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Psychopathologies rencontr´
ees sur l’ˆ
ıle de Mayotte entre 1998 et 2004 125
prend tout problème, physique, mental ou familial, dans
son ensemble et se concentre sur l’origine extérieure de
ce désordre [2]. Cette origine peut être liée à Dieu, aux
sorts, aux esprits ou au mauvais œil, la jalousie collective
engendrant le mal [14].
Le parcours thérapeutique est alors jalonné par diffé-
rents thérapeutes traditionnels, appelés fundis «ceux qui
savent »en shimaoré.Lefundi mwalimu (maître guérisseur)
identifie l’origine du mal. S’il s’agit d’une maladie de Dieu,
inscrite dans le parcours de vie, il donnera un traitement
pour les symptômes à base de plantes et amènera parfois
les patients à consulter la médecine occidentale. S’il pense
qu’il s’agit du mauvais œil, ou d’un mauvais sort jeté sur
la personne, il conseillera de consulter un fundi wa shioni
(maître coranique) qui soigne avec des sourates, élaborera
des amulettes et des contre sorts afin de stopper le mal.
Dans le cas d’une possession, il orientera plutôt vers un fundi
wa djini (maître des esprits) qui déterminera l’origine de
l’esprit en question et proposera des cérémonies à effectuer
pour faire alliance avec l’esprit (adorcisme) ou éventuel-
lement le faire sortir du corps du malade (exorcisme)
[6].
De cette présentation très schématique, il faut ainsi gar-
der à l’esprit qu’un tiers des femmes adultes sont un jour
ou l’autre considérées comme possédées à Mayotte [5].
La médecine occidentale à Mayotte
La densité médicale était de 56 médecins pour 100 000 habi-
tants en 2002, contre 154 à la Réunion et 202 en métropole
[11]. Il y a deux hôpitaux à Mayotte, auquel on peut ajouter
l’ouverture d’un hôpital sud en mai 2005. Ilyaunscanner,
pas d’IRM et certaines spécialités telles que la neurologie
ne sont pas présentes sur l’île. Par ailleurs, un réseau de 19
dispensaires et 13 maternités, sous la responsabilité d’un ou
plusieurs médecins généralistes, est réparti dans l’île.
Mayotte et la psychiatrie
Les prémisses
Il faudra attendre 1984 pour voir la première mission psy-
chiatrique venant de la Réunion poser le pied à Mayotte.
Cette mission de quinze jours, composée de deux psy-
chiatres, une psychologue et un infirmier, concluait dans une
note succincte qu’il fallait redouter la création d’une unité
de type non traditionnelle de prise en charge de la santé
mentale à Mayotte.
Il en ressortait une volonté de considérer les pratiques
traditionnelles à part entière dans la prise en charge psy-
chiatrique, ce qui est effectivement nécessaire, mais non
suffisant dans un cadre plus général de santé publique.
En 1993, sous l’impulsion des Dr Reverzy et Mauvisseau,
est rédigé un rapport de mission de 360 pages faisant suite
à une mission psychiatrique de quinze jours à Mayotte [16].
Les conclusions de ce rapport envisagent, cette fois, la
création d’un dispositif de santé mentale publique conc¸u
avec les logiques étiologiques et thérapeutiques de la
culture mahoraise, communautaire, pluridisciplinaire, en
articulation cohérente avec les tradipraticiens.En 1995, le
Dr Ramlati, médecin généraliste mahoraise ayant fait un
stage de psychiatrie à Saint-Paul sur l’île de la Réunion, est
affectée à la prise en charge des patients psychiatriques
de l’île. Devant l’ampleur de la tâche et le manque de
moyens, elle démissionne en 1997. Par la suite, elle par-
ticipera à une certaine médiatisation de l’enfermement
des patients psychiatriques via ,entre autres, un reportage
télévisé diffusé sur la chaîne locale. Cela influera sur la
décision politique de création d’une structure psychiatrique
locale.
Cette problématique de maltraitance des patients
psychiatriques était déjà pointée par le rapport cité
précédemment, insistant sur la persistance de conduites
archaïques d’exclusion et d’enfermement à domicile. Elle
représente aujourd’hui un phénomène marginal à Mayotte
[14,16], mais encore très courant dans les autres îles des
Comores.
Entre 1997 et 1998, trois missions ont été effectuées.
La constitution de dossiers médicaux contenant des obser-
vations psychiatriques est alors mise en place. La première
série de la présente étude débute à partir de ces données.
La mise en place d’un centre psychiatrique à Mayotte
C’est en septembre 2001 que le Dr Airault, psychiatre pra-
ticien hospitalier, est recruté comme chef de service pour
organiser une politique de santé mentale cohérente sur l’île.
Très rapidement, une équipe se met en place. Tout d’abord,
un Mahorais est engagé comme traducteur en novembre de
la même année, suivi en janvier 2002, d’une psychologue,
d’une infirmière et d’une secrétaire. En juin 2002, le centre
de santé mentale s’installe dans ses locaux actuels, rue du
Commerce, au centre de Mamoudzou, en dehors des murs
de l’hôpital général. Un Shidjabou, cérémonie de protec-
tion musulmane, y est effectué le 22 septembre 2002 par
quatre religieux. L’équipe s’étoffe encore avec l’arrivée
d’un deuxième médecin sur un poste d’assistant en août
2002, puis de deux infirmières, ainsi que deux traductrices
supplémentaires en juillet 2003. En octobre de la même
année, un deuxième psychologue est recruté. En novembre
2004, le premier interne vient renforcer cet effectif, alors
composé de trois postes de médecin, deux praticiens hospi-
taliers et un assistant.
L’organisation de la santé mentale
Dès le début, l’accent est mis sur la constitution d’un réseau
avec la création de consultations de liaison psychiatrique
dans les hôpitaux de Mamoudzou, où se trouve aujourd’hui
le centre de santé mentale et de Dzaoudzi sur Petite terre.
Par la suite, des visites hebdomadaires de détenus à la
maison d’arrêt de Majicavo s’organisent. À cela s’ajoutent
des consultations dans les dispensaires et des visites à
domicile, afin de faire le point avec les médecins généra-
listes sur les patients psychiatriques les plus lourds, dans
le but de prévenir les rechutes. De manière plus générale,
l’existence de soins psychiatriques gratuits au sein d’une
structure sociale africaine n’est pas une chose très com-
mune, car comme dans tous les pays pauvres, on privilégie
souvent les soins dits primaires dans les sociétés africaines
[10].
Le lien avec les structures traditionnelles existantes [4]
Nous ne ferons ici qu’effleurer cette question récurrente
à tous les ouvrages traitant d’ethnologie et de médecine.