L’Encéphale (2008) 34, 123—131 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep MÉMOIRE ORIGINAL Psychopathologies rencontrées sur l’île de Mayotte entre 1998 et 2004 Psychopathologies encountered on the island of Mayotte between 1998 and 2004 C. Charbonnier a, C. Massoubre b,∗, D. Szekely a, R. Airault a, F. Lang c a Centre de santé mentale, 94, rue du Commerce, 97600 Mamoudzou, Mayotte Service des urgences psychiatriques, hôpital Bellevue, 25, boulevard Pasteur, 42100 Saint-Étienne, France c Département hospitalo-universitaire de psychiatrie, hôpital Bellevue, 25, boulevard Pasteur, 42100 Saint-Étienne, France b Reçu le 6 décembre 2005 ; accepté le 26 décembre 2006 Disponible sur Internet le 24 octobre 2007 MOTS CLÉS Mayotte ; Psychiatrie ; Ethnopsychiatrie ; CIM 10 ; Afrique ∗ Résumé Avant 2001, les soins psychiatriques sur l’île de Mayotte étaient assurés par des missions venant de la Réunion. Depuis cette date, une organisation de la santé mentale a été mise en place progressivement, même si la culture mahoraise, mêlant pratiques musulmanes et traditions animistes, laisse encore une large place aux tradipraticiens. Il s’agit ici d’une étude rétrospective portant sur 1212 dossiers de psychiatrie visant à répertorier les différentes psychopathologies sur l’île de Mayotte entre 1998 et 2004 selon la CIM 10. Ont été comparés les dossiers avant et après l’ouverture du centre de santé mentale ainsi que les diagnostics psychiatriques des Comoriens et des expatriés. Les résultats montrent une évolution des pathologies rencontrées entre 1998 et 2004. Il convient de noter un nombre de tentatives de suicide beaucoup plus faible que dans les pays occidentalisés. Les particularités culturelles sont également prises en compte dans la discussion de ces résultats. Les résultats de cette étude confortent les impressions ressenties par les praticiens et montrent les effets de la politique de santé mentale sur l’île tout en pointant les axes de développement possibles dans ce domaine. © L’Encéphale, Paris, 2008. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Massoubre). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008. doi:10.1016/j.encep.2006.12.004 124 KEYWORDS Mayotte Island; Psychiatry; Ethnopsychiatry; ICD 10; Africa C. Charbonnier et al. Summary Before 2001, psychiatric care on the island of Mayotte was ensured by missionaries from the Reunion Island. A mental health system has since been gradually installed, although the culture in Mayotte, mixing practicing Muslim women and traditional animists, still leaves a broad place for traditional healers. This paper presents a retrospective study of 1212 psychiatric case reports, aimed at indexing the various psychopathologies according to the CIM 10, on the island of Mayotte between 1998 and 2004. The files, before and after the opening of the mental health centre, were compared with those of the psychiatric diagnoses of the Comorians. The results show an evolution in the chronic pathologies treated in the Comorians: delirious disorders, and the organic, major, mental disorders in the first psychiatric files have given way to depressive episodes and somatoform disorders. Nevertheless, an underlying prevalence of depression and addiction persist. It is interesting to note the reduced number of suicide attempts, far lower than in western countries: one suicide attempt per annum for 375 inhabitants in metropolitan France, whereas, in this study, one suicide attempt in Mayotte was reported for 2504 inhabitants. The cultural characteristics are also taken into account in the discussion of these results. Thus, if there are more demonstrations with somatic expression in the Comorians, related to a stronger implication of the body in situations of psychological faintness: 1.75% of hysterical conversion in the Comorians versus 0.99% in Mayotte, this does not mean a more histrionic personality in this population: 1.8% of Comorians, against 1.98% in Mayotte. The results of this study consolidate the impressions felt by the experts and show the effects of the mental health policy on the island. Thus, the assumption of responsibility of chronic psychotics made it possible to improve their quality of life, and to decrease the number of medical evacuations that decreased from 17 to three, between 2001 and 2004. However, this study also underlined the possible axes of development in this field, namely the assumption of responsibility of psychiatric emergencies with a crisis centre, and the development of a specialized pedopsychiatric assumption of responsibility. Indeed, in the first six months of 2004, 35% of the patients were 0—20 year-old. © L’Encéphale, Paris, 2008. Introduction Mayotte est une île de 374 km2 située au nord-ouest de Madagascar. Elle appartient à l’archipel des Comores qui inclut également la Grande-Comore, Anjouan et Mohéli. Malgré son statut actuel de collectivité départementale française, il a fallu attendre 2001 pour qu’une structure de prise en charge psychiatrique y soit créée. Les seules informations disponibles à ce sujet concernent une étude de 1993 portant sur 58 cas, effectuée lors d’une mission psychiatrique venant de la Réunion [16], donc antérieure à la mise en place d’une organisation de la santé mentale sur l’île. La population