ECOLE NATIONALE VETERINAIRE DE LYON Année 2005 - Thèse n° …… CONTRIBUTION A L’ETUDE DE L’IMPACT DU CENCHRUS CILIE (Cenchrus ciliaris) SUR LA FAUNE REPTILIENNE TERRICOLE DE LA REGION D’ALICE SPRINGS – AUSTRALIE - THESE Présentée à l’UNIVERSITE CLAUDE-BERNARD - LYON I (Médecine - Pharmacie) et soutenue publiquement le 1er décembre 2005 pour obtenir le grade de Docteur Vétérinaire par CARON Nicolas Né le 30 mars 1980 à Marseille (13) 2 ECOLE NATIONALE VETERINAIRE DE LYON Année 2005 - Thèse n° …… CONTRIBUTION A L’ETUDE DE L’IMPACT DU CENCHRUS CILIE (Cenchrus ciliaris) SUR LA FAUNE REPTILIENNE TERRICOLE DE LA REGION D’ALICE SPRINGS – AUSTRALIE – THESE Présentée à l’UNIVERSITE CLAUDE-BERNARD - LYON I (Médecine - Pharmacie) et soutenue publiquement le 1er décembre 2005 pour obtenir le grade de Docteur Vétérinaire par CARON Nicolas Né le 30 mars 1980 à Marseille (13) 4 5 6 A Monsieur le Professeur Claude GHARIB, De la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Lyon, Qui nous fait l’honneur d’accepter la présidence de notre jury de thèse, Hommages respectueux. A Madame le Docteur Germaine EGRON-MORAND, De l’Ecole Nationale Vétérinaire de Lyon, Pour avoir accepté d’encadrer cette thèse, Pour ses conseils précieux lors de l’élaboration de ce travail, Sincères remerciements. A Monsieur le Professeur Antoine LACHERETZ, De l’Ecole Nationale Vétérinaire de Lyon, Pour avoir accepté de participer à notre jury de thèse, Hommages respectueux. 7 8 Ceux qui ont connu le nourrisson aux grands pieds (humain ou bigfoot ?): A ma mère : que la force soit avec toi, je t’aime ; A mon père : tu me manques, merci pour tout ; A mon frère ; A toute ma famille : je vous aime. Ceux qui ont partagé leur saucisson corse avec l’enfant aux gros orteils : A toute la famille Bernard : merci pour tout… A Bast : mon deuxième frère, tu le sais : « We’re bloodbrothers …» Ceux qui ont vu l’animal difforme rôder vers Montpellier : A Greg, Tom, Vince … Ceux qui ont vu ses chaussures trouées traîner les semelles à Thiers : A Amélie, Eric, Fred, Jow, JP, Mat, Vovo, … Ceux qui ont repéré la bête à L’ENVL, boitillant à travers les couloirs sombres… A Emilie, Julie, Kenny, Laure, Macho, Marc, Margal, Maryline, Rodrigo, Yonyon, Zip… Puis sautiller sur du Slayer, les panards enfin guéris (mais toujours aussi grands) : A Cyrille, Eugénie, Memen, Sergio… Ceux qui ont vu en elle un Bulot aux grands pieds dépassant de la coquille : A Auré, Jacquoto, Jerem, Jérôme, Jungy, Mel... Ceux qui ont vu la chose effrayer les passants dans le parc de Lacroix-Laval : A Caro, Marco, Yann et autres vacataires… Ceux qui n’ont pas été surpris de voir un « froggy » aux grands pieds : A Lori, Jo, Tammy, Tony … Special thanks to the whole staff of Alice Springs Desert Park for their kindness and their help throughout my « hard work » under the scorching sun of central Australia… Ceux qui m’ont mis le gros pied à l’étrier : A Roland, Eric Doucet… 9 10 Table des illustrations Figure 1: Le continent australien et ses principales villes _________________________________________ Figure 2: Précipitations moyennes pour les mois de janvier (en haut) et juillet (en bas) (16). _____________ Figure 3 : Classification des climats en Australie ( d’après 16). ____________________________________ Figure 4 : Zones où le ratio Pluie sur Evaporation excède un tiers (16).______________________________ Figure 5 : Carte des sols australiens (d ‘après 16) ______________________________________________ Figure 6 : Représentation schématique de la définition d’un écosystème (46)__________________________ Figure 7 : Exemple simplifié de réseau trophique (d’après 46) _____________________________________ Figure 8 : Le cycle de la matière (46)_________________________________________________________ Figure 9 : Le cycle du carbone dans un écosystème (46) __________________________________________ Figure 10 : Touffes de Cenchrus ciliaris à aspect variable selon précipitations.________________________ Figure 11: Diagrammes d’épillets de Poaceae (1) _______________________________________________ Figure 12 : Distribution du Cenchrus cilié en Australie (48) _______________________________________ Figure 13 : Plan du parc et disposition des sites B1, B2 et N1 (cercles verts). _________________________ Figure 14 : Photographies des sites B1 et N1___________________________________________________ Figure 15 : Disposition du piège (9 seaux et 3 filets) sur un site d’étude (vue aérienne)__________________ Figure 16 : Liste brute des captures __________________________________________________________ Figure 17 : Diagramme d’abondance des lézards à l’extérieur du parc ______________________________ Figure 18 : Diagramme d’abondances relatives en lézards à l’intérieur du parc _______________________ Figure 19: Nombre d’individus de chaque espèce selon le site _____________________________________ 18 21 23 24 26 31 37 41 42 48 49 53 68 74 75 94 97 97 98 Index des tableaux Tableau 1 : Détermination du pourcentage de couverture du Cenchrus cilié en B1 et B2_________________ 70 Tableau 2 : Végétaux rencontrés sur les sites B1 et N1 ___________________________________________ 71 Tableau 3 : Résumé de la description des espèces capturées d’après Cogger (1994) ____________________ 84 Tableau 4 : Abondances relatives des lézards sur le site B1 _______________________________________ 95 Tableau 5 : Abondances relatives des lézards sur le site N1 _______________________________________ 96 Tableau 6: Table de contingence (Espèces-sites) ________________________________________________ 99 Tableau 7 : Valeurs théoriques attendues par le test de Pearson ___________________________________ 100 Tableau 8 : Résultat des tests de comparaison des distributions ___________________________________ 101 Tableau 9 : Valeurs de l’index de Simpson pour les sites B1 et N1 _________________________________ 101 Tableau 10: Valeurs de H, S et J d’après l’index de Shannon-weaver _______________________________ 102 Sigles CSIRO : Commonwealth Scientific and Industrial Research Organization ; ASDP : Alice Springs Desert Park. 11 12 Table des matières INTRODUCTION................................................................................................................................. 15 I.PARTIE1 : RELATION ENTRE ENVIRONNEMENT SEMI-ARIDE DU CENTRE DE L’AUSTRALIE ET CENCHRUS CILIE ......................................................................................................... 17 A.QUELQUES POINTS DE BIOGEOGRAPHIE CONCERNANT L’ILE CONTINENT ET SON « CŒUR ROUGE ». 18 1.L’Australie.................................................................................................................................. 18 a)Géographie et écologie (32) ...................................................................................................................18 b)Température ...........................................................................................................................................19 c)Pluie et évaporation ................................................................................................................................20 d)Climats ...................................................................................................................................................22 2.Caractéristiques plus spécifiques du centre australien .............................................................. 23 a)Climat .....................................................................................................................................................23 b)Sols (16) .................................................................................................................................................25 c)Végétation : communautés de plantes ....................................................................................................26 d)Problème de l’érosion.............................................................................................................................27 3.Alice Springs en quelques mots .................................................................................................. 28 a)Les Mac Donnell Ranges........................................................................................................................28 b)Un oasis dans le désert ...........................................................................................................................29 c)Alice Springs Desert Park.......................................................................................................................30 B.BASES D’ECOLOGIE : STRUCTURE ET FONCTIONNEMENT D’UN ECOSYSTEME QUELCONQUE ............ 30 1.Qu’est-ce qu’un écosystème ? .................................................................................................... 30 a)Biocénoses..............................................................................................................................................31 b)Ecosystème.............................................................................................................................................31 2.Structure et évolution d’un écosystème ...................................................................................... 31 a)Facteurs abiotiques .................................................................................................................................32 b)Facteurs biotiques...................................................................................................................................33 c)Evolutions cycliques : saisons, perturbations .........................................................................................36 3.Transferts de matière et d’énergie au sein d’un écosystème ...................................................... 37 a)Chaîne alimentaire et réseaux trophiques ...............................................................................................37 b)Production et productivité primaires ......................................................................................................38 c)Production et productivité secondaires ...................................................................................................39 d)Flux d’énergie dans un écosystème ........................................................................................................40 e)Les cycles de la matière..........................................................................................................................40 4.Notion de diversité...................................................................................................................... 44 a)Différents niveaux de diversité...............................................................................................................44 b)Biodiversité et stabilité d’un écosystème (23)........................................................................................45 C.REVUE DE L’ETAT ACTUEL DES CONNAISSANCES CONCERNANT LE CENCHRUS CILIE ...................... 46 1.Qu’est-ce que le Cenchrus cilié ?............................................................................................... 46 a)Eléments de classification ......................................................................................................................46 b)Caractéristiques botaniques du Cenchrus cilié .......................................................................................47 c)Quelques éléments de sa physiologie .....................................................................................................50 2.Historique de son introduction en Australie............................................................................... 51 3.Répartition.................................................................................................................................. 52 a)Dans le monde ........................................................................................................................................52 b)En Australie............................................................................................................................................53 4.Les clefs du succès du Cenchrus cilié......................................................................................... 54 a)Relation herbe de pâture et mauvaise herbe............................................................................................54 b)Adaptation au climats chauds.................................................................................................................54 c)Adaptation aux phénomènes de perturbation..........................................................................................54 d)Agressivité dans la compétition avec la flore native ..............................................................................55 e)Appétence pour les herbivores................................................................................................................56 5.Influence de l’introduction du Cenchrus cilié sur l’environnement semi-aride du centre rouge 56 a)Modifications structurale et fonctionnelle de l’écosystème du centre ....................................................56 b)Impact sur les plantes natives de la région d’Alice Springs ...................................................................58 c)Impact sur les invertébrés .......................................................................................................................58 d)Impact sur les vertébrés..........................................................................................................................59 6.Les méthodes de lutte disponibles contre le Cenchrus cilié ....................................................... 61 II.PARTIE 2 : EVALUATION EXPERIMENTALE DE L’IMPACT DU CENCHRUS CILIE SUR DE PETITS LEZARDS TERRESTRES A ASDP................................................................................... 63 A.INTRODUCTION ............................................................................................................................... 64 13 1.Principaux objectifs de cette étude............................................................................................. 64 a)Principe de l’étude..................................................................................................................................64 b)Moyens mis en œuvre ............................................................................................................................66 B.MATERIEL ET METHODES ................................................................................................................ 67 1.Collection des données ............................................................................................................... 67 a)Sélection des sites...................................................................................................................................67 b)Description précise des sites...................................................................................................................68 c)Les pièges utilisés...................................................................................................................................72 d)Manipulations sur les animaux...............................................................................................................76 2.Analyse des données obtenues.................................................................................................... 86 a)Tests statistiques utilisés.........................................................................................................................87 b)Index univarié de diversité .....................................................................................................................89 C.RESULTATS ..................................................................................................................................... 92 1.Données brutes ........................................................................................................................... 92 2.Mesures d’abondances et présentation des données .................................................................. 94 a)Mesures d’abondances relatives .............................................................................................................94 b)Représentations graphiques....................................................................................................................96 c)Table de contingence..............................................................................................................................98 3.Tests de comparaison des distributions...................................................................................... 99 a)Test de Pearson.......................................................................................................................................99 b)Test exact de Fisher..............................................................................................................................100 4.Mesures de diversité interspécifique ........................................................................................ 101 a)Richesse en espèce ...............................................................................................................................101 b)Index de Simpson.................................................................................................................................101 c)Index de Shannon-Weaver....................................................................................................................102 D.DISCUSSION .................................................................................................................................. 102 1.Limites liées aux pièges utilisés................................................................................................ 103 a)Echantillonnage ....................................................................................................................................103 b)Prédation ..............................................................................................................................................104 2.Facteurs autres que le Cenchrus cilié pouvant biaiser l’étude ................................................ 104 a)Incendies...............................................................................................................................................104 b)Barrières électriques.............................................................................................................................105 c)Irrigation...............................................................................................................................................106 3.Problème lié au nombre de sites de l’étude.............................................................................. 107 E.EN RESUME .................................................................................................................................... 107 1.Signification des résultats obtenus ........................................................................................... 107 2.Moyens à mettre en œuvre dans le futur................................................................................... 108 CONCLUSION ................................................................................................................................... 109 BIBLIOGRAPHIE : ........................................................................................................................... 111 ANNEXES ........................................................................................................................................... 117 14 Introduction La Cenchrus cilié (Cenchrus ciliaris), plante herbacée pérenne de la famille des Poacées (anciennement graminées), est présente en très grande quantité dans le « centre rouge » de l’Australie, près d’Alice Springs notamment. Cette plante introduite s’est propagée à une vitesse impressionnante ces vingt dernières années (3, 9, 37). Lorsque l’on questionne les locaux sur le sujet, on remarque que les gens soit la détestent (cette herbe) soit l’encensent. Autrement dit, les avis sont plutôt tranchés. A la lecture des journaux de la région, on se rend vite compte que le débat est brûlant, il ne se passe pas une semaine sans qu’une personne de l’un des camps (pour ou détracteurs) fasse une déclaration sur le sujet, et ils n’y vont pas de main morte. Lisez seulement certains titres d’articles : « Crunchtime for buffel eradication » (Alice Springs News-volume 11, 23 juin 2004) ou encore, pour l’autre camp, « Buffel critics way off line » ( Centralian Advocate, mardi 29 juin 2004 ). D’ailleurs, la véhémence de certaines affirmations en dit long sur le sérieux de la querelle. Le débat sur cette plante introduite est passionné car plusieurs enjeux majeurs en font parti. Le premier enjeu est bien entendu d’ordre écologique avec une herbe envahissante, extrêmement invasive, dont le potentiel nuisible est loin d’être correctement compris à l’heure actuelle (43). Ceci constitue un réel défi pour les scientifiques impliqués car ils ont beaucoup de faits alarmants à leur disposition mais peu de preuves scientifiques irréfutables quant à l’impact de cette plante (43). De plus, le temps qui leur est imparti pour avancer des preuves scientifiques valables semble réduit, une dégradation irréversible de milieux naturels précieux se dessinant à l’horizon. Le deuxième enjeu est plus d’ordre économique avec des éleveurs de bétail qui utilisent cette herbe « idéale » pour nourrir leurs animaux de rente. Si ils l’abandonnent, alors par quelle espèce la remplacer pour avoir un rendement d’exploitation équivalent et, ainsi, ne pas perdre de l’argent ? D’autre part, la Cenchrus cilié a aussi été utilisé dans des plans de stabilisation des sols et son éradication nécessitera de trouver une alternative valable. Cependant, si cette plante altère effectivement le milieu naturel envahi de façon permanente, comme le clament beaucoup de scientifiques, alors la perte de niches écologiques uniques et de sanctuaires naturels pourra avoir un coût sur le plan de l’industrie touristique, l’un des piliers économiques du pays ! Enfin, le troisième et dernier enjeu est d’ordre politique car la décision finale sur le sort de cette plante en Australie reste entre les mains des politiciens, des dirigeants. Or ceux-ci devront bien mettre sur la balance ces enjeux écologique et économique tout en pensant aux prochaines élections et, dans la décision finale, il y a fort à parier que l’opinion publique pèsera très lourd. Or chacun sait que cette dernière est influençable, assez versatile même. Des déclarations bien senties, faisant vibrer certaines cordes sensibles pourront l’orienter sans le moindre doute. Ainsi, il est primordial de s’assurer du bien fondé de chaque affirmation prononcée sur ce sujet qui s’avère épineux. Dans cette optique, une évaluation scientifiquement rigoureuse des effets, de l’impact du Cenchrus cilié sur l’environnement australien est vitale, voire urgente. 15 Après une présentation générale de l’écosystème du centre du continent, de son fonctionnement schématique ainsi qu’une revue bibliographique des connaissances actuelles sur le Cenchrus cilié et son impact dans le milieu semi-aride australien, nous nous proposerons d’étudier un de ses effets potentiels sur la faune reptilienne terricole aux alentours d’Alice Springs, à savoir son impact sur la diversité et l’abondance de cette faune… 16 I. Partie1 : Relation entre environnement semi-aride du centre de l’Australie et Cenchrus cilié 17 A. Quelques points de biogéographie concernant l’île continent et son « cœur rouge » 1. L’Australie a) Géographie et écologie (32) L’Australie est le sixième pays du monde par sa superficie (environ quatorze fois la France). Elle mesure à peu près 4000 kilomètres d’est en ouest et 3200 kilomètres de nord au sud (Cf carte présentée plus bas, figure 1). L’Australie formait autrefois avec l’Afrique, l’Amérique du sud, l’Antarctique et l’Inde le supercontinent de Gondwana, constitué il y a quelques 600 millions d’années par la collision de plusieurs terres. Elle ne devint un continent à part entière qu’en se détachant de l’Antarctique, il y a 100 millions d’années environ. Depuis, elle dérive lentement, mais sûrement, vers le nord. Figure 1: Le continent australien et ses principales villes A la fois plus grande île du monde et plus petit continent, l’Australie est l’une des masses terrestres les plus stables du globe, dont le paysage, en grande partie désertique et inhospitalier, a été formé au cours de millions d’années. Bien qu’il subsiste une faible activité sismique dans les régions des plateaux de l’est et de l’ouest, depuis 100 millions d’années environ, le continent n’a plus été soumis aux forces tectoniques. 18 A l’est, une fine bande de terre plutôt fertile longe la cordillère australienne (Great Dividing Range), qui suit presque toute la côte est du continent, du nord au sud. Ces monts ne sont plus aujourd’hui qu’un pâle reflet de leur grandeur d’antan. Ils ne se couvrent pas de neige, hormis dans le sud (Nouvelles-Galles du Sud, Victoria et Tasmanie). Si on se dirige vers l’ouest à partir de ces montagnes, le pays devient de plus en plus aride et plat (32). Les étendues infinies du centre du continent sont uniformément plates, interrompues ça et là par de splendides lacs salés ou des monolithes mystérieux, et sacrés pour les aborigènes (5), comme le célèbre rocher rouge Uluru (Ayers rock pour les hommes blancs) ou la série de monolithes appelée Kata Tjuta (monts Olgas). On trouve aussi dans le centre rouge du pays de magnifiques montagnes comme les Mc Donnell Ranges, près d’Alice Springs. Cependant, la majeure partie de l’Outback australien se compose de déserts rudes et rocailleux ainsi que de lacs et rivières asséchés. Nous reverrons tout ceci dans le détail plus loin dans l’exposé. L’extrême nord de l’Australie, le Top End, où Darwin se situe, est une région tropicale soumise à l’influence des moussons. Les chutes de pluie se manifestent souvent sous la forme de violents orages, peu propices aux cultures (32). Pour la petite histoire, l’instrument de musique traditionnel qu’est le didgeridoo (Yidaki en aborigène) est né dans cette région où l’on trouve l’espèce d’eucalyptus nécessaire à son élaboration. Enfin, l’ouest du continent, baigné par l’océan Indien, est surtout formé d’un vaste plateau, le bouclier australien. La partie sud est constituée d’une chaîne de montagnes et d’une bande côtière fertile (région de Perth). Par contre, dans les parties centre et nord de l’Australie occidentale, le plateau aride débouche directement sur la mer (32). Situé au nord, sur la côte, la petite ville de Broome est souvent comparée à Alice Springs par les australiens, mais avec « la mer en plus ». Concernant l’écologie dans ce pays, l’avancée de la colonisation européenne du 19ème siècle et le développement d’une économie pastorale ont entraîné le défrichage à grande échelle du bush (« campagne ») originel. Certains écologistes clament à raison que presque 70% de la végétation initiale a été définitivement dégradée. Environ 75% des forêts humides ont aussi disparu. Le déboisement se poursuit d’ailleurs encore de nos jours, à un rythme heureusement plus contrôlé, mais cela n’est pas suffisant. A la fin des années 1990, le taux de déboisement du Queensland était supérieur à celui tristement connu du bassin de l’Amazonie ! Cette transformation draconienne de l’environnement est ainsi à l’origine du problème écologique le plus alarmant de ces dernières années en Australie : la perte irréversible et rapide de sa biodiversité. Depuis la colonisation du continent, par exemple, 17 espèces de mammifères ont disparu et 30 au moins sont aujourd’hui menacées. Le pays figure en effet parmi les douze pays les plus riches en espèces et milieux biologiques du fait de sa superficie, de ses diverses zones climatiques et de son isolement géographique prolongé. L’Australie abrite donc des milliers d’espèces végétales et animales, dont 144 espèces de marsupiaux particulièrement adaptés à leur environnement (32). Il convient avant tout d’éviter de mettre en péril ces écosystèmes… b) Température 19 La température annuelle moyenne du continent australien varie entre plus de 25 degrés celsius dans le nord tropical (Top End) jusqu’à 8 degrés celsius dans les régions d’altitude de la Tasmanie ou du sud-est de l’Australie. Dans le centre du continent, le « cœur rouge » comme aiment à dire les locaux, les températures normales en journée pendant le mois de janvier (été) excèdent 38° C. alors qu’elles s’étalent entre 28 et 33° C. le long de la côte septentrionale et entre 15 et 18° C. sur la pointe sud du pays. Les températures équivalentes pour le mois de juillet (hiver) sont 20-25 dans le centre, 30 sur la pointe nord et 5-12.5 en Tasmanie (16). Approximativement un tiers du continent australien se trouve au sein des tropiques et le reste est soit en zone tempérée ou sub-tempérée. L’intérieur, comme pour beaucoup de continents, présente un été chaud ainsi qu’un hiver froid. Presque aucun exode d’animaux pour fuir les zones les plus froides avant l’hiver n’est visible. La faune australienne présente d’ailleurs logiquement très peu d’adaptations au froid (16). c) Pluie et évaporation Le manque d’eau se trouve être la seule caractéristique climatique du continent australien qui domine réellement. Effectivement, l’Australie est essentiellement un continent aride, un tiers de la surface ayant des précipitations annuelles inférieures à 25 centimètres ou moins ! Un autre tiers tombe dans la catégorie semi-aride. Les 75% du continent sont des zones semi-arides à aride, donc avec peu à très peu de précipitations. Le schéma général de la distribution des précipitations en Australie est relativement simple (figure 2 ci-dessous) : il s’agit de zones concentriques disposées de telle manière que l’on note une augmentation régulière des précipitations lorsqu’on se dirige du centre rouge (aride) vers les côtes. Les seules régions que l’on peut considérer comme bien « arrosées » sont la pointe sud-ouest, les zones côtières du sud-est et de l’est ainsi que de petites sections des régions côtières du nord (16). 