Entre Sport et politique : les jeux de la Communauté à

Entre Sport et politique : les jeux de la Communauté à
Madagascar (Avril 1960)
Evelyne COMBEAU-MARI
Il nous a semblé inressant dans l’ensemble de la réflexion sur l’histoire
de Madagascar au XXe siècle, en nous attachant plus particulièrement à la
phase de décolonisation et aux conditions d’accès à l’Indépendance, de revenir
sur un énement sportif international marquant : « les jeux de la Commu-
nauté » qui se déroulent en avril 1960 à Tananarive. Leur organisation s’inscrit
dans le cadre d’une structure politique originale : La Communauté créée en 1958
à l’initiative du Général de Gaulle. Curieusement, cette institution n’a gre
inspiré d’études historiques spécifiques. En dehors de l’ouvrage bien
documenté de Néra G, La Communauté, Paris, P.U.F, Que sais-je ?, mais qui,
paru au troisième trimestre de l’année 1960, manque nécessairement de recul
et d’analyse critique, les différents auteurs1 qui traitent de la décolonisation
abordent cette question en quelques lignes. Peut-être faut-il attribuer le
sintét des historiens à la courte vie de cette institution ? deux ans, « morte-
née2 » selon l’expression de Bourgi A.
Nous avons pen, à l’inverse quà l’heure de la décolonisation marquée
par les tensions et ressentiments, cette structure bien qu'éphémère se révèle
une utile transition pour faire évoluer les rapports coloniaux et les liens de
1 M. Grimal H, La décolonisation de 1919 à nos jours, Paris, Ed Complexes, 1re édition, 1965,
p. 301-310 ; M’Bokolo, L’Afrique au XXe siècle, le continent convoîté, Paris, Seuil, 1985, p. 145-
150. ; Ageron C.R, La décolonisation française, Paris, Colin, 1991. ; Michel M, colonisations et
émergence du tiers-monde, Paris, Hachette, 1993, p. 199-203., Stamm A, L’Afrique de la
colonisation à l’indépendance, Paris, P.U.F., Que sais-je ?, 1998, p. 75-76. Miège J.L., Expansion
européenne et décolonisation de 1870 à nos jours, Paris, P.U.F., 1973, p. 317.
Voir la récente communication de M. Michel au colloque M. Debré (1959-1962) en mars
2002 au Sénat (actes à paraître).
2 Voir l’article de Bourgi A, « Les relations entre la France et l’Afrique noire en 1958. » dans
L’avènement de la Vème république, Fondation Charles de Gaulle, Paris, Colin, 1999.
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dépendance imposés en éventuelles relations de coopération3. Elle mérite
donc une attention historique particulière.
3 Ageron C.R, op. cit., p. 153.
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Sport et Politique : Quelle place occupe notre intervention dans ce
séminaire ? Depuis une vingtaine d’années, le champ de l’histoire politique
s’est à la fois renouvelé et élargi. Le territoire du politique intègre aujourd’hui
d’autres facettes, d’autres angles d’observation de la vie des sociétés. Comme
le note Jean-François Sirinelli : « Cette nouvelle histoire politique s’est assignée de
nouveaux objets et entend forger pour les étudier de nouvelles thodes ». A l’évidence, le
sport se retrouve parmi ces nouveaux chantiers de l’histoire politique. Le sport
s’intègre dans la confrontation des forces et des idées politiques. Ilhicule
aussi une part de cet imaginaire, de ces symboles que l’histoire politique ne
peut négliger lorsqu’elle décompose les projets liés à la conquête ou au
maintien des pouvoirs au sein d’un espace donné. Le sport n’est-il pas un
efficace « cheval de Troie » dans une politique plus large des relations
internationales4? L’observation plus approfondie de cette compétition
sportive, totalement déséquilibrée du point de vue du rapport des forces en
jeu, constitue un rélateur intéressant de l’évolution des relations politiques et
diplomatiques entre la France et ses colonies africaines et malgaches.
