement qu’Aline Soler a construit
lentement son rapport au média radiophonique. “Je m’intéresse
à l’histoire des autres, à leur exceptionnalité. Et il faut
prendre du temps pour trouver les trésors que l’humanité
recèle”.
Ce fut le choc.
Pour le reste, il faut faire la bonne rencontre au bon moment.
Ainsi, quand Armand Gatti débarque dans la cité phocéenne pour
créer “Marseille Adam Quoi”, Aline Soler s’investit à double
titre dans le projet. Elle est à la fois coordinatrice pour la
Friche la Belle de Mai (qui servait de base logistique à cette
aventure) et “l’oreille de Grenouille”. Ce fut LE CHOC. Un
spectacle colossal, de plusieurs jours sur la ville entière et
sur un sujet on ne peut plus sensible, puisqu’il s’agissait de
conjurer l’innommable, Auschwitz, par la seule puissance de la
parole poétique. “Pourtant, je ne voulais pas entendre parler
des camps de concentration, se souvient Aline Soler. Mais,
Gatti m’a fait sortir d’une dualité trop simpliste entre
bourreau et victime. Il m’a permis de me réconcilier avec
l’histoire de l’humanité”. A la fin de “Marseille Adam Quoi”
je me suis retrouvée avec 50 heures de sons sur et autour du
projet. J’ai réalisé une émission d’une demi-heure et
construit ma propre appropriation de cette aventure poétique”.
“Ceux qui ne sont jamais nommés dans l’Histoire”.
Cette première expérience ne pouvait pas rester sans suite.
“J’ai continué à suivre Gatti… Je suis devenue fan, ajouteelle en souriant. Et plus sérieusement : “Il a un verbe qui
est une révélation. De plus, c’est quelqu’un qui t’amène à
l’autonomie. Le rapport à son œuvre n’est jamais passif”. Et
ça marche. En s’inspirant de son exemple, des oiseaux de 6 à
12 ans ont pu prendre leur envol, ont su reprendre la parole.
Désomais, ils parlent au nom de “Ceux qui ne sont jamais
nommés dans l’Histoire”. La formule est de Sélim, un jeune
garçon de 9 ans et demi, un de ces Oiseaux de Yutz, qui a
ainsi découvert l’incroyable potentiel d’humanité dont il est
détenteur. Fred Kahn
Ce qui s’écrit, se lit, se dit, se crie…
L’enfance est une chose étrange, à la fois adorable et
exténuante, un trésor et un chaos.
Christian Bobin - Extrait de Geai
Renato René Croci
Un être humain fragile à toutes celles
et ceux qui hésitent à faire un pas
"La dignité ? ... faire un pas, même petit en direction de nos
rêves immenses
Il y a longtemps que nous aurions dû chacun(e) et ensemble
être solidaires en actes de celles et ceux qui meurent par les
mots de la concurrence, de l’individualisme forcené, enseigné
(caché sous le mot blessé : “liberté”)… Je commence par
l’enfant noté, jugé en classe qui n’a pas pu recevoir dans sa
famille les mots ni l’esprit de l’école aux “valeurs”
bourgeoises instituée par Jules Ferry. Une blessure mortelle
s’il ne rencontre sur son parcours la force de l’échange des
savoirs, des yeux qui aiment (au lieu de juger), de la
coopération, de l’accueil, de l’esprit créatif de chacun(e)
[Reconnaissez-vous là les valeurs essentielles du mouvement
ouvrier ? Et c’est aussi au-delà des groupes dont il s’est
doté qu’il faut le rejoindre !]
Et puis regardons pour de bon dans les yeux les grandsparents et les parents de cet enfant, ils ne demandent rien :
les plus ancien-ne-s usé-e-s ou mort-e-s dans les mines et les
usines de partout (avant que les décideurs s’en aillent
exploiter ailleurs avec l’argent de tous) et celles et ceux
qui sont morts ou vivent encore dans les rues comme dernière
protestation et celles et ceux qui se sont éteints dans les
laminoirs du chômage et des boulots intermittents, à peine
payés, distribués en fonction des profits à rendre maximum et
celles et ceux dont chacun-e- de vous connaît l’existence, la
souffrance, la mort ou les rêves… Le tableau noir sur lequel
il est urgent d’écrire avec des craies d’étoiles.
“Jamais nommé-e-s de l’histoire, nous sommes toutes et tous
des personnes historiques” dit Marie-Claude Charpentier.
“L’histoire officielle n’est l’histoire de personne” dit
Armand Gatti.
Chacun-e- peut écrire un mot, dire un mot, le dessiner,
fabriquer quelque chose, faire ce pas même petit en direction
de nos rêves immenses : une école où, comme quand nous
apprenions à marcher, les adultes relèvent les enfants (à
moins que ce ne soit l’inverse !) jusqu’à ce qu’ils sachent
(loin des notations qui installent mépris, concurrence et
hiérarchie), une école où la seule mesure serait celle de
l’avancée de tous sur l’arbre des savoirs où ne pousse une
feuille que lorsque chacun(e) (vraiment chacun(e) !) a compris
un savoir précis dans des groupes de dialogues et d’échanges
mêlant enfants et adultes conscients qu’ils ont aussi à
recevoir.
Une société qui cherche par tous les moyens à entendre la
force créatrice de chacun(e) non pour finir un programme ou
rentabiliser ou être meilleur que le pays d’à côté (…et si on
n’y arrive pas partir en guerres de colonisations économiques
!) mais pour penser et faire un monde solidaire au quotidien.
C’est un rêve, c’est une réalité, c’est une lutte humaine et
non-violente, quotidienne et immense. Quelle école enseigne
l’histoire du mouvement ouvrier et ses valeurs ? La
solidarité, la grève, la manifestation, la pétition,
l’occupation, l’écriture, la poésie, l’art comme des moyens
non-violents de crier l’indignation et la révolte…
L’injustice se présentant comme légale et fatale, la confiance
aveugle faite aux “spécialistes adulés et qui changent suivant
les pouvoirs en place” nous conduisent aux fascismes. Rares
sont les puissances d’argent qui n’ont pas collaboré avec les
dictatures quand leurs profits étaient remis en cause. Tout
plutôt que la perte du pouvoir que donne l’argent. Tout,
jusqu’aux massacres visibles ou masqués… Et si pour les
retraites, la santé, l’école, les travaux de l’humanité nous
écoutions celles et ceux qui vivent dans la rue, les emplois
précaires, le chômage, les bas-salaires… et l’enfant… et
l’enfant qui reste encore au fond de nous. Peut-être alors
aurions-nous une chance d’échapper tous à la paupérisation
généralisée des corps et des esprits (un seul exemple :
l’Argentine où la classe moyenne est maintenant touchée aussi
gravement que les pauvres de partout par cet acharnement à la
“liberté” du plus fort).
La réponse aux agressions des gouvernements qui se sont
succédés, poussés par les puissances d’argent doit être à la
hauteur : quotidienne, confiante, écouteuse de chacun(e),
créatrice grâce à cette écoute à ces dialogues qui prennent le
temps de faire un pas même petit en direction de nos rêves
immenses… Bien sûr ce texte n’est pas parfait, si c’était ma
recherche je n’aurais même pas essayé de le commencer…
Il lui manque l’expression de chaque être humain de la
planète… Alors à toi à vous à nous à moi encore… et ainsi de
suite jusqu’à un mouvement incessant… Amitiés Bises Courages…
Renato René Croci*
*Renato René Croci est instituteur à Yutz en Moselle et est
l’initiateur du groupe des Oiseaux de Yutz (lire pages 22-25)
Flavia Armenzoni
zona franca
le teatro delle briciole
Le Teatro delle Briciole dirige le Teatro al Parco à Parme en
Italie. Massalia accueille régulièrement ses productions
depuis 1988. Dernier spectacle accueilli : “Fango”
du 17 au 21 mars 2003.