20 Système tropical : janvier Système Antarctique : juillet (16). Figure 2: Précipitations moyennes pour les mois de janvier (en haut) et juillet (en bas) Les précipitations du continent australien sont produites par deux systèmes prédominants (16). Le premier, hivernal, passe au dessus de la partie sud de l’île (le « système Antarctique ») tandis que le second (le « système tropical »), en été, apporte les pluies de la mousson au nord du continent. Ces deux systèmes sont schématisés sur les deux cartes cidessus, pour les mois de janvier (été) et juillet (hiver), avec les chutes d’eau en pouces (2.54 centimètres). Ainsi, généralement, le nord du continent présente un été humide et un hiver relativement sec. Inversement, les régions du sud sont caractérisées par un hiver humide et un été sec. Une conséquence importante du fait que, dans le nord, les pluies arrivent durant l’été, se trouve être que « l’efficacité » de ces pluies est considérablement réduite par rapport aux régions du sud du continent, plus fraîches (16). 21 Ces deux schémas de précipitation vus plus haut expliquent en partie l’aridité du centre rouge de l’Australie, qui nous intéresse plus particulièrement. En effet, la zone géographique du centre se situe à la limite, hors d’atteinte, exactement entre le système hivernal et le système estival nordique de précipitations. Une autre caractéristique des précipitations de l’île continent, et non des moindres, est le fait qu’elles sont, pour la plupart des régions, totalement imprévisibles! Cette imprévisibilité augmente encore une fois de la côte vers le centre du pays, le moins bien loti en ce qui concerne les précipitations. Enfin, l’évaporation est élevée en ce qui concerne la majorité du continent australien et les régions désertiques centrales ont une évaporation excédant 254 centimètres par année pour une surface d’eau libre. Dans ces zones, l’évaporation est bien supérieure aux précipitations. La relation entre évaporation et précipitation permet d’avoir une idée de « l’efficacité » des pluies. En effet, l’humidité n’est disponible pour la croissance de la flore que lorsque le ratio précipitation sur évaporation excède un tiers ! Le nombre de mois où ce minimum est dépassé représente alors la période de croissance potentielle pour les plantes. Par exemple, dans les zones arides du centre, la période de croissance disponible est très courte : les plantes doivent être adaptées pour tirer rapidement profit de l’humidité alors disponible pour un temps limité (16). Ces dernières considérations, comme nous le reverrons, sont d’une grande importance pour expliquer l’adaptation réussie du Cenchrus cilié en Australie. d) Climats Climat aride tropical du centre rouge : végétation de type semi-aride adaptée à un déficit en précipitation sur toute l’année. 22 Figure 3 : Classification des climats en Australie ( d’après 16). Il est possible de résumer ce qui a été dit précédemment en définissant des zones climatiques recouvrant l’ensemble du territoire australien. On obtient alors grossièrement une série de zones parallèles, du nord au sud, se chevauchant légèrement (16). Ces régions aux climats différents sont représentées sur la carte de la figure 3, plus haut. En raison de sa taille, l’Australie présente de nombreuses variations climatiques, mais pas de véritables extrêmes. Notons aussi que les saisons australiennes sont inversées par rapport à l’hémisphère nord (32). Ainsi, la région tropicale du nord est déficiente en précipitations hivernales. Viennent ensuite les régions désertiques du centre, quelque peu hétérogènes mais s’accordant tout - de même sur un déficit en précipitations sur toute l’année. La région la plus au sud est humide (pluvieuse), mésotherme, avec un déficit en pluie estivale. Du centre du continent jusqu’à la côte est, il existe le même type de transition d’un climat d’aridité à un climat mésotherme, humide avec d’uniformes et abondantes chutes de pluie (16). 2. Caractéristiques plus spécifiques du centre australien a) Climat (1) Température Dans le centre du continent, la température durant les mois d’été excède fréquemment les 38 degrés celsius. Au beau milieu de l’hiver, la température varie en moyenne entre 20 et 25 degrés celsius (16). En général, le temps est chaud (et sec) durant la journée, mais souvent d’un froid mordant pendant la nuit (32). (2) Pluie et évaporation La zone qui nous intéresse ici reçoit moins de 25 centimètres de pluie par an, sans pics saisonniers notables. La partie la plus aride du centre du continent reçoit en moyenne 15.3 23 centimètres de pluie. Par contre, une seule précipitation peut amener soudainement plus de 5 centimètres d’eau ! Il n’est d’ailleurs pas rare d’enregistrer une précipitation de cette intensité une fois dans l’année puis plus aucune chute de pluie qui ne soit remarquable pendant 12 mois. Généralement, les précipitations dans le centre du pays sont faibles et imprévisibles. Les températures en journée durant les mois d’été, comme nous l’avons déjà vu, peuvent excéder 38 degrés celsius et, dans de telles conditions, les taux d’évaporation annuels sont extrêmement importants (25.4 centimètres) ce qui n’est pas favorable à la germination des végétaux. Par exemple, il a été établi à travers des expériences, mais aussi grâce à des observations rigoureuses, que 7.62 centimètres de pluie en plein milieu de l’été (janvier) est une valeur insuffisante pour l’établissement et la germination de graines d’une herbe, le saltbush (buisson à sel, Atriplex) dont il existe plus de 30 espèces différentes (16). Nous pouvons voir sur la carte ci-dessous que, dans le centre du pays, il n’y a pas même un mois dans l’année où le ratio Précipitation sur Evaporation dépasse un tiers. La période potentielle de croissance des végétaux n’atteint donc jamais un mois ! Cette caractéristique essentielle du centre du continent permet au Cenchrus cilié de disposer d’une vaste zone géographique répondant à ses exigences physiologiques pour s’installer durablement et être compétitif par rapport aux espèces natives. Figure 4 : Zones où le ratio Pluie sur Evaporation excède un tiers (16). 24 b) Sols (16) Leur étude permet à la fois d’expliquer partiellement pourquoi le Cenchrus cilié a été introduit en Australie et de démontrer la parfaite adaptation de cette plante à ce milieu. En général, la partie semi-aride de l’Australie est plutôt plate, les reliefs sont peu élevés et en faible nombre. La majorité de la région se situe de soixante à quelques centaines de mètres au dessus du niveau de la mer. De petites collines rocailleuses sont dispersées à travers le paysage. Entre ces collines, le paysage est soit plat soit recouvert de dunes de sable, parfois de vallonnements rocheux. Comme nous le verrons plus loin, chaque type de sol supporte une communauté de végétaux particulière. Le centre du continent australien présente, pour simplifier, quatre grandes catégories de sols, aux caractéristiques bien individualisées. On retrouve ces quatre formations géologiques dans la région d’Alice Springs, comme le montre la carte de la figure 5, présentée plus bas. Le premier type de sol est le désert rocailleux (stony deserts) constitué, comme son nom l’indique, de roches dispersées en surface avec, en profondeur, un terreau provenant d’une couche d’argile rouge ou marron. On note souvent la présence de chaux ainsi que de gypse. La deuxième catégorie de sol rencontrée dans le centre rouge du continent a une place un peu à part car il s’agit des montagnes (Tablelands and ranges). Ce sont en fait des sols non classifiés, au profil variable, rocheux en tout cas. On trouve ensuite les dunes et plaines de sable (Desert sandhills and sandplains) modelées par le vent, au profil latéritique (rouge) ancien, généralement alcalin ou très légèrement acide.. Enfin, les sols à base de terreau (desert loams, sandy loams) occupent une place importante dans le centre rouge : ils dominent aux alentours d’Alice Springs et sont recouverts de Cenchrus cilié ! Ceux-ci sont souvent peu profonds, disposés au dessus d’une couche d’argile qui contient normalement de la chaux ainsi que du gypse. Les niveaux d’azote sont faibles et la fertilité, elle aussi, est basse (16). Concernant leur qualité, il faut noter que la très large majorité des sols du continent australien, centre donc inclus, est pauvre et ancienne. Il existe en effet un déficit de ces sols en nutriments essentiels tels que l’azote ou le phosphore, pour ne citer que ceux-ci. Ces derniers sont présents à des niveaux de moitié inférieurs aux niveaux moyens rencontrés dans des régions d’aridité comparable, mais sur d’autres continents (43). 25 1 2 4 3 (1) Dunes et plaines sablonneuses (2) Terreaux (desert loams) (3) Montagnes (Ranges) (4) Déserts rocailleux Figure 5 : Carte des sols australiens (d ’après 16) c) Végétation : communautés de plantes L’Australie présente un grand nombre d’associations diverses et variées de plantes sous forme de communautés. Bien sûr, il existe une relation étroite entre la présence de ces communautés de végétation et les taux de précipitation, les types de sols. De plus, les associations de plantes gouvernent la distribution d’une grande proportion d’espèces animales et végétales. Nous verrons plus loin que le Cenchrus cilié menace bon nombre de ces communautés de plantes natives. Les formations de végétaux les plus communément rencontrées dans le centre du continent australien sont au nombre de cinq. Le premier type est une steppe désertique (Gibber desert), plaine avec du gravier grossier ainsi que des roches dispersées, à végétation minimale. On trouve ensuite un autre type de steppe désertique (Desert Grassland), constitué de touffes éparses d’herbe, principalement du spinifex (Triodia pungens, T. schinzii, T. basedowii). Les espèces herbeuses répondent très vite aux précipitations erratiques. Parmi celles-ci on rencontre notamment le « saltbush » (Atriplex), qui apprécie les sols argileux dont beaucoup sont riches en sel (16). 26 La troisième communauté de plantes que l’on peut rencontrer a pour nom le « Mulga scrub » ou buisson Mulga, une espèce d’Acacia (Acacia aneura). On le trouve surtout dans des régions qui reçoivent des précipitations estivales, comme le centre rouge. Il apprécie les sols avec une texture plutôt légère, les dunes de sable lorsqu’elles sont stables ou les collines rocailleuses avec une couche de roches peu profonde, dans laquelle les longues racines peuvent plonger. On rencontre parfois dans ces communautés d’autres plantes dominantes telles que le pin (Callitris glauca) ou le « rosewood » (Heterodendron oleifolium). Enfin, plus au sud par rapport au « Mulga scrub » se trouve le « Mallee scrub » ou buisson Mallee. Il s’agit en réalité d’associations de petits eucalyptus, caractérisés par des troncs multiples naissant d’une base commune (16). Ils apprécient généralement des sols sablonneux aux qualités particulières. On y rencontre aussi beaucoup de Spinifex (Triodia). d) Problème de l’érosion Ce sujet doit évidemment être abordé car il explique en partie l’introduction volontaire du Cenchrus cilié comme moyen de limiter les effets négatifs de l’érosion en Australie… (1) Effets de l’homme et des animaux en pâture Avant le contact européen du 19ème siècle, le continent australien voyait sa flore native consommée par les animaux indigènes , principalement kangourous et émeus. Les hommes, les aborigènes, ne perturbaient pas tellement la végétation car ils ne pratiquaient pas d’agriculture, pas à grande échelle en tout cas, ils ne coupaient que très peu de bois et s’ils allumaient des feux, ils ne détruisaient que de petites zones de végétation sans grande signification (5, 19). L’homme européen, au contraire, a apporté de vastes bouleversements par ses pratiques à grande échelle, en élevant et faisant pâturer du bétail, des moutons mais aussi par l’introduction de populations de lapins (pour ne citer qu’eux…) qui se sont propagées dans les régions arides depuis le sud du continent. La coupe industrielle du bois a aussi des effets désastreux sur certaines communautés de plantes vues plus haut. Par exemple, dans le buisson Mulga, la coupe de branches en grand nombre entraîne généralement la mort du pied. La raison n’en est pas bien comprise mais c’est un fait constaté. Par contre, le buisson Mallee n’en souffre pas autant. Il faut que le pied soit prélevé entièrement pour que des effets négatif se fassent sentir. Parmi ces effets, il y a l’érosion importante du sol. Dans toutes les communautés de plantes consommées par des cheptels (bétail, moutons), par les lapins, les chameaux ainsi que la faune indigène, on note une dégénérescence alarmante des pâtures. Dans toutes les régions observées, on remarque une tendance à la diminution de densité de couverture par les plantes natives, une augmentation de densité pour les espèces végétales moins appétentes avec une dominance de « mauvaises herbes » inutiles. Cela s’accompagne souvent d’un phénomène d’érosion accentué car la surface du sol est mise à nu. La stabilisation de la couche superficielle n’a plus lieu du fait de la destruction de la couverture végétale protectrice (16). Cette protection contre l’érosion peut être fournie par tous types de plantes mais aussi par des couches superficielles rocheuses. Les rochers protégeant efficacement contre le vent mais peu ou pas du tout contre l’érosion due à l’eau. Les plantes, à cet égard, sont irremplaçables. Le type d’érosion qui résulte de la destruction des plantes dépend d’ailleurs grandement de la structure même du sol. Ainsi, s’il s’agit de zones sablonneuses plantées d’Acacias, l’érosion entraîne l’apparition de dunes de sable. Par contre, si le sol est plus 27 compact, argileux par exemple, l’érosion met à nu des périmètres qui semblent « scalpés » car ils sont presque brillants (16). Dans tous les cas, la partie la plus superficielle du sol devient mobilisable par le vent ce qui entraîne de fortes tempêtes de sable (24). (2) Colonisation d’un sol nu Une régénération des surfaces érodées se met naturellement en place. Le taux de régénération, par contre, est toujours bas. Les étapes de ce phénomène sont, entre autres : plantes herbacées annuelles puis plantes herbacées pérennes elles-mêmes suivies par des arbustes etc. La recolonisation produit rarement des conditions stables car il existe de nombreux facteurs d’inhibition (16). Il faut tenir compte du fait qu’un sol mis à nu est bien plus sensible à la rigueur climatique qu’un sol complètement ou partiellement protégé par une couverture végétale. Les facteurs d’inhibition que l’on doit prendre en considération sont alors biotiques et abiotiques. Pour commencer, le taux de pâture, le nombre d’animaux par unité de surface est essentiel bien que, en théorie, facilement maîtrisable : il suffit d’enlever des vaches ou des moutons…Mais il y a aussi les lapins, à la population beaucoup plus difficile à contrôler, particulièrement sur de grandes étendues. La faune native est un autre facteur mais elle joue un rôle mineur dans la plupart des cas. On peut quand même signaler, outre les mammifères, les oiseaux qui consomment parfois en grande quantité les graines vitales pour une recolonisation efficace. Le nombre de graines disponibles sur la zone considérée est encore un facteur limitant pour la recolonisation. Viennent ensuite des facteurs climatiques essentiels, surtout pour le centre semi-aride, tels que la température, les pluies, le vent ainsi que l’évaporation intense. Le climat n’est pas vraiment en faveur du rétablissement de la couverture végétale sur des zones nues ! Enfin, les propriétés physiques et chimiques du sol interviennent. Jusque dans les années 50, l’impression générale était que la faible quantité d’eau du sol dans le centre du continent était le vrai facteur limitant. On sait maintenant que, sans minimiser son importance, il existe d’autres points essentiels comme la quantité d’azote disponible dans les différentes couches du sol. L’azote peut ainsi retarder la croissance de certaines plantes et sélectionner des espèces herbacées annuelles. L’érosion de la surface du sol, on le sait, provoque un lessivage qui entraîne la perte de l’azote naturellement présent, accumulé depuis parfois des centaines d’années (16). 3. Alice Springs en quelques mots a) Les Mac Donnell Ranges Les Mac Donnell Ranges sont de splendides montagnes, avec leurs gorges, leurs billabongs (étangs) et leurs sentiers de randonnées, s’étendant à l’est et à l’ouest d’Alice Springs. Le paysage y est superbe et de nombreuses gorges entaillent des parois rocheuses verticales à la couleur rouge vif. Au fond des gorges partiellement ombragées scintillent des 28 trous d’eau (waterholes) parfois profonds mais toujours frais grâce à la protection efficace des falaises contre le soleil écrasant de l’Outback. Evidemment, les animaux abondent ainsi que les fleurs sauvages au printemps, ce qui ajoute encore au charme indéniable de ces lieux. Remarquons aussi, et c’est essentiel, que beaucoup de sites dans les « Macs », comme disent les locaux, sont d’une grande signification pour les aborigènes de la région (les Arrerntes). Ainsi, « Emily and Jessie gaps » sont deux défilés qui tiennent une place important pour les Arrerntes de l’est (32) car ils sont associés au chemin des ancêtres créateurs que sont les chenilles ( Rêve de la Chenille). Celles-ci seraient apparues à Emily Gap (site sacré) puis auraient crée toute la région d’Alice Springs au cours de leurs pérégrinations (19). Les Mac Donnell Ranges sont aussi connues pour la rareté de certaines espèces végétales menacées que l’on peut y rencontrer. Citons par exemple une espèce de palmier : Livistona mariae. C’est de plus l’habitat de beaucoup d’espèces d’invertébrés endémiques comme la « dragonfly » (Hemicordulia flava) et bon nombre de petits escargots terrestres. Enfin, diverses espèces de vertébrés menacés de disparition y ont trouvé refuge, tels le wallaby des rochers (Petrogale lateralis), le rat des rochers (Zyzomys pedunculatus) récemment redécouvert, le perroquet d’Alexandra (Polytelis alexandrae) etc… Malheureusement, à l’heure actuelle, ces montagnes se voient menacées par une plante herbacée : le Cenchrus cilié. L’invasion continue de nouveaux sites défigure le paysage, surtout le long des cours d’eau, où il y a peu de Spinifex (Triodia sp) et où le sol est plus riche en nutriments. Peter Latz, un botaniste australien réputé, estime qu’à l’heure actuelle, la végétation native a été remplacée par cette mauvaise herbe sur environ 20% du parc national des Mac Donnell Ranges (15)! Il est donc vital de considérer l’impact de cette plante exotique sur ces montagnes qui sont, on l’a vu, un refuge hautement significatif pour beaucoup d’êtres vivants. b) Un oasis dans le désert La rivière Todd traverse Alice Springs et son lit, sablonneux et peu profond, est typiquement marqué par une ligne d’eucalyptus (souvent Eucalyptus camaldulensis) et d’acacias (Acacia sp) (16). Au niveau de l’ancienne station de télégraphe, au nord de la ville, la rivière aménage une petite retenue d’eau (presque toujours sèche en réalité) qui a donné son nom à la ville : il s’agit de la « source » d’Alice. Ces lits de rivière asséchés et sablonneux sont caractéristiques du centre de l’Australie et du territoire du nord (NT) en particulier. Lors des années de sécheresse, la majorité des rivières du centre de l’Australie, mis à part les plus grandes, sont réduites à une série de petits trous d’eau extrêmement localisés. Cet habitat fragile sert alors de refuge à de très nombreuses espèces animales : oiseaux, reptiles et mammifères. La ville d’Alice Springs, pour sa part, est relativement petite (28000 habitants). « The Alice », comme disent les locaux, fut fondée en 1871 pour servir de relais à la ligne télégraphique partant d’Adelaïde (sud du pays) et traversant tout le centre jusqu’à Darwin, au nord. Aujourd’hui, c’est une ville très agréable située au pied des Mac Donnell Ranges, avec tout le confort désirable, idéale pour faire une pause dans le désert australien, dans une atmosphère très particulière. Elle attire par ailleurs de nombreux touristes qui y font escale avant de partir visiter Uluru and Kata Tjuta National Park (32). 29 Cependant, il est dommage de ne pas rester un peu plus longtemps dans cette oasis car il possède des trésors inestimables qui ne sautent pas toujours aux yeux de touristes pressés, parfois peu curieux. Alice Springs est en effet localisée au beau milieu d’un environnement semi-aride à aride. Cette situation géographique est donc idéale pour tous ceux qui sont désireux d’en savoir un peu plus sur le « bush », sa faune et sa flore uniques. Beaucoup de chercheurs, zoologistes, botanistes ou autres montent donc des projets de recherche sur l’environnement du centre australien en se basant à Alice Springs. Nombre de ces scientifiques travaillent d’ailleurs en collaboration, complète ou partielle, avec le parc situé à quelques kilomètres à l’ouest d’Alice Springs : Alice Springs Desert Park. c) Alice Springs Desert Park Alice Springs Desert Park (ASDP) est en fait une réserve sauvage, gérée par le gouvernement australien en collaboration avec la « commission pour les parcs et la nature » du Territoire du Nord, située à 3 kilomètres à l’ouest du centre d’Alice Springs, au pied des Mac Donnell Ranges. Cette réserve s’étend d’ailleurs sur environ 1300 hectares de zone protégée. Le noyau du parc, entouré d’une barrière électrique et parcouru par les visiteurs, représente une surface de pas moins de 50 à 70 hectares (31). Ce parc présente les divers écosystèmes du centre de l’Australie et les relations traditionnelles existant entre les aborigènes et leur milieu naturel. On peut y admirer des spécimens plutôt rares et en voie de disparition de la flore et de la faune de la région : notamment des bilbies et malas (Macropodes), des kowaris (Oiseaux) et des chauves-souris carnivores (32). L’accent est mis sur la flore native qui prospérait avant la colonisation du continent par l’homme européen. C’est pour cette raison que le Cenchrus cilié est enlevé de façon continue, manuellement et chimiquement, pour qu’il n’en reste plus dans l’enceinte du parc (« core area »). Cette caractéristique a bien évidemment été mise à profit dans notre étude (50)… La vocation de ce parc suit trois principaux objectifs : la préservation du milieu naturel australien, l’éducation des visiteurs ( 50% sont australiens et les autres sont étrangers !) et la recherche (réhabilitation d’espèces menacées, reproduction etc). ASDP emploie environ 45 employés dont, et c’est important, 7 apprentis aborigènes de la région. Le recrutement se fait d’ailleurs à l’échelle nationale (sauf en ce qui concerne les aborigènes). Nous avons vu quelques traits propres à la biogéographie du centre rouge mais il est maintenant temps de penser cet environnement comme un écosystème au sens propre… B. Bases d’écologie : structure et fonctionnement d’un écosystème quelconque L’objectif de toute cette partie, certes un peu rébarbative, est de fournir des notions de base en écologie de façon à comprendre toute l’ampleur de l’impact que peut avoir l’introduction d’une « simple » plante dans un milieu naturel jusqu’alors stable. Nous verrons que la complexité des relations établies entre le Cenchrus cilié et son environnement (faune, flore) rend ardue toute tentative d’évaluation de son impact effectif… 1. Qu’est-ce qu’un écosystème ? 30 Il est possible de reconnaître, à la surface du globe terrestre, quatre grands ensembles qui sont en contact les uns avec les autres. On a tout d’abord la lithosphère, couche superficielle du globe terrestre, d’une épaisseur variable (70-150km), ensemble rigide découpé en douze grandes plaques. On trouve ensuite l’hydrosphère formée par les eaux, superficielles comme les océans ou profondes des sols et sous-sols. L’eau de l’atmosphère en fait d’ailleurs partie. Puis il y a l’atmosphère, enveloppe gazeuse entourant la terre, formée de diazote, de dioxygène, de dioxyde de carbone et de gaz rares. Enfin, on trouve la biosphère qui regroupe, selon le terme de Lamarck (naturaliste français du 18ème siècle), la totalité des êtres vivants. Cette dernière, par commodité, est étudiée par l’homme a différents niveaux (disons de la molécule à …l’écosystème !). On peut ainsi définir la population, groupe d’individus de la même espèce vivant dans un milieu déterminé. De cette dernière définition découle ensuite, de proche en proche, celle de l’écosystème (46). a) Biocénoses Les biocénoses, aussi appelées communautés, sont des ensembles de populations vivant dans un milieu, un environnement (biotope) donné. b) Ecosystème L’écosystème est un niveau supérieur à la biocénose car il regroupe à la fois la communauté et son environnement. Un écosystème est donc constitué d’une biocénose et d’un biotope comme le schématise la figure 6 ci-dessous. De plus, il existe une multitude d’écosystèmes différents : benthique, lacustre, forestier, prairie… BIOTOPE BIOCENOSE Figure 6 : Représentation schématique de la définition d’un écosystème (46) 2. Structure et évolution d’un écosystème 31 a) Facteurs abiotiques (1) Facteurs édaphiques Le premier facteur édaphique a prendre en considération pour étudier la structure d’un écosystème, disons de type prairie, est bien entendu le sol. Il s’agit d’un mélange de substances minérales résultant de la décomposition des roches-mère par les agents physiques et chimiques et de matières organiques particulières produites, entre autres, par la décomposition des résidus végétaux par les agents biologiques. Le sol, à lui « seul », est donc un écosystème à part entière. Evidemment, il est lui-même inclus dans un autre écosystème plus large (forêt, prairie…) (46). Le sol, comme nous l’avons vu précédemment en étudiant celui du centre australien, peut avoir diverses textures, des éléments le composant très variables : couches sablonneuses, rocheuses, terreau constitué d’argile ou de chaux etc. De la même façon, son ph peut être sensiblement différent d’un région à une autre, d’acide à alcalin (46). La richesse en eau ainsi qu’en éléments minéraux est un autre facteur essentiel dont il faut tenir compte pour décrire un écosystème quel qu’il soit. L’eau peut ainsi se présenter sous ses trois formes, liquide, solide ou vapeur. Les éléments minéraux sont nombreux, on citera, par exemple, les nitrites et nitrates contenant l’azote, les phosphates et les éléments soufrés (46). (2) Facteurs climatiques(46) Les facteurs climatiques sont essentiels car ils influencent la composition floristique mais aussi la faune d’un écosystème. Par exemple, dans le centre de l’Australie, la strate herbacée est souvent plus importante que les arbres ou arbustes. Celle-ci, avec le Cenchrus cilié qui nous intéresse, crée en fait un microclimat (modification locale des conditions météorologiques générales) : on a une transition entre le climat du sol nu et celui du milieu aérien et variation du microclimat en fonction des caractères des végétaux (feuilles verticales ou horizontales, hauteur, densité…). La vitesse du vent varie selon la hauteur de la végétation, la géométrie du sol (relief). Le vent intervient dans de nombreux phénomènes, citons la pollinisation des plantes herbacées de la famille des Poacées ( le Cenchrus cilié en fait partie) qui sont anémophiles, la dessiccation des végétaux, l’érosion du sol etc. Au voisinage du sol, si la couverture végétale est présente, la vitesse du vent est ralentie ce qui signifie que l’air est évidemment moins brassé et conserve donc une forte humidité relative. La température, nous ne nous y attarderons pas car c’est évident, est un facteur important, qui détermine les types de faune et de flore rencontrés dans l’écosystème considéré. Notons tout de même l’impact de la flore sur la température microclimatique (41). C’est en effet dans la zone de développement maximal des feuilles que l’on trouve : les températures les plus hautes le jour (supérieures à celles de l’air) car l’absorption de l’énergie solaire est maximale, les températures les plus faibles la nuit car la déperdition par rayonnement est la plus grande (d’où la rosée). L’humidité relative de l’air doit elle aussi être considérée, particulièrement dans des écosystèmes où l’eau est un facteur limitant de croissance et de développement, comme c’est 32 le cas dans le centre semi-aride australien. Cette humidité relative dépend donc de la température, de la vitesse du vent et de l’évapotranspiration (évaporation par la surface du sol et transpiration des végétaux). Enfin, il faut bien sûr considérer le facteur lumière, vital à bien des égards mais citons quand même la photosynthèse des végétaux, dont nous reparlerons plus loin. Ainsi, dans l’Outback australien, la luminosité est généralement très intense, même au niveau du sol qui est peu recouvert par des végétaux. La lumière est pauvre en radiations rouges et bleues (absorbées par les feuilles) et riche en infra-rouge (rayonnement thermique). Sous couvert végétal, la surface du sol est (normalement) ombragée (46). Pour illustrer un rôle (parmi d’autres) de certains de ces facteurs climatiques, on peu s’attacher à donner des exemples de l’influence de quelques paramètres climatiques sur la faune. En effet, par temps calme et ensoleillé, les Insectes aériens (Diptères, Hyménoptères) présentent une activité maximale. Lorsque le vent se lève et atteint un certain nouveau de force, il fait se réfugier la faune aérienne dans la strate herbacée (protection). Une pluie faible supprime le butinage chez la plupart des Hyménoptères. On observe une migration quotidienne des Insectes : vers le haut de la strate herbacée le jour, vers le bas la nuit etc. On peut ainsi multiplier les exemples quasiment à l’infini. Mais intéressons-nous maintenant d’un peu plus près aux facteurs biotiques de la structure d’un écosystème (46). b) Facteurs biotiques (1) Stratégies adaptatives de développement (25). La colonisation d’un écosystème par diverses espèces, constituant sa faune ainsi que sa flore, est un phénomène extrêmement complexe. Malgré tout, la sélection naturelle opère de telle manière que deux schémas évolutifs semblent se dessiner. Pour simplifier, deux grands types d’espèces se sont mis en place, chacun usant d’une stratégie adaptative de développement qui lui est propre. La loi logistique (énoncée ci-dessous) est un modèle mathématique de croissance des individus d’une population qui est couramment admis, compte tenu du fait qu’il existe de nombreux autres modèles. Loi logistique de développement des populations : Avec : dN/dt = rN ( K - N )/K N = nombre d’individus ou biomasse à un instant t ; r = coefficient de croissance d’une population considérée ; K = nombre maximum d’individus que le biotope peut porter en fonction de ses ressources. Nous remarquons donc à la vue de cette formule que le nombre d’individus au cours du temps va s’accroître d’autant plus vite que r sera important. De même, notons que lorsque N prend une valeur proche de K, alors la croissance devient nulle, le milieu est saturé car son potentiel, lié à ses ressources naturelles, ne lui permet pas d’héberger davantage d’individus. 