La communication se structure en trois temps. Nous souhaitons
rappeler tout d’abord ce que représente la « Communauté » d’un point de vue
institutionnel et politique, dans un deuxième temps, il s’agit de revenir sur
l’événement sportif des jeux pour souligner sa valeur symbolique et de mise en
scène (visibili) des nouvelles relations diplomatiques qui s’instaurent. Enfin,
nous insistons sur la caducité du dispositif institutionnel, obsolète à
Madagascar dès avril 1960, à la veille des jeux précisément.
LACOMMUNAUTE (1958-1960)
De retour au pouvoir, le 1er juin 1958, conscient de la fragilité de l'idée
coloniale, De Gaulle tente de faire accepter une formule rénovée de « l'Union
française » plus libérale. La nouvelle organisation s’intègre dans l’avant-projet
constitutionnel. Un Comité consultatif5 intégrant des dirigeants politiques
africains et malgaches : Lamine-Gueye (Sénateur du Sénégal), Lisette (Député
du Tchad), Senghor (Député du Sénégal), Tsiranana (Député de Madagascar),
donne son aval à un texte qui doit être soumis à référendum avec l’ensemble
constitutionnel, le 28 septembre 1958. Tentant de passer les premières
oppositions des dirigeants africains défendant soit l’idée d’une fédération6, soit
4 Arnaud P et Riordan J, Sport et relations internationales (1900-1941), Paris, L’Harmattan, 1998.
5 Ce comité consultatif est composé de 39 membres parmi lesquels figurent deux tiers de
parlementaires choisis au sein des commissions du suffrage universel de l’Assemblée
nationale et du conseil de la République. Les autres membres furent nommés par le
gouvernement.
6 Derrière Felix Houphouet-Boigny (Côte d’Ivoire), les « fédéralistes » défendent la création
d’une fédération entre la France et les Etats pris séparément.
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celle de confédération7, le comité propose de bâtir un édifice de type nouveau
et original baptisé finalement « Communauté » sur l’inspiration de Philibert
Tsiranana, Député de Madagascar. Le document proclame le droit des peuples
d’Outre-mer à la libretermination ; il ouvre aux territoires le choix entre le
statut d’Etat, de Territoire, de Département ou de Fédération, membre de la
Communauté. A l’occasion de son périple africain destiné à promouvoir, mais
aussi à tester l’idée de Communau8, le Géral de Gaulle est amené9 dans
son discours de Brazzaville du 24 août 1958 à annoncer la souplesse du
dispositif qui doit permettre aux Etats qui le souhaitent de préparer au sein de
la Communauté leur future indépendance.
« ... à l'intérieur de cette Communauté, si quelque territoire, au fur et à mesure
des jours, se sent, au bout d'un certain temps que je ne précise pas, en mesure
d'exercer toutes les charges, tous les devoirs de l'indépendance, eh bien ! Il lui
appartiendra d'en décider par son assemblée élue et, si c'est nécessaire ensuite
par le référendum de ces habitants. Après quoi la Communauté prendra acte, et
un accord réglera les conditions de transfert entre ce territoire, qui prendra son
indépendance et suivra sa route, et la Communauté elle-même. Je garantis
d'avance que, dans ce cas non plus, la métropole ne s'y opposera. »10
Lessultats du référendum constitutionnel en Afrique et à Madagascar,
favorables à plus de 90% au « oui », en dehors de la Guinée qui fait sécession,
entérinent l’adhésion à la Communauté. Artisan essentiel de la nouvelle
structure M. Houphouet Boigny exprime sa satisfaction et ses espoirs au
lendemain du référendum.
« (….) Mais s’il est bien que la communauté s’accomplisse, ce qui est encore
mieux, c’est qu’elle soit durable. Elle le sera par les efforts-efforts de cœur et
efforts d’imagination-que feront de part et d’autres les responsables africains et
les responsables métropolitains. Elle le sera-c’est ma conviction profonde-si elle
se développe dans l’amitié et la fraternité, je l’ai dit bien souvent : jamais le
temps ni les hommes n’auront raison d’une construction fondée sur l’amitié et
la fraternité.(….)