mahoraise prend ses origines du peuple bantou ayant émigré de la côte orientale de l’Afrique. Par la suite, les populations islamisées venues de Perse vont instaurer un système de sultanat. Cette population mahoraise est essentiellement musulmane ; bien que disposant d’une culture qui lui est propre, son mode de vie est très influencé par l’Afrique orientale, les autres îles des Comores et l’île de Madagascar géographiquement proche. Une vision traditionnelle de la maladie y est encore très présente. Ainsi, les cérémonies de possession à but thérapeutique, en particulier les patrosi mahorais et les trumba malgaches, sont une pratique très courante sur l’île [13]. L’utilisation d’une classification internationale telle que la CIM 10 [7], dénuée de critères ethnologiques [8], doit être vue comme un outil d’aide au repérage de la psychopathologie qui doit ensuite faire l’objet d’une analyse tenant compte des particularismes culturels. L’ethnopsychiatrie a souvent recours à des cas cliniques pour illustrer son propos. Nous avons voulu ici utiliser « cet ailleurs », africain par son mode de vie et français par son administration, pour faire se rencontrer deux concepts parfois considérés comme antinomiques : la psychiatrie transculturelle et les statistiques. Cela dans le but de faire ressortir des caractéristiques globales correspondant à une pratique locale de la psychiatrie. Population et médecine à Mayotte Mayotte comptait 160 265 habitants au dernier recensement de juillet 2002. Les Mahorais de souche, dont 98 % sont des musulmans [11], balancent entre un islam très présent dans sa pratique quotidienne et des croyances animistes venant d’Afrique et de Madagascar reposant sur des traditions orales [9]. Les deux se mélangent tout comme se mélangent, dans un autre domaine, la pratique des médecines traditionnelle ancestrale et occidentale plus récemment. La conception traditionnelle de la maladie à Mayotte Il faut voir la maladie comme un modèle explicatif culturellement construit, c’est-à-dire un concept et non une chose [20]. L’individualisme et le dualisme corps/esprit, naturel/surnaturel, visible/invisible ne font pas référence ici [12]. La maladie n’est pas systématisée par la conception organique du corps humain. La médecine traditionnelle Psychopathologies rencontrées sur l’ı̂le de Mayotte entre 1998 et 2004 prend tout problème, physique, mental ou familial, dans son ensemble et se concentre sur l’origine extérieure de ce désordre [2]. Cette origine peut être liée à Dieu, aux sorts, aux esprits ou au mauvais œil, la jalousie collective engendrant le mal [14]. Le parcours thérapeutique est alors jalonné par différents thérapeutes traditionnels, appelés fundis « ceux qui savent » en shimaoré. Le fundi mwalimu (maître guérisseur) identifie l’origine du mal. S’il s’agit d’une maladie de Dieu, inscrite dans le parcours de vie, il donnera un traitement pour les symptômes à base de plantes et amènera parfois les patients à consulter la médecine occidentale. S’il pense qu’il s’agit du mauvais œil, ou d’un mauvais sort jeté sur la personne, il conseillera de consulter un fundi wa shioni (maître coranique) qui soigne avec des sourates, élaborera des amulettes et des contre sorts afin de stopper le mal. Dans le cas d’une possession, il orientera plutôt vers un fundi wa djini (maître des esprits) qui déterminera l’origine de l’esprit en question et proposera des cérémonies à effectuer pour faire alliance avec l’esprit (adorcisme) ou éventuellement le faire sortir du corps du malade (exorcisme) [6]. De cette présentation très schématique, il faut ainsi garder à l’esprit qu’un tiers des femmes adultes sont un jour ou l’autre considérées comme possédées à Mayotte [5]. La médecine occidentale à Mayotte La densité médicale était de 56 médecins pour 100 000 habitants en 2002, contre 154 à la Réunion et 202 en métropole [11]. Il y a deux hôpitaux à Mayotte, auquel on peut ajouter l’ouverture d’un hôpital sud en mai 2005. Il y a un scanner, pas d’IRM et certaines spécialités telles que la neurologie ne sont pas présentes sur l’île. Par ailleurs, un réseau de 19 dispensaires et 13 maternités, sous la responsabilité d’un ou plusieurs médecins généralistes, est réparti dans l’île. Mayotte et la psychiatrie Les prémisses Il faudra attendre 1984 pour voir la première mission psychiatrique venant de la Réunion poser le pied à Mayotte. Cette mission de quinze jours, composée de deux psychiatres, une psychologue et un infirmier, concluait dans une note succincte qu’il fallait redouter la création d’une unité de type non traditionnelle de prise en charge de la santé mentale à Mayotte. Il en ressortait une volonté de considérer les pratiques traditionnelles à part entière dans la prise en charge psychiatrique, ce qui est effectivement nécessaire, mais non suffisant dans un cadre plus général de santé publique. En 1993, sous l’impulsion des Dr Reverzy et Mauvisseau, est rédigé un rapport de mission de 360 pages faisant suite à une mission psychiatrique de quinze jours à Mayotte [16]. Les conclusions de ce rapport envisagent, cette fois, la création d’un dispositif de santé mentale publique conçu avec les logiques étiologiques et thérapeutiques de la culture mahoraise, communautaire, pluridisciplinaire, en articulation cohérente