Utopie et cités-jardins
L’exemple de la colonie
Wekerle à Budapest
(Hongrie)
GERGELY NAGY
es idées utopiques ont rarement
été mises en pratique dans le
domaine de l’architecture. L’uni-
vers de la théorie architecturale est issu
des descriptions données pour contri-
buer à la pratique de l’architecture ordi-
naire par un système de règles favori-
sant des formes sensées parfaites et
des constructions utilitaires. Les sys-
tèmes de proportion, les exigences
constructives et les guides pratiques
ont déjà été produits - et ce n’est pas un
hasard - dans l’architecture antique.
Les principes directeurs qui sous-ten-
daient ces acquis étaient la beauté inac-
cessible et l’utilité (fonction, stabilité,
emploi, etc.). Naturellement, les expli-
cations, notées en marge des indica-
tions pratiques, devaient éclairer les
concepts abstraits tels que la beauté
définie par le goût de l’époque.A cause
de la fixation des systèmes des ordres,
liés au style, au moment des change-
ments des possibilités architecturales
d’une époque donnée (formation de
nouveaux styles architecturaux),il était
naturel que les conditions des systèmes
de représentations possibles justifiant
la beauté, saisis seulement grâce à la
mathématique, dussent aussi changer
en fonction de la dépendance du lieu
géographique, de la conception, et des
possibilités locales.
Les cultures architecturales nou-
velles, les modes d’une époque,les tech-
nologies nouvelles, les possibilités de
transformation du matériau ont ouvert
de nouvelles perspectives à l’architec-
ture. Rappelons-nous ici les transfor-
mations considérables de l’ordre fonc-
tionnel des bâtiments bien construits,
sous l’effet et l’influence de la logique
de l’ordre dorique. Elles ont permis
l’introduction des autres ordres archi-
tecturaux et d’autres proportions. Les
principes de composition et les points
de vue également rédigés ont toujours
visé la perfection. Les lois statiques ter-
restres ont fait naître à chaque époque
des systèmes qui avaient leurs prin-
cipes propres, les structures parfaites
qui leur correspondaient. Le principe
(l’effort) précédait considérablement
les possibilités réelles, mais à l’apogée
d’une époque donnée les principes pou-
vaient être en parfaite harmonie avec
les lois de la nature terrestre.
L’exigence de composition de l’es-
pace issue de l’esprit du temps et les
styles architecturaux consécutifs pou-
vaient ainsi se servir réciproquement.
La tendance à la perfection représen-
tait l’esprit du temps. L’interpréta-
tion de l’univers terrestre de l’homme,
le rapport humain transcendantal,
dicté par l’époque,ne pouvait s’expri-
mer de façon plus démonstrative que
dans l’architecture.A côté de l’univers
des formes - né pour accentuer l’élé-
ment spatial et sa délimitation - c’est
la conception de l’espace qui possède
le plus grand nombre de caractéris-
tiques.Très tôt, dans l’Antiquité, sur-
tout à l’époque romaine,les exigences
ont été résumées d’une manière très
synthétique.Les contraintes,les régu-
larités ont défini les principes de
construction et d’architecture. Ce
n’est pas par hasard que l’ordre de l’in-
terprétation du monde architectural a
opéré un retournement à l’époque de la
Renaissance.
L
97
GERGELY NAGY
Architecte
Université Technique de Budapest
96
Revue des Sciences Sociales, 2001, n° 28, nouve@ux mondes
Notes
■
1. « Utopie et sciences sociales ».
Colloque international organisé par
l’Ecole Doctorale : langage, espace,
temps, Faculté des Lettres et
Sciences Humaines de l’Université
de Franche-Comté,et le Laboratoire
de Sociologie et d’Anthropologie
(LASA-UFC), 22-23 mars 1997. Voir
aussi la publication des Actes :
B PEQUIGNOT (Dir.), Utopies et
sciences sociales, L’Harmattan, Paris,
1998. Coll. Logiques sociales, 354 p.
2. Les cités-jardins du Mitteleuropa,
Appel d’offres, recherche du PIR-
Villes, CNRS, terminée en 1998.