Une zone franche est, par définition, une partie du territoire
national considérée hors douane. Une zone neutre, un lieu et
un moment de rencontre et de confrontation.
En octobre 2003, le Teatro delle Briciole qui dirige le Teatro
al Parco, lieu de création et de diffusion artistiques jeune
public à Parme en Italie, a organisé une nouvelle forme de
festival de créations artistiques pour le jeune public.
Baptisé “Zona Franca” (Zone Franche), il est défini comme un
itinéraire encore inexploré permettant de repenser la relation
entre création artistique et enfance sous toutes ses formes.
Un espace laissant libre cours à une grande liberté
d’expérimentation et sans limites bien définies avec les
autres territoires, dans lequel sont suscitées et stimulées de
nouvelles rencontres.
Entretien avec Flavia Armenzoni, présidente du Teatro delle
Briciole.
Qu’est-ce que signifie pour vous Teatro delle Briciole, que de
proposer du théâtre aux enfants dans une ville comme Parme ?
C’est une tradition déjà ancienne à Parme. Le théâtre ne
concerne pas vraiment un âge en particulier, c’est une
éducation culturelle générale, de vie, d’écoute, d’attention,
de relations, très importante, c’est un moment de plus en plus
rare de communication sur l’art et c’est très important que
les enfants soient confrontés très tôt à cette forme d’écoute.
On a la particularité en Italie (on n’est pas nombreux), de
croiser les publics dans notre saison : jeune public en
matinée, le samedi et le dimanche pour les familles, et le
soir pour les jeunes et aussi pour les enfants.
Dans notre public, il y en a beaucoup qui viennent depuis
l’âge de trois ans. C’est notre fierté, c’est le résultat de
cette habitude d’aller au théâtre qu’on a réussi à installer à
Parme depuis presque 20 ans maintenant. La ville de Parme
n’est pas une grande ville, mais comme dans toute la région,
il y a une grande sensibilité à la culture, soutenue par les
pouvoirs politiques locaux, la ville, la région.
Est-ce que en 20 ans, tu as senti une différence de
comportement du public enfants et de leurs parents ?
Au niveau des familles, on sent qu’il y a de plus en plus
d’envies de partager ces moments de théâtre ensemble, parents
enfants. Mais malheureusement depuis quelques années, cela
marche moins bien avec les enfants de plus de sept ans, on ne
les voit plus trop au théâtre.
Ce qui a beaucoup changé ce sont nos rapports avec les
enseignants. Le travail que l’on mène auprès des écoles depuis
des années, a développé leur intérêt et aujourd’hui, on
n’arrive plus à satisfaire toutes les demandes. On n’a pas
assez de représentations.
C’est surtout le monde de l’école en fait, qui a changé. Il y
a deux ans, on a créé un groupe de travail avec les
enseignants des différents niveaux, maternelle, élémentaire,
secondaire pour comprendre les changements qui s’opèrent
aujourd’hui à l’école et réfléchir ensemble.
Zona Franca, c’est une nouvelle forme de festival ?
Oui, on a cherché cette année tout en gardant l’idée des
rencontres professionnelles, à s’ouvrir vraiment sur la ville,
qu’elle participe aussi à cette fête. On l’a ouvert aussi au
cinéma. Ce festival ne propose pas que des spectacles pour
enfants mais aussi des spectacles qui parlent de l’enfance et
de l’adolescence et qui s’adressent donc aux adultes.
Pour nourrir ces rencontres, on a demandé toute l’année à des
artistes qui ne travaillent pas particulièrement pour les
enfants de faire un travail avec les enfants : compagnies de
théâtre, (Teatro del Lemming), chorégraphe (Madalena
Vittorino), un metteur en scène (Giuseppe Bertolucci), un
acteur (Cesare Brie). On a sollicité aussi un journaliste
(Andrea Porcheddu), et une poète (Mariangela Gualtieri) de
suivre ces expériences.
Par ailleurs on a demandé expressément à des jeunes de créer
un spectacle pour enfants, les “corti teatrali”, une sorte de
commande auprès de jeunes artistes de théâtre pour les inciter
à aller à la rencontre du jeune public. Une même règle pour
tous : forme de 10 mn, technique légère, pour les enfants de 9
et 10 ans. Car la réalité en Italie c’est qu’il y a très peu
de compagnies qui créent pour ce public, et on a besoin
d’artistes pour prendre le relais.
Et puis, on a aussi l’envie et le devoir de transmettre nos
connaissances, notre expérience, et je ne parle pas seulement
de nous Briciole, je pense aussi à toute cette génération que
ce soit en Italie ou en France.
Dans les rencontres que j’ai suivies, tous ces artistes qui
ont travaillé pour la première fois avec des enfants m’ont
donné le sentiment d’avoir énormément appris, et d’être dans
une vraie interrogation sur ce que leur renvoyaient les
enfants...
C’est vrai. Déjà, ils ont affronté ce travail avec beaucoup de
peurs et non pas en pensant que c’était facile parce que
c’était avec des enfants. Ils ne voulaient pas au début. Et
comme ils ne connaissaient pas, ils n’avaient pas de
prétention et se sont lancés dans l’expérience sans à priori.
Leur découverte du jeune public, leur regard neuf nous a
bousculé, nous qui, de par notre “vieille” expérience, nous
empêchons peut-être de voir, de suivre les changements qui
s’opèrent chez les enfants dans une société où tout évolue
très vite.
Ce que nous a raconté tout à l’heure Marco Balliani sur son
expérience de travail théâtral avec des jeunes des rues de
Nairobi, est-ce que cela relève de la même démarche ?
Oui, même si c’est une expérience très difficile et très
personnelle, très émotionnelle, pour ceux qui l’ont vécue.
Mais il y a cette même idée de connaître l’enfance avec un
grand E. Qu’est ce que c’est que l’Enfance, les mondes de
l’Enfance, l’Enfance dans le monde.
Le théâtre, alors qu’il peut être considéré comme superflu,
voire luxueux dans nos sociétés, apparaît là comme la
possibilité de satisfaire des besoins vitaux, essentiels :
manger, dormir sous un toit, avoir des relations avec les
autres...
Oui, c’est extraordinaire. Mais en même temps, c’est aussi
retrouver un des rôles du théâtre qu’on a peut-être un peu
perdu chez nous, qui est d’assurer une communication sociale.
Pour nous, la culture est quelque chose d’important pour
vivre, tout simplement.
Propos recueillis par Graziella Végis
Au hasard du grand incomplet
Enfants emmenez vos parents…
Au théâtre… massalia
Théâtre jeune public, tous publics, il propose toute l’année
une programmation éclectique de marionnettes, cirque, théâtre,
danse. Programme trimestriel disponible dans tous les lieux
publics de Marseille et à la friche la belle de mai.