avec les tradipraticiens.En 1995, le Dr Ramlati, médecin généraliste mahoraise ayant fait un stage de psychiatrie à Saint-Paul sur l’île de la Réunion, est 125 affectée à la prise en charge des patients psychiatriques de l’île. Devant l’ampleur de la tâche et le manque de moyens, elle démissionne en 1997. Par la suite, elle participera à une certaine médiatisation de l’enfermement des patients psychiatriques via ,entre autres, un reportage télévisé diffusé sur la chaîne locale. Cela influera sur la décision politique de création d’une structure psychiatrique locale. Cette problématique de maltraitance des patients psychiatriques était déjà pointée par le rapport cité précédemment, insistant sur la persistance de conduites archaïques d’exclusion et d’enfermement à domicile. Elle représente aujourd’hui un phénomène marginal à Mayotte [14,16], mais encore très courant dans les autres îles des Comores. Entre 1997 et 1998, trois missions ont été effectuées. La constitution de dossiers médicaux contenant des observations psychiatriques est alors mise en place. La première série de la présente étude débute à partir de ces données. La mise en place d’un centre psychiatrique à Mayotte C’est en septembre 2001 que le Dr Airault, psychiatre praticien hospitalier, est recruté comme chef de service pour organiser une politique de santé mentale cohérente sur l’île. Très rapidement, une équipe se met en place. Tout d’abord, un Mahorais est engagé comme traducteur en novembre de la même année, suivi en janvier 2002, d’une psychologue, d’une infirmière et d’une secrétaire. En juin 2002, le centre de santé mentale s’installe dans ses locaux actuels, rue du Commerce, au centre de Mamoudzou, en dehors des murs de l’hôpital général. Un Shidjabou, cérémonie de protection musulmane, y est effectué le 22 septembre 2002 par quatre religieux. L’équipe s’étoffe encore avec l’arrivée d’un deuxième médecin sur un poste d’assistant en août 2002, puis de deux infirmières, ainsi que deux traductrices supplémentaires en juillet 2003. En octobre de la même année, un deuxième psychologue est recruté. En novembre 2004, le premier interne vient renforcer cet effectif, alors composé de trois postes de médecin, deux praticiens hospitaliers et un assistant. L’organisation de la santé mentale Dès le début, l’accent est mis sur la constitution d’un réseau avec la création de consultations de liaison psychiatrique dans les hôpitaux de Mamoudzou, où se trouve aujourd’hui le centre de santé mentale et de Dzaoudzi sur Petite terre. Par la suite, des visites hebdomadaires de détenus à la maison d’arrêt de Majicavo s’organisent. À cela s’ajoutent des consultations dans les dispensaires et des visites à domicile, afin de faire le point avec les médecins généralistes sur les patients psychiatriques les plus lourds, dans le but de prévenir les rechutes. De manière plus générale, l’existence de soins psychiatriques gratuits au sein d’une structure sociale africaine n’est pas une chose très commune, car comme dans tous les pays pauvres, on privilégie souvent les soins dits primaires dans les sociétés africaines [10]. Le lien avec les structures traditionnelles existantes [4] Nous ne ferons ici qu’effleurer cette question récurrente à tous les ouvrages traitant d’ethnologie et de médecine. 126 L’idée directrice est la suivante : mieux se connaître pour comprendre l’intérêt de travailler vers un but commun, mais où chacun reste dans son rôle. Cela passe tout d’abord par la mise en place d’un réseau, ce qui signifie connaître certains tradipraticiens, aller les voir travailler, assister à des traitements et à des cérémonies de possessions. Parallèlement, cela signifie faire venir des tradipraticiens pour leur faire découvrir notre lieu de travail et notre façon de travailler. En effet, la vision qu’ont les Mahorais de la psychiatrie est tout aussi fantasmatique que celle que nous avons, nous, des pratiques traditionnelles et des cérémonies de possession. Elle est parfois aussi vécue comme la faillite des modes traditionnels de prise en charge [18]. Considérons ainsi la mise en place chez un patient d’un traitement antipsychotique sans tenir compte de l’environnement social de la maladie : aux yeux de la communauté, le patient restera possédé par un esprit mauvais tant qu’une cérémonie n’aura pas eu lieu. Le patient se verra alors renvoyer l’image de sa propre « folie » par la communauté, d’autant plus fortement qu’il n’aura pas eu de traitement traditionnel. Cela constituera un frein important à l’amélioration clinique du patient [19]. Gardons à l’esprit que les pratiques traditionnelles sont en place depuis plusieurs siècles sur l’île de Mayotte, alors que la médecine psychiatrique, elle, y est présente depuis moins de dix ans. Le rôle du psychiatre consistera à donner un accord tacite pour ce genre de pratiques, les démarches étant entamées dans le même temps que la prise en charge psychiatrique. Ces démarches sont laissées le plus souvent à l’initiative de la famille, les tradipraticiens étant connus de tous. Cependant, le médecin peut parfois être à l’initiative de l’intervention d’un ou plusieurs tradipraticiens. Cela avait été évoqué dans le cadre de crises de possessions répétées chez des jeunes dont le lycée était construit sur l’emplacement