La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 6 - juin 2012 | 287
ÉDITORIAL
En réalité, la médecine personnalisée n’en est qu’à ses balbutiements,
et ce pour 2raisons principales. La première est que ces thérapeutiques moléculaires
ciblées, même lorsqu’un biomarqueur existe, ont été développées dans des types tumoraux
bien particuliers. En d’autres termes, le premier niveau de décision pour l’administration
d’unethérapeutique moléculaire ciblée demeure la localisation tumorale et le type
histologique, certains biomarqueurs n’étant analysés que dans un second temps pour décider
d’un tel traitement. La deuxième raison est que le nombre des biomarqueurs qu’il est utile
d’analyser pour la prescription d’une thérapeutique moléculaire ciblée est aujourd’hui encore
très limité pour un type de cancer donné, et donc pour un patient donné (tableau).
Nous sommes donc encore loin aujourd’hui de ce que l’on entend par médecine
personnalisée. Qui plus est, lorsque l’on parle de la médecine personnalisée du futur,
quipermettra d’administrer le bon traitement au bon patient au bon moment, les malades
imaginent que ce sera en vue d’une guérison, bien entendu, et non en vue seulement
deprolonger la vie de quelques mois. Aujourd’hui, seuls le trastuzumab et l’imatinib
permettent probablement de guérir des patients, puisqu’ils sont les 2 seuls à être approuvés
en situation adjuvante, avec une diminution signifi cative du risque de récidive,
ce qui signifi e bien que la maladie résiduelle a pu dans certains cas être éradiquée.
Toutes les autres thérapeutiques moléculaires ciblées n’ont d’indication, à l’heure actuelle,
qu’en situation métastatique ou de récidive. Or, jusqu’à preuve du contraire, seuls les agents
de chimiothérapie cytotoxique (et non les thérapeutiques moléculaires ciblées) ont démontré
qu’ils étaient capables, dans de rares cas dans ce contexte, de guérir des patients en situation
métastatique (lymphome ou tumeurs germinales).
En résumé, ce que nous entendons par “médecine personnalisée”, c’est la capacité
pour un patient donné de réaliser un “profi l moléculaire” de la tumeur, et, indépendamment
de la localisation tumorale, d’administrer une thérapeutique moléculaire ciblée
(ou une association) qui va permettre de bloquer la voie de signalisation essentielle àl’origine
delaprolifération tumorale et, ainsi, d’augmenter le taux de guérison. La réalisation
d’unprofi l moléculaire exhaustif, qui consiste à étudier l’ensemble du patrimoine génétique
d’une tumeur en une seule fois, est aujourd’hui quelque chose d’envisageable grâce
auxnouvelles technologies qui sont détaillées dans ce dossier thématique. Mais l’utilisation
deces technologies est associée comme nous le verrons également à de multiples défi s.
De nombreuses institutions se sont lancées dans la médecine personnalisée,
avecessentiellement des programmes qui consistent à réaliser le profi l moléculaire
delatumeur de patients métastatiques afi n de les orienter vers des essais cliniques.
SAFIR01, coordonnée par F.André de l’institut Gustave-Roussy (IGR, Villejuif), encours,
consiste à réaliser un profi l CGH
(Comparative Genomic Hybridization)
ainsi que l’étude desmutations de PI3K et d’AKT chez des patientes atteintes d’un cancer
dusein métastatique. L’étude MOSCATO, coordonnée par J.C. Soria à l’IGR, consiste
à réaliser unprofi l moléculaire chez des patients candidats pour un essai de phaseI
afi n de lesorienter vers le plus pertinent. Des programmes similaires à ce dernier sont
déjà encours auMDAnderson Cancer Center (États-Unis). Les Pays-Bas, le Canada
etl’Angleterre
( eStratifi ed Medicine Program)
ont initié des programmes qui consistent
à réaliser un profi l moléculaire chez tout patient qui présente un cancer. Enfi n,
nous mettons actuellement en place, à l’institut Curie, l’essai de phase II, randomisé,
multicentrique, de preuve de concept SHIVA, qui vise à comparer l’effi cacité d’un traitement
fondé surleprofi l moléculaire de la tumeur à celle d’un traitement conventionnel
par chimiothérapie chez des patients atteints d’un cancer réfractaire, et ce quelle que soit
lalocalisation tumorale (fi gure4, p.288). Cet essai sera ouvert aux adultes et aux enfants.
Seules desthérapeutiques moléculaires ciblées déjà approuvées seront utilisées dans cet essai.