33 Cette formule nous éclaire sur la nature des deux grands types de stratégies que l’on peut retrouver dans des écosystèmes. En effet, certaines espèces vont « jouer » sur le nombre d’individus et leur potentiel de croissance tandis que d’autres vont plutôt « jouer » la carte de l’adaptation optimale au milieu colonisé. Les premières espèces sont les stratèges « r » et les secondes sont les stratèges … « K ». Une remarque importante s’impose tout de même à ce niveau : même si ces deux tendances sont reconnaissables en étudiant les diverses espèces d’un écosystème, il faut garder en mémoire que beaucoup d’entre elles utilisent des stratégies intermédiaires, avec parfois une dominance « r » ou « K ». Il n’est pas toujours aisé de trancher pour une stratégie ou une autre (25). (a) Les stratèges « r » Il s’agit donc, comme nous l’avons déjà souligné, des espèces dont le coefficient de croissance est très important. Parmi celles-ci, nous trouvons la plante qui nous intéresse dans cette étude : le Cenchrus cilié (Poacée). Nous pouvons citer quelques caractéristiques fréquentes de ces espèces. Ainsi, leur taille est réduite pour assurer de bons échanges des gaz et éléments nutritifs avec le milieu extérieur, échanges compatibles avec un métabolisme extrêmement actif. Leur productivité et leur prolificité sont très fortes (25). Ces espèces sont peu exigeantes, s’installent rapidement et se développent à grande vitesse, avec souvent d’énormes dépenses énergétiques, dont beaucoup en pures pertes, ce qui entraîne un gaspillage non négligeable. Tel est le cas des « mauvaises herbes », comme le Cenchrus cilié, envahissant n’importe quel terrain, laissé à l’abandon ou victime de perturbations majeures ( type incendie…). Les stratèges « r » ont une mortalité très forte et donc une espérance de vie réduite. Leur mode de vie est dit « généraliste » aussi bien du point de vue biotique que abiotique, avec un spectre alimentaire considéré comme très large. Les fluctuations du milieu n’ont que peu d’effets sur ces espèces tolérantes. De la même manière, la densité de population ne joue quasiment pas de rôle dans la régulation démographique. Les densités de couverture du sol colonisé par le Cenchrus cilié sont alors importantes à très importantes ! Il s’agit d ‘espèces pionnières qui colonisent des milieux neufs ou vierges avec célérité, comme en sont capables les Poacées chez les végétaux. Ces dernières sont des stratèges « r » typiques avec leur formidable potentiel de dissémination et leurs faibles exigences, les rendant capables de coloniser des espaces vierges de toute autre végétation. Le Cenchrus cilié, encore une fois, est un très bon exemple parmi les membres de cette vaste famille (25). (b) Les stratèges « K » Contrairement aux espèces vues précédemment, les stratèges « K » sont constamment en équilibre avec les possibilités, les ressources offertes par le milieu. Elles sont extrêmement exigeantes et font preuve d’une grande adaptation. Elles profitent ainsi au maximum des potentialités du milieu. Le Koala (Phascolarctos cinereus), se nourrissant uniquement de feuilles d’eucalyptus, est un bon exemple de stratège « K », particulièrement spécialisé ! De la même façon que pour les stratèges « r », nous pouvons passer en revue quelques caractéristiques de ces espèces exigeantes quant à leur milieu de vie. Ainsi, les individus sont toujours de relativement grande taille (25). Leur productivité individuelle est faible mais, étant donné leur adaptation optimale au milieu et le fait que l’ensemble du biotope est utilisé, la productivité totale est très importante. 34 Leur prolificité est elle aussi faible avec une longue période d’immaturité sexuelle et une taille des portées (ou des nichées) limitée. La mortalité est très faible car les animaux élèvent effectivement peu de petits mais s’en occupent de façon attentive. Les soins prodigués aux jeunes permettent une espérance de vie relativement longue. Enfin, le mode de vie des stratèges « K » est celui d’espèces que l’on peut qualifier de « spécialistes », très adaptées aux conditions nutritionnelles et abiotiques ambiantes. Elles économisent de l’énergie, à l’opposé des précédentes. Il en résulte que le nombre de descendants est fortement conditionné par les paramètres du milieu extérieur, la disponibilité des ressources etc. Ainsi, la densité de population influence nettement l’évolution démographique des stratèges « K ». De même, des modifications radicales du milieu auront des effets considérables sur la densité de population (25). Ainsi, il est logique de suspecter que le Cenchrus cilié (stratège « r »), tout en envahissant l’Australie, puisse avoir un impact sur les stratèges « K » que sont les reptiles australiens. La prolifération de cette plante est effectivement un excellent exemple de modification radicale du milieu… Tout les écosystèmes ne sont pas « stables ». Il suffit qu’un cataclysme se produise pour qu’une perturbation affecte les stratèges « K ». Le moindre dérangement est pour eux une catastrophe : ils sont d’une grande fragilité. La disparition de ces espèces dites « spécialistes » crée un espace qui peut être rapidement colonisé par des stratèges « r », peu regardants sur les conditions du biotope. Une fois l’écosystème « stabilisé », des stratèges « K » plus adaptés et donc bien plus compétitifs prendront le relais (25). Qu’elles aient adopté la stratégie de développement « r » ou « K », toutes ces espèces, en tant que constituants à part entière d’un écosystème, utilisent une niche écologique, notion proche de l’habitat comme on l’entend généralement, mais qui en diffère tout de même par certains aspects essentiels… (2) Notion de niche écologique (25) Le concept de niche écologique a été pour la première fois formulé en 1904 par Grinell (25) qui n’y voyait pas beaucoup plus qu’un habitat utilisé par une espèce. D’ailleurs, le mot niche fait bien allusion à l’habitat du chien. Cependant, avec l’évolution inévitable de l’écologie en tant que science systémique, au cours du 20ième siècle, les scientifiques ont voulu donner un peu plus de profondeur à ce terme, en y incluant un sens plus fonctionnel. C’est ainsi que l’on arrive tout naturellement au concept d’Odum (25). Ce dernier formula en 1971 une définition systémique de la niche écologique. Pour lui, habitat et niche écologique diffèrent radicalement car la niche représente le rôle d’une espèce dans l’écosystème où elle se situe. Plus que ça, elle englobe aussi ses exigences, ses tolérances, son mode de vie…bref, sa fonction au sein de l’écosystème. Mais cette définition ne satisfait pas tout le monde et certains voudraient bien inclure l’habitat dans la niche écologique, tout en gardant le sens fonctionnel. C’est à ce moment précis qu’intervient le concept d’Hutchinson (25), le plus fédérateur car il embrasse les deux précédents. Il unifie ainsi les notions d’habitats et de fonctions. On parle de concept multidimentionnel de la niche écologique. 35 Ce dernier concept tient à la fois compte de l’habitat avec tous ses facteurs de variation (climatiques, édaphiques) et de la fonction de l’espèce considérée, donc de facteurs trophiques, du mode de vie etc. On voit donc que deux espèces ayant un habitat identique, disons le même arbuste, et ne se différenciant que par les proies consommées, par exemple de tailles inversement proportionnelles, auront deux niches écologiques bien séparées ! Notons aussi que chaque espèce tolère une certaine variabilité dans les facteurs influençant son milieu et son mode de vie. Une espèce peut occuper une niche écologique tout en exprimant pleinement son potentiel génétique, malgré la compétition. On parle dans ce cas de niche écologique fondamentale. Cependant, le plus souvent, les conditions abiotiques et la compétition interspécifique font que cette espèce ne se développera pas en exprimant complètement son potentiel génétique. Dans ce cas on parle donc de niche réalisée. Il n’est de ce fait pas surprenant de rencontrer sur la biosphère une même espèce dans des conditions abiotiques et biotiques différentes car cette dernière reste, par le phénomène de tolérance, à l’intérieur de sa niche fondamentale. On peut tirer deux conclusions fort intéressantes de ce qui vient juste d’être dit. En effet, étant donné la très grande tolérance des stratèges « r » pour chaque paramètre de variation des conditions biotiques et abiotiques, on en déduit que leur niche écologique va être très large. A contrario, les stratèges « K » comme les lézards de la région d’Alice Springs, parfaitement adaptés et sensibles à la plus infime variation des conditions du milieu extérieur, auront une niche écologique extrêmement réduite (25). c) Evolutions cycliques : saisons, perturbations L’évolution d’un écosystème est toujours liée à des phénomènes cycliques comme l’alternance jour/nuit (cycle nycthéméral) ou les saisons. Dans ce dernier cas, les plus grandes modifications observables sont entre l’été et l’hiver, saisons aux caractères climatiques très éloignés. Dans le centre rouge de l’Australie comme dans une prairie tempérée européenne, les variations d’activité des animaux (hivernage par exemple) s’accompagnent de variations de l’activité des plantes. Ainsi, en hiver, lorsque la luminosité diminue, lorsque la température baisse, les reptiles entrent en hibernation (vie ralentie) dans des refuges sûrs, préparés à cet effet. Dans des prairies d’Europe, lorsque l’hiver arrive, les Poacées entrent dans une phase de ralentissement de la croissance. Il y a toujours une activité photosynthétique mais la photosynthèse est plus limitée à cause de l’éclairement réduit. On comprend alors le rôle prépondérant des réserves des Poacées qui permettent une reprise rapide de la végétation au printemps, une multiplication végétative par tallage suivi de fragmentation (25). Nous pouvons évoquer d’autres types d’évolutions cycliques des écosystèmes. Par exemple, des perturbation majeures comme les incendies reviennent de façon régulière car elles sont associées à la saisonnalité. En Australie, surtout avant la colonisation, les aborigènes de très nombreuses régions allumaient des incendies à la fin de la saison humide à la fois pour permettre la repousse de plantes jeunes, appétentes pour le gibier (kangourous) et pour faciliter la marche en détruisant des zones de buissons denses et parfois épineux (19). A l’heure actuelle, en Australie comme ailleurs, la saison la plus favorable aux incendies est la saison chaude : l’été. On voit alors beaucoup d’incendies incontrôlés (« wildfires »), et cela chaque année… 36 Dans le centre australien, ces incendies provoquent une combustion d’une grande partie de la végétation (et de la faune) mais ne tue pas les plantes (en théorie) car celle-ci sont capables de résister à des feux d’intensité moyenne, s’ils ne s’éternisent pas, cela va de soi. Le sol est alors enrichi de façon extraordinaire par les minéraux provenant de la combustion de toute cette matière végétale. Sous réserve qu’une pluie bénéfique suive cet incendie, et avec l’aide de leurs réserves protégées du feu (dans les racines par exemple), les plantes ayant survécu vont croître de façon impressionnante en très peu de temps. On considère ainsi que la flore native du bush répond positivement aux incendies d’intensité « normale ». 3. Transferts de matière et d’énergie au sein d’un écosystème a) Chaîne alimentaire et réseaux trophiques (1) Définitions(46) Dans un écosystème, les relations de type alimentaire, ou relations trophiques, qui relient les « mangés » et les « mangeurs » sont parmi les plus évidentes. Ces relations forment ce que l’on nomme communément la chaîne alimentaire mais l’image la plus appropriée pour les décrire est en réalité un réseau trophique. La figure 7 ci-dessous fourni un exemple de réseau trophique, simplifié à l’extrême, qui peut très bien s’adapter au centre de l’Australie. Niveau 1 Niveau 2 Niveau 3 Niveau 4 Niveau 5 Ions minéraux CO2 Cenchrus cilié Eau Vache Criquet Grenouille Serpent Araignée Lézard Lumière Aigle Figure 7 : Exemple simplifié de réseau trophique (d’après 46) Notons que dans le schéma ci-dessus la plante (Poacée) du premier niveau est consommée d’abord par les bactéries et ciliés symbiotes de la panse de la vache (46). Une chaîne alimentaire au sens propre du terme n’aurait qu’une seule espèce animale par niveau, c’est pour cette raison que l’on utilise le mot « réseau ». Dans cet exemple schématique, on ne considère que cinq niveaux dans le réseau trophique. En réalité, il peut y en avoir bien plus. Intéressons-nous maintenant à ce qui se passe aux différents niveaux… 37 (2) Les différents niveaux(46) On a tout d’abord, comme le montre la figure 7 au premier niveau, ce que l’on appelle les producteurs primaires (Poacée du schéma : Cenchrus cilié) qui transforment la matière minérale en matière organique grâce à des réactions endergoniques, donc par apport d’énergie exogène. Il y a en effet une grande barrière énergétique à franchir pour que ces réactions de réduction se réalisent. Selon le type d’énergie utilisé par les producteurs primaires, on distingue : - les photolithotrophes (végétaux comme le Cenchrus cilié, certaines bactéries…) ; - les chimiolithotrophes (bactéries du sol). Les organismes photolithotrophes utilisent alors, comme leur nom l’indique, l’énergie lumineuse (hν) par la photosynthèse (Cf cycle du carbone plus loin) tandis que les chimiolithotrophes utilisent l’énergie dégagée par d’autres réactions exergoniques grâce à un phénomène de couplage : minéralisation exergonique de l’azote du sol par les bactéries nitreuses et nitriques (que l’on reverra dans le cycle de l’azote). Ce couplage n’est autre que la chimiosynthèse. Il existe ensuite, juste au dessus des producteurs primaires, les producteurs secondaires (niveaux 2,3,4 et 5 du schéma plus haut) qui sont les consommateurs de substance organique. Ils sont incapables de transformer la matière minérale en matière organique. Pour résumer, les consommateurs transforment donc la matière organique en matière organique ! Il s’agit en réalité des animaux comme les lézards d’Alice Springs mais aussi des végétaux non chlorophylliens (46). Les producteurs secondaires sont généralement classés selon deux manières différentes. On peut tout d’abord les classer selon le type de matière organique consommée : celle-ci est soit fraîche (phytophages et zoophages) soit morte (décomposeurs, saprophages…). Enfin, la faune des producteurs secondaires peut être classée selon sa localisation verticale : on a une faune aérienne vivant soit dans la strate herbacée (hypergaïon) soit à la surface du sol (épigaïon) ainsi qu’une faune souterraine (ou endogaïon), vivant dans un milieu extrêmement riche (46). b) Production et productivité primaires (1) Biomasse La biomasse est la quantité de matière vivante présente dans un écosystème à un moment donné par unité de surface. On distingue encore une fois phytobiomasse et zoobiomasse. Cette biomasse va varier selon l’activité relative des être vivants situés au différents niveaux du réseau trophique. Pour essayer d’avoir une idée de l’activité de ces espèces, on utilise les notions de productivité et de rendement, empruntées à la thermodynamique physique (25). (2) Production primaire brute ou nette La production primaire est la quantité de matière végétale produite par unité de surface par les producteurs primaires (niveau 1 du schéma plus haut). Elle peut être exprimée en masse totale (qui inclut l’eau) ou masse de matière sèche. La production primaire brute est alors cette matière organique totale produite par photosynthèse et rapportée par unité de 38 surface. Cependant, une partie de cette matière organique est dégradée par les autotrophes eux-mêmes. En effet, les végétaux respirent… D’où la notion de production primaire nette dont la valeur est tout simplement celle de la production brute moins la matière organique « perdue » lors de la respiration. On obtient par cette soustraction la véritable augmentation de biomasse dans l’écosystème considéré (46). (3) Productivité primaire, facteurs de variation, rendement (28) De façon a pouvoir comparer plusieurs écosystèmes, on utilise plutôt la notion de productivité primaire (brute ou nette). C’est la quantité de matière végétale produite par unité de surface et par unité de temps. La productivité mesure alors la vitesse d’accroissement de la biomasse végétale ! Cette productivité va varier à cause de divers facteurs de l’écosystème que l’on a déjà cités précédemment : facteurs abiotiques (lumière, CO2, eau, température), facteurs biotiques, compétition pour les éléments nutritifs etc. Remarquons enfin que la productivité est déterminée par la loi des facteurs limitants (loi de Blackman) : « lorsqu’un phénomène physiologique est sous la dépendance simultanée de plusieurs facteurs, l’intensité de ce phénomène est toujours conditionnée en dernier ressort par l’intensité du facteur le moins représenté ». Concernant notre étude, le facteur « productivité primaire » du Cenchrus cilié va représenter un atout essentiel pour cette plante lors de la compétition avec les espèces natives… On peut aussi établir par le calcul un rendement de production primaire en faisant le rapport de la production primaire nette sur la production brute. Le rendement moyen, transformé en pourcentages, vaut en général 60% (46). c) Production et productivité secondaires (1) Définition La production secondaire est l’accroissement de la biomasse définie plus haut au niveau des producteurs secondaires. La productivité secondaire est alors simplement la vitesse d’accroissement de cette production. (2) Rendements Le besoin de définir des rendements, dans ce cas-ci, provient du fait que la matière organique effectivement produite par les producteurs primaires n’est pas totalement intégrée par les producteurs secondaires. En effet, une partie de cette matière organique n’est pas ingérée (racines non mangées par exemple) et une autre partie n’est pas absorbée par les intestins, elle est alors rejetée avec les excréments. Enfin, sur ce qui est absorbé, une fraction est utilisée pour la respiration. 39 Il existe plusieurs types de rendements : d’exploitation, écologique de croissance, d’absorption, de production etc… Sans rentrer dans le détail, citons le rendement écologique de croissance qui montre quelle part des aliments ingérés est effectivement intégrée dans la matière vivante. En général il est faible. Il mesure en réalité l’efficacité de transfert d’énergie à travers l’animal et est caractéristique de chaque espèce. On le calcule par le rapport entre la production nette au niveau « n » sur l’énergie ingérée au niveau « n ». Ce rendement dépend du régime alimentaire du consommateur et de son caractère endotherme ou ectotherme (46). d) Flux d’énergie dans un écosystème Comme nous l’avons déjà dit plus haut dans l’exposé, un écosystème peut tout à fait être assimilé à un système thermodynamique (complexe, certes…) où le premier principe thermodynamique de conservation de l’énergie s’applique donc. En réalité, contrairement à la matière, l’énergie n’effectue pas de cycle. Elle s’écoule donc des producteurs primaires vers les producteurs secondaires consommateurs. Ces producteurs secondaires prennent leur énergie à partir des molécules des autotrophes : l’énergie circule le long des « chaînes » alimentaires et passe d’un maillon à un autre, avec des pertes non négligeables dues à la respiration, aux pertes sous forme de chaleur etc. Ces pertes ne sont effectivement pas recyclées dans un cycle de l’énergie. C’est pour cette raison que pour entretenir le phénomène, le flux énergétique a une valeur constante, un apport exogène (lumière par exemple) est continuellement nécessaire ! On peut résumer la situation en disant que le flux énergétique d’un écosystème est décroissant et unidirectionnel (46). e) Les cycles de la matière Contrairement à ce que l’on vient juste de voir concernant le flux énergétique à l’intérieur d‘un écosystème, la matière, sous ses formes les plus simples, réalise des cycles entre les différents éléments constituant l’écosystème. Il n’y a donc pas besoin d’un entretien quelconque par un apport exogène de matière car celle-ci est effectivement recyclée. Pour ses différents éléments chimiques, on peut élaborer des cycles où les éléments passent d’une forme minérale à une forme organique, comme le montre le schéma de la figure 8 plus loin. 40 Incorporation des minéraux dans la matière organique (réduction par les autotrophes : ex : Cenchrus cilié) Matière organique : glucides, lipides, protéines, nucléotides etc. Eléments minéraux du sol, de l’air, des roches etc. (C, N, P, S) Minéralisation Figure 8 : Le cycle de la matière (46) Notons à ce stade de l’étude que la plante qui nous intéresse, à savoir le Cenchrus cilié, fait maintenant entièrement partie de ce cycle de la matière. Lors de son introduction dans le milieu australien, elle a donc eu à trouver sa place dans le cycle existant déjà… Mais voyons un peu plus en détail comment cela fonctionne. Pour cela, nous allons nous attarder sur deux exemples classiques… (1) Cycle du carbone Voici, présenté dans un schéma simplifié à l’extrême (figure 9), l’aspect du cycle du carbone permettant son passage de la forme minérale à la forme organique. Les étapes impliquées seront détaillées plus loin. 41 Carbone organique (producteurs primaires : Cenchrus cilié) Carbone organique (producteurs secondaires) Réduction Photosynthèse et chimiosynthèse Cadavres, déchets… Humufication Respiration Fermentations Humus Minéralisation Carbone minéral (CO2) Figure 9 : Le cycle du carbone dans un écosystème (46) Le cycle du carbone est un cycle relativement rapide, dont le seul niveau de ralentissement se situe dans l’humus du sol où une lente minéralisation se réalise. Mais commençons par nous demander comment se réalise le passage du carbone minéral au carbone organique. En fait, les réservoirs de carbone sous sa forme minérale sont : CO2 atmosphérique, CO2 dissous dans l’eau (et formes combinées), les carbonates de différentes roches, le calcaire etc. Le passage de ces formes minérales aux formes réduites est donc possible par le truchement des végétaux chlorophylliens photosynthétiques ainsi que des bactéries aérobies (non chlorophylliennes) chimiosynthétiques. Les organismes autotrophes réalisent donc cette réduction qui est une réaction endergonique, nécessitant de l’énergie. Cette énergie indispensable au fonctionnement du cycle est apportée sous forme de pouvoir réducteur et d’ATP par les réactions de couplage 42 que sont la phase « claire » de la photosynthèse et les oxydations exergoniques de la chimiosynthèse. Une fois ces réductions endergoniques effectuées par les organismes autotrophes, le carbone réduit, incorporé dans la matière organique, est transmis, transféré dans l’écosystème à travers le réseau trophique que l’on a vu précédemment. Ce carbone passe de « mangés » à « mangeurs » mais fini au bout d’un moment par repasser sous sa forme minérale. Voyons comment. Le métabolisme énergétique des êtres vivants nécessite en fait la minéralisation du carbone de la matière organique pour produire de l’énergie. Ainsi, le passage du carbone réduit à sa forme oxydée est réalisé par respiration et fermentation ! La respiration provoque une oxydation totale du carbone sous forme de CO2 tandis que les fermentations sont des minéralisations partielles (fermentation butyrique lors de la décomposition des feuilles mortes par exemple), au rendement inférieur donc. Ce passage peut se faire à partir de matière organique vivante ou morte. En effet, les détritivores du sol provoquent aussi une minéralisation partielle du carbone. La minéralisation est alors complétée par les saprophytes soit directement soit en passant par l’humification (humus). Il s’agit alors d’un fort ralentissement du cycle du carbone car la décomposition dans l’humus est lente (46). Intéressons-nous maintenant à un autre cycle important dans les écosystèmes naturels : le cycle de l’azote dans lequel intervient nécessairement le Cenchrus cilié… (2) Cycle de l’azote Dans la nature, les sources d’azote minéral, comme pour le carbone, sont diverses. On a par exemple le diazote (N2) atmosphérique, relativement peu utilisé, l’azote du sol, l’ammonium, les nitrites, les nitrates (NO3-). L’azote minéral le plus utilisé se trouve être celui du sol. Le passage de l’azote minéral à l ‘azote organique, incorporé dans la matière vivante, se fait grâce à l’intervention de plusieurs types d’organismes. On compte parmi ceux-ci les végétaux chlorophylliens (ex : le Cenchrus cilié) qui transforment nitrates puis nitrites en acides aminés, eux - même ensuite assemblés dans les protéines. Les organismes diazotrophes libres du sol (Clostridium, Cyanobactéries…), autotrophes par rapport au carbone, sont aussi capables de réduire l’azote minéral. Citons enfin les organismes diazotrophes symbiotes d’un végétal supérieur ( comme le Rhizobium des nodosités de légumineuses) qui peuvent réduire le diazote atmosphérique (46). Une fois que l’azote minéral est réduit sous sa forme organique, celui-ci est transféré, comme dans le cycle du carbone, dans les différents niveaux des réseaux trophiques de l’écosystème. Il reste désormais à boucler le cycle, c’est-à-dire à transformer l’azote organique en sa forme minérale. Pour cela, il y a toute une séquence de réactions : l’humufication (vue plus haut), l’ammonisation et la nitrification. Tout d’abord, les protéines de la matière organique sont dégradées en acides aminés. Ces derniers subissent une dégradation pour former l’humus (humufication) et l’ammonium. La formation de l’ammonium (NH4+) par ammonisation se 43 fait soit à partir de déchets comme l’urée (excrétée par les animaux) soit à partir de l’humus lui-même (ammonisation secondaire). Ensuite, à partir de cet ammonium, il y a à nouveau formation des nitrates (NO3-) grâce aux bactéries du sol. Notons aussi le rôle des bactéries dénitrifiantes qui peuvent transformer le diazote atmosphérique en nitrates (46). En définitive, tout comme pour le carbone, le cycle de l’azote montre les échanges essentiels qu’il existe, au sein d’un écosystème, entre le monde inerte et le monde vivant. Remarquons quand même que ne considérer que ces deux cycles (C et N) est bien trop réducteur. Un écosystème est caractérisé par bien d’autres cycles de la matière (Cf figure 8) dont, par exemple, les cycles du soufre, du phosphate mais aussi de l’eau ! Ces derniers sont partie prenante de la structure et du fonctionnement des écosystèmes naturels. Ils donnent un bon aperçu de leur complexité et montrent qu’ils reposent sur des équilibres fondamentaux entre toutes les espèces vivantes le constituant (46). Ainsi, la diversité en espèces d’un écosystème est un facteur descriptif de son état que nous devons étudier… 4. Notion de diversité Pour analyser l’état d’évolution d’un écosystème, nous comprenons, à la lumière de tout ce que nous avons vu plus haut, qu’il faut connaître sa composition relative en stratèges « r » (exemple : le Cenchrus cilié) et stratèges « K » (exemple : les reptiles terricoles). Rappelons qu’un écosystème qui n’est soumis à aucune perturbation d’origine externe aura une évolution temporelle des peuplements dans le sens d’une diversification. On est alors témoin de l’arrivée d’une majorité d’espèces à stratégie de développement de type « K ». Une analyse cohérente passera donc par la mesure de la diversité spécifique d’un écosystème que l’on reverra plus loin. Celle-ci recouvre à la fois le nombre d’espèces et la répartition de l’effectif total entre les différentes espèces