d’un village d’esprits. En outre, si la psychiatrie est pour l’instant gratuite à Mayotte, ces pratiques traditionnelles ont un coût. Il faut en tenir compte pour ne pas orienter des patients vers des soins qu’ils ne pourraient pas assumer financièrement. L’intervention des tradipraticiens apporte donc une dynamique positive dans la prise en charge sociale et familiale de la maladie, que ce soit dans un cadre névrotique, mais également, comme nous l’avons vu précédemment, pour certaines psychoses. Inversement, pour des patients psychotiques aux pathologies bruyantes, certains tradipraticiens demandent aux familles de faire appel à la médecine occidentale, ce qui constitue alors une alternative aux pratiques d’enfermement qui existaient par le passé. En résumé, la connaissance de la culture, voire de la langue mahoraise, représente toujours un atout dans la prise en charge psychiatrique, mais aussi somatique, des patients. Les traducteurs mahorais jouent ici un rôle essentiel, et ces liens que nous décrivons existent déjà, mais pourraient être renforcés par des rencontres dans les cas les plus problématiques. Par ailleurs, s’il s’agit d’une aide précieuse à la compréhension des mécanismes de la maladie et à leur prise en charge, elle doit être considérée comme complémentaire de notre pratique médicale qui reste, elle, sur des schémas de fonctionnement psychique et somatique à l’occidentale. C. Charbonnier et al. Population et méthode Population : deux séries ont été étudiées La première série Elle contient les dossiers numérotés de 1 à 612, couvrant une période allant de janvier 1998 à mars 2002. Parmi ces dossiers, douze étaient inexploitables. Elle correspond aux premiers dossiers élaborés lors du passage des missions psychiatriques venant de la Réunion et à ceux créés après l’instauration de la psychiatrie à Mayotte, en septembre 2001, mais avant l’ouverture du centre de santé mentale qui interviendra le 1er juin 2002. La deuxième série Elle contient les dossiers numérotés de 2232 à 2832, soit 600 dossiers ayant été créés dans la période allant du 1er janvier 2004 au 30 juin 2004 et recouvrant six mois d’activité du service. La psychiatrie est alors présente de manière permanente depuis plus de deux ans à Mayotte et dispose de locaux de consultations sous la forme d’un centre de santé mentale depuis un an et demi. Méthode Il s’agit d’une étude descriptive rétrospective menée sur deux échantillons de même taille, étudiés à deux périodes différentes. Nous avons effectué le recueil de données à l’aide des dossiers papier entrés dans un logiciel mis au point par le service informatique de l’hôpital de Mamoudzou à Mayotte. Ces données ont ensuite été exploitées avec le logiciel Excel. Pour chaque dossier traité, les données suivantes ont été entrées dans le logiciel : Date de naissance Classement par tranche d’âge des patients. Sexe Proportion homme/femme : ratio. Pays d’origine La première source d’immigration à Mayotte est représentée par les Comoriens des îles voisines appartenant à la Fédération islamique des Comores. Nous avons voulu savoir dans quelle proportion cette population consulte le centre de santé mentale. La nationalité française regroupe les Mahorais de souche et les métropolitains expatriés. Par ailleurs, les termes comoriens et expatriés employés dans cette étude vont, eux, concerner un autre type de répartition, plus culturel : sont ici considérés comme Comoriens les Mahorais français, ainsi que les Comoriens non français pouvant tous deux s’identifier en terme d’état civil par rapport au prénom du père qui remplace le nom de famille. Le groupe des expatriés regroupe les métropolitains, les Réunionnais et les autres étrangers occidentalisés pour la plupart, identifiés par le nom de famille. Il s’agit donc des expatriés non comoriens. Psychopathologies rencontrées sur l’ı̂le de Mayotte entre 1998 et 2004 Étiologie traditionnelle des troubles Ce n’est pas l’existence d’un lien dans l’esprit du patient entre sa pathologie et les croyances locales qui est étudiée ici, mais bien son évocation face à un médecin, étranger à cette culture, et le fait que ce dernier en fasse mention dans le dossier médical. Les tentatives de suicide Nous avons complété les données de l’étude par des données annuelles. Les évacuations sanitaires vers la Réunion Les chiffres des trois dernières années sont mentionnés ici. Diagnostics CIM 10 [7] L’absence de diagnostic psychiatrique concerne les patients pour lesquels il n’y a pas eu de traitement ou de prise en charge psychothérapique suite à la première consultation. Tableau 2 nationalité. 