Plasmas
LES SURSAUTS “S”
DE JUPITER
L’analyse automatisée de nouvelles données d’observation numériques à haute résolution temporelle
et spectrale nous permet d’identifier, après trente ans de controverse, le scénario de production
des intenses sursauts radio décamétriques de Jupiter. Dans le cadre du modèle proposé, le
satellite Io joue un rôle crucial comme source d’accélération des populations électroniques à
l’origine de l’émission des sursauts, et plusieurs faits observationnels trouvent une interprétation
plausible. Divers paramètres du plasma magnétosphérique dans les sources peuvent être déduits
des observations radio, qui deviennent un moyen de sondage à distance du magnéto-plasma
jovien. L’application des conclusions tirées pour les sursauts S aux autres émissions radio
planétaires – voire stellaires – est discutée.
INTRODUCTION
C
’est en 1955 qu’a été décou-
verte la première émission
radio planétaire : celle de
Jupiter, sur ondes décamétriques
(fréquences de ≤10 à environ
40 MHz). C’est une émission extra-
ordinairement intense : si elle était
d’origine thermique, la région émet-
trice devrait avoir une température
de 10
18
K ! Ce rayonnement radio
est donc évidemment d’origine non
thermique. Il est polarisé ~ 100 %
elliptiquement. Une dizaine d’an-
nées plus tard, la découverte d’une
émission radio analogue d’origine
terrestre par les satellites soviétiques
Elektron lui a fait perdre son statut
de simple « curiosité ». L’émission
terrestre couvre les longueurs
d’onde kilométriques (fréquences
<1 MHz). Quoiqu’intense, elle
n’est pas détectable du sol car elle
est émise bien au-dessus de l’iono-
sphère terrestre et réfléchie vers
l’espace par cette dernière. Entre
1980 et 1989, les sondes Voyager 1
et 2 ont permis de découvrir les
émissions radio de Saturne, Uranus
et Neptune, et d’étendre jusqu’au
domaine kilométrique le spectre ra-
dio jovien.
Les observations de Voyager ont
montré que les cinq planètes forte-
ment magnétisées du système so-
laire – la Terre et les quatre planètes
géantes – s’entourent d’une bulle
magnétique, ou magnétosphère,
semi-perméable au vent solaire en-
vironnant, où des particules char-
gées sont accélérées à de hautes
énergies (keV, MeV). Les mouve-
ments de ces électrons et de ces
ions sont guidés par les lignes du
champ magnétique planétaire qui les
focalisent au voisinage des pôles
magnétiques où ils produisent d’in-
tenses émissions radio et d’autres
rayonnements électromagnétiques
« auroraux », notamment dans l’in-
frarouge et l’ultraviolet.
Les émissions radio planétaires
apparaissent aujourd’hui comme un
phénomène général, où les mécanis-
mes à l’œuvre sont peut-être simi-
laires à ceux qui engendrent les
rayonnements radio produits lors
des éruptions solaires ou stellaires.
Elles sont de plus l’un des seuls
moyens d’étudier à distance les
magnéto-plasmas où elles sont en-
gendrées, généralement des régions
clés magnétosphériques comme les
zones aurorales – à hautes latitudes
magnétiques – de Jupiter ou le tore
de plasma de son satellite galiléen
volcanique Io. Les observations à
distance sont réalisables sur des du-
rées bien plus longues que le survol
d’une sonde spatiale, et avec une
instrumentation bien plus sophisti-
quée que celle embarquée. Leur in-
terprétation théorique a pour but
d’accéder à une meilleure connais-
sance des mécanismes de produc-
tion des émissions radio, puis de la
topologie du champ magnétique pla-
nétaire et des propriétés des particu-
les chargées qui précipitent dans les
zones aurorales (nature, origine, dis-
tribution spatiale et énergétique).
L’idée d’une émission par un
processus de type cyclotron a
émergé dès la fin des années 1950.
La fréquence émise en chaque point
des lignes de champ traversant la
région source serait voisine de la
fréquence cyclotron − ou gyrofré-
quence − locale du mouvement héli-
coïdal des particules chargées émet-
trices :
f
c
=qB/2 pm
où q et m sont la charge et la masse
de la particule et B l’intensité du
– Laboratoire ARPEGES (URA 1757
CNRS), Observatoire de Paris, Section
d’astrophysique, 92195 Meudon Cedex.
– Station de radioastronomie de Nançay
(USN), 18330 Nançay.
– Institut de radioastronomie, Kharkov,
310004 Ukraine.
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