rencontrées, ce qui s’avère finalement assez intuitif (25). Mais il faut se méfier car le terme de diversité peut prendre plusieurs sens selon les auteurs. Dans un souci de clarté et de précision, voyons les diverses définitions possibles avant de débuter l’étude proprement dite. a) Différents niveaux de diversité Le problème de la mesure de la diversité au sein de communautés biologiques découle de l’examen des courbes représentant le nombre d’individus de chaque espèce. Il y a généralement de nombreuses espèces représentées par un très faible nombre d’individus, un ou deux, alors que quelques espèces seulement sont très abondantes. D’ailleurs, ces quelques espèces abondantes sont souvent représentées par beaucoup plus d’individus que toutes les espèces rares réunies. C’est le cas dans les distributions de type log-normales. Le problème consiste donc à trouver des paramètres qui décrivent correctement ces courbes de façon à permettre leur comparaison. Le nombre d’espèces est donc l’un de ces paramètres. Quant à la diversité, paramètre décrivant la forme de ces courbes, elle devra être l’équivalent, pour la variable non ordonnée espèces, de ce qu‘est la variance pour des variables quantitatives (39). Pour le théoricien, la mesure de la diversité permet de comparer plusieurs communautés ou encore la même communauté mais prise à des instants différents. Notons 44 que, de plus, les mesures de diversité devront être applicables à n’importe quel type de communauté, quelle que soit la forme de la distribution des abondances de ses espèces. La diversité spécifique peut donc être définie comme « une mesure de la composition en espèces d’un écosystème, en termes du nombre d’espèces et de leurs abondances relatives » (39). Cette diversité spécifique peut même, selon les auteurs, être appelée diversité interspécifique. Beaucoup d’auteurs conseillent de ne pas calculer la diversité à d’autres niveaux taxonomiques que celui des espèces d’une communauté, pour les mêmes raisons qui font que les espèces sont les unités de base de la théorie de la niche, de la compétition et de la succession. C’est très précisément pour cette raison que les tentatives de mesure de la diversité à des niveaux supraspécifiques n’apportent bien souvent que confusion ou trivialité (39). Il ne s’avère pas non plus intéressant de mesurer la diversité de toutes les espèces d’un écosystème (producteurs primaires, secondaires etc) car ils ont des rôles bien trop disparates. Il est donc préférable de limiter l’étude de la diversité spécifique à un taxocène : ensemble des membres d’un taxon de rang supraspécifique qui forment une communauté écologique naturelle. Ce taxon est choisi d’un rang tel que ses membres soient comparables quant à leur taille et leur mode de vie, de sorte qu’ils soient en compétition immédiate dans leur milieu ainsi qu’au cours de leur histoire évolutive ( 39). Nous avons d’ailleurs essayé de respecter cette règle dans le cadre de notre étude, détaillée dans la deuxième partie. Cependant, il est vrai que la diversité est en principe mesurable à bien d’autres niveaux d’une même communauté biologique. La Convention sur la diversité biologique de 1992 précise dans cet esprit que la diversité de la vie ou de la nature peut être décrite à partir de trois composantes principales qui sont la diversité au sein des espèces (intraspécifique), entre les espèces (interspécifique) et des écosystèmes (écosystémique). Par conséquent, les mesures qui servent à décrire la diversité en écologie ne suffisent pas à décrire la biodiversité (22). b) Biodiversité et stabilité d’un écosystème (23) Sachant que la réduction de la biodiversité est une des conséquences les plus importantes de l’action de l’homme sur la biosphère, il est primordial d’essayer de répondre à cette question : est-ce que la biodiversité agit sur la stabilité des effectifs des populations, sur la composition des communautés, sur la stabilité et la productivité des écosystèmes ? Remarquons pour commencer que le terme de stabilité peut recouvrir plusieurs sens. La rémanence correspond à la persistance d’une biocénose dans le temps. La résistance concerne l’aptitude d’un écosystème à résister aux changements et à maintenir intacts sa structure et son fonctionnement. La résistance est en particulier marquée par l’aptitude d’un écosystème à résister à l’invasion des espèces étrangères (comme le Cenchrus cilié en Australie…). Cette résistance augmente ainsi en même temps que la succession écologique. Au voisinage du climax, les écosystèmes sont presque imperméables à l’installation d’espèces étrangères. 45 Enfin, la résilience ou homéostasie est la capacité d’un écosystème à récupérer un fonctionnement et une structure normaux après une perturbation. Cette dernière semble plus importante pour les écosystèmes au stade pionnier que pour ceux proches du stade climax. Les écosystèmes des régions arides comme le centre de l’Australie ont ainsi une résilience élevée et une faible persistance (23). L’hypothèse d’une relation entre diversité et stabilité a été proposée pour la première fois par Mac Arthur (1955) puis reprise et popularisée par Elton (1958) qui a avancé pour la défendre une série d’arguments convaincants (23). Premièrement, des modèles mathématiques représentant les interactions entre deux ou un petit nombre d’espèces présentent une grande instabilité. Deuxièmement, des communautés expérimentales formées de deux ou d’un petit nombre d’espèces sont difficiles à maintenir sans que l’extinction d’une espèce n’apparaisse. Troisièmement, une diversité élevée augmente la résistance à l’invasion d’espèces étrangères car l’invasion d’un milieu dépend beaucoup de la disponibilité en ressources (facteur limitant). Enfin, les monocultures sont fréquemment envahies par des insectes nuisibles, par des « mauvaises herbes » qui peuvent pulluler ou par des maladies parasitaires (23). Le Cenchrus cilié est une plante capable de représenter une réelle monoculture dans certaines zones géographiques de son habitat. On peut alors naturellement se demander si la diversité est en péril. Mais essayons d’en apprendre un peu plus sur cette plante introduite en Australie… C. Revue de l’état actuel des connaissances concernant le Cenchrus cilié 1. Qu’est-ce que le Cenchrus cilié ? a) Eléments de classification Le Cenchrus cilié (Cenchrus ciliaris) est une plante et fait donc assurément partie du royaume végétal. Celle-ci, de l’embranchement des Spermaphytes Angiospermes, appartient à la classe des Monocotylédones (46) ainsi qu’à l’ordre des Graminales qui ne comprend en fait que la famille des Poaceae (Gramineae), considérée par beaucoup de botanistes comme proche des Cypéracées. Hutchinson la fait d’ailleurs dériver des Juncales (1). Cette famille comporte plus de 450 genres, 6000 espèces . Il s’agit d’une famille très cosmopolite, avec des plantes souvent utilisées comme céréales alimentaires (Blé, Riz, Maïs etc.), parfois comme matériau de construction (Bambou), éléments de base des gazons, prairies et pâturages… On trouve des Poaceae sur tous les continents, sous toutes les latitudes. Les plantes de cette famille occupent toujours, globalement, une superficie croissante au cours du temps. En effet, les défrichements, les déboisements et les incendies augmentent le nombre de champs de céréales et de prairies où dominent les Poaceae (36). 46 De manière à augmenter la productivité du Cenchrus cilié dans n’importe quel type de conditions environnementales, les chercheurs ont développé de nombreuses variétés (« cultivars »), aux noms assez exotiques comme « Biloela » (12). Il existe plus de 80 variétés différentes que nous ne distinguerons pas dans notre étude pour simplifier l’exposé. Lorsque nous parlerons donc de Cenchrus cilié, il s’agira d’une sorte de complexe regroupant toutes les variétés existantes, probablement déjà hybridées (43). b) Caractéristiques botaniques du Cenchrus cilié Les caractères botaniques principaux du Cenchrus cilié découlent bien évidemment des critères généraux de la famille des Poaceae. Cette famille comprenant essentiellement des herbes vivaces ou annuelles. Le système radiculaire issu de la radicule disparaît précocement, remplacé par un système constitué de nombreuses racines partant des nœuds de la base des tiges. On parle de racines adventives (46). Les tiges aériennes ne sont que rarement ramifiées en dehors des inflorescences. Les feuilles à gaines développées ont un limbe à nervures parallèles linéaire. Entre gaine et limbe se développe souvent une ligule membraneuse ou de longs poils. Les feuilles sont distiques sur la tige (alternes sur deux rangs) et, au niveau cellulaire, présentent des cellules bulliformes (aquifères) fréquentes permettant l’enroulement. Les inflorescences (de type 3) très variées (grappes, épis, panicules, cymes) sont toujours terminées par un élément d’inflorescence caractéristique des Poacées : l’épillet (figure 11 ci-après). Ce dernier comprend un axe principal (rachéole) sur lequel s’insèrent 2 bractées stériles (glume inférieure et glume supérieure) puis un nombre variable de fleurs dont la structure est assez complexe (voir schéma plus bas pour les détails). La fleur possède un périanthe réduit à deux écailles, les glumellules. La partie mâle de la plante (androcée) est formée par un verticille de trois étamines en croix. La partie femelle (gynécée) est formée par un seul carpelle surmonté de deux stigmates plumeux avec un seul ovule. Le fruit (grain), est un caryopse ou fruit sec indéhiscent dont le péricarpe adhère à la graine. L’embryon est sur le côté de l’albumen. Cet embryon a d’ailleurs la radicule et la gemmule protégées chacune par un capuchon particulier : coléorhize et coléoptile (1). L’embryon possède un gros cotylédon (scutellum) et à l’opposé une légère protubérance (épiblaste) considérée parfois comme l’indice d’un second cotylédon. Comme nous l’avons déjà dit plus haut, il existe diverses variétés de Cenchrus cilié. Parmi les plus fréquemment rencontrées dans le centre de l’Australie, il y a la « Biloela », présentée dans la figure 10 ci-après. Cette dernière, souvent hybridée avec d’autres variétés, fut introduite en 1950. En voici quelques caractères anatomiques intéressants : la plante peut grandir jusqu’à une hauteur d’environ 1.5 mètres. Le nombre de nœuds sur la tige varie entre 7 et 11. La partie apicale de la graine est cylindrique, elle mesure en moyenne 7 centimètres de long. Sa couleur est « jaune paille » et son tégument est duveteux (55). Pour avoir une idée plus claire de l’aspect général de cette plante, voir les photos cidessous (Figure 10). 47 Cenchrus cilié en plein été… Et en hiver… Figure 10 : Touffes de Cenchrus ciliaris à aspect variable selon précipitations. 48 Figure 11: Diagrammes d’épillets de Poaceae (1) 49 c) Quelques éléments de sa physiologie La reproduction des plantes de la famille des Poaceae, repose sur une pollinisation de type anémophile, c’est-à-dire favorisée par le vent et cela grâce aux extrémités pendantes des étamines ( anthères). La fécondation est croisée, les organes mâles et femelles de la reproduction n’arrivant pas à maturité en même temps sur une même plante. Lors de la germination, la première feuille forme un étui, le coléoptile, entourant le bourgeon (36). La formation des graines est particulière en ce qui concerne le Cenchrus cilié : elle est de type apomictique, asexuée. Ainsi, d’importantes quantités de graines sont générées naturellement sans nécessiter le transfert du pollen. Cependant, cela entraîne bien entendu une faible variabilité génétique, le manque de diversité exposant les plants de Cenchrus cilié à des risques d’épidémies de toute sorte. Jusqu’à présent, la rapidité de la colonisation de nouveaux milieux par cette plante a compensé cette vulnérabilité théorique (12). Au surplus, pour pallier à ce risque, les ingénieurs agronomes ont décidé de planter plusieurs variétés génétiquement différentes de Cenchrus cilié (47). Mis à part le transfert des graines effectué par les hommes, ces dernières se dispersent naturellement à grande vitesse en se fixant sur la fourrure d’animaux. En effet les graines sont équipées d’un léger duvet permettant l’accrochage. D’autres part, elles sont d’une très grande légèreté et se dispersent donc aussi grâce au vent (12, 48)! Peu de temps après la colonisation d’un site par le Cenchrus cilié, des incendies se propagent facilement et sont paradoxalement bénéfiques à cette espèce originaire de milieux fréquemment brûlés. Ses feuilles sont étroites et se dessèchent très vite après la saison humide. Cela fournit beaucoup de prises aux incendies. Après un feux (« bushfire »), cette herbe pérenne profite grandement de l’augmentation de la luminosité au niveau du sol mis à nu, son activité photosynthétique est intense. Le Cenchrus cilié peut croître dans des zones où les précipitations moyennes annuelles vont de 250 mm jusqu’à des valeurs importantes comme 2670 mm. La température optimale pour sa photosynthèse est d’environ 35 degrés Celsius, ce qui correspond à un climat très chaud. L’environnement semi-aride du centre de l’Australie lui correspond donc à merveille. C’est une plante qui se développe bien dans des conditions extrêmes et, pour cette raison précise, elle est appréciée des pasteurs et éleveurs de bétail du centre : il s’agit d’un bon aliment pour leurs animaux, qui supporte bien une pâture intense (12). Grâce aux nombreuses variétés sélectionnées, le Cenchrus cilié est extrêmement résistant, peu importe le type d’habitat. Par exemple, en Australie, le Cenchrus cilié vit souvent dans des habitats humides (près des rivières) et peut même survivre deux semaines sous l’eau (4)! Cette espèce herbacée survit aussi à la plupart des périodes de sécheresse qui sont fatales pour bien des plantes locales. Cela est possible grâce à ses racines importantes, plongeant en profondeur dans le sol et grâce à la base des tiges qui se charge en carbohydrates (renflements). Le Cenchrus cilié abaisse aussi toute croissance et tout échange de gaz à des taux modérés lors des sécheresses (43). 50 De plus, le Cenchrus cilié est particulièrement efficace pour utiliser l’eau du sol, notamment grâce aux systèmes de rhizomes de certaines variétés, capables de récupérer très vite l’humidité du sol, aux dépends des espèces natives. Lorsque l’eau est disponible, le Cenchrus cilié, qui est une plante en C4 (adaptation au climat chaud), peut alors croître extrêmement rapidement : plus de 20 centimètres de croissance ont été mesurés dans la première semaine suivant une précipitation substantielle (43) ! La fréquence d’occurrence de précipitations suffisantes pour assurer la germination du Cenchrus cilié est d’une fois l’an maximum. La germination est donc très rapide après la pluie, favorisée par des graines à durée de vie importante, dans un état de latence prolongé appelé « long seed dormancy » (43). Le Cenchrus cilié consomme aussi à grande vitesse beaucoup des nutriments du sol pour produire une biomasse importante. C’est une des raisons qui font qu’il y a un appauvrissement inévitable du sol après quelques années, induisant un ralentissement de croissance de cette herbe, une diminution de la densité de couverture du sol : phénomène de « run-down » pour les anglosaxons (43). Le Cenchrus cilié croît sur les sols les plus fertiles du centre de l’Australie, comme les abords de cours d’eau, les plaines inondables. Il nécessite effectivement des niveaux d’azote et de phosphore (>25 ppm) qui soient corrects. Il s’agit d’une herbe qui ne pousse pas bien sur les sols rouges (« Mulga scrub ») du centre, pauvres en phosphore. Les zones envahies par le Spinifex (Triodia sp) sont aussi peu colonisées pour la même raison. Une étude menée dans les années 1950 révèle effectivement que le niveau de phosphore dans le sol des plaines inondables est deux fois et demi supérieur à celui des sols rouges et plus de six fois supérieur à celui des régions à Spinifex (7). Le phénomène de « rundown » a ainsi souvent été observé sur des sols rouges après la première sécheresse. Les sols pauvres en SiO2 et riches en CaO sont plutôt appréciés (43). Des recherches réalisées en Afrique de l’est ont aussi montré qu’il n’y avait pas de colonisation par le Cenchrus cilié de sols dont le pH est inférieur à 7.0, donc acide (7). D’autre part, cette plante herbacée s’implante avec quelques difficultés dans des sols durs, rocailleux. Elle préfère les sols à texture molle (10). Notons aussi que cette espèce de Poaceae libère dans le sol des substances phytotoxiques inhibant la germination et la croissance d’autres espèces de plantes pouvant lui faire de l’ombre (13, 12). Il est vrai que cette espèce est, comme beaucoup d’herbes adaptées aux climats semi-arides, très intolérante à l’ombre (12). 2. Historique de son introduction en Australie Le Cenchrus cilié a été accidentellement introduit en Australie Occidentale (nordouest de l’état) dans les années 1870 par des Afghans et leurs montures : des chameaux. Les Afghans avaient en effet pour habitude de rembourrer leurs selles avec des graines de cette herbe. De petites introductions volontaires ont aussi probablement eu lieu le long des itinéraires empruntés par les chameliers Afghans. Ces derniers traversaient l’Outback australien pour emmener des vivres et des provisions aux magasins, missions et mines du centre du continent (56). 51 Ensuite, plus de 80 variétés ont été délibérément introduites en Australie jusqu’au début des années 1960. Il est d’ailleurs fort probable que bien d’autres aient été introduites depuis ces années (43). La plupart de la littérature sur le sujet ne distingue pas les différentes variétés et, pour plus de commodité, nous ferons de même tout du long de cette étude. Le premier spécimen de Cenchrus cilié identifié à Alice Springs a été trouvé en 1930. Cette herbe ne fut pas plantée de façon intensive durant la grande sécheresse entre 1958 et 1965. Cependant, après cette difficile période où le sol fut mis à nu par la mort des espèces végétales natives, le Cenchrus cilié apporta de l’aide dans la lutte contre les tempêtes de sable, violentes et fréquentes. Il fut alors planté et semé largement pour stabiliser le sol mis à mal non seulement par la sécheresse mais aussi par les hordes de lapins sauvages introduits pour la chasse par les européens (43). Un site privilégié pour planter cette mauvaise herbe fut le pourtour de l’aéroport d’Alice Springs car de nombreux vols étaient à l’époque rendus dangereux par le manque de visibilité engendré par la poussière (21). Parallèlement à ce soucis de stabilisation des sols dans les années 1960, le Cenchrus cilié a aussi été planté en de nombreuses localisations autour d’Alice Springs, pour des tests d’amélioration des pâtures. Les tests étaient effectués sur des sols variables et sous des conditions climatiques différentes (21). Toutefois, le Cenchrus cilié resta sous contrôle jusque dans le milieu des années 1970 où de très fortes pluies ont permis à celui-ci d’agrandir sa zone de distribution dans l’environnement aride et semi-aride australien. Une autre grande vague d’expansion de cette herbe dans des zones non cibles arriva vers la fin des années 1990 jusqu’en 2000 avec l’aide, à nouveau, d’abondantes précipitations (43). Il peut s’écouler un temps relativement important entre l’introduction effective d’une plante exotique comme le Cenchrus cilié et la colonisation par celle-ci de nouveaux habitats. Cela est tout simplement dû à la faible fréquence d’occurrence de conditions favorables à l’invasion des zones environnantes (conditions climatiques entre autres). Ainsi, les éleveurs de bétail et agriculteurs australiens ont fait l’expérience de sérieuses difficultés, et cela pendant de longues périodes, pour faire pousser le Cenchrus cilié lors de leurs tentatives précoces (43). 3. Répartition a) Dans le monde Le Cenchrus cilié est une plante herbacée pérenne originaire d’Afrique, d’Inde et du moyen - orient. De part le monde, beaucoup de régions non ciblées ont été envahies par le Cenchrus cilié. Cela ayant souvent eu pour résultats des bouleversements significatifs d’écosystèmes, dans leurs structures mais aussi dans leurs fonctionnements (43). Hawaii en est un premier exemple. Les communautés locales de plantes natives, comme l’herbe Pili (Heteropogon contortus), souffrent de l’invasion de plusieurs plantes d’origine africaine dont Cenchrus ciliaris. Les sites dominés par cette herbe présentent une 52 diversité spécifique bien inférieure à ceux où elle est absente (12, 49). Des espèces de la flore native y sont réellement menacées mais la plantation du Cenchrus n’est pas pour autant découragée par les élus locaux. Le Cenchrus cilié a aussi envahi le Texas ainsi que le Mexique après une introduction avortée en 1917 (sud du Texas) puis réussie dans les années 1940 (54), en tant qu’herbe de pâture. Cette herbe couvre actuellement plus de 4 millions d’hectares au Texas et plus de 6.3 millions d’hectares dans le nord du Mexique (43)! Dans ces régions, l’économie pastorale joue un tel rôle que des plans de contrôle de cette « mauvaise herbe » vont être extrêmement difficiles à faire accepter par le public. b) En Australie Planté de façon intensive dans l’environnement aride et semi-aride australien pour améliorer les pâtures ou pour la stabilisation des sols, le Cenchrus cilié s’est maintenant implanté dans de très larges régions, dans le Queensland, en Australie Occidentale, dans le Territoire du Nord, en Australie Méridionale ainsi qu’en Nouvelle Galle du Sud (43). Cette plante, comme le montre la figure 12 ci-dessous, se retrouve maintenant dans tous les états d’Australie (6). Une récente étude prédictive suggère que pas loin de 58% du continent australien répond aux besoins (édaphiques et climatiques) du Cenchrus cilié (43)! Autant dire que la menace que représente le Cenchrus cilié ne doit pas être prise à la légère… Figure 12 : Distribution du Cenchrus cilié en Australie (48) 53 4. Les clefs du succès du Cenchrus cilié a) Relation herbe de pâture et mauvaise herbe Il est important de remarquer que les caractéristiques qui font le succès d’une herbe de pâture introduite facilitent aussi leur succès en tant que mauvaises herbes, capables d’envahir à grande échelle des régions non ciblées de l’environnement. Ainsi, dans les milieux arides et semi-arides, le Cenchrus cilié est à la fois considéré comme une herbe de qualité pour les pâtures , dont la naturalisation est souhaitée par de nombreux paysans, et une sérieuse menace pour l’environnement car son expansion incontrôlée met en péril des écosystèmes de grande valeur (43). Remarquons que, au surplus, les qualités nutritionnelles de cette herbe ne sont pas non plus exceptionnelles. En 1976, un chercheur compara la valeur du Cenchrus cilié à deux espèces natives (oat grass et woolibutt grass) pour trois critères alimentaires: les protéines, le phosphore et la digestibilité. Pour chaque paramètre, les résultats pour le Cenchrus cilié se situent au dessus des deux espèces citées mais de très peu. De plus, la comparaison de ces trois espèces est assez discutable : l’oat grass (avoine) est annuelle par exemple…(38). b) Adaptation aux climats chauds Le Cenchrus cilié est une plante, nous l’avons vu, de la famille des Poaceae. Il s’agit donc d’une Monocotylédone, classe comprenant le plus grand nombre de plantes à métabolisme en C4. Le nom de ces plantes vient du fait que les premières molécules organiques synthétisées lors du cycle de Calvin (phase « sombre » de la photosynthèse) sont des molécules à quatre carbones (contrairement aux plantes en C3). Le Cenchrus cilié fait partie d’un sous-groupe de ces plantes en C4 : les plantes à enzyme malique. Des modifications anatomiques et fonctionnelles permettent à ces végétaux de concentrer plus efficacement le CO2 dans certaines cellules (gaine périvasculaire) ce qui permet de diminuer fortement les pertes énergétiques dues à la photorespiration. Il s’agit là d’une excellente adaptation aux climats chauds (46). c) Adaptation aux phénomènes de perturbation Nous l’avons vu, le Cenchrus cilié présente des feuilles assez étroites (moins de 8.5 mm en largeur) qui deviennent sèches peu de temps après la fin de la saison des pluies. Celles-ci autorisent la formation d’incendies, perturbations majeures dans le centre de l’Australie. Cette herbe résiste très bien à ces incendies et en profite même fortement car ils ouvrent l’espace, facilitant la pénétration des rayons lumineux (source d’énergie), augmentent la concentration en azote du sol etc… Cette herbe s’accommode d’autres types de perturbations. Ainsi, le Cenchrus cilié peut supporter un très grand nombre d’animaux en pâture sur une petite zone (lourde densité). La régénération suite à cette perturbation importante est rapide, le tallage étant favorisé par le piétinement des pieds de bovins et ovins (46). C’est évidemment l’une des raisons qui font que le Cenchrus cilié est fort apprécié par les éleveurs. 54 Non moins essentiel se trouve être le fait que les bords de route, qui sont, là encore, des zones de perturbation, sont envahis préférentiellement par cette mauvaise herbe (12) ! C’est en effet au bord des routes que beaucoup d’incendies trouvent leur origine (allez savoir pourquoi…). D’autre part, le long des routes, le Cenchrus cilié peut profiter du ruissellement de l’eau de pluie qui ne peut être absorbée par le bitume. Enfin, le souffle généré par le passage fréquent de véhicules serait un atout pour la dissémination des graines, transportées facilement par le vent (6, 43, 12). Pour terminer, citons le fait que les graines du Cenchrus cilié sont aisément transportées et donc disséminées grâce à l’eau. Il en résulte qu’une perturbation de type inondation après d’importantes averses est encore un facteur favorisant l’implantation de cette mauvaise herbe. C’est une des raisons pour lesquelles on trouve facilement cette plante le long des cours d’eau à travers tout le centre de l’Australie (43, 48). d) Agressivité dans la compétition avec la flore native Dans les années 1980, l’observation sur le terrain, en Australie occidentale (Kimberley), de la diminution en densité de certaines communautés d’une herbe introduite appelée Calotrope (Calotropis procera) lorsque celle-ci est en contact avec du Cenchrus cilié, a motivé des recherches sur la (ou les) raison(s) de cette inhibition de croissance et de germination. L’hypothèse de la libération par le Cenchrus cilié d’une substance chimique inhibitrice a alors été confirmée in vitro. La substance phytotoxique, de nature non déterminée précisément, semble libérée par les parties supérieures des racines (13). Ceci donne un avantage majeur au Cenchrus cilié dans la compétition avec les plantes natives d’Australie (12), à condition, bien entendu, que ces dernières y soient aussi sensibles et que cette substance chimique soit libérée en concentration suffisante dans le sol. L’agressivité du Cenchrus cilié se manifeste aussi dans la compétition pour l’eau du sol où le système racinaire et les rhizomes de certaines variétés permettent de récupérer rapidement l’humidité des couches profondes et moyennes (12). Cela favorise bien entendu une croissance exponentielle des populations de Cenchrus cilié dans le centre australien où l’eau est, comme nous l’avons vu, un facteur limitant. Le Cenchrus cilié peut alors produire jusqu’à deux ou trois fois la biomasse des plantes natives qu’il remplace (43)! Le Cenchrus cilié dispose en fait, par rapport aux espèces natives, de l’avantage cumulatif de répondre avec célérité à la fois aux incendies (augmentation des nutriments du sol) et aux pluies (augmentation de l’humidité du sol). L’exploitation précoce de ressources limitées comme l’eau et les nutriments (comme le phosphore) du sol est bien entendu un atout essentiel dans la compétition avec la flore locale (43). La rapidité avec laquelle le Cenchrus cilié produit des graines de façon asexuée est aussi un atout majeur, qui figure en bonne place dans son « arsenal » compétitif. Une multiplication à grande vitesse est ainsi possible (aux dépends de la variabilité génétique…). Il se forme alors des tapis extrêmement denses de cette même espèce, créant une réelle monoculture. 55 La compétition pour la lumière avec les espèces natives est alors gagnée d’avance car cette densité rend sombre le sol. Sans lumière accessible, pas de photosynthèse possible pour la flore native (12)! De même, beaucoup d’espèces herbacées des milieux arides et semi-arides ont une dissémination des graines basée sur le transport par le vent. Ainsi, un tapis dense de Cenchrus cilié crée un microclimat dans l’écosystème où le brassage de l’air par le vent ne se fait plus. C’est encore un atout qui empêche la flore native de se développer (6). e) Appétence pour les herbivores Dans certaines régions pauvres en CaO, le Cenchrus cilié est moins appétent que les plantes natives pour le bétail (43). De ce fait, la flore indigène est consommée de préférence ce qui entraîne la disparition de nombreuses espèces. Ainsi, il apparaît que les lapins, encore très nombreux dans le centre du continent, montrent une préférence notable pour les plantes natives ce qui augmente encore le potentiel invasif du Cenchrus cilié, particulièrement en période de sécheresse. De même, on sait que les Macropodes ont une forte tendance à sélectionner les plantes pour leur alimentation et il semblerait que le wallaby des rochers (Petrogale lateralis) comme l’Euro (Macropus robustus) préfèrent consommer en premier lieu les plantes natives près du sol avant de prélever des plants de Cenchrus cilié mâtures (6). Signalons aussi que les termites semblent décomposer les feuilles de Cenchrus cilié bien plus lentement que les celles de la flore native (37). 