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prégastrique évoluer, guérir, par l’incision, et la péritonite ne survenir que dans une deuxième crise,
plusieurs mois après (Mondor 1949 : 225) ».
Un autre cas d’appropriation du patient par le médecin est l’éponymie : la maladie d’Alzheimer, le
bacille de Koch, le sarcome de Kaposi, la maladie de Parkinson… Tous des médecins qui volent aux
patients la « paternité » de leur pathologie et qui, dans un nombre non négligeable de cas, ne peuvent pas
même revendiquer la paternité de leur guérison.
La communication médicale vise indubitablement des créneaux, des crédits de recherche, des
débouchés ; elle est autant orientée vers un positionnement dans la communauté scientifique que par la
seule volonté de faire progresser la discipline. La soif de notoriété, le statut universitaire, la reconnaissance
des pairs, autant d’alibis qui poussent le spécialiste à se revendiquer de son propre mouvement, à chercher
tantôt un père spirituel, tantôt des disciples, afin de créer une école de pensée ou du moins y appartenir. La
médecine, c’est aussi cela : une lutte d’influences et de pouvoir. À cet égard, la terminologie joue un rôle
capital, car elle symbolise et labellise la notion dans la société (Balliu 2005 : 1-19).
C’est plutôt le mot, voire le nom dans le cas de l’éponymie, associé à une découverte ou à une avancée
qui marque les esprits que le progrès en lui-même. Voici un exemple que je tire du merveilleux
Diagnostics urgents-Abdomen
d’Henri Mondor, qui fut pendant de longues années professeur de clinique
chirurgicale à la Salpêtrière. À propos de la douleur caractéristique des ulcères perforés, il écrivit ceci :
« La douleur abdominale, soudaine, atroce, angoissante,
le coup de poignard péritonéal de Dieulafoy
,
est le premier symptôme de la perforation »
(1949 : 194).
On remarquera le cousinage intellectuel fascinant de la terminologie éponymique et de sa définition à
l’aide de simples mots.
Le summum de l’appropriation se retrouve dans les génitifs d’appartenance, souvent dérivés des
génitifs saxons, comme dans la
listériose
(
Lister’s disease
), du nom du médecin anglais Joseph Lister,
professeur à King’s College à Londres. Rien de scientifique dans tout cela et une paternité parfois toute
relative, dans le sens où l’éponyme peut changer selon le pays.
Chose curieuse, le nom du découvreur de la maladie (ou de son guérisseur) peut en effet varier selon les
pays et la maladie, la même, porter des noms différents selon les latitudes. C’est ainsi que le goitre
exophtalmique hyperthyroïdien se dénomme
Graves’disease
dans les pays anglo-saxons, en l’honneur de
l’interniste irlandais Robert James Graves, alors qu’en Allemagne cette même maladie s’appelle
Basedow
Krankheit
, d’après le médecin allemand Karl Adolf von Basedow. En Italie, la même maladie est
dénommée
malattia di Flajani
, en hommage au médecin italien Giuseppe Flajani. En France, pays resté en
marge de cette dispute d’appartenance, l’affection porte généralement le nom de
maladie de Basedow-
Graves
(Navarro 1997 : 10).
Ce phénomène n’est pas linguistique. Sa matérialisation dans le discours est symptomatique du vécu
quotidien du praticien, lequel doit affronter la méfiance et l’opposition de ses confrères, lorsque lui-même
ne les leur fait pas subir. Plus la notoriété est en jeu, plus l’attitude scientifique semble devoir s’effacer au
profit de la position dans la société. Pour le dire autrement, l’effet d’annonce l’emporte sur l’annonce des
faits. À titre d’anecdote, je raconterai l’effervescence médicale qui entoura la mort de Léon Gambetta
(décédé d’appendicite rétro-cæcale non diagnostiquée) et qui n’est pas sans rappeler les savoureuses mises
en scène de la Faculté par Molière. Autour de l’illustre patient se trouvaient de non moins célèbres
praticiens : Charcot, Siredey, Verneuil et Lannelongue. L’épisode se passe en 1882 et voici ce que
consigne Lannelongue dans ses
Cliniques chirurgicales
de 1905 :
« Une opération aurait-elle sauvé le malade ? je ne saurais le dire, mais on devait et il fallait la
pratiquer. Ma conviction, là-dessus, était si profonde et si absolue que je tentai, en dehors du moment de
nos consultations, plusieurs démarches auprès de Charcot, de Verneuil, de Trélat pour les y déterminer. Je
croyais l’opération si nécessaire et si urgente que j’avais porté sur le malade, dès le 22 décembre, un
pronostic fatal, si on ne l’entreprenait pas… Mes propositions furent rejetées… À partir de ce moment, on
cessa de m’accorder autour de Gambetta la confiance dont j’avais joui jusqu’alors… » (1905 : 33)