127 Pourcentage de consultants selon leur Nationalité Pourcentage de consultants (%) Française Comorienne autre que française Étrangères autres Inconnue 64 35 5 1 Étiologie traditionnelle des troubles Elle est retrouvée chez 9,5 % des patients (sur l’ensemble des patients des deux séries). Ce chiffre monte à 13 % si on exclut les métropolitains et les étrangers non comoriens. Les tentatives de suicide On dénombre 86 tentatives de suicide entre septembre 2001 et septembre 2002, 48 l’année suivante et 26 sur les six premiers mois de l’année 2004. Résultats Sexe Le ratio homme/femme est de 1,15 dans la première série et passe à 0,89 dans la deuxième. Soit une légère prédominance masculine (53,5 %) dans la première série, qui s’inverse dans la deuxième (52,9 % de femmes). Les évacuations sanitaires De septembre à septembre, il y a eu 17 évacuations sanitaires pour l’année 2001—2002, huit pour la même période en 2002—2003 et trois entre 2003 et 2004. Répartition par classe d’âge Les diagnostics Le Tableau 1 montre les données relatives à la répartition par classe d’âge. Le Tableau 3 indique les différents diagnostics rencontrés et le Tableau 4 montre les trois diagnostics les plus fréquents. Répartition par pays d’origine Analyse, discussion Les données de la première série, étant incomplètes, n’ont pas pu être exploitées. Le Tableau 2 donne le pourcentage de consultants selon leur nationalité. En utilisant le mode de répartition décrit dans le paragraphe « pays d’origine », les Comoriens représentent 83,9 % des patients et les expatriés représentent ici 16, 1 % des consultants. Date de naissance Tableau 1 Pourcentage de consultants par classe d’âge dans les deux séries. Classe d’âge (ans) 1re série : 1998—2002 (%) 2e série : janvier—juin 2004 (%) 0—10 11—20 21—30 31—40 41—50 51—60 61—70 71—80 81—90 1,64 13,46 33,33 27,25 12 8,37 2,95 0,5 0,5 6,3 29,09 28,53 17,76 9,79 5,73 1,68 0,56 0,56 Dans la première série, on note 60 % de patients entre 20 et 30 ans. Dans la deuxième série, on note que 35 % des patients ont entre zéro et vingt ans. Dans les deux séries, la prévalence des personnes âgées reste faible : moins de 4 % des patients dans les deux séries ont 61 ans et plus. Une prise en charge pédopsychiatrique spécialisée, souvent absente dans les pays pauvres [15], devra donc être un des axes prioritaires du développement de la santé mentale à Mayotte. Sexe Majoritaires dans la première série, les hommes deviennent minoritaires dans la seconde. On peut relier ces chiffres aux diagnostics qui, pour la première série, comportaient une majorité de pathologies psychotiques, à prédominance masculine, alors que dans la deuxième série, les troubles anxieux et dépressifs, à prédominance féminine, devenaient majoritaires. 128 Tableau 3 C. Charbonnier et al. Diagnostics CIM 10 regroupés des Comoriens et expatriés pour les deux séries. 1998—2001 Comoriens (%) Expatriés (%) Comoriens (%) Expatriés (%) 5,9 5,1 18,1 25 15,7 9 10,1 11,3 6,9 2,6 12 37,2 15,9 2,7 1,8 31,9 10,5 10,8 24,6 — 28,1 10,1 15,7 — 17,6 5,4 4,8 13,4 36,3 3,5 3,5 4,4 Conduites addictives F10 ; F12 ; F19 Troubles de la personnalité F60.0 ; F60.1 ; F60.3 ; F60.4 Pathologies déficitaires F03 ; F06 ; F79 ; F84 Troubles anxieux et troubles somatoformes F40 ; F41 ; F42 ; F43 ; F44 ; F45 Dépression F32 ; F32, 3 ; F33 Épisodes psychotiques aigus F23 ; F30 Psychoses chroniques F20 ; F22 ; F31 ; F53 Pas de diagnostic psychiatrique Pays d’origine Parmi les 160 265 habitants de Mayotte en 2002, on comptait 52 851 habitants originaires des autres îles des Comores, soit 33 % de la population. Les métropolitains étaient au nombre de 6323, soit 3,9 %. Les étrangers non comoriens, essentiellement originaires de l’île de Madagascar, représentaient 3,25 % de la population avec 5216 habitants [11]. Il faut ajouter les réfugiés du Rwanda et du Burundi, qui nécessitent souvent un suivi au centre de santé mentale pour syndrome post-traumatique. Trente-cinq pour cent des consultants sont des Comoriens non mahorais alors qu’ils représentent officiellement 33 % de la population (il est cependant probable que cette estimation ne recense pas la totalité des Comoriens en situation irrégulière) et 52 % sont des Mahorais, alors qu’ils représentent 60,1 % de la population. On note que 16,1 % des consultants sont des expatriés, alors qu’ils ne représentent que 7,15 % de la population. Les métropolitains et les étrangers non comoriens consultent donc proportionnellement deux fois plus au centre de santé mentale. On peut formuler plusieurs hypothèses explicatives devant ces chiffres : tout d’abord, les Comoriens ont pour la plupart une vision floue de la psychiatrie occidentale. En revanche, il règne une grande tolérance personnelle et familiale vis-à-vis de la maladie. Elle est certes vécue avec une certaine impuissance liée au manque de moyen, mais aussi avec un certain fatalisme insufflé par la religion : on se doit d’accepter son destin, tel que Dieu nous l’impose. Il faut également tenir compte de la représentation traditionnelle des troubles mentaux avec la notion que rien n’est anodin, les événements du présent étant reliés aux actes passés et pouvant influer sur l’avenir. Tableau 4 Janvier à juin 2004 D’où le recours aux médecines traditionnelles qui correspondent mieux à ce mode de pensée, mais qui ont aussi leurs limites. Par ailleurs, dans les autres îles des Comores, la médecine étant payante, des patients viennent des îles voisines dans le but de bénéficier d’une prise en charge psychiatrique, pour l’instant gratuite. Il peut s’agir aussi bien de troubles de l’humeur ou de troubles anxieux que de psychoses chroniques. Enfin, concernant les expatriés, ils ne cherchent pas, sauf exception, de premier recours d’ordre traditionnel et consultent le psychiatre en première intention, particulièrement pour les métropolitains. Étiologie traditionnelle des troubles Cela concerne plus d’un patient sur dix, ce qui souligne, entre autres, la grande liberté