5. Influence de l’introduction du Cenchrus l’environnement semi-aride du centre rouge cilié sur a) Modifications structurale et fonctionnelle de l’écosystème du centre La capacité d’une seule espèce d’herbe exotique à bouleverser significativement voire complètement détruire un écosystème naturel a été reconnue en Australie mais aussi de manière internationale (43). (1) Changements dans le réseau trophique L’implantation d’une plante exotique invasive comme le Cenchrus cilié dans l’environnement australien, aux dépends de la flore native, est un immense bouleversement dans la composition, l’abondance relative, les structures physiques à la fois des communautés végétales et des relations trophiques animales. Certaines espèces de producteurs secondaires n’en seront peut-être pas affectées tandis que d’autres verront leur source principale de nourriture se tarir. Or, on le sait, si un maillon de la chaîne est touché, alors les répercussions sont immédiates pour les maillons de niveau supérieur (43). Ces changements dans le réseau trophique ont même, et il faut en parler, des répercussions directes pour les hommes. Citons par exemple le cas de certaines communautés aborigènes du centre, regroupant divers clans, et se plaignant du fait qu’ils ne trouvent plus 56 qu’aux prix d’efforts intenses les aliments naturels traditionnels d’origine végétale (« bush tucker »). Ils voient le Cenchrus cilié comme une menace majeure vis à vis de leur alimentation ancestrale, essentielle pour leur santé (12, 31). Cette plante peut non seulement fortement altérer la structure d’un écosystème mais aussi son fonctionnement en modifiant les phénomènes d’entretien (cycles minéraux, décomposition, cycle hydrique) et de perturbation. Par exemple, l’utilisation intensive pour la croissance de l’azote comme du phosphore du sol par le Cenchrus cilié provoque son appauvrissement rapide. Ceci altère les cycles naturels de ces minéraux ce qui constitue un impact de cette herbe au niveau de l’écosystème en général (43). Cependant, l’impact le plus problématique à l’heure actuelle reste celui généré par la modification des phénomènes perturbatifs de l’écosystème… (2) Perturbation majeure : l’incendie Le Cenchrus cilié est considéré comme l’une des espèces exotiques les plus destructives en Australie. Cette espèce prospère effectivement dans des zones du centre où l’humidité est retenue, autour des lits de rivière par exemple, et où la diversité animale et végétale est maximale. Avant l’arrivée de cette plante, ces zones d’une fabuleuse richesse naturelle étaient des barrières efficaces contre les incendies. Maintenant, le Cenchrus cilié fournit deux à trois fois plus de carburant utilisable par les incendies (par sa densité notamment) et permet à ceuxci de passer des barrières naturelles jusque- là infranchissables (12, 6). Les incendies sont connus pour modifier grandement l’abondance relative de certaines espèces de plantes suivant leur résistance à la combustion et leur adaptation aux conditions « post- incendie » où le sol est considérablement enrichi en minéraux. Le Cenchrus cilié, quant- à- lui, répond bien aux feux et augmente même sa dominance sur les communautés de plantes brûlées ! La densité d’herbe importante qui en résulte augmente encore la charge en combustible disponible pour un prochain incendie. Une association écologique (Greening Australia) a mesuré la charge en combustible de plusieurs sites, situés à la confluence entre la rivière Todd et la rivière Charles (nord d’Alice Springs). Ces sites très riches en Cenchrus cilié présentaient des charges en combustible (« fuel loads ») d’environ 17 à 47 tonnes par hectare. En comparaison, les charges en combustible moyennes de zones à Spinifex mâtures sont de 5 à 10 tonnes par hectares (31)! La fréquence des incendies s’en trouve donc fortement augmentée, leur intensité et leur étendue aussi. Les espèces d’arbres habituellement résistantes aux incendies modérés deviennent vulnérables, de même pour les arbustes et buissons du centre rouge (43). Le Cenchrus cilié élimine ainsi peu à peu le petit nombre d’espèces végétales encore capables de lui faire de l’ombre (dans tous les sens du terme). Des espèces sensibles aux feux comme « l’ironwood » (Acacia estrophiolata) et le gommier rouge de rivière (Eucalyptus camaldulensis) sont particulièrement menacées (43). 57 Au surplus, ces incendies intenses et fréquents détruisent un très grand nombre d’espèces animales, amenuisant les populations locales. Pour ces raisons, l’incendie est considéré comme l’impact le plus important du Cenchrus cilié sur l’écosystème du centre de l’Australie (43). Les conséquences peuvent bien sûr être majorées selon l’origine et l’intensité de l’incendie, selon la saison d’occurrence (période de croissance végétale) etc. Il faut en tout cas préciser que les incendies induits par cette mauvaise herbe provoquent un phénomène d’homogénéisation de l’habitat ce qui est en opposition complète avec les pratiques ancestrales des aborigènes. Ceux-ci brûlaient en effet le bush « en mosaïque » pour faciliter la chasse, favoriser la repousse d’herbes vertes attirant le gibier, rendre la marche plus aisée (19). b) Impact sur les plantes natives de la région d’Alice Springs Le Cenchrus cilié, comme la plupart des espèces herbacées des environnements semiarides et arides, entre fortement en compétition avec les arbres, arbustes et buissons (« woody flora »). Dans de nombreux cas, cette herbe supprime la croissance et le renouvellement des arbres et arbustes. Une des explications avancées se trouve être le système racinaire dense et performant du Cenchrus cilié qui lui permet d’absorber rapidement l’eau après les pluies, rendant cette ressource non accessible pour les arbres et arbustes dont les racines plongent plus en profondeur (43)… Dans la région d’Alice Springs, suite à l’invasion par le Cenchrus cilié, une baisse de la richesse spécifique florale ainsi qu’une forte modification des communautés de plantes locales ont été enregistrées avec des zones se rapprochant d’une monoculture de Cenchrus cilié (43). Ainsi, à Alice Springs Desert Park, autour de l’herbarium, le Cenchrus cilié a été enlevé manuellement puis des herbicides ont été épandus à trois reprises. D’après Mark Richardson (ancien conservateur en botanique du parc), la diversité spécifique s’est depuis élevée de 15 à 65 espèces (31)! Une étude sur le long terme (28 années) réalisée par trois botanistes, examinant les changements de la strate herbacée de plusieurs communautés de plantes près d’Alice Springs (depuis 1976), révèle de façon irrévocable que le Cenchrus cilié a provoqué le déclin de la richesse spécifique en espèces natives. Ce déclin des formes herbacées endémiques serait d’ailleurs directement lié à la compétition pour l’humidité. Mais les auteurs évoquent une combinaison, comme nous l’avons déjà vu, des effets directs compétitifs et indirects (incendies) du Cenchrus cilié sur la flore native (18). c) Impact sur les invertébrés (1) Ce que l’on peut attendre L’invasion d’un site par le Cenchrus cilié peut potentiellement avoir un impact sur les communautés d’invertébrés selon plusieurs mécanismes. Tout d’abord, beaucoup d’invertébrés ont une alimentation de type herbivore et vont donc se nourrir de plantes natives. La disparition de ces dernières à cause du Cenchrus cilié pourrait avoir un effet désastreux (diminution de l’abondance relative), sauf si les invertébrés en question sont généralistes. Dans ce dernier cas, l’augmentation de la biomasse due au Cenchrus cilié 58 pourrait leur profiter car ils se rabattront sur la plante exotique. Mais sans même parler de l’alimentation, il faut garder en mémoire le fait que les invertébrés ont des cycles de vie parfaitement réglés sur les communautés végétales. La disparition à grande échelle de plantes natives engendrera certainement une modification profonde des communautés d’invertébrés associées (6). Les invertébrés représentent un groupe essentiel dans la structure et le fonctionnement d’un écosystème naturel. Leur rôle est fondamental du fait du grand nombre d’espèces présentes, de leur biomasse et de leurs rôles très divers mais toujours vitaux pour l’équilibre de l’écosystème. Citons, pour illustrer ce fait, quelques exemples : les invertébrés interviennent dans la pollinisation de nombreux végétaux, dans les cycles minéraux et la décomposition de la matière organique, plus de la moitié se nourrissent de plantes et sont les proies d’animaux (ou de végétaux) insectivores, beaucoup sont parasites, vecteurs de maladies etc… On déduit de tout ceci que même si le Cenchrus cilié n’induit pas forcément une diminution de l’abondance relative et/ou de la diversité des invertébrés, tout changement, même minime, bouleversera l’équilibre fragile de l’écosystème considéré (6)! Le Cenchrus cilié a aussi un effet bien plus indirect sur les communautés d’invertébrés du centre de l’Australie : les incendies fréquents engendrés détruisent évidemment bon nombre d’animaux (6). Les termites, d’autre part, n’apprécient pas vraiment le Cenchrus cilié et vont le décomposer extrêmement lentement ce qui pose, nous l’avons vu, des problèmes d’incendies de plus en plus intenses car il reste beaucoup de combustible (37). (2) Etude de Russel BEST (1998) Cette étude a été réalisée au nord d’Alice Springs, dans la réserve de la station télégraphique, sur 12 sites différents, 6 avec Cenchrus cilié et 6 sans. Les sites étaient situés parmi deux types d’habitats : plats ou collines. (3 sites pour chaque). Les sites avaient la même composition florale. Russel Best captura alors 138 espèces d’invertébrés avec, dans les sites où le Cenchrus cilié était présent, 7.5% d’espèces d’invertébrés en moins. L’abondance des fourmis était la seule a être augmentée, mais une seule espèce était concernée, celle-ci se nourrissant de graines de Cenchrus cilié (6). Le schéma de changement révélé par cette étude de 1998 est celui d’une simplification des communautés d’invertébrés due à l’invasion du Cenchrus cilié. Il y a une réduction du nombre global de taxons présents et beaucoup d’espèces d’insectes ont une abondance significativement diminuée. Signalons par ailleurs qu’il serait profitable de réaliser une autre étude de ce type pour confirmer ces résultats intéressants (6)… d) Impact sur les vertébrés (1) Les faits scientifiques L’effet sur les vertébrés de l’invasion du centre de l’Australie par le Cenchrus cilié est, à l’heure où j’écris ces lignes, totalement inexploré. Il existe peut-être bien une étude qui n’a pas été portée à ma connaissance mais cela ne change pas grand chose au problème. Les preuves scientifiques de l’impact de cette herbe sur l’écosystème du centre australien 59 manquent cruellement au débat. Par contre, comme nous allons le voir, il y a quelques faits rapportés ça et là, des impressions… (2) Les faits rapportés dans diverses revues (a) Mammifères Dans le parc national d’Epping, la couverture par le Cenchrus cilié a augmenté de 13% à près de 54% en l’espace de sept années. Il se trouve que la plante introduite compose maintenant environ 50% du régime du wombat (Lasiorhinus kreffti) dans ce parc (12). Cet animal semble donc bien se satisfaire d’une diète composée de Cenchrus cilié. Certains marsupiaux, tel l’Euro (Macropus robustus), consomment du Cenchrus cilié lorsque la flore native a disparu, particulièrement sur les collines envahies par du Spinifex, et des lapins (Lagomorphes) vont consommer tout ce qui est comestible avant de s’y intéresser (37) ! Pour ces animaux, le Cenchrus cilié ne semble donc pas être la nourriture idéale mais ils peuvent s’en accommoder dans des périodes difficiles. Enfin, beaucoup de petits mammifères insectivores ne sont probablement pas trop affectés par la diminution de l’abondance de certains ordres d’invertébrés (montrée par BEST en 1998) car ils présentent un comportement alimentaire de type généraliste (31). (b) Oiseaux De petits oiseaux (« Finches » de leur nom commun) ainsi que certains perroquets semblent être sur le déclin car ils ne consomment pas les graines du Cenchrus cilié (12). Des Nelson, un propriétaire terrien de la région d’Alice Springs, ancien employé de l’agence australienne CSIRO (qui a participé, il est bon de le signaler, à l’introduction délibérée du Cenchrus cilié en Australie), déclarait lors d’une émission télévisuelle (ABC Rural : country hour) du 19 juin 2003 (53) qu’après avoir enlevé tout le Cenchrus cilié de sa propriété, il a pu noter que de nombreuses espèces d’oiseaux ont refait apparition (perroquets, corbeaux ...). Ces deux exemples n’ont encore une fois rien de scientifique mais donnent une idée de l’impact possible de cette mauvaise herbe sur les Oiseaux du centre de l’Australie. (c) Reptiles Un écologiste de la région d’Alice Springs, Steve McALPIN, a récemment déclaré que la prolifération du Cenchrus cilié a probablement contribué à la disparition locale d’une espèce de lézard, le scinque de Slater (Egernia slateri). Ce lézard était apparemment très commun au sud d’Alice Springs, dans les plaines alluviales au delà d’Heavy Tree Gap. Il prétend que, dans les années 1960, Ken Slater (qui identifia cette espèce) attrapa 27 de ces lézards en une seule journée alors que, depuis, il (Steve McALPIN) n’a pas était capable d’en attraper ou même d’en voir un seul spécimen malgré « beaucoup » de temps passé sur le terrain. A ce sujet, il déclare d’ailleurs :« je n’ai pas encore testé ma théorie d’une manière scientifique mais l’invasion par la Cenchrus cilié est le changement le plus évident dans le biotope de ce scinque » (26). Certains zoologistes estiment que le « Central netted dragon » (Ctenophorus nuchalis), un petit lézard de la famille des Agamideae, a disparu partiellement de la région d’Alice Springs depuis l’invasion par le Cenchrus cilié. Il est par contre présent à 30 kilomètres à l’ouest, là où la densité de cette herbe est plus faible (31). 60 A l’inverse, d’autres écologistes pensent que le deuxième plus grand lézard au monde, le varan géant australien (Varanus giganteus) qui peut mesurer jusqu’à 2.50 mètres, trouve refuge, comme le font les lapins, dans les touffes de Cenchrus cilié (31). 6. Les méthodes de lutte disponibles contre le Cenchrus cilié Les techniques de contrôle du Cenchrus cilié sont difficilement généralisables du fait de la diversité importante des milieux pouvant être envahis. Toutefois, certains grands principes de lutte, testés ça et là, peuvent être adaptés à travers l’ère de répartition de cette plante. Nous n’aborderons pas ici toutes les méthodes disponibles mais seulement les plus « en vue ». Le premier de ces principes est l’exclusion par compétition (testée au Texas) et consiste en l’élimination physique ou chimique du Cenchrus cilié d’une pâture avant de planter des arbustes qui vont ombrager la surface du sol : le Cenchrus cilié ne s’y installera plus car il ne tolère pas l’ombre. Pour que cette méthode fonctionne bien, il faut en premier lieu enlever toute l’herbe qui se trouve aux pieds des arbustes et buissons. Sans cela, ils pourraient être rapidement détruits, avant même de constituer une source d’ombre suffisante, par un incendie intensifié grâce à la strate herbacée du sol (servant de carburant). La deuxième technique de contrôle fait intervenir la lutte biologique. C’est l’application de cette méthode que désirent beaucoup de botanistes dont l’éminent Peter Latz (15). Il existe de nombreux pathogènes pour le Cenchrus cilié, notamment des champignons. Le plus important semble être le « rice blast » (Pyricularia grisea), un ascomycète qui a récemment causé des épidémies sur des pâtures de Cenchrus cilié dans le Texas ainsi qu’en Australie (47). Ce champignon provoques des lésions des feuilles qui font que la plante se fane très rapidement lorsque celle-ci est exposée à une forte chaleur ou à un stress hydrique (ce qui est somme toute fréquent dans sa zone de répartition). Bien que ce pathogène cause beaucoup de soucis aux propriétaires terriens et éleveurs cultivant le Cenchrus cilié, il pourrait être un « bénédiction », l’arme biologique tant recherchée par les scientifiques pour contrôler la propagation de cette mauvaise herbe. Toutefois, une entreprise américaine du domaine de l’agronomie clamait en 2000 qu’elle possédait déjà une souche de Cenchrus cilié résistante à ce champignon et, d’ailleurs, on connaît une autre souche de cette herbe, en Australie, qui est vraisemblablement moins affectée que les autres. Il semble donc que le remède miracle reste encore à découvrir… Une troisième technique de contrôle peut être mise en œuvre. Il s’agit alors d’utiliser une substance chimique, traitement classiquement usité contre les mauvaises herbes ! Cette méthode s’avère d’ailleurs être la plus efficace à l’heure actuelle. Il faut utiliser une combinaison de glyphosate, herbicide à spectre large, et de sulfate d’ammonium. On applique dans la mesure du possible ces substances juste après la pluie. Il faut ensuite répéter l’application à deux ou trois reprises pour complètement tuer le Cenchrus cilié. Evidemment, cette méthode, bien qu’effective, reste très chère pour de grandes surfaces à traiter et dangereuse pour des espèces végétales non ciblées ! Encore une fois ce n’est pas la panacée mais, en association avec une autre méthode de lutte, elle reste fort intéressante (12). Il est évident que bien d’autres techniques sont envisageables pour se débarrasser du Cenchrus cilié, nous n’en avons cité que trois parmi les plus fréquemment utilisées. Les 61 touffes d’herbe peuvent aussi être brûlées, enlevées manuellement etc. Cependant, dans tous les cas, le coût et la difficulté sont grands, particulièrement dans des zones géographiques très faiblement peuplées (ce qui représente une large partie de l’aire de répartition du Cenchrus cilié en Australie). Les moyens humains et financiers sont limités…et il est donc essentiel que les personnes impliquées dans la gestion de l’environnement, comme les citoyens dans leur ensemble, soient bien informés des risques liées à l’invasion de leur continent par cette herbe exotique dont l’impact doit être désormais étudié sérieusement (48). Nous avons vu que les faits scientifiques concernant l’impact du Cenchrus cilié sur les vertébrés sont très peu nombreux. Le seul travail sérieux concerne pour le moment les invertébrés. Pourtant, la propagation de cette plante parfaitement adaptée à l’environnement du centre de l’Australie continue à grande vitesse : il faut d’urgence estimer l’effet du Cenchrus cilié sur les vertébrés. Nous nous proposons donc dans cette étude de mesurer l’impact de cette plante sur la diversité et l’abondance en petits lézards terrestres dans la région d’Alice Springs… 62 II. Partie 2 : évaluation expérimentale de l’impact du Cenchrus cilié sur de petits lézards terrestres à ASDP 63 A. Introduction 1. Principaux objectifs de cette étude a) Principe de l’étude (1) Animaux visés Les animaux visés par cette étude sont de petits lézards terrestres de la classe des Reptiles, de l’ordre des Squamates, sous-ordre des Sauriea, ceux-ci étant les seuls susceptibles de tomber dans les pièges dont nous disposions et dont la description précise est faite plus loin dans la partie « matériel et méthodes ». Les lézards correspondant à ce critère de sélection appartiennent à plusieurs familles dont les Agamidae, les Scincidae, les Gekkonidae et les Pygopodidae. Finalement, toutes les familles de lézards de la faune australienne, hormis les varanidae (généralement de grande taille), sont potentiellement visées (30). En effet, des lézards de ces quatre familles ont été observés sur les sites sélectionnés pour notre étude (observations personnelles). Outre le critère de taille, il est important de considérer le facteur comportemental concernant des animaux susceptibles de tomber dans les pièges posés. A cet égard, les lézards visés ont un comportement explorateur (dans les limites de leur territoire propre) important, ils parcourent alors une distance non négligeable, augmentant la probabilité de capture par les dispositifs choisis. Peu d’Agamidés répondent d’ailleurs à ce critère, la plupart étant des prédateurs utilisant la vue comme sens principal lors de la chasse. Ils errent rarement au hasard à la recherche d’éventuelles proies passant à leur portée et préfèrent souvent surveiller les environs depuis un site judicieusement choisi, propice à une retraite rapide en cas de danger et idéal pour le guet car dégagé (30). Tenant compte des deux critères cités plus haut ainsi que du nombre d’individus personnellement observés sur site, les deux familles visées en priorité sont finalement les Scincidae ainsi que les Gekkonidae. Chacune de ces familles comprend un grand nombre d’espèces de lézards. Les Scincidés, avec 291 espèces australiennes (30), sont communément appelés « lézards à pattes réduites » du fait de leur morphologie singulière (mais restant très variable). Ce sont des lézards qui sont presque tous diurnes (41), à corps cylindrique et à la queue plutôt courte, conique. La langue est plate et écailleuse, la pupille est ronde. Ils ne présentent pas de pores fémoraux et leur dentition est de type pleurodonte. Les membres sont parfois dégénérés et supportent mal le corps. La famille reste toutefois très homogène, malgré des modes de reproduction variés, parfois au sein du même genre ! Leur queue se régénère facilement après autotomie ou amputation volontaire. Les Scinques sont répandus dans presque toutes les régions chaudes et même tempérées du globe, à l’exception d’une vaste partie du nouveau monde. Ils sont terrestres et vivent souvent dans les régions arides et rocailleuses et les savanes (41). 64 La majorité des espèces de cette famille a un régime alimentaire constitué d’une large part d’invertébrés : insectes, arachnides et crustacés. Une étude réalisée en Espagne par Mellado et al en 1975 révèle que le seps strié (Chalcides chalcides) se nourrit de Coléoptères (24.7%), d’araignées (18.6%), de larves de Lépidoptères (10.3%), d’Isopodes (10.3%), d’Orthoptères (6.2%), de Myriapodes (2%), de fourmis (1%) etc. Les jeunes affectionnant les pucerons (27). Même si les proportions relatives de chaque type de proie peuvent varier de façon importante selon les espèces considérées, on peut tout de même généraliser à la plupart des membres de cette famille le caractère majoritairement insectivore. Les espèces australiennes ne font pas exception (20), bien que certaines soient à tendance omnivore et se saisissent donc de temps en temps de fruits mûrs ou autres. Ainsi, le Scinque à queue tronquée (Tiliqua rugosa), une grande espèce du centre de l’Australie, prélève majoritairement des Insectes : Coléoptères, Orthoptères, larves de Lépidoptères diurnes, œufs de fourmis, escargots, complétés par de jeunes rongeurs, quelques fruits et végétaux en faible quantité (41). La deuxième famille de lézards qui va nous intéresser est celle des Gekkonidae, avec 87 espèces australiennes (30). Les Geckos sont les lézards « à pattes adhésives » qui sont très majoritairement crépusculaires ou nocturnes, répartis un peu de partout à travers le globe, relativement petits, aux gros yeux saillants. Ils sont soit arboricoles soit terrestres et ces derniers vivent dans les rochers ou « dans les fentes des arbres morts » des régions arides (41). Leur peau est relativement fine (parfois quasiment transparente). Leur denture est pleurodonte et leur ceinture scapulaire est perforée. Beaucoup de geckos sont des lézards grimpeurs possédant des caractéristiques très particulières au niveau des pattes et, plus précisément, des doigts. En effet ceux-ci sont pourvus de grandes griffes recourbées facilitant l’adhésion sur des surfaces presque lisses mais ce n’est pas tout : les doigts de nombreuses espèces présentent des lamelles comparables aux écailles ventrales de serpents, disposées en nombreux rangs simples ou divisés. Ces lamelles augmentent encore la capacité étonnante de ces animaux à se fixer sur des supports lisses comme les vitres etc. Autre caractéristique particulière à cette famille de lézards : leurs yeux recouverts d’une lunette transparente servant de protection, donc sans paupières (pour la plupart des Geckos). La pupille est souvent une fente verticale (« œil de chat ») se dilatant à l’extrême lorsque la luminosité est faible, ce qui permet aux geckos d’avoir une excellente vision nocturne . L’alimentation des geckos est très largement dominée par des invertébrés : insectes et araignées, les grandes espèces pouvant aussi se saisir de petits lézards ou rongeurs (41). Par exemple, une étude de Salvador en 1979 sur l’hémidactyle verruqueux (Hemidactylus turcicus) révèle que 34.1% de son alimentation est constituée de petites araignées. Les insectes consommés sont divers, on compte : Diptères, Hyménoptères, Lépidoptères nocturnes, Coléoptères, Hémiptères etc (27). En définitive, les animaux visés par notre étude sont donc des lézards de petite taille, terrestres, majoritairement insectivores (avec un régime alimentaire peu spécialisé), appartenant soit à la famille des Gekkonidae (nocturnes) soit à celle des Scincidae (diurnes). Mais, reste encore à définir dans quel but nous désirons les capturer. 65 (2) Quel objectif ? Les mesures d’abondances de différentes espèces et donc la diversité interspécifique sont d’intéressants indicateurs de l’état de conservation de la nature, de la santé, de la qualité de l’environnement et de l’intégrité des écosystèmes (22). Or, évaluer l’impact du Cenchrus cilié sur l’environnement australien passe par cette étape : il s’agit de vérifier par de tels indicateurs (mais on peut en utiliser d’autres) l’intégrité des écosystèmes envahis. Nous avons ainsi décidé de mesurer la diversité interspécifique et l’abondance des différentes espèces de petits lézards terrestres en deux principaux sites : l’un à l’extérieur d’Alice Springs Desert Park et l’autre à l’intérieur. Les lézards piégés font donc partie de l’échantillonnage des populations de reptiles sur chaque site. On obtient par ces captures l’abondance de chaque espèce de lézard sur les deux sites ainsi que la diversité interspécifique de chaque site utilisé. Etant donné que l’un des sites présente beaucoup de Cenchrus cilié et l’autre pas, on peut se faire une idée de l’impact de cette herbe sur les populations de petits lézards terrestres. Comme nous le verrons plus loin, les sites ont été choisis de telle façon que le seul facteur évident les différenciant soit la présence (ou non) du Cenchrus cilié. Par cette étude, nous voulons établir une première évaluation expérimentale de l’impact du Cenchrus cilié sur des vertébrés, en l’occurrence des lézards. b) Moyens mis en œuvre (1) Humains La construction des pièges destinés à la capture des lézards a nécessité le travail de deux chercheurs d’origine allemande, un an auparavant. Ces derniers se sont contentés de les tester durant 11 jours puis les ont fermés jusqu’à ce qu’un manipulateur intéressé les remette en état de fonctionnement. C’est ce que j’ai fait deux mois après mon arrivée à ASDP, l’année suivante. Les réparations étaient minimes : quelques poteaux à replanter, une barrière à enterrer…je n’ai donc pas eu besoin d’aide extérieure. Ensuite, l’utilisation effective des pièges ne nécessitait pas la présence d’une deuxième personne à plein temps car, n’ayant pas d’autres obligations, j’étais sur place lorsqu’il le fallait pour récupérer les animaux tombés dans les trappes. Quand je n’étais pas disponible pour une raison quelconque, un des rangers du parc me remplaçait gentiment. Cela s’est produit plusieurs fois de façon épisodiques au cours des trois mois et trois jours qu’ont duré l’étude. (2) Financiers Il n’y a eu en fait aucun investissement de ma part. Le coût (certainement modeste) des pièges a été assumé par ASDP l’année précédente, de même pour la rémunération des deux chercheurs d’origine allemande qui ont travaillé durant un mois. En ce qui me concerne, les réparations ne nécessitaient pas d’investissement économique. J’ai, d’autre part, travaillé bénévolement pour le parc qui, en contrepartie, me fournissait documentation, jumelles, appareils de mesure (balance, mètre), moyen de locomotion (un bon vélo !). 