Responsable scientifique : S.Jonas ;
autres membres de l’équipe : M.N.
Denis, F. Weidmann, L. Bonnord
(Strasbourg) ; A. Mariotte (Dresde) ;
W. Kononowicz (Wroclaw) ; G. Nagy,
K. Szelényi, J. Vadas (Budapest).
Voir aussi l’ouvrage S. Jonas, G.
Nagy, K.Szelényi (Dir.), Les cités-jar-
dins du Mitteleuropa ; étude de cas de
Strasbourg, Dresde, Wroclaw et
Budapest, Hungarian Pictures,
Budapest (la sortie du livre est pré-
vue pour le printemps 2001).
3A la recherche de la cité idéale.
Exposition organisée par l’Institut
Claude-Nicolas Ledoux avec la par-
ticipation du Ministère de la
Culture et de nombreuses institu-
tions et associations. Voir notam-
ment la Salle 12 – Questions d’au-
jourd’hui. De Chandigarh à
Shanghai : L’état de la ville ; respon-
sable : J. Rizzotti, architecte ; autres
membres de l’équipe : C. Bourgeois,
photographe, S. Jonas, sociologue,
R. Kleinschmager, géographe, D.
Payot, philosophe.
4. J. Duvignaud,Chebika. Etude sociolo-
gique, Paris, Gallimard, 1968.
5
H. Desroche, « Utopie et utopies », in
Encyclopaedia Universalis, pp. 264-269 ;
Th. Kuhn, « La fonction des expé-
riences par la pensée » in La tension
essentielle, Tradition et changement dans
les sciences, Gallimard, Paris, 1990.
6. G. Fontenis, L’autre communisme ;
histoire subversive du mouvement
libertaire, Acratie, 1990.
7F. Godez, « L’utopie comme métho-
de : ou la reconstruction utopique
comme expérience « narrative » de
pensée », in B. Pequignot (Dir.),
Utopie et sciences sociales, op. cit.,
pp. 193-201.
8A. L. Morton, L’utopie anglaise,
Maspero, Paris, 1964, p. 9.
9 G. Benoît-Lévy, La Cité-Jardin,
Editions Henri Jouve, Paris, 1904.
Préface de Charles Gide. H.Kampff-
meyer, Die Gartenstadtbewegung,
Verlag von B. G. Teubner, Berlin,
1913 (2e édition) ; « Le mouvement
en faveur des cités-jardins en
Allemagne », in revue Vie Urbaine,
Paris-Sorbonne, n° 28, 1925 ;
P. Behrens, «Die Gartenstadt-
bewegung» in revue Gartenstadt,4.
Heft, 2. Jahrgang, 1908.
10 L’une de nos hypothèses de départ
au sujet de l’existence ou non d’un
modèle de cité-jardin du Mittel-
europa,s’est imposée à nous à cause
du rôle de pionnier qu’a joué
l’Allemagne unifiée dans l’innova-
tion et la diffusion des cités-jardins
sur le continent. Nous sommes ici
bien sûr en présence du grand
mythe fondateur paradigmatique
de la mission historique civilisatrice
germanique depuis l’existence du
Saint Empire Romain Germanique.
Mais de nombreux chercheurs des
nouveaux pays démocratiques ne
sont pas satisfaits de l’appellation
nouvelle proposée par la diplomatie
occidentale, à savoir « L’Europe
Centrale et Orientale », et ils obser-
vent que l’Europe Centrale com-
mence déjà sur le versant est des
Vosges en France et l’Europe
Orientale va jusqu’au piémont de
l’Oural.
11 H. Lefebvre, Droit à la ville,T.I.
Anthropos, Paris, 1968, p. 122 ; H.