Tél. 04 95 04 95 70 / www.theatremassalia.com
et aussi à marseille
Au cinéma
• Au cinéma l’Alhambra, (propose à Marseille une
programmation permanente de cinéma pour les enfants)
Alhambracinémarseille - St Henri
Tél. 04 91 03 84 66 / www.alhambracine.com
À la librairie
• Païdos, (spécialisée en éducation et qui dispose d’un très
intéressant rayon jeunesse). 54 cours Julien / Tél. 04 91 48
31 00
• Librairie Regards (consacrée aux arts en général)
Vieille Charité / Tél. 04 91 90 55 34
Au musée
• Musée d’Archéologie Méditerranéenne(notamment la salle
Egypte). Centre de la Vieille Charité.
Tél. 04 91 14 58 59 / www.mairie-marseille.fr
• Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens. Centre de la
Vieille Charité.
Tél. 04 91 14 58 38 / www.mairie-marseille.fr
• Museum d’histoire naturelle de Marseille. Palais Longchamp.
Tél. 04 91 14 59 50 / www.mairie-marseille.fr
• Préau des Accoules (Espace des enfants des Musées de
Marseille) pour des expos ludiques et interactives.
Montée des Accoules / Tél. 04 91 91 52 06
• MAC (Galeries Contemporaines des Musées de Marseille). 69
avenue de Haïfa.
Tél. 04 91 25 01 07 / www.mairie-marseille.fr
• Musée de la Mode. 11, la Canebière.
Tél. 04 91 56 59 57 / www.mairie-marseille.fr
• La Friche la Belle de Mai (Pour des expositions d’arts
plastiques et pour
l’Espace Culture Multimédia). Rue Jobin.
Tél. 04 95 04 95 04 / www.lafriche.org
• Observatoire de Marseille. Bd Cassini - Place Rafer. Tél. 04
95 04 41 26 / www.oamp.fr
• Archives municipales (Pour se plonger dans l’histoire de
Marseille).
Tél. 04 91 55 33 75 / www.mairie-marseille.fr
• Maison de l’Artisanat et des Métiers d’Art (exposition sur
l’Art Forain jusqu’au 14 janvier 2004),
cours d’Estienne d’Orves - Tél. 04 91 54 80 54
et un peu plus loin
• Espace de l’Art Concret . 06370 Mouans Sartoux / Tél. 04 93
75 71 50
Perso.wanadoo.fr/espace.art.concret/
• Musée international des Arts Modestes (MIAM) 34200 Sète /
tél. 04 67 18 64 00 / www.miam.org
• Musée National Fernand Léger. 06140 Biot / tél. 04 92 91 50
30 / www.musee-fernandleger.fr
• Crestet Centre d’Art. 84110 Crestet / tél. 0490363500 /
www.d-c-art.org
États d’enfance
A lire, à voir, à consulter, des livres, films, sites, en
rapport avec l’enfance, l’adolescence, que nous avons aimés,
que nous aimons.
À lire
• Des filles et des garçons
(onze nouvelles pour parler du regard des garçons sur les
filles, des filles sur les garçons, des garçons et des filles
entre eux... à partir de 14 ans)
• Allah n’est pas obligé
(l’enfant soldat, une certaine réalité de l’enfance dans
l’histoire contemporaine...) Ahmadou Kourouma
• La classe de neige
(le mal-être d’un petit garçon, et son père...)Emmanuel
Carrère
• Grâce et dénuement
(plongée dans le monde d’enfants gitans au travers d’une
amoureuse des livres...) Alice Ferney
• Métaphysique des tubes
(fiction amusante sur les pensées et états d’âme d’une petite
fille de 0 à trois ans...) Amélie Nothomb
• Onitsha
(année initiatique d’un jeune adolescent de 12 ans... à la
découverte d'un pays, à la découverte de son père) Le Clézio
• Gianinno Furioso ou le journal d’un fripon
(les espiègleries d’un enfant, son regard porté sur les
adultes...en 1907...) Vamba
• Montedidio
(l’enfance adolescence d’un garçon à Naples dans les années
50, un quartier d’une ville, une époque, des gens, un ange...)
Eri de Luca
• Comment ça fonctionne un père?
(livraison sensible de sentiments, de réflexions à partir de
situations vécues et perçues d’un père et pédo-psychiatre...)
Patrick ben Soussan
• Dans l’enfer des tournantes
(livre témoignage coup de poing sur la violence sexuelle
instituée et banalisée, la torture physique et morale que
peuvent subirles filles dans certaines cités de nos grandes
villes...) Samira Bellil
• Revue Dada
(Première revue d'art pour enfants de 6 à 106 ans)Ed Mango
• Les bébés et la culture
“Cultiver”, “Petite enfance et cultures en mouvement” et “La
culture des bébés” trois numéros de la revue Mille et un Bébés
dirigée par Patrick Ben Soussan - Editions Erès
À lire, relire et faire lire
• Elzbieta, notamment son ouvrage manifeste “L’enfance de
l’art” aux Éditions du Rouergue.
À voir
• Elephant
(pour considérer l'adolescent et non plus les adolescents, à
partir de la tragédie du lycée de Columbine...) Gus van Sant
• La cité de Dieu
(chronique de la guerre des gangs dans une favela de Rio, avec
des délinquants de plus en jeunes, un ado qui veut fuir sa
condition...) Fernando Meirelles
À consulter
• http//petitvelorouge.free.fr
(site au graphisme simple de jeux, d'histoires, de comptines
pour les petits à partir de 2 ans...)
• www.monde-diplomatique.fr
en recherche “enfance” lire les articles de
- Serge Tisseron (psychanalyste et psychiatre) “Inquiéter pour
contrôler”, “Harry Potter expliqué aux parents”,
- Ignacio Ramonet “Enfants exploités”
- Jacky Mamou (président de médecins du monde) “Guerre aux
enfants”
• www.lerouergue.com
le site des Editions du Rouergue et www.editions-thierrymagnier.com, le site des Editions Thierry Magnier, des livres
pour les tout petits, les petits, les ados et les adultes
• www.alainbeaulet.com
un éditeur qui privilégie le dessin...
À découvrir
• Apache
de Guillaume Guéraud
Editions du Rouergue - collection doAdo
Billy est un garçon Apache Chiricahua mais il porte un prénom
de cow boy. Il assiste du haut de ses treize ans, à la mort
lente de ceux qui restent de son peuple d’origine, rongés par
l’alcool, dans une réserve d’indiens.
Poussé par son grand-père, il quitte la réserve et il
rencontre Sundance, un noir évadé de prison. Il décide de
l’aider à passer la frontière mexicaine,ce qui l’oblige à
traverser la terre de ses ancêtres…
Un roman tout en dialogue, sensible, rageur et chaud… une
écriture très rythmée qui dit les préoccupations d’un
adolescent, et finalement de toute une époque.
Guillaume Guéraud est un écrivain résidant à Marseille. Il a
déjà publié quatre romans pour les adolescents aux Editions du
Rouergue. Il écrit aussi pour le théâtre.
Les mots mais pas seulement…
Pour aimer le chanteur Christophe, il n’est peut-être pas
nécessaire d’entendre le fin mot de ses textes. Qu’ils parlent
de “marionnettes” ou d’histoire de gens, ils ne sont pas
essentiels. Christophe n’est peut-être ni un grand philosophe,
ni un poète irremplaçable, mais il est sans doute un grand
virtuose de la mélodie. Sa mélodie est son art : il la
manipule, la sculpte, la diffuse, la déguste ou la partage
avec une précision extraordinaire de maîtrise et de
sensibilité, et l’age et les expériences de la vie n’ont fait
qu’accentuer cette formidable singularité.