de parole des Comoriens face à ce sujet. Cependant, si le chiffre de 9,5 % inclut les métropolitains, le chiffre de 13 % exclut les malgaches qui, eux, peuvent évoquer ce type d’étiologie. En effet, il ne faut pas non plus sous-estimer la réelle volonté de nombreux patients à ne pas vouloir relier leur problème psychiatrique à des éléments d’ordre culturel. Car l’occidentalisation de la population est une réalité à laquelle Mayotte n’échappe pas : on peut parler ici d’un phénomène d’acculturation lié au contact d’un modèle culturel occidental qui devient dominant, comme le témoigne l’ouverture d’un cinéma à Mayotte en juin 2005. Une des façons d’appréhender la question peut être de demander s’il y a des « djinns » dans la famille, ce qui signifie, y a-t-il des membres de la famille qui ont été possédés par des esprits. La réponse à cette question permet de se faire une première idée de l’implication familiale et personnelle vis-à-vis de ces croyances. Les trois diagnostics les plus fréquents. 1er diagnostic CIM10 2e diagnostic CIM10 3e diagnostic CIM10 Comoriens 1998—2001 Expatriés 1998—2001 Troubles délirants persistants Épisodes dépressifs Troubles mentaux organiques Conduites addictives Schizophrénie — Comoriens 2004 Expatriés 2004 Épisodes dépressifs Épisodes dépressifs Troubles somatoformes Conduites addictives Troubles anxieux autres que phobiques Troubles anxieux autres que phobiques Psychopathologies rencontrées sur l’ı̂le de Mayotte entre 1998 et 2004 D’autres variantes sont aussi possibles. Ainsi, nous avons été amenés à suivre une jeune fille lycéenne mahoraise habillée à l’européenne nous tenant un discours où les croyances étaient reniées et qui a fait devant nous une crise qui comportait tous les éléments d’une crise de possession par un esprit. Cet entre-deux culturel, inclus dans l’entredeux de l’adolescence, est une entité que l’on retrouve fréquemment chez les jeunes Mahorais. Il en résulte des réactions de clivage face à deux mondes représentationnels, chez des adolescents déjà en situation de conflit dans leur famille. Les tentatives de suicide Les tentatives de suicide sont certainement sous-estimées : les patients, arrivant le plus souvent par les urgences, ne peuvent pas tous être vus secondairement, et ce, en raison de l’effectif médical insuffisant dans le centre. Cependant, ce recours à la tentative de suicide semble quand même beaucoup moins fréquent que dans nos sociétés occidentales. En métropole, les tentatives de suicide sont estimées à 160 000 par an, soit une tentative de suicide par an pour 375 habitants, alors que, dans cette étude, on dénombre à Mayotte une tentative de suicide pour 2504 habitants (moyenne des données du paragraphe « tentatives de suicide »). À titre d’exemple, les deux décès par suicide qui nous ont été rapportés, pendant la période novembre 2004 à fin juin 2005, concernaient des personnes originaires de la métropole. Le lien familial, avec un mode de vie communautaire, et la religion, avec le sentiment très présent que tous les événements de la vie dépendent de Dieu, peuvent apporter un début d’explication à ces chiffres. Plusieurs études ont montré que les taux de suicide les plus bas de la planète se situaient dans les pays sub-sahariens et que, d’un point de vue culturel, ces taux étaient plus faibles dans les pays à forte tradition musulmane [17]. 129 Comoriens (15,8 % contre 5,5 % en additionnant les deux séries). Ces chiffres peuvent s’expliquer par l’expatriation et la religion. L’expatriation dans un milieu où nos propres repères culturels sont absents entraîne plus fréquemment des crises identitaires avec repli de la personne, pouvant conduire à un alcoolisme chronique ou de la toxicomanie. Concernant les Comoriens, l’interdit culturel lié à la religion musulmane joue ici un rôle important. En revanche, la consommation de marijuana, appelée ici banghé chez les jeunes Comoriens, explique en grande partie les chiffres retrouvés dans cette population. Chez les populations expatriées d’origine métropolitaine, l’alcoolisme chronique est très présent et la prise en charge au long cours de ces patients pose un véritable problème. Un début de suivi est possible sur place. Mais concernant le sevrage alcoolique qui s’effectue sur l’île de la Réunion, le plus souvent, la couverture sociale ne permet pas de prendre en charge le billet d’avion, et ces dossiers ne sont pas non plus considérés comme relevant d’une évacuation sanitaire. Ces situations mènent le thérapeute et le patient dans une impasse. Les troubles spécifiques de la personnalité La prévalence est faible, car un trouble spécifique de la personnalité selon la CIM 10 nécessite de bien connaître le patient et ses antécédents. On dénombre dans cette étude plus de personnalités pathologiques retrouvées chez les expatriés (5,85 %) que chez les Comoriens (3,85 %). Cependant des biais de compréhensions liés à la première série peuvent être évoqués, ces chiffres s’équilibrant dans la deuxième série (2,7 % contre 2,6 %). Concernant les troubles de la personnalité de type histrionique, on retrouve aussi peu de différences : 1,98 % chez les expatriés, contre 1,8 % chez les Comoriens. Les diagnostics Les pathologies déficitaires et les troubles du développement Dans les deux populations, ce chiffre