Raymond, L’architecture, les aven-
tures spatiales de la raison, CCI –
Centre Pompidou, Paris, 1984.
12 L’exposition A la recherche de la cité
idéale a été conçue et réalisée par
l’Institut Claude-Nicolas Ledoux
d’Arc-et-Senans, présidé par Serge
Antoine, avec la participation
notamment de la Mission 2000 en
France, du Ministère de la Culture
et de la Confédération Suisse.
13 Salle 12 – Questions d’aujourd’hui.
De Chandigarh à Shanghai : l’état de
la ville, Concepteur et responsable :
Jacques Rizzotti, architecte,
Professeur à l’École d’Architecture
de Strasbourg ; autres membres de
l’équipe de réflexion : Christophe
Bourgeois, photographe, S. Jonas,
sociologue, R. Kleinschmager,
géographe, D. Payot, philosophe.
Les titres des 11 autres salles
sont les suivants : 1 – Scènes des
villes rêvées ; 2 – Visions et volon-
tés ; 3 – Leçons de Ledoux ;
4 – L’architecture de la cité idéale ;
5 – Rêves d’ingénieurs ; 6 – Vivre et
travailler ensemble ; 7 – Les por-
traits ; 8 – La grande horloge du
monde ; 9 – Villes et réseaux –
Réseaux et villes ; 10 – Les cités en
bandes dessinées ; 11 – Les cités des
animaux. (Voir aussi : Guide d’expo-
sition).
14 E. Kaufmann, De Ledoux à Le
Corbusier ; origine et développement
de l’architecture autonome,Éd.Livre
et Communication, Paris, 1990. La
première édition autrichienne date
de 1933.
15 C. N. Ledoux , L’architecture considé-
rée sous le rapport de l’art, des mœurs
et de la législation, Paris, 1804.
16 Cité par Kaufmann, op.cit., p. 30.
17. Idem, p. 31.
18 A. Chenevez, « Saline d’Arc-et-
Senans : utopie et mémoire vide »,
in B. Pequignot, (Dir.), Utopies et
sciences sociales, op. cit., p. 55.
19 S. Jonas, « Le Corbusier, théoricien
de l’urbanisme et penseur de la
sociologie des villes » in F. Bradfer
(Dir.) Le Corbusier, la modernité et
après…, Ed. CIAO, Louvain-la-
Neuve, 1988, pp. 139-146 ; « La
dimension utopique dans l’œuvre
urbanistique de Le Corbusier », in
B. PEQUIGNOT (Dir.), Utopies…,op.
cit., pp. 111-126.
20 Le Corbusier,La Ville radieuse,Paris,
1935.
21 M. Parent, « Discours de clôture »
in P.G. GEROSA,S. JONAS (Dir.),Le
Corbusier, Europe et Modernité,
Editions Corvina, Budapest, 1991,
pp. 244-249. (Actes du colloque
international, Conseil de l’Europe,
1987.)
22 Cité par J. Rizzotti in Petit Guide de
l’exposition A la recherche de la cité
idéale, p. 76.
23 Les éléments principaux du Plan
Directeur sont les suivants :
1 – Capitole ; 2 – Centre commer-
cial ; 3 – hôtels, restaurants ;
4 – musée, stade ; 5 – Université ;
6- marché ; 7 – bandes de verdure
dans les secteurs ; 8 – la rue mar-
chande ; 9 – la vallée des loisirs ;
10 – industrie et gares (voir aussi le
plan).
25 Le Capitole se compose ainsi : Le
Parlement ; le Secrétariat ; le Palais
du Gouverneur ; le Palais de
Justice ; la Tour des Ombres et la
Fosse des Considérations ; le
Monument des Martyrs ; le
Monument de la Main Ouverte ; le
Club ; le lac artificiel.
25 J. Rizzotti, in Petit Guide de l’expo-
sition, op. cit., p. 76.
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