En fait, s’il est question de sens, c’est-à-dire de contenu
d’un message assez fort pour être singulier, ce n’est sans
doute pas dans les seuls mots qu’il faut le chercher mais dans
la manière avec laquelle ils sont produits et donnés. Et c’est
en cette œuvre de virtuosité que résidera le fond et la valeur
de ce qui veut être dit et partagé.
Les œuvres d’art et les propositions susceptibles de
réinventer des Mondes, celles où l’on ait le sentiment d’être
moins idiot, des spectacles où l’émotion croise
l’intelligence, quand nous découvrons ce que nous sommes,
c’est-à-dire, envers et contre tout, des êtres qui entendent
donner assez de sens à leurs vies pour ne mépriser ni les
gens, ni leurs propres espérances. Ces œuvres donc sont
toujours le lieu de mille et une idées, de sens,
d’apprentissages.
Massalia, qui a largement dépassé maintenant l’âge de raison,
souhaite interpeller ces questions : que veulent dire toutes
ces œuvres, que signifient-elles dans leurs accumulations et
leurs diversités. Car nous savons tous que les œuvres portent
du sens bien au-delà de ce qui en est explicite.
Une heure de spectacle renferme des mois et des mois de
recherches et de tentatives, et il en reste forcément très
peu. Il serait même présomptueux d’en voir la quintessence. Or
cette seule heure de spectacle dit toute cette complexité,
laquelle n’est finalement rien d’autres que l’expression de sa
profonde humanité.
Avec ce nouveau filou, il va s’agir de chercher à comprendre
cette complexité, d’en fouiller la richesse. Comme une
nouvelle façon de prolonger nos partages et nos rencontres,
d’essayer d’étoffer nos complicités dans cette quête de sens.
Retrouver le bonheur de la découverte en commun du Monde.
Ce qui est finalement le propre de toute entreprise artistique
et culturelle qui a un minimum d’ambition pour sa Ville, ses
contemporains et son temps.
Souhaitons donc une franche bienvenue à cette nouvelle née des
propositions de Massalia. Philippe Foulquié
Ce qui se construit, s'expérimente, se recherche
S’il y avait une nouvelle ère glaciaire, les jeunes de 15 à 25
ans seraient les seuls à s’adapter et à survivre, c’est autour
d’eux que la civilisation se reformerait
Gus Van Sant Télérama du 22 octobre 2003
Les enfants, E. Bond et le collège Versailles
Au printemps 2002, le Théâtre Massalia et Système Friche
Théâtre ont accueilli Edward Bond à la friche la Belle de Mai
pour deux spectacles et un stage. Ces quelques pages tentent
de faire connaissance avec cet auteur anglais qui a décidé ces
dernières années de se consacrer aux enfants et aux
adolescents. Un des deux spectacles s’appelle “Les enfants” et
il a été monté à Marseille avec des adolescents de 4ème du
collège Versailles, un collège situé dans un quartier
difficile de Marseille où on ne peut ignorer la misère et son
lot de conséquences. Ils ont travaillé avec le metteur en
scène, Jérôme Hankins pendant trois semaines. On peut lire
leurs premières réactions à la lecture de la pièce. Les
professeurs, quant à elles, nous racontent comment elles ont
vécu l’expérience. Du côté du stage, c’est un comédien Maxime
Carasso qui nous livre ces sentiments.
À propos de “Les enfants”
Dans Médée d’Euripide, il y a deux enfants. Ils apparaissent
deux fois ; la première fois, on leur dit d’aller jouer
pendant que les adultes discutent. Quand ils réapparaissent on
les emmène pour les tuer ; entre temps on leur confie la
mission de porter un cadeau à une femme. Le cadeau est un
objet piégé et la femme est assassinée. Ils sont choisis pour
cette mission car “en tant qu’enfants, ils sont innocents et
ne seront pas soupçonnés”. Les enfants ne parlent qu’une fois
- en coulisses - juste au moment où on les assassine : “Au
secours ! Au secours !” Les enfants sont parfois utilisés dans
les conflits modernes -en Irlande et dans les Balkans- comme
appâts, pour distraire l’attention des soldats, comme
messagers et même comme pièges vivants ; on dit que chaque
semaine au Royaume-Uni, deux enfants sont assassinés par leurs
parents. Et dans des “sociétés postmodernes” telles l’Amérique
et l’Europe une part croissante d’enfants tuent d’autres
enfants.
La pièce se déroule dans le futur, dans un temps où seront
encore en vie les jeunes gens qui verront la pièce
aujourd’hui. Elle met en scène les forces de destruction et de
création à l’œuvre dans la société, et montre quels seront
leurs effets dans le monde où ces jeunes eux-mêmes seront
devenus adultes. Que diraient des enfants si - contrairement
aux enfants de Médée - on les autorisait à parler ? Comment
leur monde et le monde des adultes s’éclaireraient -ils
mutuellement ?
La pièce sera jouée par un groupe de comédiens adultes et un
groupe de jeunes issus de l’endroit où elle sera représentée.
Le texte des adultes sera écrit, les jeunes devront créer la
majeure partie du texte eux-mêmes. Mais la pièce les placera
dans ces situations exigeantes et fondamentales que, d’une
manière ou d’une autre, chacun doit en son temps affronter.
Notre humanité dépend de la façon dont nous agissons dans ces
situations, et dont nous répondons aux questions qu’elles
suscitent. La pièce permettra aux jeunes de parler en leur
nom, de se mettre eux-mêmes à l’épreuve plutôt que de s’en
voir imposer, de découvrir qui ils sont, et qui ils désirent
être quand le temps changera les rôles et qu’ils deviendront
adultes. “Les adultes ont un texte, les enfants doivent
improviser.” Edward Bond
Fortement encouragées par le principal du collège, Bernard
Ravet et soutenues par le coordinateur du réseau d’éducation
prioritaire centre ville - vieux port, Philippe Pesteil,
Corinne Humeau et Sophie Luongo sont les deux professeurs du
collège Versailles qui ont accepté de se lancer dans cette
expérience. On est mardi 17 juin il est 19h30. Les enfants
sont installés au calme dans le petit jardin de la friche.
Dans une heure, ils seront sur scène pour la première de “Les
enfants” à Marseille. Ils ont joué une générale hier devant
les familles, difficile de résister à la tentation de regarder
le public, d’y repérer son père ou sa mère… Ce soir ce sont
les professeurs du collège qui seront dans la salle.
Corinne et Sophie, pourquoi avoir accepté la proposition du
théâtre massalia de vous lancer dans cette expérience
théâtrale?
Le théâtre est quelque chose qui nous a toujours intéressées
mais qui reste une activité généralement limitée quand elle se
fait dans le cadre du collège. Là c’était l’occasion de le
pratiquer dans des conditions professionnelles, et de
permettre à des élèves de quatrième de rencontrer et de
travailler avec des professionnels : metteur en scène,
comédiens, techniciens, personnels du théâtre…, de sortir du
quartier et du collège pour fréquenter un autre lieu. C’est
une expérience unique pour nous et pour les élèves. Je crois
qu’ ils en ont pris conscience, même si cette démarche a été
assez longue, elle leur laissera des traces indélébiles, ils
auront acquis quelque chose de très important.