baisse considérablement entre les deux séries. Ces chiffres sont toujours plus bas chez les patients expatriés. En effet, il est rare de voir une famille ayant un enfant avec un retard mental important, choisir de venir à Mayotte, où la prise en charge et le suivi de ces pathologies restent très insuffisants. Concernant le dépistage des pathologies lourdes regroupées ici, type épilepsie sévère, débilité légère et profonde, d’origine génétique, ou congénitale le plus souvent, mais aussi les psychoses infantiles, il est logique que les premières missions psychiatriques aient été plus confrontées à ce type de demande de prise en charge. Nous en profitons pour citer l’association « Toioussi » qui s’est spécialisée dans la prise en charge de ce type d’enfants, mais qui ne dispose pas de moyens suffisants pour pouvoir répondre à la demande. L’absence de neurologue sur l’île, ainsi que la présence d’un unique électroencéphalogramme, dont l’utilisation est réservée aux nourrissons et aux enfants, sont également à souligner. Les conduites addictives On note trois fois plus de conduites addictives chez les métropolitains et les étrangers non comoriens que chez les Les troubles anxieux et somatoformes Ce type de pathologies, contrairement aux pathologies chroniques très invalidantes et faciles à repérer, est en Évacuations sanitaires On note une très nette diminution des évacuations sanitaires psychiatriques sur la Réunion qui passent de 17 par an à trois par an entre 2001 et 2004. Il n’y a pas d’unité d’hospitalisation psychiatrique à Mayotte et il existe seulement deux chambres d’isolement pouvant accueillir, pour une durée courte, les patients en période d’agitation ou de risque suicidaire majeur. Une est située sur « Petite terre » et l’autre sur « Grande terre ». Elles sont toutes deux annexées au service de médecine. Cette baisse est l’aboutissement d’une politique de santé mentale qui privilégie une action en aval, dans les dispensaires ou à domicile, en étroite collaboration avec les familles, de manière à éviter autant que possible les hospitalisations au long cours. 130 augmentation dans la deuxième série. Il s’agit, dans les deux séries, des pathologies les plus souvent rencontrées chez les Comoriens. Ainsi, nous retrouvons plus de troubles somatoformes chez les Comoriens (10,18 % contre 4,45 % chez les expatriés). En d’autres termes, il y a plus de manifestations à expression somatique chez les Comoriens, ce qui peut être lié à une implication plus forte du corps dans les situations de malaise psychologique. La dépression Si l’on peut dire que, statistiquement, les pathologies dominantes dans cette étude (après regroupement des deux séries) sont les pathologies en rapport avec la dépression chez les expatriés, et celles en rapport avec les troubles anxieux et somatoformes chez les Comoriens, on ne doit pas s’arrêter là. L’item « épisode dépressif » est le plus fréquent dans les deux populations de la deuxième série. Il ne faut donc pas sous-estimer la dépression chez les Comoriens. Et d’autre part, en tenant compte du filtre culturel, on pourrait envisager qu’un même mal de vivre ait une expression différente. D’un côté, chez les Comoriens, les idées de suicide, contraires à la religion, se retrouvent plus rarement et l’idée de tristesse, l’expression de sentiments, sont parfois difficiles à mettre en évidence. Les peurs plus concrètes, en rapport avec le réel ou avec l’idée d’être la victime d’un sort ou d’une possession, sont, elles, mieux exprimées. Ce sont les signes somatiques de la dépression (troubles du sommeil et de l’appétit, baisse de la libido) qui orientent ici le médecin. Chez les métropolitains, on a souvent la tendance inverse qui est de tout ramener à la dépression. Les patients se disent eux-mêmes dépressifs, alors qu’il s’agit parfois de réactions de tristesse adaptées et transitoires face à des difficultés de vie bien réelles telles que, par exemple, la perte d’un proche ou une rupture amoureuse. Les épisodes psychotiques aigus Il apparaît nettement que la série de 2004 a moins été confrontée à ce type de pathologie. Là encore, la première série concernait une population ne bénéficiant d’aucun suivi psychiatrique auparavant. Les chiffres sont légèrement plus élevés dans les deux séries chez les Comoriens. Malgré l’expérience de l’équipe, il est parfois extrêmement difficile de différencier en phase aiguë un épisode psychotique classique tel que la bouffée délirante aiguë d’avec une possession par un esprit, ou une pathologie anxieuse ou dépressive associée à des éléments culturels [3]. N’oublions pas non plus que les populations expatriées ne constituent pas un échantillon comparable à une population vivant en métropole. La moitié [11] exerce une activité professionnelle qualifiée dans la fonction publique, voire des entreprises privées, où une bonne stabilité psychologique joue un rôle dans le recrutement. Les épisodes psychotiques chroniques Les psychotiques chroniques sont plus nombreux chez les Comoriens car les expatriés présents à Mayotte le sont en C. Charbonnier et al. général dans le cadre d’une activité professionnelle. Bien que pouvant présenter des épisodes psychotiques aigus, il est quand même plus rare de rencontrer un psychotique chronique venant de métropole à