HYGIÈNES - 2014 - VOLUME XXII - N° 4 3
A
vec la découverte des antibiotiques il y a moins
d’un siècle, d’aucuns pensaient que les infec-
tions bactériennes allaient être vaincues. La
communauté médicale et scientique ignorait alors que
le premier effet « indésirable » de l’administration des
antibiotiques était la sélection de mutants résistants à
ces mêmes antibiotiques. Dès lors qu’un antibiotique
est en contact avec des bactéries, pathogènes ou com-
mensales, une partie de celles-ci deviennent résistantes
grâce à la mise en œuvre de très nombreux mécanismes
de résistance. Selon la famille d’antibiotique considérée,
ces mécanismes sont différents mais, tous ont la particu-
larité de diffuser dans leur environnement.
Aujourd’hui, une nouvelle étape semble franchie avec la
diffusion d’entérobactéries sécrétrices de lactamases
à spectre élargi, véritable pandémie des temps modernes
et nouveau « péril fécal ». Prenant en compte cette émer-
gence et pour être « certain » d’être actif contre ces bac-
téries, nombre de cliniciens ont recours, en première
intention aux carbapénèmes. L’effet pervers de ce choix
est l’émergence et la diffusion d’entérobactéries pro-
ductrices de carbapénémases contre lesquelles seuls
quelques rares antibiotiques conservent une efcacité
au prix d’effets secondaires potentiellement majeurs.
L’investissement en recherche de l’industrie pharma-
ceutique dans le domaine des antibiotiques apparaît
désormais insufsant au regard de ces nouveaux enjeux
médicaux et écologiques. La réduction du nombre de
nouvelles molécules disponibles couplée à l’émergence
des bactéries multirésistantes (
BMR
) contraint les opé-
rateurs de santé publique et les communautés médi-
cales et scientiques à reconsidérer leur attitude face à
ce risque qu’on ne peut plus considérer comme seule-
ment émergent.
Quelles sont les résolutions à prendre face à cette
urgence de santé publique ?
Améliorer le bon usage des antibiotiques et son
enseignement initial. Mieux prescrire les antibiotiques
est devenu une urgence absolue an de ralentir l’émer-
gence de mutants résistants. Chaque prescription doit
être rééchie, mettant en balance l’effet thérapeutique
bénéque pour le patient et le risque d’apparition de
mutants résistants, effet délétère pour le microbiote du
patient et son environnement. Dans l’attente de la décou-
verte de nouveaux traitements actifs contre les bactéries,
antibiotiques ou autres, il est nécessaire de sensibiliser et
de convaincre tout prescripteur potentiel de l’importance
de l’épargne des antibiotiques, et d’enseigner d’emblée
les situations pour lesquelles il est indiqué de ne pas en
prescrire !
Convaincre le corps médical et paramédical que sans
l’amélioration des mesures d’hygiène, il n’y a pas de pro-
grès médical. Dans ce but, la promotion du concept de
sécurité biologique dans les protocoles de soins à l’iden-
tique de ce qui est pratiqué dans les blocs opératoires
est nécessaire. Sans prétendre être le « dernier village
gaulois qui résiste à l’envahisseur », il nous faut déclen-
cher une mobilisation générale pour lutter contre la trans-
mission croisée : application impérative des précautions
standard d’hygiène pour tous les patients ET stratégie
de dépistage ciblée des BMR et des bactéries hautement
résistantes (BHRe) selon les secteurs d’hospitalisation,
la situation épidémiologique et les facteurs de risque
liés aux patients couplés à des mesures spéciques de
prise en charge des BHRe pour éviter leur dissémination.
Comme cela a été rappelé en début d’année (Instruction
n°DGOS/PF2/DGS/RI1/2014/08 du 14 janvier 2014 relative
aux recommandations pour la prévention de la transmis-
sion croisée des bactéries hautement résistantes aux
antibiotiques émergentes), l’application des précautions
standard d’hygiène est impérative pour tout patient et
doit être, à notre sens, une priorité nationale.
Étudier de nouvelles cibles bactériennes et dévelop-
per de nouveaux anti-infectieux.
Il ne tient qu’à chacun de nous de changer les comporte-
ments tant qu’il est encore temps…
Philippe Berthelot
Président de la Société française d’hygiène hospitalière
René Courcol
Président de la Société française de microbiologie
Christian Rabaud
Président de la Société de pathologie infectieuse de langue française
éditorial