Est-ce que cette expérience a bougé quelque chose dans la
conception que vous avez de votre métier de professeur, dans
les relations que vous avez avec les élèves, est-ce que vos
regards respectifs ont changé?
Notre rôle s’est malheureusement cantonné à l’encadrement des
enfants, c’était un peu frustrant, on a eu à gérer les pots
cassés, les situations de crise, la discipline au quotidien,
ce n’était pas très valorisant pour nous. Cependant par
rapport aux filles surtout, une relation d’intimité s’est
nouée, c’est très appréciable, dans le cadre scolaire on n’a
pas le temps ni forcément l’envie d’aller plus loin avec
certains élèves. Là, on les a suivis toute la journée. Cela
nous a obligé aussi à aller vers les familles, on est allé
plus loin que la relation habituelle parents prof, pour
l’organisation notamment, mais également, il a fallu beaucoup
expliqué le projet aux parents qui ne comprenaient pas
toujours. En tout cas dans le quartier tout le monde sait
qu’ils font du théâtre. Même si certains s’en moquent “Ah ah !
tu fais du théâtre au lieu d’aller à la plage!”, ils tiennent
bon, ils sont engagés dans quelque chose et ils vont jusqu’au
bout, même si ce n’est pas facile pour eux, car on leur
demande beaucoup, c’est de l’endurance, ils montrent qu’ils en
sont capables. Jouer devant leurs professeurs ce soir, sera
très valorisant pour eux. On a l’impression d’avoir servi de
pilier dans la construction de quelque chose et de ça on en
est fière.
Avez vous des regrets ?
Oui, malgré le résultat auquel ils sont arrivés en si peu de
temps. On aurait aimé que dès le début les rôles de chacun
soient mieux définis. On regrette aussi de n’avoir pas pu plus
travailler le texte avec les élèves, pour nous cela aurait été
plus intéressant. Mais comme ils proviennent de différentes
classes de quatrième, c’était compliqué de les réunir en
dehors de leurs classes respectives pour cela. Et puis il y a
eu les grèves, et nous ne les avons pas eu en classe depuis,
donc tout cela ne nous permet pas de mesurer les répercussions
sur un plan plus pédagogique. Et puis, nous n’avons pas su
mesurer l’importance du lieu, la friche est un endroit vaste
où travaille beaucoup de monde, nous aurions dû délimiter un
territoire, dans notre rôle d’encadrement, c’était très
éprouvant d’avoir à faire face à cette immensité. Propos
recueillis par Graziella Végis
-Nous inviter nous, collégiens de quatrième du Collège
Versailles, à participer à une expérience théâtrale ? Est-ce
bien sérieux ? Les professeurs sont partants, le Principal
nous y encourage, des personnes du Théâtre Massalia et de la
MJC Corderie Vieux Port viennent nous voir régulièrement…
beaucoup d’enthousiasme chez tous ces adultes. Un grand
dramaturge anglais, Edward Bond a écrit une pièce et on nous
demande de la jouer au mois de juin, au théâtre Massalia à la
friche la belle de mai, devant des spectateurs. Le metteur en
scène Jérome Hankins est venu nous rencontrer au collège. On
était tous là pour la lecture des premières scènes de la
pièce, au collège. La pièce s’intitule “Les enfants” et E.
Bond l’a écrite pour un collège en Angleterre qui était menacé
de fermeture pour cause de violence. Ils ont monté cette
pièce, l’ont présentée et le collège est resté ouvert. Il faut
dire qu’Edward Bond a écrit cette pièce pour que les jeunes
qui la jouent la réécrivent, qu’ils aient ainsi la possibilité
de dire des choses essentielles, de faire entendre comment ils
ressentent le monde. On a travaillé deux heures sans
s’arrêter.
Scène 1 …À propos de l’écriture de Bond
C’est quoi cette façon de parler ? C’est du style “familier” !
Il oublie les pronoms. Ça c’est un problème de syntaxe. Faut
juste s’habituer.
…À propos du rapport Jo — son pantin
Il n’a pas d’ami pour parler à son pantin comme ça. Son
pantin, c’est lui-même. Son pantin c’est son seul ami. Il est
très agressif. Il est en colère avec lui-même. Personne ne
peut le comprendre. Il en a marre d’être un enfant.
Scène 2 …À propos du rapport Jo-la mère
Ils ne sont pas liés. Ils ne sont pas ensemble. Ils ne sont
pas d’accord. Elle ne s’occupe pas bien de lui. Elle se met en
colère parce qu’il a perdu l’argent des cigarettes. Elle lui
demande de faire un truc horrible. Il doit brûler une porte
mauve. On ne sait pas s’il va le faire ou pas. Si, il va le
faire, c’est sûr ! Sinon sa mère va se tuer.
Scène 3 …À propos de la relation de Jo—ses amis
S’ils jurent, ils ne peuvent pas ne pas le faire. Quand on
jure, on n’a plus le choix. Il a de vrais amis. Ils se le
jurent jusqu’à la mort. Y’en a qui sont d’accord. Les autres
c’est des traîtres.
…À propos de l’étranger
Ils ont la haine contre lui. Il est différent. Il n’est pas du
quartier. Ils le rejettent. Ils ne l’aiment pas. Tout le
groupe est contre lui.
Scène 4 …Jo a brûlé la maison et le dit à sa mère
Jill est vraiment sa meilleure amie. Elle lui dit que
quelqu’un est mort dans l’incendie. Sa mère est affolée. Elle
joue la comédie. Elle a peur d’aller en prison. C’est elle qui
lui a dit de le faire. Elle regrette. Elle lui en veut. Elle a
la haine contre lui parce qu’il a fait ce qu’elle lui avait
demandé. C’est trop facile. Maintenant c’est trop tard. Jo est
choqué parce qu’il a tué quelqu’un.
Scène 5 …À propos de : certains veulent partir d’autres pas
Pourquoi ses amis ont peur ? Si ce sont ses amis, ils ne
doivent pas avoir peur. De la police un peu. Si on a un animal
domestique, il faut bien s’en occuper. Il faut rester pour
nourrir son lapin. S’ils ont tous juré, ils doivent tous
partir. Ils ont juré à la scène 3. En plus ils partent avec un
clochard saoul. Ils le mettent sur une porte. C’est plus
facile pour le porter. C’est grave s’ils sont complices ?
Propos recueillis par Marie Neuville - février 2003
Maxime Carrasso
Stage avec Edward Bond Juin 2003
l’objet invisible
Edward Bond a dirigé un stage avec des comédiens et metteurs
en scène à la friche la belle de mai au mois de juin. Maxime
Carasso, comédien de la compagnie Alzhar, a participé à ce
stage. Il nous livre ses sentiments sur les méthodes utilisées
et sur les enseignements qu’il pense en avoir retirés.
Tu as participé au stage que dirigeait E.Bond cet été à la
friche la belle de mai.
Le connaissais-tu avant et qu’est-ce qui t’as conduit à poser
ta candidature ?
