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Transversal n° 40 janvier-février dossier
dossier par Sandrine Issartel et Victoire N’Sondé
Du VIH au neurosida
patients et de l’efficacité insuffisante des antirétroviraux sur
les effets neurotoxiques liés à la réplication virale. C’est parti-
culièrement vrai pour les dysfonctionnements cognitifs légers,
dont la fréquence reste très sous-estimée malgré leur retentis-
sement avéré sur la réalisation des activités les plus exigeantes
de la vie courante, comme la bonne observance au traitement.»
Et si des lésions cérébrales irréversibles sont apparues malgré
les traitements, les personnes séropositives en gardent généra-
lement de lourdes séquelles restreignant leurs capacités motrices
et leurs fonctions intellectuelles.
Origines multifactorielles. On sait depuis longtemps que le
cerveau est l’un des premiers organes contaminés par le VIH.
Dans le cas des infections neurologiques opportunistes entrant
dans les critères de définition du stade sida, les lésions
s’expliquent par l’effet pathogène du micro-organisme res-
ponsable sur le tissu cérébral : virus dans le cas de la LEMP,
parasite pour la toxoplasmose, mycobactérie pour la tuber-
culose, levure pour la cryptococcose. L’absence de traitement
chez une personne très immunodéprimée ou l’échec théra-
peutique favorisent ainsi la multiplication de ces micro-orga-
nismes, comme c’est le cas dans toutes les infections oppor-
tunistes. L’expression des troubles neurologiques moteurs ou
cognitifs dépendra alors de l’aire cérébrale affectée et leur
gravité sera fonction de l’étendue des lésions.
Par contre, en ce qui concerne les lésions cérébrales à l’origine
des troubles neurocognitifs directement liés au VIH, on consi-
dère maintenant que les responsabilités sont partagées entre
les effets neurotoxiques directs du virus et la réaction inflam-
matoire qu’il provoque localement. Comme dans le reste de
l’organisme, le virus exerce un effet toxique sur certaines cel-
lules du système immunitaire – lymphocytes CD4 et mono-
cytes-macrophages – qui pénètrent et circulent dans le cer-
veau à partir de la circulation sanguine périphérique. Une fois
dans cet organe, le VIH agit aussi sur des cellules immuni-
taires spécifiques du cerveau, qui constituent la microglie.
L’interaction de l’ensemble de ces cellules immunitaires avec
le VIH provoque une réponse inflammatoire dont le rôle
semble majeur dans l’altération de constituants-clés du tissu
cérébral. « Les conséquences de ces dommages sur le fonc-
tionnement cérébral sont longtemps compensées, jusqu’au
moment où la destruction neuronale atteint un seuil critique
au-delà duquel le risque d’évolution vers une démence irré-
versible devient majeur », décrit le DrGasnault. Autrement
1
Téléchargeable sur
www.sante.gouv.fr/htm/actu/yeni_sida/rapport_experts_2006.pdf.
Malgré les traitements antirétroviraux,
le cerveau reste le siège de lésions dues au VIH,
entraînant des troubles qui passent souvent
inaperçus dans leur phase précoce mais
qui peuvent notamment perturber le bon suivi
du traitement.
« Neurosida » est un terme dont la définition est finalement
plus pratique que scientifique. Avant l’avènement des multi-
thérapies, il faisait spécifiquement référence, d’une part, aux
infections opportunistes cérébrales les plus fréquentes chez
les personnes séropositives et qui définissent cliniquement
le stade sida (leuco-encéphalite multifocale progressive
[LEMP], toxoplasmose cérébrale, tuberculose neuro-méningée
et cryptococcose) et, d’autre part, à des manifestations direc-
tement liées au VIH, dont les formes les plus sévères condui-
saient à une démence terminale. Ces troubles spécifiques
étaient alors appelés encéphalite à VIH ou encéphalopathie
VIH. Actuellement, les spécialistes préfèrent parler de troubles
neurocognitifs liés au virus.
Un terme obsolète ? Depuis une dizaine d’années, les antiré-
troviraux (ARV) ont montré une certaine efficacité contre les
complications cérébrales graves associées au VIH. « Avant
l’ère des combinaisons antirétrovirales, la survie après une
pathologie neurologique grave était de quelques mois seu-
lement, se souvient le DrJacques Gasnault, neurologue au
CHU de Bicêtre (Kremlin-Bicêtre) et spécialiste reconnu du
sujet. Depuis que les ARV sont largement utilisés, l’incidence
de ces complications a baissé et les patients vivent plus
longtemps. » En France, l’une des conséquences de cette
avancée a été un désengagement progressif des services de
neurologie. Et la plupart des équipes de recherche qui tra-
vaillaient sur cette thématique ont réorienté leurs activités.
Le neurosida fait-il désormais partie du passé? Malheureusement
pas si on regroupe sous ce terme l’ensemble des troubles céré-
braux liés au VIH. Comme le soulignent les auteurs du dernier
rapport Yeni
1
du ministère de la Santé : « Si l’incidence et la
sévérité des troubles cognitifs ont diminué, leur prévalence
continue à augmenter du fait de l’allongement de la survie des