66 B. Matériel et méthodes 1. Collection des données La collection des données nécessaires à cette étude nécessite, tout d’abord, des sites adaptés puis, sur ces différents sites, le positionnement de pièges particuliers pour capturer les lézards cibles… a) Sélection des sites (1) Difficultés techniques Etant donné le but précis que nous nous fixons, c’est-à-dire étudier l’impact du Cenchrus cilié sur des populations de lézards, il est clair qu’il faut sélectionner des sites d’étude identiques sur tous les points (climat, relief, communautés de plantes etc…) sauf en ce qui concerne la présence du Cenchrus cilié. Le seul facteur devant les différencier doit être cette herbe. C’est l’unique moyen d’étudier son influence sans, au minimum, compliquer l’interprétation des résultats et, dans le pire des cas, biaiser l’étude et la rendre inutile. Or, il est clair que de tels sites n’existent pas dans la nature. En effet, s’ils étaient identiques, pourquoi le Cenchrus cilié envahirait l’un et pas l’autre ? Il faut donc tenter de faire des compromis ou de « s’aménager » artificiellement un (ou des) site(s) sans cette herbe invasive. Bien sûr, si l’on dispose de temps et d’argent, il est préférable de choisir la seconde option. Elle permettra d’élaborer un protocole expérimental rigoureux, avec peu (ou pas) de biais, facilitant ainsi grandement l’interprétation des résultats. Dans notre cas de figure, les moyens et le temps étaient limités : il a fallu faire des compromis (que nous aborderons en détail dans la partie discussion). Nous avons alors tiré parti de l’intérieur du parc où le Cenchrus cilié est enlevé manuellement (et chimiquement) dans toute la zone délimitée par une barrière électrique (« core area »). Le premier piège se trouve donc dans le parc même mais, dans une aire où le public n’a pas accès (« service area »). Le second piège, quant - à - lui, est à l’extérieur du parc (avec du Cenchrus cilié) mais reste sur des terres appartenant à ASDP. C’est d’ailleurs un point important comme nous allons le voir… (2) Difficultés culturelles La sélection de sites envahis par le Cenchrus cilié, dans le but d’y placer des pièges, semble de prime abord être une tâche assez aisée mais encore faut-il garder à l’esprit que dans le centre de l’Australie, particulièrement autour d’Alice Springs, toutes les terres sont soit des terres utilisées par les paysans pour leurs troupeaux soit des terres aborigènes ! Or, celles-ci sont généralement sacrées et ils ne voient pas forcément d’un très bon œil notre désir d’y creuser des trous pour attraper des lézards (Colleen O’ Malley, communication personnelle). Enfin, des terres piétinées par des centaines de têtes de bétail ne sont pas non plus idéales pour une étude comme la notre. C’est pour cela que notre deuxième site, envahi par le Cenchrus cilié, se trouve au sein des terres possédées par le parc, ni aborigènes (ou plus exactement, anciennement aborigènes) ni traversées par des troupeaux en pâture. Ces terres sont protégées car elles font partie de la réserve naturelle d’ASDP. 67 b) Description précise des sites (1) Localisation et climat La localisation exacte des sites (avec et sans mauvaise herbe) est présentée sur la carte de la figure 13. Les sites utilisés pour l’étude qui nous intéresse sont B1(avec herbe) et N1(sans herbe). Le troisième site B2, encore avec du Cenchrus cilié, n’a été utilisé que pour comparer sa densité de couverture herbacée avec celle de B1. (Un incendie s’y est déclaré deux ans auparavant ce qui rajoute un biais). Les trois sites sont situés sur des zones considérées « plates », comme le montre la carte présentant les reliefs à l’intérieur du parc (en annexe 4). Il est effectivement important que les reliefs soient identiques entre les sites considérés car l’influence de la topographie est considérable sur les populations de lézards (on ne trouve pas les mêmes espèces sur des collines ou dans la plaine). De la même manière, le climat est identique entre les trois sites, ceux-ci étant relativement proches au niveau géographique. Cela permet d’éliminer un facteur de variation important (climat local, voire microclimat). N’oublions pas que les lézards ont une activité quotidienne dictée en grande partie par la thermorégulation, elle-même dépendant du climat local (8, 33). Un temps pluvieux engendre donc une baisse des taux de capture car les lézards restent inactifs… Pour ce qui est des valeurs de la température moyenne quotidienne et des quantités d’eau tombées dans le parc d’Alice Springs durant une partie de la période « humide » où l’étude a eu lieu, les chiffres sont présentés dans les graphiques de l’annexe 1. B1 Barrière électrifiée N1 B2 Figure 13 : Plan du parc et disposition des sites B1, B2 et N1 (cercles verts). 68 Enfin, les trois sites étudiés sont proches de petites routes peu fréquentées et uniquement par le personnel du parc. Aucun des trois sites n’est parcouru par le public du parc. Considérons maintenant la faune et la flore de ces sites… (2) Faune et flore Sur les deux sites à l’extérieur du parc qui sont riches en Cenchrus cilié, nous avons mesuré le pourcentage de couverture de cette plante au niveau du sol. Il existe plusieurs méthodes utilisables à cet effet. Les deux plus simples sont l’estimation visuelle et la ligne d’interception. La première nécessite une certaine habitude et dépend beaucoup de la personne réalisant les mesures. De plus, les résultats obtenus seront différents selon l’état de croissance de la plante considérée : il faut toujours préciser avec le pourcentage calculé si l’herbe est verte ou non, sinon l’interprétation n’est pas possible et les résultats obtenus ne sont pas comparables entre plusieurs expériences (Albrecht, communication personnelle). La deuxième méthode se nomme méthode de la ligne d’interception (« Line intercept method ») et il s’agit de la technique que nous avons utilisé pour réaliser les mesures sur nos deux sites extérieurs (B1 et B2). Le principe général est très simple puisqu’il s’agit simplement de mesurer la longueur d’interception des plantes le long d’une ligne que l’on a tracée, généralement matérialisée par une bande adhésive fixée sur de petits piquets. Cette technique est idéale pour mesurer des pourcentages de couverture d’herbes, de buissons, d’arbres etc. Par cette technique, on s’intéresse à la couverture du feuillage et de la base des plantes. Il est souvent recommandé de prendre des clichés des sites sur lesquels on travaille, ce que nous avons fait. Les zones les plus adaptées pour utiliser cette techniques sont celles où l’on peut placer ces lignes horizontales sans problème d’ordre pratique. Ainsi, une zone assez plate (et végétation de moins de 2 mètres de hauteur) est plus indiquée. Pour une végétation majoritairement constituée d’herbes basses (c’est notre cas), il faut utiliser une ou plusieurs lignes de dix mètres environ, placées le plus proche possible du sol (en restant rectiligne !) et de façon randomisée sur le site à étudier. En ce qui concerne les avantages et limites de cette méthode, on peut dire qu’elle est plus précise avec des plantes dont les limites de croissance de chaque spécimen sont aisément individualisables : herbes et buissons pas trop intriqués et avec une certaine homogénéité dans leur stade de croissance. Nos sites répondent encore à ces critères. La technique de la ligne d’interception donne alors des résultats plutôt précis (40). Il suffit, une fois que les lignes sont posées, de mesurer la longueur d’interception pour chaque ligne puis de faire la moyenne (pour toutes les lignes) des rapports « longueur d’interception » sur « longueur totale de la ligne ». On converti ensuite la valeur en pourcentage pour obtenir le pourcentage de couverture au sol (40). Dans notre cas, il n’y a aucun problème lié à la différenciation des pourcentages de couverture de plusieurs espèces de plantes différentes puisque les sites extérieurs (B1 et B2) sont quasiment des monocultures de Cenchrus cilié. On a utilisé des lignes de huit mètres de long (800 centimètres). Le site B2 était plus hétérogène que B1 en ce qui concerne la répartition du Cenchrus cilié au sol. Ainsi, nous avons tracé plus de lignes d’interception 69 (placées au hasard) en B2 (11 lignes) de manière à avoir un résultat plus précis. Nous avons ensuite obtenu les résultats présentés dans le tableau 1 ci–dessous. B1 Longueurs d’interception 450 ; 435 ; 305 ; 460 ; 370 mesurées (en centimètres) B2 200 ; 270 ; 500 ; 70 ; 500 ; 550 ; 390 ; 480 ; 140 ; 130 ; 380 Longueurs d’interception moyennes (en centimètres) 404 328.19 Pourcentages de couverture par Cenchrus ciliaris 50.5 % 41 % B2 Tableau 1 : Détermination du pourcentage de couverture du Cenchrus cilié en B1 et On trouve donc des pourcentages de couverture importants avec 50.5% en B1 et 41% en B2. De plus, il faut rappeler qu’il s’agit quasiment de monocultures de Cenchrus cilié. On travaille ainsi sur des sites à fort taux d’envahissement où le Cenchrus cilié est l’herbe dominante, contrairement à l’intérieur du parc où il est considéré comme absent car enlevé manuellement. Concernant les autres espèces végétales, herbes, arbres et arbustes, les deux sites étudiés B1 et N1 sont très proches. Les espèces rencontrées sur ces sites ont été répertoriées dans la table 2 ci-après. Les listes ne sont évidemment pas exhaustives mais donnent une idée des communautés végétales présentes sur les zones où les captures ont eu lieu. 70 Espèces végétales trouvées en N1 Espèces végétales trouvées en B1 Lepidium ssp. Lepidium ssp. Senna artemisioides filifolia Senna artemisioides filifolia Enneapogon polyphyllus Grevillea striata (ou « beefwood ») Acacia kempeana Amyena ssp Hakea divaricata Hakea divaricata Acacia victorii Acacia victorii Corymbia opaca (ou « bloodwood ») Corymbia opaca (ou « bloodwood ») Calocephalus platycephalus Cenchrus ciliaris (ou Cenchrus cilié) Acacia estrophiolata (ou « iron wood ») Tableau 2 : Végétaux rencontrés sur les sites B1 et N1 La différence principale entre ces deux sites, clairement à cause de la dominance de cette plante sur le site, provient de la présence du Cenchrus cilié (50.5% de couverture) en B1. Les autres espèces végétales n’étaient généralement présentes qu’en faible nombre (exception faite pour Lepidium ssp.). Notons d’autre part que le relevé a été effectué en fin de saison d’été (très sec) ce qui explique en partie le petit nombre d’espèces différentes rencontrées. La sécheresse semble d’ailleurs partie pour durer d’après des experts locaux qui affirment que tous les paramètres météorologiques actuels sont identiques à ceux enregistrés lors de la grande sécheresse des années 1958-1965 (Collen O’ Malley, communication personnelle) ! En ce qui concerne la faune rencontrée sur les deux sites B1 et N1, la présence de la barrière électrique autour du parc (« core area ») provoque deux effets majeurs que nous reverrons dans la partie discussion. A l’intérieur du parc, les prédateurs carnivores comme les chats et les renards sauvages sont exclus par le grillage à maillage assez fin. Seuls de petits animaux peuvent traverser cette barrière. Ainsi de petits « perenties » ou varans (Varanus giganteus) juvéniles peuvent aller et venir entre l’extérieur et l’intérieur du parc. Seulement, les adultes « piégés » à l’intérieur, du fait de leur taille considérable, ne peuvent plus ressortir et se retrouvent concentrés dans la « core area ». Notons que les carnivores sauvages (chats et renards) comme les varans géants sont des prédateurs importants des petits lézards terrestres qui nous intéressent. Les prédateurs 71 terrestres sont donc différents entre B1 et N1. Nous discuterons plus loin de l’implication de cette différence concernant la faune des sites d’étude… (3) Type de sol Le sol des trois sites considérés se trouve être du même type : « sandy loam ». Il s’agit d’un terreau sablonneux, avec quelques roches dispersées en surface. Ce sol, nous l’avons vu, est pauvre et contient du gypse comme de l’argile. L’argile se retrouve à des taux d’environ 35% (43). c) Les pièges utilisés (1) Choix des pièges Il existe un grand nombre de techniques à faible coût pour capturer des lézards. Les biologistes ont ainsi le choix. Il apparaît que le développement de toutes ces méthode a été guidé par la volonté d’augmenter le nombre de captures tout en limitant les dommages occasionnés aux spécimens (17, 53). De plus, il faut s’efforcer d’éviter les techniques biaisées. On dispose aujourd’hui, s’agissant de la capture de petits lézards terrestres, des méthodes suivantes : le classique nœud coulant, les projectiles de tout type (bandes adhésives notamment…), les pièges en forme de tunnel ou d’entonnoir (avec ou sans barrière pour y guider les animaux), les seaux enterrés avec barrière, filet (« drift fence ») pour attirer les spécimens, les planches collantes (« sticky traps ») et bien d’autres. De plus, il existe des variations infinies réalisables à partir de chacun de ces modèles de base ! Une étude assez récente (2000) a évalué l’efficacité des pièges de type « planche engluée » par rapport au nœud coulant. Elle révèle une plus forte mortalité avec les pièges collant et un biais marqué au niveau du sexe ratio avec le nœud coulant. Si le fait d’attraper un taux plus important de mâles territoriaux ne pose pas de problème dans l’étude, il reste donc préférable de choisir une technique avec une faible mortalité comme le nœud coulant ou la bande adhésive projetée (53). L’utilisation de la planche badigeonnée de colle reste risquée et si on veut malgré tout l’utiliser, il faut effectuer des captures test pour évaluer à priori la sensibilité des espèces de lézards visées. Dans notre cas, aucune de ces techniques n’est vraiment intéressante. En effet, la capture d’animaux, individuellement, avec un nœud coulant, aurait demandé trop de temps pour avoir un échantillonnage significatif des populations sur chaque site. D’un autre côté, l’utilisation d’une méthode présentant un taux de mortalité conséquent (comme la planche collante) n’est pas judicieuse avec des populations potentiellement menacées, dont on veut évaluer la diversité spécifique. Parmi les méthodes non biaisées au niveau du sexe des animaux capturés et présentant un faible taux de mortalité pour ceux-ci, on trouve les pièges de type « seau enterré » dans le sol et les tunnels ou entonnoirs. Ces deux catégories de pièges sont généralement associées à des barrières (filets à moitié enterrés) que les lézards suivent « machinalement ». Une étude datant d’il y a deux ans révèle que l’efficacité des tunnels pourrait être supérieure à celle des seaux, à taux de mortalité égal (inférieur à deux pour-cent) en tout cas pour capturer des amphibiens et des serpents. De plus, les tunnels sont évidemment plus commodes à construire quand le sol est dur, rocailleux (35). 72 Augmenter le taux de capture des serpents, outre le fait qu’ils ne nous intéressent pas, peut être problématique pour notre étude car on doit envisager une probable prédation des lézards capturés en même temps. De plus, en ce qui nous concerne, le sol sablonneux de nos sites permet de facilement creuser des trous pour y enterrer de simples seaux. De même, creuser pour placer une barrière (filet) ne pose aucun problème. L’option des seaux (« Pitfalls ») s’avère donc la meilleure au niveau du rapport qualité/investissement (en temps et argent). Or, par chance, en 2004, deux chercheurs d’origine allemande avaient déjà construit trois pièges enterrés, un premier dans le parc (zone N1) et deux autres à l’extérieur (zones B1 et B2). Après quelques petites réparations nous avons pu aisément les remettre en état de fonctionnement. Rappelons que les deux seuls utilisés dans notre étude sont B1 et N1. (2) Description Les trois pièges étaient identiques dans leur conception. La représentation schématique d’un piège est présentée dans la figure 15. Des photographies sont aussi présentées ci-après, dans la figure 14. Les matériaux utilisés, la couleur des barrières et des seaux étaient similaires pour ne pas introduire un biais. La constitution des pièges était la suivante : une barrière (filet noir à maillage très fin) de 10 mètres de long, 30 centimètres de hauteur était partiellement enterrée dans le sol. Trois seaux étaient ensuite enterrés à la base de ces barrières. Il s’agissait de seaux en plastique d’une profondeur de 23 centimètres et de 10 centimètres de diamètre. Il y avait un seau à chaque extrémité et le troisième au milieu de la barrière. Il n’y avait aucun couvercle pour obturer les seaux : les animaux tombaient directement dedans. 73 B1 N1 B1 Figure 14 : Photographies des sites B1 et N1 74 Au fond de chaque seau, pour la sécurité des animaux capturés, une couche de 3 ou 4 centimètres de terre était placée pour permettre à l’eau de pluie d’être absorbée lors des averses. De même, un carton découpé (type « boîte d’œufs ») restait au fond de chaque seau pour permettre aux animaux piégés de se mettre à l’abri du soleil et des éventuels prédateurs (oiseaux de proie par exemple) jusqu’à ce que le piège soit « relevé ». Chaque piège était en réalité constitué de trois barrières avec trois seaux pour chaque barrière. Ainsi, un piège comportait 9 seaux dans lesquels les lézards pouvaient chuter. Les barrières étaient disposées de façon à balayer à peu près toutes les directions. D’autres dispositions pouvaient bien entendu être appliquées (cercle fermé par exemple). 10 mètres Seau Barrière (longueur :10 mètres) Figure 15 : Disposition du piège (9 seaux et 3 filets) sur un site d’étude (vue aérienne) (3) Utilisation Le fonctionnement des pièges est extrêmement simple puisque les lézards parcourant leur territoire vont simplement buter contre le filet alors considéré comme une barrière infranchissable pour de petits lézards terrestres (qui n’affectionnent pas particulièrement l’escalade). Les animaux vont ensuite suivre le filet jusqu’à ce qu’ils tombent dans un des 3 seaux ouverts. Certains animaux étaient aussi attirés dans les seaux car ceux-ci contenaient fréquemment des invertébrés piégés (nombreuses araignées, Coléoptères etc…). Notons que 75 les seaux étaient laissés ouverts en permanence, nuit et jour, de façon à capturer des lézards d’espèces diurnes comme nocturnes. Une fois attrapé, le lézard devait être récupéré assez rapidement car le soleil estival écrasant du centre de l’Australie, malgré l’abri laissé au fond du seau, est vite fatal. D’autre part, laisser trop longtemps des lézards dans les pièges attire des prédateurs comme les rapaces. Ainsi, les pièges devaient initialement être relevés trois fois par jour, en fin de matinée (entre 10 et 11 heures), en début d’après-midi (13 heures) et en fin d’après-midi (17 heures). Cependant, dans la pratique, il s’est avéré qu’en trois mois je n’ai jamais trouvé un seul animal l’après-midi ! La chaleur intense explique très probablement ce constat : la température dépassait souvent les 38 degrés à midi et les lézards restaient à l’abri pour leur thermorégulation (8). Les pièges n’ont donc finalement été relevés qu’en milieu et fin de matinée, sauf cas exceptionnel. Cela permet de récupérer les animaux capturés pendant la nuit ainsi que ceux piégés lors de leurs mouvements matinaux, quand la température est encore proche de leur température moyenne préférentielle. Lorsque je devais m’absenter pendant une seule journée, un ranger du parc relevait les pièges le matin à ma place et effectuait les manipulations habituelles (expliquées plus bas). Pour des périodes plus longues, les pièges étaient « inactivés », c’est-à-dire comblés par des roches permettant alors à tous les animaux tombés dans les seaux de ressortir aisément. d) Manipulations sur les animaux (1) Classification et identification L’identification des animaux capturés a été faite en utilisant un ouvrage de référence (23). A cette fin, les clefs d’identification, les descriptions morphologiques ainsi que les cartes d’aires de répartition de ce livre ont été utiles. Toutes les espèces de sauriens capturées sont décrites plus bas (Tableau 3) grâce à ces aides. Les animaux ont aussi été photographiés avec un appareil numérique en mode macrophotographique pour identification ultérieure. Tout caractère particulier comme la queue coupée ou entière, la présence d’une cicatrice et sa localisation précise, l’absence d’un doigt, les particularités de la robe, a été noté pour chaque spécimen capturé (rubrique « remarque »). Le marquage était sans intérêt (48). Les animaux ont aussi été consciencieusement mesurés à l’aide d’une règle (triple décimètre classique) avec pour conséquence une précision moyenne. Cependant, ces mesures ont été réalisées deux fois par animal et elles n’ont de toute façon pas d’autre objectif que de servir d’aide à la reconnaissance d’animaux déjà capturés précédemment. Deux mesures ont donc été réalisées : la longueur totale entre le rostre (écaille rostrale) et le bout de la queue ainsi que la distance entre le rostre et le cloaque (fente cloacale). 76 Les animaux étaient maintenus à la verticale d’une main, pour être « rectilignes », et mesurés en apposant la règle sur leur face dorsale avec l’autre main. Les critères d’identification utilisés sont présentés de façon résumée dans le tableau ci-dessous (Tableau 3). Des photographies des animaux capturés sont aussi fournies. Carlia triacantha (Scincideae, Mitchell, 1953) Description : dos gris ou marron, avec un halo irisé, souvent vert vif au niveau de la tête des mâles en période de reproduction. Ceux-ci ont aussi une couleur rouge sur les flancs à cette période. Ventre blanc. Nombreuses petites marques grises ou noires sur le dos. Préfrontales en contact. Ouvertures tympaniques circulaires. Habituellement 6 supraciliaires. Longueur de 45 millimètres (rostre-cloaque). Distribution : nord de l’Australie Occidentale et nord du Territoire du Nord. Habitat : montagnes et zones couvertes de Spinifex dans le centre de l’Australie. Affectionne les sols rocailleux. 77 Ctenotus leonhardii (Scincideae, Sternfeld, 1919) Description : ventre pâle. Dos de couleur marron-orange. Bande vertébrale sombre souvent présente. Ligne blanche dorso-latérale débutant en arrière de l’œil et finissant à la base de la queue. Sous cette ligne claire se trouve une bande marron large contenant latéralement une ou plusieurs rangées d’ocelles blanches. Des ocelles blanches sont présentes sur les flancs et le côté du cou. 8-9 supralabiales. Longueur de 75 millimètres. Distribution : comme Ctenotus saxatilis avec, en plus, l’Australie Méridionale. Habitat : comme Ctenotus saxatilis. 78 Ctenotus saxatilis (Scincideae, Storr, 1970) Description : scinque d’aspect robuste. Dos de couleur marron-jaune. Ventre blanc. Absence de bande sub-oculaire pâle, fines bandes dorsales noires. Parfois une ou deux fines bandes dorsales blanches. 8-10 écailles supralabiales et peu de nucales (2-3). Longueur de 80 millimètres. Distribution : montagnes, collines rocheuses, étendues rocailleuses du centre de l’Australie et de la côte de l’Australie Occidentale. Habitat : touffes herbacées sur un substrat assez rocheux. 79 Menetia greyii (Scincideae, Gray, 1845) Description : marron gris sur le dos avec habituellement une bande sombre parfois entrecoupée partant de la nuque et arrivant jusqu’à la base de la queue. Flancs de la même couleur que le dos. Ventre couleur crème ou jaune. 12-23 lamelles sous le quatrième orteil. Nasales largement séparées. Deux larges supraoculaires. Petit lézard frêle d’aspect. Longueur de 30 millimètres. Distribution : largement distribué dans toute l’Australie continentale exception faite des régions côtières de l’est et du nord-est. Habitat : milieux très variés : forêts humides, zones boisées semi-arides à arides. Souvent vu dans les touffes d’herbe et la litière du sol. 80 Diplodactylus conspicillatus (Gekkonideae, Lucas et Frost, 1897) Description : dos marron-rouge, sombre avec une réticulation noire marquée de points clairs dispersés irrégulièrement. Ecailles labiales blanches. Ventre blanchâtre. Queue originale courte, large, déprimée dorso-ventralement. Narines séparées de la rostrale par une écaille nasale. Doigts courts avec lamelles apicales. Longueur de 60 millimètres. Distribution : régions arides de tous les territoires sauf le Victoria et la Tasmanie. Régions côtières de l’Australie Occidentale et du Territoire du Nord. Habitat : terrestre. Trouvé dans une grande variété d’habitats : montagnes rocheuses, déserts de sable, zones envahies par le spinifex etc… 81 Gehyra purpurascens (Gekkonideae, Storr, 1982) Description : gris sombre ou plus foncé sur le dos avec des réticulations noires plus ou moins marquées. Traits sombres de chaque côté de la tête. Ventre blanc. Queue assez longue et aplatie au niveau de sa base. Lamelles sub-digitées sous le quatrième doigt. Longueur de 60 millimètres. Distribution : régions arides d’Australie Occidentale et du centre. Habitat : espèce assez arboricole vivant dans des buissons ou arbustes variés. 82 Heteronotia binoei (Gekkonideae, Gray, 1845) Description : couleur très variable, de gris pâle à marron sombre ou rougeâtre sur le dessus. Présence de nombreuses petites ocelles blanches sur le dos. Tâches noires réparties irrégulièrement sur le dos et la queue. Ecailles labiales habituellement blanches .Ventre blanc. Peau du dos granuleuse d’aspect. Gecko assez frêle avec une longue queue de section ronde. Longueur de 50 millimètres. Distribution : trouvé dans tous les territoires d’Australie sauf dans les régions les plus humides. Habitat : forêts humides, centre désertique. Se réfugie dans les roches et la litière du sol. 83 Rynchoedura ornata (Gekkonideae, Günther, 1867) Description : marron-rouge dessus, avec des marques circulaires blanches sur le dos et les flancs. Dos parfois finement réticulé de noir. Blanc immaculé dessous. Petites écailles dessus, douces, homogènes. Lézard d’aspect frêle, avec une longue et fine queue de section ronde. Longueur : 50 millimètres. Distribution : intérieur aride de tous les états d’Australie. Habitat : gecko terrestre vivant dans des types d’habitats très variés : prairies, bois, dunes sablonneuses dominées par des acacias ou du Spinifex, déserts du centre. Tableau 3 : Résumé de la description des espèces capturées d’après Cogger (1994) Enfin, un dernier critère d’identification a été utilisé lors de la manipulation des animaux capturés : la détermination du sexe… 84 (2) Sexage (a) Méthodes à disposition (29) La détermination du sexe chez les reptiles n’est pas toujours une promenade de santé. Il existe bien des espèces possédant un dimorphisme sexuel prononcé, ce qui nous facilite évidemment la tâche, mais beaucoup d’autres espèces présentent de plus subtiles différences entre mâles et femelles. Ces variations phénotypiques fines sont perceptibles pour des yeux experts ou tout simplement pour ceux qui prennent le temps d’observer attentivement les animaux. Il s’agit alors de la première méthode de sexage des reptiles (lézards dans notre cas) : la méthode visuelle. Les organes génitaux mâle, les deux hémipénis sont logés, lorsqu’ils sont au repos, parallèlement l’un à l’autre non pas dans l’abdomen mais dans un renflement à la base de la queue. La méthode visuelle consiste alors simplement à repérer ce renflement en observant la face ventrale de la queue. C’est à la fois simple et moyennement fiable. Il existe, selon les espèces de lézards, d’autres critères visuels de dimorphisme sexuel. On peut ainsi vérifier la présence de pores fémoraux à l’intérieur des cuisses, souvent plus nombreux ou plus développés chez les mâles. Il est aussi commode, chez quelques familles, de se baser sur la présence de fanons, de crêtes ou tout simplement de modifications de la coloration (couleurs intenses de certains mâles lors de la période de reproduction). La deuxième méthode est dite manuelle car elle nécessite non plus simplement l’observation des animaux mais une véritable palpation/pression de la base de la queue dans un seul et même but : se prononcer sur la présence ou non d’hémipénis. La palpation de la base de la queue entre pouce, index et majeur, doucement, peut faire naître chez le manipulateur une sensation rappelant la présence de chaires molles sous la peau écailleuse. Il peut alors s’agir d’hémipénis. Si la sensation évoque des tissus plus fermes, on s’oriente plutôt vers une femelle. Par la palpation, on se fait déjà une première idée du sexe de l’animal. Vient ensuite la pression de la base de la queue, avec le pouce généralement, de l’extrémité vers le cloaque, de façon à éverser les hémipénis du mâle et à les extérioriser. Si un hémipénis apparaît, il s’agit d’un mâle, à n’en pas douter ! A l’inverse, si rien ne sort, il s’agit peut-être d’une femelle mais on ne peut exclure le fait que ce soit un mâle (mauvaise manipulation ou forte contraction de la part de l’animal ce qui empêche l’hémipénis de sortir). Cette méthode est plus difficile à réaliser sur des animaux adultes, indociles et ayant assez de force pour s’opposer à la pression exercée par le manipulateur. Enfin, il existe une troisième technique fréquemment employée pour le sexage des lézards : le sondage. Cette méthode constitue de loin la plus fiable. On sonde en fait les hémipénis (un à la fois). C’est une méthode qui doit être réalisée avec beaucoup de douceur et de précision de manière à ne pas blesser les animaux. Les sondes utilisées sont des tiges d’acier inoxydables de longueurs différentes pour s’adapter à la taille des animaux . Elles doivent être stériles et lubrifiées pour être sans danger. On introduit alors une sonde dans l’un des orifices postérieurs du cloaque du lézard à sonder. Ces orifices sont soit de vraies glandes (chez les femelles) soit « l’entrée » des hémipénis (chez…les mâles). La sonde est ensuite poussée délicatement dans l’orifice. Si la 85 sonde progresse profondément, on a alors sondé un hémipénis invaginé dans le cloaque : c’est un mâle. Si elle n’avance que très peu, il s’agit d’une femelle (29). (b) Méthode(s) utilisée(s) Pour notre étude, le sexage est principalement un outils qui permet une description plus précise des animaux capturés. Déterminer le sexe des lézards n’est pas notre but premier. Cela nous permet principalement de s’assurer que l’on a un nombre suffisant d’indices morphologiques, phénotypiques pour décrire et donc identifier les lézards. Ainsi, on peut être plus confiant en affirmant qu‘un animal a déjà été capturé précédemment. Nous n’avons pas utilisé de sondes de sexage car nous n’en avions tout simplement pas à disposition. Par contre, les techniques visuelle et manuelle ont été utilisées sur chaque animal capturé. La technique visuelle était utilisée en premier lieu et son résultat était souvent confirmé (ou non) par la méthode manuelle sauf dans des cas évidents où le dimorphisme sexuel « saute aux yeux » (chez la plupart des geckos adultes par exemple). 2. Analyse des données obtenues Il est souvent conseillé d’évaluer la biodiversité d’un milieu en utilisant certains paramètres simples comme la richesse en espèces et la Dominance (22). L’abondance relative d’une espèce dans un échantillonnage, aussi appelée Dominance, peut être mesurée par un rapport très simple : D = n/N . 