Un jour, l’Europe, elle-même nous saura gré d’avoir jeté les bases de ces grands
ensembles qui doivent commander l’avenir. Trop longtemps Europe et Afrique
ont vécu sépae par l’incompréhension, la méfiance, voire l’hostilité.
Aujourd’hui, elles veulent ensemble fonder leurs rapports sur des bases
7 La confédération, initiée par Léopold Senghor, prévoit la création d’entités fédérales
primaires (A.O.F ; et A.E.F. et la mise en place d’une confédération entre celles-ci et la
France.
8 Lorsque le 20 août, le Général de Gaulle quitte Paris pour effectuer son voyage en Afrique,
le texte définitif des dispositions de la Constitution concernant l’outre-mer est loin d’être
achevé et connu.
9 Sous le coup de la core, selon l’article de Bourgi A, « Les relations entre la France et
l’Afrique noire en 1958 » dans L’avènement de la Vème République », Fondation Charles de
Gaulle, Paris, Colin, 1999.
10 Extrait du discours du Président de Gaulle prononcé à Brazzaville le 24 août 1958.
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nouvelles. Cette foi naissante peut surmonter tous les obstacles. Nulle œuvre
plus noble, plus profitable aussi ne saurait être proposée à des hommes de
bonne volonté. Qu’ils s’unissent donc, qu’ils croient, qu’ils agissent. Le succès
est à ce prix.11 »
A la fin de l’année 1958, la Communauté est donc composée, d’une
part de la République française qui comprend la France métropolitaine, quatre
départements d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion), six
territoires d’outre-mer (côte fraaise des Somalis, Comores, Nouvelle-
Calédonie, Polynésie française, îles Wallis et Futuna, St Pierre et Miquelon) et,
provisoirement l’Algérie ; et d’autre part de douze Etats autonomes gérant
librement et démocratiquement leurs propres affaires : le Sénégal, la
Mauritanie, le Soudan (futur Mali), le Niger, la côte-d’Ivoire, la République
voltaïque, le Dahomey (futur Bénin), le Gabon, le Congo, la République
centrafricaine (ex-Oubangui-Chari), le Tchad et Madagascar, ce qui consacre la
disparition des deux fédérations d’Afrique Occidentale Française (A.O.F) et
d’Afrique Equatoriale Française (A.E.F).
Le titre XII de la constitution de la Ve République du 4 octobre 1958
précise les institutions de la Communau et leurs domaines de compétence.
La Communauté est psidée par le Président de la Communau, Président de
la République Française. « Le Conseil exécutif de la Communauté » placé sous
sa présidence, groupe les premiers Ministres de tous les États et les Ministres
de la République française spécialis dans les matières communes. La France
aide les pays de la Communauté dans les secteurs de l'économie rurale, de la
santé, de l'enseignement, des mines et de l'énergie, de la culture et des sports,
et des transports.
Alors même que se mettent en place les différentes institutions de la
Communauté : conseil exécutif12, sénat13, et cour arbitale14, s’égrènent tout au
long de l’année 1959 les diverses contestations à l’édifice communautaire et la
demande dune nouvelle construction politique revendiquée par des Etats
dotéssormais de la personnaliinternationale.
En moins de deux ans, ces organes de gouvernement seront caducs. La
raison profonde de cet échec institutionnel doit être recherchée dans le désir
d’indépendance nationale qui anime les dirigeants africains. De sonté, le
Général de Gaulle, confronté à la décolonisation de l’Algérie, ne s’oppose pas
11 « afrique et communauté franco-africaine » par félix houphouet-boigny, ministre detat,
président du r.d.a. le monde diplomatique du 19 novembre 1958.
12 Le premier conseil exécutif de la Communauté se unit les 3 et 4 février à l’Elysée.
13 Le 15 juillet 1959, marque l’installation dunat de la Communauté, dernière des
institutions à être installée.
14 « La cour répond donc au désir d’instituer au sein de la Communauté un arbitrage
permettant leglement juridictionnel des difficultés qui pourraient se produire entre
Etats. »Néra G, op. cit., p. 48.
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