Mayotte. Concernant les chiffres de la première série qui sont plus élevés, on se place encore une fois dans le cadre de l’évaluation et de la prise en charge de situations psychiatriques jusqu’alors délaissées. L’absence de diagnostic psychiatrique L’absence de diagnostic psychiatrique est plus élevée dans les populations comoriennes. Cela peut être lié à une connaissance moindre dans ces populations de ce qu’est la psychiatrie et du type d’aide qu’elle peut apporter. En pratique, il s’agit de patients qui, à l’issue de la consultation, et en accord avec le médecin, ne souhaitent ni un traitement, ni un suivi en psychothérapie. Ces personnes viennent déposer une parole pour être rassurées, plus que par volonté d’un suivi psychologique ou psychiatrique. Conclusion Loin de s’écarter de la démarche ethnologique qui veut qu’avant d’être attesté, un élément soit confirmé par un maximum de sources convergentes, cette étude, bien que contenant des biais qui ont été évoqués, nous a permis, par l’intermédiaire d’un outil statistique simple, rétrospectif et descriptif, et sur un nombre conséquent de données, de pouvoir confirmer des impressions perçues sur le terrain. Elle ouvre aussi la voie pour des études ultérieures. Les chiffres obtenus soulignent les progrès faits en l’espace de deux ans et quatre mois, tout en pointant les manques les plus urgents. Ainsi, la prise en charge des psychotiques chroniques a permis, outre la baisse des évacuations sanitaires, d’améliorer la qualité de vie de ces patients, jusqu’alors souvent laissés à l’abandon ou enfermés dans des conditions inhumaines. En revanche, l’absence d’une prise en charge pédopsychiatrique spécifique, pour une population de consultants dont plus d’un tiers a aujourd’hui entre zéro et vingt ans, est un réel problème de santé publique : il faudra tout faire pour corriger ce manque dans les années à venir. Concernant les urgences, un centre de crise pourrait constituer une alternative à un hôpital psychiatrique, qui excluerait le rôle thérapeutique du lien familial [1]. Mais si l’exploitation de ces données objectives a confirmé des notions pressenties dans la pratique quotidienne de la psychiatrie à Mayotte, celle-ci passe avant tout par l’acceptation de la pratique psychiatrique par les populations locales, en complément d’une prise en charge traditionnelle, voire parfois en collaboration avec cette prise en charge. C’est pourquoi cet exercice reste intimement lié à un contexte démographique, politique et social, mais aussi à des facteurs culturels qui, loin de devoir être niés, doivent être connus, respectés et intégrés pour les équipes travaillant sur place. Enfin, et à plus long terme, pouvoir instaurer ce type de prise en charge dans les autres îles des Comores et Madagascar reste un des objectifs du service de santé mentale de Mayotte. Psychopathologies rencontrées sur l’ı̂le de Mayotte entre 1998 et 2004 Références [1] Airault R. Mayotte, terre d’asile sans asile. Regard sur Mayotte, 33—34, 243—254, Paris, INALCO : Études Océan Indien ; 2002. [2] Aouattah A. Ethnopsychiatrie maghrébine. In: Représentation et thérapies traditionnelles de la maladie au Maroc. Paris: L’harmattan; 2001. [3] Baubet T, Moro MR. Psychiatrie et migrations. Congrès de psychiatrie et de neurologie de langue française. Rapport de psychiatrie, Paris : Masson ; 2003. [4] Benoist J. Anthropologie en société créole. Paris: PUF; 1993. [5] Blanchy-Daurel S. La vie quotidienne à Mayotte. Paris: L’harmattan; 1990. [6] Bouffart-Klein S. Les «madjini » à Mayotte. Regard sur Mayotte, no 33—34, pp 221—242, Paris, INALCO : Études Océan Indien ; 2002. [7] CIM-10/ICD-10. Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement (traduction coordonnée par PULL CB), Paris : Masson ; 1993. [8] Fassin D. Le corps. anthropologie et folie. Cah Int Sociol 1984;77. [9] Hampaté Bâ A. Vie et enseignement de Tierno Bokar. In: Le sage de Bandiagara. Paris: Seuil; 1980. [10] Herzig H. Teaching psychiatry in poor countries: Priorities and needs. Educ Health: Change in learning and practice 2003;16(1). 131 [11] INSEE Mayotte. Tableau économique de Mayotte. Collectivité départementale de Mayotte, Mamoudzou : INSEE, 2003. [12] Jaffré Y, Olivier de Sardan JP. La construction sociale des maladies. Les entités nosologiques populaires en Afrique de l’ouest. Paris: PUF; 1999, pp 41—68. [13] Lambek M. Human spirits: a cultural account of transe in Mayotte. Cambridge University Press; 1980. [14] Lartigau-Roussin C. Les représentations de la maladie et les recours thérapeutiques à Mayotte, mémoire de DEA méthodologie et techniques nouvelles en sciences humaines et sociales, Besançon, 2003. [15] Odejide AO, Oyewunmi LK, Ohaeri JU. Psychiatry in Africa: an overwiew. Am J Psychiatry 1989;146(6):708—16. [16] Reverzy JF, Mauvisseau. Psy 97.6. Rapport de la mission d’évaluation psychiatrique à Mayotte, la Réunion, Direction des affaires sanitaires et sociales, 1993. [17] Reza A, Mercy JA, Krug E. Epidemiology of violent deaths in the world. Inj Prev 2001;7:104—11. [18] Tchetche G. Psychiatrie en Afrique noire et contexte socioculturel. Paris: L’harmattan; 1998. [19] Wessels WH. The traditionnal healer and psychiatry. Aust N Z J 1985;19(3):283—6. [20] Zimmermann F. Généalogie des médecines douces. Paris: PUF; 1995.