Oui je l’ai connu. Enfin, je l’ai traversé en tant qu’acteur
puisque j’ai travaillé une de ses pièces, “Eté”, et puis par
différents articles et essais que j’ai lus. Ce qui
m’intéressait chez lui, c’était non seulement son
positionnement au monde, mais également le fait de se servir
du théâtre pour affirmer ce positionnement. Et puis, il pose
des questions que je me pose et que ma compagnie se pose, le
pourquoi d’une parole de théâtre et le sens de cette parole,
en quoi elle peut témoigner, influer, questionner. C’est pour
moi une sorte de réponse au monde d’aujourd’hui qui, dans ce
processus d’uniformisation et de mercantilisme, devient une
sorte d’objet un peu concret et en même temps virtuel qui se
mange lui-même et qui exclut l’individu, excepté l’individu
influent au sommet des multinationales et des pouvoirs
politiques. Il questionne cela et le chemin qu’il emprunte
pour questionner m’intéresse aussi.
Pourquoi d’après toi, en tant qu’auteur, Edward Bond, ressentil la nécessité de travailler avec des comédiens ?
Je crois que l’acteur c’est son outil principal, il cherche
avec l’acteur, il met l’acteur dans un processus de
questionnement par un chemin très balisé, et il nourrit ainsi
son écriture. Enfin, c’est ce que j’ai cru ressentir. Pour
lui, il peut théoriser, il peut formuler parce qu’il a
questionné l’acteur. Il pense aussi que l’espace du théâtre,
de la scène, est le seul endroit qui peut concrètement
questionner et remettre en question la société, le seul espace
tangible et palpable, où la personne, les gens, témoignent
d’eux-mêmes, au temps présent. Ils peuvent porter toute leur
histoire, dans cet espace du théâtre, le seul espace encore
non “formaté”.
Quand tu dis les gens, c’est à la fois les acteurs et les
spectateurs ?
Oui, même s’il ne le formule pas véritablement. A un moment
donné, au cours d’une improvisation, il a demandé à une
actrice de témoigner de quelque chose au public, et
implicitement il nous a amené à témoigner nous-mêmes et à
répondre à ce témoignage activement en tant que personne et
public. Oui, il amène le public à s’engager dans ce processus
et dans cet espace qui lui est proposé pour qu’il se pose les
mêmes questions que l’acteur sur scène. Il a beaucoup insisté
sur la question du site. Selon lui, le site n’est pas un
espace défini mais un espace à la fois imaginaire et concret.
Il faut que l’acteur dans son imaginaire se définisse un site,
que ce soit un site historique ou autre mais qu’il soit très
précis dans sa tête, très précis dans l’espace et dans le
temps et concrètement par les objets qu’il y a sur scène, par
l’espace dans lequel il évolue, avant de pénétrer sur scène.
Pour produire un acte l’acteur passe par l’espace de la raison
et l’espace de l’instinct. Edward Bond dit qu’il y a un
troisième espace, l’espace de l’esprit, un espace parallèle
qui se situe avant la mort ou avant la naissance, où logent le
tragique et le comique, deux extrêmes. L’acteur va puiser dans
cet espace pour nourrir l’action qui va se passer sur scène.
Il va capter d’autres codes, une autre mémoire, il va être
dans une sorte d’instant suspendu où le geste ne va plus être
reconnaissable de notre conditionnement, mais un geste qui
sera dix fois plus puissant et qui interrogera le spectateur.
C’est une sorte de fulgurance et c’est sur ce chemin qu’il a
essayé de nous entraîner. Pour qu’on trouve cet espace, il
nous met dans des situations extrêmes comme le meurtre, la
torture, la mort, la violence, la souffrance. Par exemple, on
a travaillé la scène de Médée où la mère tue ses enfants. Un
tabouret symbolisait l’enfant et avec un couteau en plastique
il fallait l’égorger. Pour nous faire chercher dans cet autre
espace, sa méthode est de créer une autre situation : il a
fait sonner quelqu’un à la porte pendant que la mère tue le
bébé, la mère s’arrête donc pour aller voir qui sonne. Elle
sort sur le palier et s’aperçoit qu’il n’y a personne. Pendant
ce temps le bébé crie car il est à moitié égorgé, et la porte
de l ‘appartement se referme en laissant la mère dehors et le
bébé qui crie à l’intérieur. Il fallait donc jouer la mère, à
ce moment-là.
Il faut être solide non ?
L’acteur peut effectivement tomber dans une sorte d’hystérie.
Mais en même temps E. Bond a toujours une petite distance dans
sa manière de formuler. Mais, quelquefois c’est à la limite.
Par exemple, il a demandé à un acteur de faire la voix du
bébé, et comme il le faisait très bien, c’était dérangeant.
Mais globalement on reste dans un processus de travail, il y a
une distance, on est au théâtre, de plus l’objet n’est pas
réaliste.
Est-ce que tu as déjà senti cet autre espace dans ton travail
?
Oui, avant ce stage, avec le travail que je mène avec la
compagnie. Bond dissocie ces espaces, mais moi j’ai
l’impression d’être en permanence dans ces trois espaces. Je
travaille à développer mes sens, pour être à l’écoute du monde
qui nous entoure. Quand on jouait Britannicus à la friche, je
l’ai senti. Le travail que l’on fait avec Jeanne Poitevin nous
demande de nous questionner sur nous-mêmes, en quoi le texte
peut résonner en nous, qu’est ce qu’on a à témoigner avec ce
texte-là, plus que de se laisser embarquer dans un personnage.
Un soir, j’ai eu l’impression que l’espace s’élargissait et
que le temps, j’arrivais à le maîtriser. Je me sentais
tellement disponible, poreux à ce qui m’entourait à cet
instant précis ; je l’ai ressenti physiquement et
intellectuellement. J’avais le sentiment que mes mots et mes
gestes étaient plus clairs, que j’étais dans une sorte de
justesse.
Tu penses que cela passait dans le public ?
Tu es tellement poreux que tu es avec le public, tu le perçois
plus distinctement. Je suis tellement présent que je sens
qu’il est invité de fait. Je ne sais pas si le public le
ressent, mais en tout cas, il est comme moi, un témoin, un
acteur de ce moment. C’est difficile parce que c’est quelque
chose que tu ne peux pas théoriser et appliquer. J’ai
appréhendé cet espace-là au moment du travail sur Gloucester,
ce personnage du Roi Lear qui se fait énucléer. Un geste m’est
venu, j’ai retrouvé les yeux, je les ai mis, et je n’ai pas pu
enlever mes mains. Parce que j’avais peur de ne pas voir et je
savais que je ne reverrais pas ; mais au début de ce geste-là
quand mes mains sont montées et que je les ai appliquées sur
mes yeux, quelque chose s’est passée que je ne maîtrisais
plus. Mes mains ne s’enlevaient plus, vraiment ! Le thème du
stage c’était “l’objet invisible”, je savais donc que E. Bond
était dans cette recherche, et cela m’intéressait de
confronter mes balbutiements à sa pensée. En tout cas, je me
suis rendu compte que j’avais mes propres chemins, différents
des siens et que je n’étais pas complètement d’accord avec ces
chemins-là de la douleur, de la violence, de la souffrance.
J’avais aussi le sentiment qu’il était plus sensible au
travail avec les jeunes acteurs du groupe, qui étaient plus
malléables et avec lesquels il était plus facile pour lui de
démontrer sa pensée. Il avait vraiment envie de transmettre
plus que de confronter sa pensée aux nôtres. J’ai aussi
compris pourquoi il travaille avec les enfants. Sur le mur, il
a dessiné l’échelle de la vie, juste un trait, et il a situé
son troisième espace avant la naissance, en expliquant qu’il
travaillait avec les enfants parce qu’ils sont plus près de
cet espace. L’enfant quand il rentre dans la vie, il se cogne,
de fait il apprend, il est dans l’acte. Qu’est-ce que lui
renvoie l’environnement ? Il questionne l’acte pour avoir une
réponse et après il se forme. Plus tu grandis plus tu
réfléchis l’acte. Et donc tu t’empêches de voir. Souvent dans
les improvisations, il nous disait “ne réfléchissez pas,
agissez”. Il nous a fait travailler pendant deux jours avec
une chaise. Elle était sur le plateau, il nous disait d’aller
vers la chaise et d’écouter ce qu’elle nous disait.