100 Avec : n = nombre total d’individus d’une espèce ; N = nombre total d’organismes inventoriés. La dominance de certaines espèces est souvent déterminée à la fois par des facteurs externes ou exogènes ( trophiques, climatiques, édaphiques) et par des facteurs internes tels que les phéromones. Cette mesure permet, avec une table d’abondance relative, de se faire une idée du classement des espèces par abondance dans une communauté. La modèle de classement utilisé dans cette étude est le suivant (25): 86 D>75% Très abondants 50%<D<75% Abondants 25%<D<50% Communs 5%<D<25% Rares D<5% Très rares Pour chaque site de l’étude, l’abondance relative de toutes les espèces rencontrées est mesurée de cette manière. En association, et pour avoir une vue plus claire de la situation sur chaque site, des représentations graphiques (ou diagrammes d’abondance) seront présentées dans la partie résultats. Une fois ces abondances relatives mesurées, il est bon de les comparer selon les traitements, donc entre les différents sites, pour essayer de déceler une éventuelle différence significative. On utilise dans ce but des tests statistiques de comparaison de deux proportions. a) Tests statistiques utilisés Pour la comparaison de deux proportions, deux tests statistiques sont utilisables. Il s’agit du test de Pearson (ou test du chi-carré) et du test exact de Fisher. Ces deux tests permettent d’obtenir une p-valeur (degré de signification) en testant l’hypothèse nulle, autrement dit l’hypothèse que deux proportions sont égales dans la population. Dans le cadre de notre étude, les deux tests sont effectivement envisageables mais, comme nous allons le voir, leurs conditions d’application sont différentes et cela rend l’un des tests (Fisher) plus intéressant que l’autre. Ainsi, on choisit un test par rapport à l’autre en fonction de la taille de l’échantillon. Pour de petits échantillons, ce qui est notre cas, on utilise le test exact de Fisher. Mais que signifie « petit » au niveau statistique ? La limite fixée est très arbitraire mais elle reste un bon moyen de décision dans la pratique, si l’on veut obtenir des résultats précis. Cette limite est généralement la suivante : la taille de l’échantillon est trop petite pour utiliser le chi-carré si le total de l’échantillon est inférieur à 20 à 40 sujets ou si le nombre attendu de sujets est inférieur à 5 dans une cellule du tableau de contingence. Ce critère ne s’applique pas aux nombres observés (44). Pour des échantillons de grande taille on peut par contre utiliser le test du chi-carré. Toutefois, remarquons que le chi-carré et le test exact de Fisher sont deux méthodes de calcul alternatives : les données traitées sont les mêmes et la p-valeur obtenue a la même signification. 87 Dans notre cas, l’utilisation du chi-carré s’est avérée moins précise (il fallait effectuer quelques « regroupements » dans la table de contingence, ce qui complique quelque peu l’interprétation écologique des résultats obtenus). De plus le chi-carré ne donne dans tous les cas qu’une approximation de la p-valeur résultante, celle-ci pouvant être fausse lorsque les effectifs sont trop petits (44). C’est pour cette raison que nous avons aussi utilisé le test exact de Fisher qui, lui, donne une valeur toujours exacte de p mais nécessite l’utilisation d’un ordinateur pour sa réalisation car les calculs deviennent rapidement infernaux… (1) Test de Pearson ou chi-carré Bien que le chi-carré soit moins précis que le test exact de Fisher, il est bien plus facile à calculer à la main. Il faut établir la table de contingence avec les distributions observées puis prédire quelles seraient les valeurs attendues si l’hypothèse nulle était vraie. De plus ces valeurs attendues ne sont calculées qu’en utilisant le tableau de contingence. Pour quantifier la manière dont nos résultats s’éloignent de ceux attendus, il reste à combiner les écarts entre valeurs observées et attendues, ce qui nous donne un seul nombre : χ2 ou chi-carré. On obtient ensuite la p-valeur en lisant des tables établies grâce à des statisticiens qui ont calculé la distribution de probabilité du chi-carré sous l’hypothèse nulle (44). Les conditions d’application du test du chi-carré sont les suivantes (51) : - Echantillonnage aléatoire ; - Les données doivent constituer un tableau de contingence ; - Les valeurs ne doivent pas être trop petites, aucune cellule ne doit contenir une valeur attendue inférieure à 5 ; - Les observations doivent être indépendantes ; - Les échantillons doivent aussi être indépendants. Dans notre étude, comme nous allons le voir plus loin, nous ne pourrons pas observer la troisième condition car les effectifs sont très petits. Des « regroupements » d’effectifs sont bien sûr possibles mais ils compliquent lourdement l’interprétation des résultats… D’autre part, par commodité, nous avons utilisé le logiciel informatique R (voir plus bas) pour réaliser le test de Pearson. On obtient donc directement une p-valeur, ou degré de signification, à partir du tableau de contingence. (2) Test exact de Fisher (a) Pourquoi ce test ? 88 Ce test de comparaison de deux proportions observées est préférable au test du chicarré lorsque les effectifs sont réduits, comme c’est le cas dans notre étude. Ses conditions d’application sont les mêmes que celles du test du chi-carré, citées plus haut, à l’exception de la troisième condition qui était problématique dans notre cas de figure. Le principe en est assez simple puisqu’il s’agit, sans modifier les totaux des lignes ou des colonnes de la table de contingence, de construire toutes les tables possibles. Le test exact de Fisher calcule ensuite la probabilité que chacune de ces tables ait été obtenue par hasard (44). Cependant, comme nous l’avons déjà signalé plus haut, la réalisation de ce test nécessite des calculs très complexes et nous sommes donc contraints d’utiliser un programme informatique… (b) Utilisation d’un logiciel statistique : R (34) Il existe en théorie plusieurs alternatives pour réaliser un test exact de Fisher par ordinateur. Certains sites internet proposent même de faire les calculs en ligne pour des tables de contingence à quatre cellules. En ce qui nous concerne, le choix était bien plus limité pour une raison simple : notre tableau de contingence contient plus de quatre cellules ! Un logiciel de statistique extrêmement performant (mais difficile d’utilisation) reste capable de réaliser un test exact de Fisher sur ce type de tableau : il s’agit du logiciel R. R est un logiciel libre donc gratuit, disponible entre autres sur internet. Il est très performant, avec un domaine d’application large, mais d’un abord difficile pour les novices car son interface est peu conviviale. Un manuel introductif pour les débutants est d’ailleurs disponible sur internet, en versions française et anglaise. b) Index univarié de diversité La plupart des modèles mathématiques et des indices à une variable indiquent une plus grande diversité lorsque le nombre total d’individus est réparti de façon plus égale entre les espèces présentes dans l’échantillon ou lorsque ces espèces sont plus nombreuses. Les indices de Shannon et de Simpson sont des exemples bien connus d’indices « d’hétérogénéité » de ce type. Ces indices sont fréquemment employés dans des études d’écologie mais, selon certains auteurs, ils n’apportent que peu de renseignements par rapport à la richesse spécifique ou la Dominance (22). (1) Index de Simpson En 1949, Simpson a proposé une mesure de concentration basée sur la probabilité que deux individus d’un peuplement qui interagissent, appartiennent à la même espèce. Cet indice est largement employé en écologie. La probabilité que deux spécimens pris au hasard soient de la même espèce est la mesure de concentration proposée par Simpson, soit la somme pour les différentes espèces de ces probabilités combinées (39) : Concentration = ∑ Ni/N (Ni-1)/(N-1) Avec : Ni = nombre total d’individus de l’espèce i (i variant de 1 à n); N = nombre total d’individus de l’échantillon (contenant n espèces). 89 Cette forme permet de calculer la concentration pour des mesures d’importance relative telles la biomasse ou la productivité. Les valeurs de la Concentration varient entre 0 et 1 (52). On peut dire que, plus cette probabilité (que deux spécimens soient conspécifiques) est élevée, plus la diversité de l’échantillon est faible, si bien qu’on pourra utiliser comme mesure de la diversité spécifique de l’échantillon : Diversité = 1 – Concentration Cette mesure est aussi un estimateur non biaisé de la diversité du peuplement d’où est tiré l’échantillon. Cet indice est plus sensible que l’entropie H (indice de Shannon - Weaver que nous verrons plus loin) aux variations d’abondance de quelques espèces les plus importantes de l’échantillon. Enfin, notons pour l’anecdote que certains auteurs recommandent d’employer plutôt l’inverse de la concentration comme mesure de diversité (39): D = 1 / Concentration Précisons qu’une communauté dominée par une ou deux espèces est considérée comme moins diversifiée qu’une autre où les différentes espèces ont des effectifs similaires en abondance (52). (2) Index de Shannon-Weaver En 1948, Shannon a élaboré une théorie de l’information dont le domaine d’application s’est considérablement élargi. L’idée sous-jacente était que plus un événement avait une probabilité d’occurrence faible, plus celui-ci avait de sens et donc plus celui-ci contenait d’informations. Cette théorie a été mise en application sur des communautés naturelles : la capture d’un individu constituant alors un événement, il est possible de mesurer l’information globale apportée par l’ensemble de la communauté échantillonnée (22). Dans les conditions naturelles, les probabilités de capture varient d’une espèce à l’autre. L’information totale, notée H, appelée entropie de l’ensemble (concept bien adapté à la mesure de la dispersion d’une variable qualitative), est alors traduite par l’équation de Shannon et Weaver : H = - ∑ Pi log(Pi) Avec : Pi = probabilité de capture de l’espèce i ; S = nombre total d’espèces dans l’échantillon. On effectue la somme entre i et S pour obtenir l’entropie H. Dans la pratique, évidemment, l’expérimentateur ne dispose pas des probabilités Pi mais, en revanche, il possède les fréquences de capture de chaque espèce par la formule ni/N sachant que ni représente le nombre d’individus de l’espèce n et N le nombre total d’individus de l’échantillon. On remplace donc Pi par ni/N dans la formule (25). Dans la formule de H, le signe négatif compense pour le fait que le logarithme d’une proportion est toujours négatif (39). Par ailleurs, dans le calcul de la diversité, on n’applique 90 la formule qu’aux espèces effectivement présentes dans l’échantillon ou la communauté. En effet, les espèces absentes ont une probabilité de zéro, ce qui leur donne une contribution nulle à la diversité. Notons aussi que l’indice de Shannon et Weaver n’a de sens au niveau écologique que s’il est calculé pour une communauté d’espèces jouant le même rôle au sein de la biocénose (39), ce qui est le cas dans notre étude. Les valeurs de H varient alors de 0, si la communauté n’est composée que d’une seule espèce, à 4.5 ou 5 bits/individu pour les communautés les plus diversifiées. Les valeurs les plus faibles, inférieures à 1.5 bits/individu, sont associées à des peuplements dominés par une ou deux espèces, ce qui est caractéristique d’une phase de colonisation d’un biotope par des stratèges « r » ou espèces pionnières. Sans perturbation majeure de l’écosystème, l’évolution temporelle se fait dans le sens d’une diversification avec une majorité de stratèges « K ». La valeur de H dépasse alors 2.5 bit/individu. La diversification décroît légèrement en fin d’évolution et H se stabilise généralement aux alentours de 3.5 à 4 bits/individu. Evidemment, lorsque toutes les espèces ont le même nombre d’individus, les mêmes effectifs, la diversité est donc maximale et vaut Hmax = log (S). Cependant cette situation n’est jamais atteinte. Il est intéressant, dans certains cas, de calculer l’intervalle de confiance associé à une mesure de diversité, afin de vérifier si elle diffère significativement d’une autre mesure. Plusieurs méthodes ont été décrites pour trouver l’erreur type de H, ce qui permet le calcul de son intervalle de confiance. Certaines de ces méthodes permettent même le calcul de cette erreur type à partir de l’observation d’un seul échantillon. C’est le cas par exemple de Jackknife, une méthode statistique développée pour le calcul de l’erreur type de statistiques non standard, comme H (39). La diversité spécifique d’un peuplement, mesurée par l’indice de Shannon et Weaver, est largement dépendante de la fréquence des différentes espèces rencontrées dans un échantillon. Certains auteurs ont donc proposé des indices permettant de comparer la distribution observée de ces fréquences à celle obtenue par divers modèles écologiques ou théoriques. Ces indices sont alors une mesure de la régularité ou « evenness » ou « equitability » traduits parfois par équitabilité, terme à éviter (25). Piélou (1966) mesure donc cette régularité par le rapport entre la diversité calculée H et celle qui serait obtenue dans le cas où toutes les espèces seraient équifréquentes : Hmax cité plus haut (25). La régularité notée J, rapport variant entre 0 et 1, prend alors la forme : J = H/Hmax = H/log(S) Par cette dernière formule, on montre tout simplement que la diversité spécifique est constituée du nombre d’espèces et de la régularité J de leur distribution (39). 91 C. Résultats 1. Données brutes Les deux seules familles de lézards capturées lors de la période où les pièges fonctionnaient s’avèrent être les Scincidae et les Gekkonidae, sans doute en partie du fait de la taille modeste des animaux et de leur comportement explorateur : ils parcourent parfois de grandes distances à travers leur territoire, à la recherche de nourriture ou pour chasser des intrus (30). Deux espèces de serpents (Genres Demansia et Ramphotyphlops) ont aussi été capturées de façon « accidentelle » mais elles ne rentrent pas en compte dans notre étude. En fait, 8 espèces différentes de lézards ont été capturées et seulement celles dont les effectifs étaient suffisants ont été considérées pour l’analyse statistique ultérieure (seulement 6 espèces de lézards correspondaient à ce critère). Une liste de captures ne comportant que ces six espèces est fournie dans la liste des captures simplifiée (Annexe 2). Le test de Fisher n’est par ailleurs effectué que sur cette banque de donnée simplifiée, ne comportant que les résultats obtenus sur les sites B1 et N1 et dont les animaux recapturés ont été enlevés. La liste des captures ou base de donnée brute, non modifiée donc est donnée dans la figure 16 ci-dessous. Il y a un total de 107 captures. Le classement est réalisé par date, simplement dans l’ordre chronologique des captures effectuées sur une période de trois mois et 3 jours. La liste présente aussi les animaux capturés en B2, mais ces données ne seront pas exploitées car le site a brûlé deux ans auparavant et cela rend difficile l’interprétation des résultats. Les animaux recapturés sont présents dans la liste. Cette base de donnée sera donc ensuite simplifiée et modifiée de façon à pouvoir l’utiliser dans le logiciel R qui nécessite une syntaxe plus rigoureuse (format des dates, absence de toute accentuation dans les caractères etc…). zone B1 N1 N1 B1 B1 N1 B1 B2 B1 N1 B2 B2 N1 N1 B1 B2 N1 B2 N1 B1 B1 date 18.11.04 18.11.04 19.11.04 20.11.04 20.11.04 20.11.04 23.11.04 24.11.04 26.11.04 30.11.04 01.12.04 01.12.04 01.12.04 01.12.04 02.12.04 02.12.04 03.12.04 04.12.04 04.12.04 07.12.04 09.12.04 Heure 9 11 10 14 14 14 9 11 9 10 10 10 10 10 9 9 10 10 10 9 13 Genre/Espèce C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii G.purpurascens D.conspicill. Menetia greyii D.conspicill. D.conspicill. C.saxatilis C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii D.conspicill. C.saxatilis C.saxatilis C.saxatilis C.leonhardii R.ornata R.ornata sexe LRC NA NA F 7 F 5,5 F 7 M 7 F 3,5 F 6 NA 3 M 4,5 F 4 F 7 NA NA F 6,9 NA NA F 5 M 7,5 M 5 NA 7 NA 7,5 F 4,5 M 4 LT recapture NA 19 16 12 21 5 7,5 5 4,5 5 22 NA 19 oui NA 7 24 12,5 20 21 6 6 92 zone B2 B1 B1 B1 N1 B1 B1 B1 B2 B2 B2 N1 B1 N1 N1 B2 N1 N1 B2 N1 B1 B1 N1 N1 B1 B1 B1 B2 B1 N1 B1 B2 N1 B1 B1 B1 N1 N1 B2 N1 B1 N1 N1 B1 B1 N1 N1 N1 B2 N1 N1 B2 B2 B1 B1 N1 N1 B2 N1 B1 date 09.12.04 10.12.04 10.12.04 14.12.04 14.12.04 15.12.04 16.12.04 16.12.04 16.12.04 17.12.04 17.12.04 17.12.04 24.12.04 24.12.04 24.12.04 25.12.04 25.12.04 25.12.04 27.12.04 28.12.04 29.12.04 29.12.04 29.12.04 29.12.04 30.12.04 30.12.04 31.12.04 31.12.04 01.01.05 01.01.05 02.01.05 04.01.05 04.01.05 05.01.05 05.01.05 05.01.05 05.01.05 06.01.05 07.01.05 07.01.05 08.01.05 10.01.05 11.01.05 12.01.05 13.01.05 13.01.05 14.01.05 14.01.05 14.01.05 01.02.05 02.02.05 02.02.05 03.02.05 04.02.05 04.02.05 04.02.05 04.02.05 05.02.05 07.02.05 07.02.05 Heure 9 9 9 11 17 10 10 10 10 10 10 10 9 9 9 9 9 9 9 9 10 10 10 10 9 9 10 10 10 10 11 9 9 10 10 10 10 9 11 11 11 10 10 10 12 12 9 9 9 9 9 9 10 10 10 10 10 9 9 9 Genre/Espèce C.saxatilis D.conspicill. D.conspicill. D.conspicill. D.conspicill. C.saxatilis C.leonhardii D.conspicill. C.triacantha Ramphotyphlops C.triacantha C.leonhardii C.saxatilis C.saxatilis C.leonhardii C.saxatilis D.conspicill. H.binoei C.saxatilis Ramphotyphlops D. conspicill. H.binoei G.purpurascens R.ornata C.saxatilis C.leonhardii C.leonhardii C.saxatilis R.ornata C.leonhardii C.leonhardii D.conspicill. C.leonhardii C.saxatilis C.leonhardii D.conspicill. C.leonhardii C.leonhardii C.saxatilis H.binoei C.triacantha D.conspicill. C.leonhardii C.saxatilis C.saxatilis C.saxatilis C.saxatilis C.leonhardii H.binoei H.binoei C.leonhardii C.saxatilis Demansia C.triacantha C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.triacantha C.leonhardii C.triacantha sexe M M F F M F M M F NA M NA F F F NA M F F NA M F F M F F F F M F F M F M F F M M NA NA F M F F M M M F NA F F F NA F M F F F F F LRC 7 5 5 5,2 5 7 7 4,5 4 NA 4 3 8 3 6,5 NA 4 3,5 7,5 NA 4,5 3 4 3 6,5 7 6,8 8 3,5 6,5 6,8 4,5 7 7,5 6,5 5,5 6 6,5 3,5 2,2 3,7 4,5 6,2 7 7,2 3,5 3,5 6,5 2 2,2 6,7 7 NA 4 7 7 6,5 4 6,5 4,1 LT recapture 19 oui 7 7 oui 7,5 7,2 21 NA 6 9,2 15 9 10 25 9 17,5 17,9 6 8 20 12 6,5 7 7 7 21 21 21 20,5 7 17 21 oui 7 16 24,5 20,5 7,5 17,5 19,5 11 5 10 6,5 19,2 22 23,2 11 oui 11 oui 19,5 5 4,5 15 19,7 25 6 17,5 20,5 19,5 oui 4,9 17,5 6,1 93 zone B1 N1 B2 B1 B1 B2 N1 B1 B1 B1 B2 B1 N1 N1 B1 B2 B1 B2 N1 B1 B1 N1 N1 B2 B1 B1 date 07.02.05 08.02.05 08.02.05 12.02.05 12.02.05 12.02.05 12.02.05 13.02.05 14.02.05 15.02.05 15.02.05 18.02.05 18.02.05 21.02.05 22.02.05 22.02.05 23.02.05 03.03.05 03.03.05 05.03.05 05.03.05 05.03.05 07.03.05 09.03.05 13.03.05 13.03.05 Heure 9 9 9 10 10 10 10 10 10 9 9 9 12 10 10 10 10 9 9 9 9 10 10 10 10 10 Genre/Espèce C.triacantha C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.triacantha C.saxatilis C.leonhardii C.triacantha C.leonhardii C.triacantha C.saxatilis C.leonhardii C.leonhardii C.saxatilis H.binoei C.saxatilis C.triacantha C.saxatilis C.saxatilis C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.saxatilis C.leonhardii C.triacantha sexe NA F F F F F M F F F M F M NA F NA F M F F M F F F F F LRC 3,1 6,7 7 6,2 3,4 7,4 3,2 4 6,2 4 7 7 5,7 3,4 4 7 4 8,5 4 7 6,5 6,9 5,7 7,2 6,2 3,5 LT recapture 3,7 20,7 18 20,2 4,4 21,4 6,7 6,5 19,2 11,5 20 19 17,7 8,9 10 22 oui 7,5 21 12,5 21 oui NA 19 oui 17,7 oui 23 19,3 4,5 Figure 16 : Liste brute des captures Avec : LRC = longueur rostre-cloaque en centimètres ; LT = longueur totale en centimètres. 2. Mesures d’abondances et présentation des données a) Mesures d’abondances relatives Pour les calculs d’abondances spécifiques sur chaque site (B1 et N1), il n’a été tenu compte que des lézards capturés lors de l’étude. Les serpents ont ainsi été écartés. 94 (1) Site B1 Espèce Dominance (%) Interprétation C. triacantha 21.9 Rare C. leonhardii 31.7 Commun C. saxatilis 14.6 Rare D. conspicillatus 19.5 Rare G. purpurascens 0 Très rare H. binoei 4.9 Très rare R. ornata 7.3 Rare Tableau 4 : Abondances relatives des lézards sur le site B1 Le tableau ci-dessus sera traduit en diagramme d’abondances du site B1 dans le paragraphe suivant pour plus de lisibilité. On peut déjà remarquer que la seule espèce considérée comme non rare est le scinque C.leonhardii. Il s’agit de l’espèce dominante sur le site. Les autres espèces sont rares ou très rares donc avec une dominance de moins de 25%. Aucun spécimen de G.purpurascens n’a été trouvé dans les pièges bien que cette espèce soit confirmée présente (observations personnelles). C’est une distribution classique en écologie : une ou deux espèces avec de grands effectifs et un grand nombre d’espèces avec de bien plus petits effectifs. Ce tableau donne une première vue de l’abondance relative des espèces de lézards à l’extérieur du parc donc avec une couverture dense en Cenchrus cilié (50.5%). Voyons maintenant la distribution obtenue à l’intérieur du parc (N1)… 95 (2) Site N1 Espèce Dominance (%) Interprétation C. triacantha 0 Très rare C. leonhardii 56.2 Abondant C. saxatilis 12.5 Rare D. conspicillatus 12.5 Rare G. purpurascens 6.2 Rare H. binoei 9.4 Rare R. ornata 3.1 Très rare Tableau 5 : Abondances relatives des lézards sur le site N1 Le tableau ci-dessus nous montre clairement que l’espèce dominante à l’intérieur du parc est encore une fois le scinque C.leonhardii. Il est considéré comme abondant tandis que toutes les autres espèces de lézards sont soit rares, soit très rares (dominance inférieure à 25%). La distribution des espèces sur le site reste donc classique bien que le schéma semble différent par rapport au site B1. Par exemple, l’espèce la moins représentée (aucune capture) est le scinque C.triacantha alors qu’en B1 il s’agissait du gecko G.purpurascens. Comparons maintenant la forme des diagrammes d’abondances relatives tracés à partir de ces données. b) Représentations graphiques Les méthodes graphiques peuvent servir à comparer tous les aspects de l’abondance relative des espèces, soit le nombre d’espèces, la dominance, la régularité. Cette façon de présenter ne nécessite par ailleurs aucune extrapolation ou supposition sur la théorie des niches. Il est souvent recommandé par les écologistes de représenter sous forme graphique l’abondance des espèces classées par ordre croissant ou décroissant d’abondance (22). Les représentations graphiques ne tiennent pas compte des deux espèces d’ophidiens capturées. Les espèces avec de très petits effectifs (comme Gehyra purpurascens) sont par contre représentées mais seront mises de côté pour les calculs statistiques ultérieurs. Les tracés ont été effectués par Microsoft Excel 7.0. 96 (1) Diagrammes d’abondance décroissante Les figures 17 et 18 ci-dessous traduisent simplement les données des deux tableaux présentés plus haut. L’allure de ces diagrammes est très classique, avec une seule espèce abondante (C.leonhardii) et toutes les autres moins communes : distribution log-normale. 31,7 21,9 19,5 14,6 7,3 oe i at a .b in rn .p C ur p R .s H .o illa tu ax at ilis s a 0 G D .c C on sp ic .tr ia ca nt h on ha rd .le C B1 4,9 ur as ce ns 35 30 25 20 15 10 5 0 ii Dominance(%) Abondances relatives en B1 Espèces Figure 17 : Diagramme d’abondance des lézards à l’extérieur du parc 56,2 6,2 a ia .tr C R 0 ca nt h at a 3,1 rn ur pu ra sc en s .b H N1 D G .c in s tu illa is C on sp ic ax at il .s on ha rd .le C 9,4 .o 12,5 .p 12,5 oe i 60 50 40 30 20 10 0 ii Dominances(%) Abondances relatives en N1 Espèces Figure 18 : Diagramme d’abondances relatives en lézards à l’intérieur du parc 97 Ces deux diagrammes doivent ensuite être décrits de telle façon qu’ils puissent nous permettre d’avoir une idée de la diversité spécifique de chaque site. A cet effet, nous utiliserons des index univariés de diversité (Simpson et Shannon - weaver) dans les paragraphes suivants. (2) Représentation des effectifs par site et par espèce Il est aussi intéressant de représenter le nombre d’individus de chaque espèce en fonction du traitement (donc du site). C’est ce que nous avons fait dans le graphique de la figure 19 ci-dessous. Avec ces données, il est alors possible de comparer les distributions par les tests de Pearson et Fisher… 5 6 0 4 4 B1 0 oe i s ur as ce ns 1 N1 H .b in tu illa 3 ur p .p G D .c on sp ic C C .le .s ax at il on ha rd is a ca nt h ia .tr C 2 3 2 ii 0 8 at a 10 13 9 rn 15 18 .o 20 R Nombre d'individus Effectifs par espèce et par site Espèces Figure 19: Nombre d’individus de chaque espèce selon le site Nous remarquons que le nombre d’individus capturés, selon les espèces, peut varier de manière considérable en fonction du site de capture. Par exemple, il semble y avoir plus de C.triacantha à l’extérieur du parc et plus de C.leonhardii à l’intérieur. Mais ces différences sont-elles significatives ? Pour le vérifier, nous allons établir une table de contingence puis effectuer des tests de comparaison de distribution… c) Table de contingence La table ci-dessous (Tableau 6) représente les différents effectifs par site et par espèce, permettant de réaliser un test de Pearson puis un test exact de Fisher avec les données dont nous disposons. Les espèces à trop petits effectifs sont éliminées (G.purpurascens) pour satisfaire aux conditions d’utilisation des tests statistiques. 98 Espèces B1 N1 Total C.triacantha 9 0 9 C.leonhardii 13 18 31 C.saxatilis 6 4 10 D.conspicillatus 8 4 12 H.binoei 2 3 5 R.ornata 3 1 4 Total 41 30 71 Tableau 6: Table de contingence (Espèces-sites) Le nombre total d’animaux capturés, tous sites confondus, monte à 71 animaux. Il y a donc 41 captures effectuées à l’extérieur du parc contre 30 à l’intérieur. L’espèce la plus capturée est aussi, nous l’avons déjà noté, la plus abondante sur les deux sites d’étude : C.leonhardii. Voyons si le facteur « site » influence la répartition des espèces (en effectifs capturés)... 3. Tests de comparaison des distributions a) Test de Pearson Nous testons ici l’hypothèse nulle c’est-à-dire l’hypothèse selon laquelle les facteurs « site » et « espèces » sont indépendants. Sous cette hypothèse (si elle n’est pas rejetée), les effectifs de chaque espèce ne sont pas significativement différents selon le site (B1 ou N1). Les différences alors observées dans notre table de contingence (Tableau 6) peuvent alors être seulement dues au hasard et non au type de site où les captures sont effectuées. L’hypothèse nulle est ici testée classiquement avec un risque α de se tromper de 5% (α=0.05). Le test de Pearson réalisé avec R sur notre table de contingence donne ainsi pour résultat : χ2(théorique) =11.307 ; α = 0.05 ; p-valeur = 0.04562 On a ici une p-valeur (degré de signification) légèrement inférieure à alpha (risque) ce qui implique que le χ2(observé) est supérieur au χ2(théorique) d’où un rejet de l’hypothèse nulle testée. On en déduit que les facteurs « espèces » et « site » ne sont pas indépendants. Ainsi, la répartition du nombre d’animaux capturés dépend du site de capture. Mais quelle est alors l’influence de ce site ? En fait, l’influence semble différente selon l’espèce de lézard considérée. Voici, présentées dans le tableau 7 ci-dessous, les valeurs attendues par le test sous l’hypothèse nulle : 99 Espèces B1 N1 C.triacantha 5.197 3.802 C.leonhardii 17.901 13.098 C.saxatilis 5.774 4.225 D.conspicillatus 6.929 5.070 H.binoei 2.887 2.112 R.ornata 2.309 1.690 Tableau 7 : Valeurs théoriques attendues par le test de Pearson Signalons tout de suite que la troisième condition, vue plus haut, pour appliquer un test de Pearson, n’est pas remplie ici. De nombreuses cellules ont des effectifs inférieurs à 5. C’est pour cette raison que nous allons confirmer (ou infirmer) nos résultats par un test exact de Fisher dans le paragraphe suivant. Mais retournons à nos valeurs théoriques cidessus. Comparées aux valeurs observées de la table de contingence (Tableau 6), on s’aperçoit qu’il n’y a approximativement pas de différence pour deux espèces : C.saxatilis (Scincideae) et R.ornata (Gekkonideae). Ces deux espèces sont peu (ou pas) influencées par le site pour leur distribution. Par contre, toutes les autres espèces de lézards ont des effectifs observés différents. On note donc que C.triacantha (Scincideae) et D.conspicillatus (Gekkonideae) sont deux espèces qui se trouvent en plus grand nombre à l’extérieur du parc. A l’opposé, les espèces C.leonhardii (Scincideae) et H.binoei (Gekkonideae) sont en plus grand nombre à l’intérieur du parc, où le Cenchrus cilié est enlevé. Réalisons maintenant un test exact de Fisher sur la même table de contingence (Tableau 6) par soucis de précision : les effectifs sont en effet très petits et une p-valeure exacte peut être intéressante pour ajouter du crédit au résultat précédent. b) Test exact de Fisher Le test réalisé avec le logiciel R nous donne une valeur de 0.02562 pour le degré de signification ce qui est largement inférieur au risque alpha (0.05). Ce résultat confirme donc le rejet de l’hypothèse d’indépendance des deux facteurs « site » et « espèce » (51). Il y a bien deux espèces que l’on retrouve en nombre significativement supérieur dans le parc et deux autres espèces en plus grand nombre à l’extérieur (Tableau 8 ci-dessous). 100 Espèces avec effectifs significativement Espèces avec effectifs significativement supérieurs à l’intérieur du parc (site N1) supérieurs à l’extérieur du parc (site B1) C.leonhardii C.triacantha H.binoei D.conspicillatus Tableau 8 : Résultat des tests de comparaison des distributions Nous savons désormais que le site modifie la répartition des espèces de lézards. On peut maintenant se demander si l’un des sites a une diversité animale, une richesse spécifique supérieure à l’autre. En effet, leur état de conservation est-il identique ? 