à l’encontre des spéculations du protestantisme libéral et de ses
tentatives de rationalisation de l’adhésion religieuse4, une grande
part des mouvements prosélytes propose une expression de type
pentecôtiste, charismatique : c’est une religion composite, populaire,
piétiste, effervescente, naïve, anti-intellectuelle, difficile à analyser
et qui suscite énormément de travaux5.
Au-delà des enjeux propres aux institutions religieuses, le
phénomène des conversions invite à observer de plus près le
processus de diversification des références qui sont à l’œuvre dans
les sociétés démocratiques. Ainsi, dans le cas de la France, une
religion majoritaire laisse la place à un paysage plus éclaté et
instable, avec l’entrée des catholiques dans une culture minoritaire6
et la diversification des appartenances religieuses. Ce processus
s’inscrit dans un mouvement plus général de pluralisation de nos
sociétés qui conduit à se demander comment concilier une politique
de l’égalité avec la reconnaissance de la diversité interne plus
grande de sociétés auparavant homogènes7. Comme le montre
Olivier Roy à propos des populations migrantes ou issues de l’immi -
gration, les conversions manifestent le désencastrement de la reli-
gion et de la culture, c’est-à-dire un mouvement par lequel les
individus ne définissent plus leur identité par l’appartenance à
une culture mais par une identification à une communauté de foi8.
Les convertis suscitent donc la méfiance pour des raisons contra-
dictoires. D’un côté, ils constituent une sorte d’aberration historique
dans un récit progressiste de la laïcité. De l’autre, les religions insti-
tuées, qui craignent l’apostasie autant que la « foi du néophyte »,
n’accueillent qu’avec prudence la « bonne nouvelle » de la propa-
gation de la foi… Bien que l’apostasie reste considérée comme un
crime (passible de la peine de mort en Arabie Saoudite, en Iran, en
Afghanistan ou au Pakistan) dans de nombreux pays musulmans – la
Tunisie, qui vient d’instaurer la garantie de la liberté de conscience
dans sa constitution, fait figure d’exception –, un mouvement de
conversions, lié au développement de l’évangélisme, se développe
À l’âge séculier, quel retour à la foi ?
4. Jean-Louis Schlegel, « L’introuvable libéralisme religieux », Esprit, mars-avril 2007.
5. Notamment ceux de Sébastien Fath. Voir par exemple le Protestantisme évangélique, un
christianisme de conversion, Turnhout, Brepols, 2004.
6. Guillaume Cuchet, « L’entrée des catholiques dans l’ère communautaire », Esprit, août-
septembre 2013.
7. Charles Taylor, l’Âge séculier, Paris, Le Seuil, 2011. Voir la présentation de Jean-Louis
Schlegel : « Les avenirs incertains de la sécularisation », Esprit, juin 2011. Nous aurons
l’occasion de publier prochainement un grand entretien avec Charles Taylor.
8. Olivier Roy, la Sainte Ignorance. Le temps de la religion sans culture, Paris, Le Seuil,
2008.
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