Comment tous ces enseignements rejaillissent sur le travail de
la compagnie Alzhar ?
Sur le Misanthrope en l’occurrence, votre recherche actuelle ?
C’est difficile à évaluer. Je pense que cela se situe au
niveau de la transmission aux autres comédiens de la
compagnie. J’en ressens la nécessité. La transmission est
quelque chose à laquelle on n’attache pas assez d’importance
aujourd’hui. Je le vois avec mes enfants. On est pas là en
train d’inculquer un savoir mais en train de construire
quelque chose avec l’enfant. Moi c’est ce que j’ai appris avec
lui, indépendamment de sa manière de faire, parce qu’il est
quand même très dirigiste, très didactique, il est très
certain de ce qu’il dit et c’est difficile de le contester, de
se cogner à lui. Mais j’ai beaucoup appris, je le regardais
physiquement, je le regardais évoluer, j’écoutais sa voix, et
à chaque fois je faisais des allers-retours dans ma tête, dans
ma propre démarche. Je crois que l’acte théâtral est de fait
une transmission, c’est-à-dire qu’on met l’autre en état de
questionnement. Avec Bond, j’ai réussi à construire ma pensée
: “l’objet invisible, vous ne pouvez le nommer à notre place,
vous ne pouvez le traduire à notre place mais vous nous
transmettez la possibilité de le nommer nous-mêmes”. J’avais
le sentiment qu’il ouvrait des portes derrière lesquelles nous
nous renseignions sur nous-mêmes, sur notre propre état au
monde. L’expérience sur la douleur est un chemin intéressant
qui m’a entraîné dans une perception globale. Tous mes sens
ont été sollicités simultanément, il est intéressant de voir,
de constater, que pour une perception ou une compréhension
globale du sens, de l’objet ou du sujet convoité, nous devons
passer par certaines étapes - actes : désirer,
rencontrer,accueillir, recevoir et exprimer. Ces étapes ne
s’ajoutent pas, elles se rassemblent. Je regarde cette image
(une photo d’Edward Bond que Maxime a faite), c’est un
monsieur qui paraît sombre, inquiétant. Dans le travail, il
est très attentif, pas du tout tyrannique, jamais il ne
s’énerve. Cela m’étonne que cet homme qui a un tel désir de
changer le monde, de le rendre meilleur, ne fait que
questionner la douleur, la souffrance. Propos recueillis par
Graziella Végis
compagnie alzhar
La compagnie Alzhar, Le Misanthrope, la friche la belle de
mai, Marseille et le monde...
Le Misanthrope,
La compagnie Alzhar est en résidence à la friche la belle de
mai pour deux ans.
Alzhar est une compagnie de théâtre qui fait des spectacles où
l’actualité du monde est écoutée, regardée, questionnée. Ses
spectacles mettent en relation le théâtre avec d’autres arts :
le cinéma, la vidéo, l’art plastique, la danse,
l’architecture, la poésie, la performance, cela dépend des
spectacles et des propos. Pour chacune de ses propositions, un
ensemble de rencontres, et d’ateliers sont mis en place pour
que le spectacle se tisse avec le public, avec l’ici et
maintenant, les choses à dire, les choses qu’il faut dire. Les
désirs, les mécontentements, les possibles, les colères, les
injustices…
Dans le cadre de sa “traversée des monuments”, après
Britannicus, elle travaille “Le Misanthrope” de Molière. “Le
Misanthrope” parle de la colère d’un homme à cause de
l’imperfection des autres hommes et celle de leur société, il
parle de la confrontation des âges en l’homme : le jeune homme
qui a soif de rêve, d’absolu, de perfection, le regard qu’il
pose en juge sur la laideur des hommes, et l’homme mûr, qui
regarde la vie à travers le temps et l’expérience, à travers
la raison et la sagesse, et qui voit dans les autres hommes et
dans leurs imperfections des sujets de tendresse, des
expressions de leurs beautés. Pourquoi monter une pièce
classique aujourd’hui ? Comment résonne l’écriture de Molière
aujourd’hui ? En quoi interpelle-t-elle les adolescents ? Ce
sont des réponses à ces questions que va tenter d’apporter la
compagnie dans le cadre d’une recherche théâtrale mêlant
plusieurs groupes : amateurs chercheurs, comédiens
professionnels, collégiens, enfants de maternelle… Cette
recherche donnera lieu à une création en mars 2004. Ce projet
est accueilli par le Théâtre Massalia et Système Friche
Théâtre. G.V.
-Les acteurs de la compagnie ALZHAR vivent à Aix-en-Provence.
Depuis leur enfance. Ils voient changer cette ville. Comme
change le monde. Comme ont changé les enfants d’aujourd’hui.
La compagnie ALZHAR propose aux collèges d’Aix-en-Provence un
temps de travail et d’échanges qui mêle les adolescents et les
artistes. Il est question là de se rapprocher ensemble d’une
œuvre du répertoire où l’on traite d’amour, de pouvoir, de
manipulation, de violence, de fuite et de vérité. Il est
question là de réinventer un spectacle ensemble. Il est
question là d’apprendre à entendre et à dire par une
proposition artistique quelque chose de ses peurs et de ses
rages. Il est question là de jouer un spectacle pour un public
à l’intérieur du collège, et de poser cet acte ensemble, cette
mise en forme de cris d’alarme qu’est l’œuvre de Racine. “Je
faisais du stop, personne ne me prenait. Une heure, deux
heures. La nuit était bien avancée, personne ne me prenait.
Une voiture est passée plus lentement, je l’ai arrêtée. Un
vieux conduisait. Je l’ai sorti, je lui ai donné des coups de
pieds dans les côtes. J’ai conduit la voiture. Je me suis fait
arrêté. Maintenant je suis en prison.” (Propos recueillis lors
d’un atelier donné par la compagnie au centre de détention de
Salon-de-Provence)
“Il faisait la manche dans la rue, elle l’a invité à manger
quelque chose dans son appartement, elle le connaissait un
peu. Le lendemain matin, on l’a retrouvée morte dans sa
douche. Toute seule. Maintenant elle est morte.” (Propos
recueillis lors d’un atelier donné par la compagnie à
l’hôpital Montperrin d’Aix-en-Provence) “Il fera la guerre.