4. Mesures de diversité interspécifique a) Richesse en espèce La richesse en espèces, notée S, est tout simplement le nombre total d’espèces différentes capturées sur chaque site d’étude. C’est la mesure la plus simple de la diversité d’un site pour une étude écologique. Les valeurs sont obtenues en comptabilisant toutes les espèces de lézards répertoriées dans le graphique de la figure 18 et cela pour chaque site. On obtient le résultat suivant : S = 6 pour les deux sites étudiés (B1 et N1). La richesse spécifique est donc identique que l’on soit à l’intérieur ou à l’extérieur du parc ! b) Index de Simpson Le calcul de l’index de diversité de Simpson est réalisé à partir des effectifs observés du graphique présenté dans la figure 19 plus haut. Nous avons dans un premier temps calculé la valeur de la Concentration ( C ) pour chaque site puis celle de la Diversité (D). Comme nous l’avons vu, cet indice tient maintenant compte à la fois de la richesse spécifique et du nombre d’individus de chaque espèce sur les sites étudiés. Les résultats obtenus sont présentés dans le tableau ci-dessous (Tableau 9) : Extérieur du parc (site B1) Intérieur du parc (site N1) Concentration 0.196 0.341 Diversité (1-C) 0.804 0.659 Tableau 9 : Valeurs de l’index de Simpson pour les sites B1 et N1 101 Les résultats obtenus avec l’index de diversité de Simpson montrent donc une diversité interspécifique légèrement supérieure pour l’extérieur du parc, riche en Cenchrus cilié. Même si la richesse spécifique de chaque site est identique, le fait que plus d’animaux aient été capturés en B1 sur une même période fait pencher la diversité en faveur de ce site. De plus, la dominance écrasante de l’espèce C.leonhardii à l’intérieur du parc diminue sa diversité spécifique. Voyons maintenant les valeurs obtenues avec l’index de Shannon-Weaver… c) Index de Shannon-Weaver Les valeurs de l’entropie (H) sont encore une fois calculées grâce aux effectifs observés sur le graphique de la figure 19. Nous avons aussi calculé la régularité (J) de manière à avoir une valeur de la diversité interspécifique relative (6) ce qui permet de comparer les résultats obtenus avec ceux d’autres études. Les valeurs trouvées sont alors rassemblées dans le tableau 10 ci-dessous. Extérieur du parc (site B1) Intérieur du parc (site N1) H (Entropie) 0.71 0.58 S (Richesse) 6 6 J (Régularité) 0.91 0.74 Tableau 10: Valeurs de H, S et J d’après l’index de Shannon-weaver On remarque tout d’abord que les valeurs de l’Entropie de Shannon sont basses (inférieures à 1.5) sur les deux sites explorés. Cela s’explique par la présence d’une espèce dominante (C.leonhardii) comme dans un écosystème en phase de colonisation par des espèces pionnières. Ensuite, si l’on compare les valeurs de la régularité pour les deux sites, on voit que l’extérieur du parc (B1) présente une régularité supérieure ce qui est en accord avec les mesures faites avec l’index de Simpson. Ces valeurs confirment donc le fait que la diversité interspécifique est légèrement plus importante sur le site B1, où le Cenchrus cilié recouvre 50.5% de la surface du sol. D. Discussion Les résultats obtenus jusqu’à présent, contre toute attente, révèlent une distribution des espèces de lézards différente en fonction des sites considérés qui varient eux-mêmes principalement par le pourcentage de couverture du sol par le Cenchrus cilié. Deux espèces, parmi toutes celles qui ont été capturées, semblent être présentes en plus grands effectifs à l’intérieur du parc (C.leonhardii et H.binoei) tandis que deux autres (C.triacantha et D.conspicillatus) ont des effectifs supérieurs à l’extérieur, sur le site B1 recouvert d’herbe exotique. 102 Par ailleurs, les mesures de diversité et de richesse spécifiques montrent que si la richesse semble identique entre les deux zones, la diversité, par contre, est légèrement supérieure à l’extérieur, là où le Cenchrus cilié domine la flore. Le schéma apparemment évident de simplification rencontré dans les communautés d’invertébrés étudiées par BEST (1998) ne semble pas se produire avec les lézards présents sur nos sites. En effet, si l’abondance en C.leonhardii et H.binoei est plus importante sur le site N1, par rapport à B1, la diversité spécifique reste tout-de-même en faveur du site B1 où la plante forme quasiment une monoculture. Mais peut-on déduire directement de ces résultats que le Cenchrus cilié n’entraîne pas une chute de la diversité spécifique en petits lézards terrestres près d’Alice Springs ? La réponse est non. Nous allons voir pourquoi… 1. Limites liées aux pièges utilisés Les pièges utilisés, nos seaux enterrés avec des barrières de faible hauteur, sont évidemment loin d’être parfaits et compter capturer tous les individus d’une population de lézards, en un site, relève de l’impossible. L’échantillonnage alors réalisé est fortement influencé, nous l’avons vu, par le type de piège utilisé. Dans notre cas, l’échantillonnage présenté quelques limitations qu’il faut garder à l’esprit. a) Echantillonnage (1) Différentes strates Avec des pièges disposés ainsi dans le sol, sur une zone ouverte et plate (comme c’est le cas en B1 et N1), il ne faut pas compter capturer beaucoup de lézards arboricoles. C’est pour cette raison que nous n’avons trouvé quasiment que des animaux terricoles, vivant à même le sol et creusant pour la plupart des terriers (ou utilisant ceux d’autres animaux). Lorsque nous mesurons la richesse spécifique des sites avec cet échantillonnage, nous occultons donc des espèces arboricoles. Mais ce ne sont pas les seules espèces « oubliées ». De la même façon, les lézards qui ne parcourent pas leur territoire constamment à la recherche de nourriture ou pour chasser des intrus, comme les Agamideae (Pogona vitticeps etc...), ont peu de chance de tomber dans ces pièges. Il en va de même pour les grandes espèces, capables alors de ressortir aisément des seaux une fois dedans (Lophognathus longirostris par exemple). Il est donc clair que l’échantillonnage se fait par strates et que les mesures effectuées ultérieurement ne reflètent pas complètement la situation sur les sites étudiés. Voyons une autre limite de l’échantillonnage dans notre étude mais, cette fois-ci, à cause du Cenchrus cilié. (2) Visibilité des pièges selon les sites Les filets servant de barrière pour guider les lézards jusqu’aux seaux sont d’une hauteur modeste (30 centimètres) mais restent toutefois visibles à distance pour certains lézards. C’est particulièrement vrai lorsque la strate herbacée est peu dense, conférant une bonne visibilité aux animaux. Le site N1, à l’intérieur du parc est ainsi vierge de Cenchrus cilié ce qui fait que la couverture végétale au niveau du sol est nettement plus faible qu’en B1. Les pièges sont alors plus visibles, non masqués par de grosses touffes d’herbe. Ce point peut réduire éventuellement le nombre de captures en N1, mais cela reste à quantifier. (3) Espèces rares 103 Il est clair que des espèces présentes en très petits effectifs dans les populations échantillonnées ont une probabilité d’autant plus faible d’être capturées. Ce sont les espèces rares (une capture, parfois zéro lors de l’étude). Citons par exemple le scinque Menetia greyii (une seule capture en 3 mois, sur le site B2 qui plus est). Il est bien sûr difficile d’étudier l’influence du Cenchrus cilié sur ces espèces… b) Prédation Le fait que des lézards tombent dans des seaux et y restent un certain temps, jusqu’à ce que le manipulateur vienne les récupérer, les expose à la prédation par des oiseaux de proie. Ces oiseaux sont bien représentés dans le centre de l’Australie et ils ont été vus à plusieurs reprises en train de tourner autour des pièges (B1 comme N1). De même des serpents, qui peuvent s’extirper facilement des trappes, peuvent être attirés par ces proies faciles, bloquées au fond des seaux. On ne peut donc pas exclure la perte de lézards lors de l’échantillonnage, à cause de ces prédateurs. On en revient encore à la même conclusion : notre étude nous donne seulement un aperçu de la situation sur nos sites. Cependant, remarquons que même si les pièges sont loin d’être parfaits, ils sont également biaisés, que l’on soit à l’intérieur ou à l’extérieur du parc ! De ce fait, notre étude n’est pas faussée (6). Mais, les défauts imputables aux pièges utilisés ne sont malheureusement pas les seuls. Il faut maintenant se demander si le Cenchrus cilié, sujet de notre étude, est le seul facteur qui différencie nos sites B1 et N1. 2. Facteurs autres que le Cenchrus cilié pouvant biaiser l’étude a) Incendies (1) « Effet Cenchrus » Nous avons déjà vu en détail comment le Cenchrus cilié peut augmenter notablement la fréquence, l’intensité et la zone de propagation d’un incendie. Le résultat est bien évidemment désastreux pour la faune comme la flore des milieux touchés. Les lézards ne sont pour la plupart pas épargnés. On pourrait s’attendre logiquement à ce que la dense couverture du sol par cette herbe entraîne une diminution de l’abondance en lézards. Ce serait « l’effet Cenchrus », qui reste quand-même à démontrer. Mais rappelons-nous que notre site B1 est sur le domaine du parc d’Alice Springs. Il n’est pas situé n’importe où dans le bush australien. Il est alors important de considérer « l’effet parc »… (2) « Effet parc » Le site B1 se trouve effectivement près de la route principale qui mène les visiteurs à l’entrée du parc. C’est donc une zone, comme tout le périmètre autour du parc, qui est surveillée de façon intensive par des rangers et qui est protégée par des chemins pour couper la progression du feu. Etant une zone privilégiée de ce point de vue, l’effet indirect le plus néfaste du Cenchrus cilié est alors atténué en B1. Il est possible que les mesures d’abondance et de diversité spécifique soient différentes et s’orientent vers une simplification des écosystèmes (par homogénéisation) sur des zones brûlées plus fréquemment. Toutefois, il est bon de rappeler que l’autre site (N1) se 104 trouve au beau milieu du parc et il s’agit évidemment d’une zone encore plus protégée. Ainsi, l’effet direct du Cenchrus cilié sur les lézards peut être apprécié sans se soucier de l’impact des feux qui compliquent l’interprétation des résultats (comment identifier la cause de l’incendie ?). Mais une vraie différence, autre que la densité en Cenchrus cilié, existe entre l’intérieur et l’extérieur du parc : le site N1 est en effet situé à l’intérieur de la « core area », limitée par des barrières électriques de plus de deux mètres de haut. b) Barrières électriques Ces barrières grillagées d’environ 2.50 mètres de hauteur sont installées tout autour du parc accessible au visiteurs ainsi que de l’aire de service. Elles permettent uniquement le passage de petits animaux terrestres (petits lézards, serpents, petits mammifères etc) car le courant passe seulement au sommet (Cf photographie présentée en annexe 3). Elles sont placées autour du parc dans un but de protection, de conservation d’un écosystème fragile ainsi que pour éviter l’entrée de personnes mal intentionnées dans les bâtiments à accès limité. Ces barrières ont deux effets particuliers qui nous intéressent dans le cadre de notre étude… (1) Exclusion de certains mammifères Depuis l’arrivée des colons européens, un grand nombre d’espèces non endémiques ont été introduites en Australie. Certaines se sont très bien adaptées et ont pu se développer avec célérité, n’ayant parfois aucun prédateur. Toutes les conséquences sérieuses de ces introductions massives et irréfléchies ne sont pas encore mesurables mais divers écologistes ont depuis longtemps tiré la sonnette d’alarme. Les lapins ont été un véritable fléau (et ce n’est pas fini), les chameaux défigurent le paysage du centre du continent et les chiens, les chats comme les renards pullulent tout en menaçant des centaines d’espèces endémiques. C’est pour barrer le route à ces deux dernières espèces de mammifères carnivores que les barrières du parc ont été bâties. Bien que le comportement alimentaire de ces espèces soit encore sujet à débat, il existe des faits incontestables qui en font d’importants consommateurs de petits mammifères, oiseaux et lézards natifs (11). En ce qui nous concerne, les chats semblent consommer en priorité de petits mammifères (lapins surtout) et se rabattre en temps de disette (sécheresse) sur les oiseaux et lézards endémiques (11). Certains auteurs pensent que la consommation de lézards par les chats reste un complément, un appoint dans le régime alimentaire. Ce n’est pas la proie recherchée en premier lieu. Ils consommeraient aussi des lézards nocturnes. Il est de plus difficile d’obtenir des chiffres sur le nombre de chats errants autour du parc d'Alice Springs mais il est probable que leur nombre soit conséquent. Ainsi, leur exclusion par la barrière électrifiée du site N1 est un facteur essentiel à considérer pour notre étude ! L’équation paraît simpliste : moins de prédateurs entraîne une plus forte abondance en lézards (nocturnes surtout) sur le site N1, comparé à B1 où les chats sauvages ou errants sont nombreux. Cela pourrait être un biais insurmontable dans notre étude mais n’oublions pas d’autres prédateurs qui ont leur rôle à jouer : les varanidés et les oiseaux de proie. 105 (2) Concentration des gros varanidés Le « perentie » ou varan géant australien (Varanus giganteus) est le deuxième plus grand lézard au monde, juste derrière le varan de Komodo. Il peut atteindre la respectable longueur de 2.50 mètres (queue comprise). C’est un gros consommateur naturel de lézards et serpents australiens, en plus des mammifères, oiseaux et gros insectes qui constituent son régime régulier. Depuis trois ans, ces varans sont repérés de plus en plus souvent dans l’enceinte du parc. Ce sont des spécimens de taille importante, sub-adultes à adultes. En trois mois, nous en avons repérés quasiment un nouveau spécimen par semaine ! Ces animaux ont normalement un territoire très vaste, qu’ils parcourent sans cesse pour rechercher des proies potentielles. Certains spécimens se déplacent sur plus d’un kilomètre par jour (33). Les jeunes animaux peuvent bien entendu traverser le grillage de la barrière électrique, ce n’est pas un obstacle. Par contre, les gros spécimens sont « piégés » dans l’enceinte du parc qui constitue maintenant un territoire de surface réduite. Ils sont donc concentrés à l’intérieur ce qui explique le nombre d’animaux observés depuis quelques années. Le développement de leur population se stabilisera donc selon les ressources disponibles dans ce territoire quelque peu exigu. Mais pour l’heure ils sont nombreux (il faudrait d’ailleurs les comptabiliser) et consomment en journée beaucoup de petits lézards terrestres (diurnes) situés dans la « core area » du parc. Il est donc probable que cette concentration de varans géants compense efficacement la consommation de lézards diurnes par les chats, chiens, renards et oiseaux sauvages… Enfin, dans tous les cas, en l’absence d’études précises pour obtenir des chiffres fiables en ce qui concerne la consommation de lézards par les chats, les varans et autres prédateurs, on ne peut que soulever le problème posé par cette barrière électrique et ainsi nuancer les conclusions de notre étude. De plus, nos résultats en terme d’abondance ne font pas ressortir une préférence des geckos nocturnes pour l’intérieur (sans chats) ni une préférence des scinques diurnes pour l’extérieur (moins de varans). La barrière n’est donc pas forcément un biais. c) Irrigation La dernière différence entre l’intérieur et l’extérieur du parc est constituée par la présence d’un système d’irrigation favorable aux animaux dans la zone d’accès au public. Cela pourrait encore être un biais important mais le site N1 à l’intérieur du parc ne présente pas de système d’arrosage propre. La zone irriguée la plus proche se situe à une centaine de mètres à l’ouest. Cela peut cependant suffire pour attirer de nombreux prédateurs comme les oiseaux. En définitive, nos deux sites de travail, où les pièges sont disposés, diffèrent principalement par la présence ou non du Cenchrus cilié mais il faut aussi tenir compte des facteurs « irrigation » et « barrière électrique ». Cependant, une telle étude ne nécessite-t-elle pas un nombre supérieur de sites ? 106 3. Problème lié au nombre de sites de l’étude Tout notre travail est basé sur la comparaison d’échantillons de populations de lézards provenant de seulement deux sites différents B1 et N1. Il est évident que la valeur, la signification des résultats serait bien supérieure si l'on disposait de plusieurs sites avec Cenchrus cilié et de plusieurs autres sites sans cette herbe. Une analyse statistique solide des résultats serait alors possible. On pourrait affiner notre étude de l’impact de cette plante exotique sur les lézards de la région d’Alice Springs. Toutefois, même avec deux sites, on peut commencer à se faire une idée de ce qui se passe lorsqu’un site est envahi. Il faudra simplement répéter l’expérience pour confirmer ou infirmer les résultats obtenus. E. En résumé 1. Signification des résultats obtenus Si l’on compare à nouveau les deux sites étudiés, on remarque que l’intérieur du parc (site N1) semble être, théoriquement du moins, un milieu plus favorable à la faune reptilienne, lézards en particulier. En effet, les barrières empêchent les chiens, renards et chats errants de pénétrer, il y a de l’eau (irrigation) à proximité, la diversité spécifique de la flore native est conservée, les communautés d’invertébrés ne sont pas bouleversées (6) grâce à l’absence du Cenchrus cilié. Ce site semble donc être une réserve rêvée pour les lézards. Pourtant, nos résultats ne montrent pas une abondance des espèces ainsi qu’une diversité interspécifique en lézards terrestres clairement plus élevées par rapport au site B1. L’abondance de deux espèces (C.leonhardii et H.binoei) est effectivement supérieure mais celle de deux autres (D.conspicillatus et C.triacantha) est diminuée. Les autres espèces répertoriées semblent d’abondances similaires en B1 et N1. Au surplus, étrangement, la diversité spécifique est légèrement inférieure à celle mesurée à l’extérieur du parc où le Cenchrus cilié prospère allègrement ! Même si, comme nous l’avons dit, ces résultats restent à confirmer par d’autres études, on peut se dire que l’influence directe du Cenchrus cilié sur les petits lézards terrestres paraît différente de celle qu’il a sur la flore native ou les invertébrés. Elle est en tout cas plus mitigée. Les espèces étudiées ici sont très majoritairement insectivores généralistes. Elles doivent pouvoir s’adapter à une modification des communautés d’insectes même si l’évolution provoquée par le Cenchrus cilié va dans le sens, en général, d’un simplification (6). Les lézards modifient souvent leur régime alimentaire pour l’orienter vers les proies les plus accessibles (14). De même, la présence de nombreuses touffes denses de Cenchrus cilié pourrait leur fournir beaucoup d’abris, rendant leur fuite plus aisée que sur un sol nu face aux prédateurs. Evidemment, ce ne sont là que des tentatives d’explication de nos résultats, d’autres recherches sont nécessaires pour avancer. 107 Mais tout ce que nous venons d’évoquer ne doit absolument pas occulter deux points fondamentaux. Premièrement, nous n’avons travaillé que sur une poignée d’espèces de lézards terrestres. Il existe bien d’autres espèces, appartenant même à d’autres familles, qui ont des habitudes alimentaires et des mœurs radicalement différents, et qui réagissent peut-être de façon opposée à l’invasion par le Cenchrus cilié. Nous ne devons donc pas généraliser nos observations à d’autres espèces de lézards. Deuxièmement, nous n’avons pas tenu compte dans notre travail de l’effet le plus préjudiciable du Cenchrus cilié dans un écosystème, un effet indirect aux lourdes conséquences : l’incendie. L’augmentation de leur fréquence, de leur intensité ainsi que de leur distance de propagation (43) a forcément un effet délétère sur les populations de lézards, terrestres ou arboricoles. L’abondance des diverses espèces et la diversité interspécifique du milieu s’en voit nécessairement diminuée ! C’est de plus un véritable cercle vicieux car le Cenchrus répond positivement aux incendies : sa densité augmente encore après chaque feux pour atteindre, à certains endroits, pas loin de 100%, constituant une vraie bombe à retardement (39)… 2. Moyens à mettre en œuvre dans le futur Pour commencer, il serait judicieux de mettre en route rapidement des programmes de recherche pour étudier l’impact du Cenchrus cilié sur les vertébrés. On ne peut en effet se contenter de faits rapportés et d’impressions vagues sur un sujet aussi sensible. Une autre étude de l’effet de cette plante sur les lézards de la région d’Alice Springs devrait être réalisée avec, pour commencer, un plus grand nombre de sites. Le choix de ces sites devra se faire de façon à vraiment éliminer tout autre facteur (plus de barrière ou d’irrigation) et de manière à évaluer l’effet des incendies induits par le Cenchrus cilié. Enfin, les sites comportant du Cenchrus cilié devront présenter des densités de couverture diverses (disons de 20 à 90%) pour avoir une vue plus complète de ce qui peut se passer. Ensuite, étant donné la propagation continue du Cenchrus cilié à l’heure actuelle ainsi que le risque élevé de nouvelles introductions, il faut se demander si une solution à long terme au problème est trouvable. A l’échelle d’un continent, il faut se munir rapidement d’une compréhension claire des régions géographiques les plus « à risque », qui doivent ensuite coïncider avec les zones de contrôle prioritaires. A cet effet, un modèle d’évaluation du risque doit être développé (48). Il est vrai que le contrôle de la propagation du Cenchrus cilié a un prix mais ce prix doit être relativisé par la mise en péril d’écosystèmes uniques. En outre, le Cenchrus cilié continue d’être planté par certains propriétaires terriens (pas seulement en Australie d’ailleurs) et cette dichotomie dans la gestion de l’environnement est un problème qui doit être abordé de toute urgence, avant que le Cenchrus cilié ne s’installe irrémédiablement (12). 108 Conclusion Constatant d’une part l’invasion à vive allure du continent australien par le Cenchrus cilié, et, d’autre part, le manque cruel d’informations scientifiques concernant son impact sur la faune vertébrée, nous avons tenté une étude structurée de l’effet de cette plante sur la diversité spécifique et l’abondance en petits lézards terricoles à Alice Springs. Nous avons à cet effet travaillé sur deux zones : l’une avec Cenchrus cilié et l’autre sans. Les animaux étant capturés grâce à des pièges adaptés. Même si notre étude a montré que l’effet direct du Cenchrus cilié sur certaines espèces de lézards terrestres n’est pas forcément mauvais, la modification des régimes d’incendie par cette plante reste une menace sans précédent pour l’Australie. En effet, l’impact d’une augmentation de l’intensité et de la fréquence de ces feux est de loin le plus important et le plus délétère (39). Nous avons vu que les transformations radicales imposées à l’environnement australien sont aujourd’hui à l’origine du plus gros problème écologique auquel fait face le pays : la perte de sa biodiversité et la mise en péril de certains écosystèmes (2). Le cas du Cenchrus cilié n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Citons encore une fois, pour mémoire, les espèces animales introduites comme les chameaux, les chats errants etc… Ce sont des problèmes d’actualité en Australie. Les dirigeants ont conscience de tout cela. Pourtant, il y a très peu d’avancées positives en écologie: les politiciens ne se soucient guère de réduire l’effet de serre (Kyoto, 1997), autorisent l’exploitation de mines d’uranium dont les principales concessions sont situées au cœur de Kakadu National Park, inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité et sacré pour le peuple aborigène (29,16) . Il s’agit maintenant de considérer plus sérieusement le problème posé par cette herbe africaine, en commençant déjà par placer le Cenchrus cilié sur la liste officielle des « mauvaises herbes ». Ensuite, il est évident que l’Australie devrait tirer avantage de sa position isolée (car c’est une île, ne l’oublions pas) pour mettre en place un contrôle strict de l’importation de plantes venant de pays étrangers (6) et pour que l’histoire ne se répète pas une fois encore. 109 110 Bibliographie : 1. ABBAYES H., CHADEFAUD M., FERRE Y., FELDMANN J., GAUSSEN H., GRASSE P.P., LEREDDE M. C., OZENDA P., PREVOT A.R., 1963. Botanique. Ed. 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Journal The Web…juin. 115 116 Annexes Annexe 1 (source : ASDP) Précipitations mois de janvier 2005 Pluie (en mm) 10 8 6 Série1 4 2 31 28 25 22 19 16 13 10 7 4 1 0 jours Graphique présentant les précipitations du mois de janvier 2005 à Alice Springs Températures moyennes janvier 2005 degrés celsius 35 30 25 20 janv-05 15 10 5 31 28 25 Jours 22 19 16 13 10 7 4 1 0 Graphique présentant les températures moyennes (jour/nuit) en janvier 2005 à Alice Springs 117 Annexe 2 zone b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 b1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 date 18/11/2004 20/11/2004 20/11/2004 16/12/2004 30/12/2004 31/12/2004 05/01/2005 04/02/2005 12/02/2005 14/02/2005 18/02/2005 05/03/2005 13/03/2005 15/12/2004 24/12/2004 30/12/2004 05/01/2005 12/01/2005 13/01/2005 08/01/2005 04/02/2005 07/02/2005 07/02/2005 12/02/2005 13/02/2005 15/02/2005 23/02/2005 13/03/2005 23/11/2004 26/11/2004 02/12/2004 10/12/2004 14/12/2004 16/12/2004 29/12/2004 05/01/2005 29/12/2004 22/02/2005 07/12/2004 09/12/2004 01/01/2005 18/11/2004 19/11/2004 01/12/2004 04/12/2004 17/12/2004 24/12/2004 01/01/2005 04/01/2005 05/01/2005 06/01/2005 11/01/2005 14/01/2005 02/02/2005 04/02/2005 07/02/2005 mois november november november december december december january february february february february march march december december december january january january january february february february february february february february march november november december december december december december january december february december december january november november december december december december january january january january january january february february february Heure 9 14 14 10 9 10 10 10 10 10 9 9 10 10.3 9 9 10 10 12 11 10 9 9 10 10 9 10 10 9 9 9 9 11 10 10 10 10 10 9 13 10 11 10 10 10 10 9 10 9 10 9 10 9 9 10 9 Genre/Espece C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.saxatilis C.saxatilis C.saxatilis C.saxatilis C.saxatilis C.saxatilis Carliatriac. Carliatriac. Carliatriac. Carliatriac. Carliatriac. Carliatriac. Carliatriac. Carliatriac. Carliatriac. D.conspic. D.conspic. D.conspic. D.conspic. D.conspic. D.conspic. D.conspic. D.conspic. Heteronotia Heteronotia Rhynchoedura Rhynchoedura Rhynchoedura C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii sexe NA F M M F F F M F F F M F F F F M F M F F F NA F F F F F F M F M F M M F F F F M M F F NA NA NA F F F M M F F F F F LRC NA 7 7 7 7 6.8 6.5 7 6.2 6.2 7 6.5 6.2 7 8 6.5 7.5 7 7.2 3.7 4 4.1 3.1 3.4 4 4 4 3.5 6 4.5 5 5 5.2 4.5 4.5 5.5 3 4 4.5 4 3.5 7 5.5 NA 7.5 3 6.5 6.5 7 6 6.5 6.2 6.5 6.7 7 6.5 LT NA 12 21 NA 21 21 20.5 17.5 20.2 19.2 19 NA 19.3 21 25 21 24.5 22 23.2 10 6 6.1 3.7 4.4 6.5 11.5 7.5 4.5 7.5 4.5 7 7 7.5 6 6.5 7.5 7 10 6 6 7 19 16 NA 21 10 17.5 17 16 17.5 19.5 19.2 19.5 15 20.5 17.5 118 zone n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 n1 date 08/02/2005 12/02/2005 18/02/2005 03/12/2004 24/12/2004 21/02/2005 03/03/2005 30/11/2004 14/12/2004 25/12/2004 10/01/2005 25/12/2004 07/01/2005 01/02/2005 29/12/2004 mois february february february december december february march november december december january december january february december Heure 9 10 12 10 9 10 9 10 17 9 10 9 11 9 10 Genre/Espece C.leonhardii C.leonhardii C.leonhardii C.saxatilis C.saxatilis C.saxatilis C.saxatilis D.conspic. D.conspic. D.conspic. D.conspic. Heteronotia Heteronotia Heteronotia Rhynchoedura sexe F M M M F NA F F M M M F NA F M LRC 6.7 3.2 5.7 5 3 3.4 4 4 5 4 4.5 3.5 2.2 2.2 3 LT 20.7 6.7 17.7 12.5 9 8.9 12.5 5 7.2 6 6.5 8 5 4.5 7 Données simplifiées, sans les captures en B2 et sans les animaux recapturés. 119 Annexe 3 La barrière électrique entourant le «cœur » du parc : 120 Annexe 4 B1 Barrière électrique N1 B2 Carte du parc (où se trouvent B1, B2 et N1) avec les courbes de niveau 121 122 123 CARON NICOLAS Contribution à l’étude de l’impact du Cenchrus cilié (Cenchrus ciliaris) sur la faune reptilienne terricole dans la région d’Alice Springs -AustralieThèse vétérinaire : Lyon, le 1er décembre 2005 RESUME : Le Cenchrus cilié est une plante herbacée de la famille des Poacées qui colonise actuellement l’Australie et suscite ainsi de nombreuses interrogations concernant son impact sur la faune autochtone. Après une présentation de la biogéographie du continent, ce travail de thèse souligne quelques points importants d’écologie de manière à évaluer l’influence du Cenchrus cilié sur ces animaux puis passe en revue les données scientifiques actuelles sur cette plante. La partie expérimentale se propose ensuite de mesurer l’effet du Cenchrus cilié sur la diversité spécifique et l’abondance en petits lézards terricoles à Alice Springs, au moyen de pièges adaptés : l’un avec Cenchrus cilié et l’autre sans. Il en ressort que l’impact direct de cette plante est à la fois modéré et variable selon les espèces. Cependant, il semble que l’augmentation de l’intensité et de la propagation des incendies à cause de celle-ci soit de loin l’effet le plus délétère pour l’environnement australien. MOTS CLES : -Lézards -Herbe -Ecologie -Cenchrus JURY : Président : Monsieur le Professeur Claude GHARIB 1er Assesseur : Madame le Docteur Germaine EGRON-MORAND 2 ème Assesseur : Monsieur le Professeur Antoine LACHERETZ DATE DE SOUTENANCE : 1er décembre 2005 ADRESSE DE L’AUTEUR : 16 rue Caporal Pierre Avignon 34430 St Jean de Védas 124