Parce qu’il ne sait pas ce qu’est la guerre. Il fera la
guerre. Il fera la guerre pour ne pas perdre la face.” (Propos
tenus par un ancien général américain qui vient de choisir de
quitter l’armée américaine, recueillis lors d’une émission
télévisée sur France 2, le 8 mars 2003) Puisque le monde est à
ce degré de violence, puisque l’expression de la barbarie de
l’homme a franchi ces caps, l’urgence de l’acte artistique est
décuplée. Réfléchir sur ce qu’est un homme, ce qu’est une
société, mettre en commun des questions, des valeurs, des
douleurs et des quêtes est une vraie nécessité. Les jeunes
gens de notre époque sont construits avec d’autres repères,
que ceux que nous avions appris. En ce qui concerne la
violence, le code social, notamment. L’école est en crise. Les
professeurs ne sont plus respectés. Les jeunes gens entre eux
dépassent les limites du risque un peu plus chaque jour. Notre
monde met en scène tant de convoitises, de manipulations, de
lacunes de sens, de fracas de valorisations, de compétitions,
d’individualisme farouche, de manque de chemins d’échange
entre les différents groupes sociaux, que la seule expression
qu’il propose est la violence. Le devoir de l’artiste est de
contrarier cet enchaînement terrible, en posant des questions,
en ouvrant des champs de liberté possibles, en proposant des
espaces de plaisirs gratuits, comme le langage, le corps, le
partage d’une expérience émotionnelle positive. Les
adolescents ont quelque chose à nous apprendre. Quelque chose
d’autre que cette terreur. Le projet est de s’écouter quelques
semaines, de cadrer l’échange par une œuvre aussi riche que
formatrice, et de recommencer à chaque rencontre un rêve de
construction. Compagnie Alzhar
“Mon Dieu, des mœurs du temps mettons-nous moins en peine,et
faisons un peu grâce à la nature humaine ;Ne l’examinons point
dans la grande rigueur, Et voyons ses défauts en quelque
douceur.” Philinte
“Et parfois il me prend des mouvements soudains de fuir dans
un désert
l’approche des humains” Alceste
Le Théâtre de la mezzanine
De juin 2002 date de présentation de Shooting Star à mai 2004
date de la prochaine création “Les champs d’amour” ce sont
presque deux ans de travail, de recherche, en partie sous
forme de stages dont quatre à Massalia à la friche la belle de
mai. Cela fait maintenant trois productions du Théâtre de la
Mezzanine que Massalia suit et accompagne comme l’authentique
co-producteur qu’il sait être ( rôle qu’il souhaiterait
d’ailleurs développer si les moyens lui étaient donnés) .
Accueil du spectacle, résidence de construction, de création,
chantiers de public, autant de formules qui résonnent dans les
pratiques de Massalia à la friche la belle de mai. On a là une
compagnie qui a envie de rencontrer le public alors profitons
-en, nous fervents défenseurs de l’action culturelle.
Des chantiers ouverts aux publics
Alors, arrêtons-nous sur les chantiers ouverts aux publics
(sous forme de stage), chers au Théâtre de la Mezzanine,
compagnie, installée en région parisienne et qui sillonne
l’Europe depuis 1990. Chaque endroit où la compagnie est
accueillie, est occasion pour rencontrer les gens et plus
particulièrement les jeunes. Après “La transhumance des riens”
en 1999, et “Shooting Star” en 2002, le nouveau projet dont
Massalia est coproducteur s’intitule “Les champs d’amour” et
traite des violences entre les hommes et les femmes. Cette
fois, pas de machine à jouer pour les stagiaires qui sont
venus de plus en plus nombreux à chaque séquence de travail,
mais une proposition de travailler sur les personnages.
Construire des personnages avec les personnes qui ont des
gueules…
…“Je voudrais construire des personnages avec des personnes
qui ont des gueules, des gens que je ne connais pas encore,
pas forcément des comédiens d’ailleurs…” avouait en septembre
2002, Denis Chabroullet , le metteur en scène. “J’ai envie de
travailler sous forme de stages toute cette année pour partir
à la conquête de nouvelles rencontres, de tester des choses au
niveau décor, ou élément de décor. J’ai par exemple envie de
travailler avec plein de poupées et des crochets de boucher
installés sur un système qui tourne. Ça, ça peut faire l’objet
d’un stage…”
À chaque stage de nouveaux sons…
Quant à la musique ( qui est fondamentale dans les spectacles
(sans texte) de la Mezzanine ), il s’agira là encore de sortir
des “habitudes” en invitant des musiciens différents à chaque
stage : “J’ai moi aussi envie de me mettre en danger” dit
Roselyne Bonnet des Tuves, la compositrice de la Compagnie.
”Je voudrais travailler avec des musiciens du “cru” et
composer en fonction d’eux pendant le stage… A chaque stage de
nouveaux sons, de nouvelles ambiances… Comme la musique part
des personnages présentés sur scène, la création sera sur
l’instant…”
Une distribution européenne…
Depuis, nous avons eu quatre stages à Marseille (quatre
séquences d’une semaine en octobre 2002, février, juin et
octobre 2003). A chaque fois une proposition de décor
différente : un polyane sur un système circulaire qui vomit
des corps, des auto-tamponneuses qui éjectent des femmes
armées jusqu’aux dents, des rideaux qui ne laissent apparaître
que les jambes des femmes, des poupées girondes fichées sur
des mécanismes à manipuler ou à danser… L’équipe de la
Mezzanine, semble contente de ces différentes rencontres.
Celles de Marseille, mais aussi celles de Gênes en Italie,
celles de St Pétersbourg en Russie, celles de Viseu au
Portugal, de Paris, ou du Danemark. Pour Sophie Charvet qui
s’occupe de l’administration et de la diffusion des spectacles
de la Mezzanine, la compagnie est résolument européenne:
“Notre prochaine création verra peut-être la naissance d’une
distribution européenne, si la communauté européenne et le
Medef nous laissent encore exercer notre métier dignement
grâce au régime unique en Europe dont bénéficient les gens du
spectacle en France…” s’inquiète-t-elle. Et de Marseille,
soyons fiers, de nouvelles collaborations se dessinent : comme
Clémence qui construit les poupées et signe les illustrations.
Sera-t-elle la seule de Marseille dans cette distribution
européenne?La réponse en mai 2004, date de la création. À
suivre donc… Graziella Végis
//perso.wanadoo.fr/lamezzanine/
les champs d'amour vus par denis chabroullet*
* Denis Chabroullet est le metteur-en-scène du Théâtre de la
Mezzanine. “Les champs d’amour” c’est aussi le titre d’un
livre que la compagnie vient de publier. Signé Denis
Chabroullet, le texte en est le fondement poétique, une
excursion impolie, imprévue et déroutante dans la machine à
image de son auteur.
“Les champs d’amour” sont de sombres terrains d’aventures
balisés par des molosses, dressés par les hommes pour bouffer
les odeurs de femme qui voudraient s’évader un instant.
“Les champs d’amour” sont un chantier d’hommes et de femmes
pour créer une histoire sans fin, sur les violences
quotidiennes envers les plus faibles... : on les bat, on les
brûle, on les lacère, on les viole... On les aime aussi.
A Vitry, on applaudit derrière ses rideaux à la fin de la
reconstitution d’un meurtre par immolation.
Un peu plus loin, on tuera le nouveau-né, tant qu’il sera une
fille...
Autant de drames quotidiens qui me déclenchent des images...
Les violences hommes/femmes me renvoient dans un univers de
fête foraine où tout est permis : prendre un fusil à
fléchettes et “dégommer” le vilain petit canard qui passe, se
jeter dans les méandres d’un train fantôme qui ne fera après
coup, même pas peur !
Monter sur le dos d’un lapin de manège doré, chercher une
fille aux allures de pute pour la montrer aux badauds, assis
nonchalamment sur les bas côtés de la piste des autotamponneuses, puis la garder la plus longtemps possible dans
son auto-tampon, investir à coup de jetons, et puis elle s’en
va.
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