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Francfort-sur-l’Oder. Mais son mérite ne tardait pas à lui valoir partout un avancement rapide, de sorte
qu’en 1828, il était nommé à un emploi qui devait lui faciliter l’étude des grandes conceptions
militaires : il était appelé au département topographique du grand état-major général. En 1832, il
prenait dans ce corps une place qu’il devait garder en l’agrandissant tous les jours.
Ces progrès étaient d’autant plus remarquables qu’à cette époque, par suite de la longue paix,
du grand nombre des officiers, et de l’organisation militaire, l’avancement était d’une lenteur extrême.
Tout en passant par les diverses fonctions que nous avons indiquées, de Moltke n’avait encore que le
grade de lieutenant, où il fut maintenu pendant douze ans.
En 1835, il obtint un long congé, dont il passa la plus grande partie en Orient. Il reçut de son
gouvernement l’autorisation de prendre du service dans l’armée ottomane. À cette époque, Méhémet-
Ali avait déjà mis à exécution une partie de ses projets ; il voulait n’avoir vis-à-vis du sultan qu’une
dépendance nominale, et lui qui était d’une naissance infime, rêvait de fonder une dynastie. La Porte
avait répondu à ses propositions en le traitant comme un sujet révolté et en envoyant contre lui une
armée. Mais elle l’avait trouvé prêt à lui tenir tête. Il avait lui aussi son armée, dont il avait confié
l’organisation à des officiers français.
Le sultan, qui appréciait beaucoup les talents supérieurs de de Moltke, lui avait donné le
commandement de l’artillerie dans le corps envoyé contre Méhémet-Ali. Ce dernier, sachant à quoi
s’en tenir sur la désorganisation militaire et financière de la Turquie, avait hardiment envahi la Syrie,
et y attendait le choc des Turcs, au nombre de soixante-dix mille hommes, commandés par Hafiz-
Pacha. Les mollahs ou prêtres musulmans qui avaient suivi le général turc insistaient auprès de lui
pour qu’il livrât bataille immédiatement ; de Moltke eut beau représenter que l’état moral, le nombre
des troupes les rendaient inférieures à celles de Méhémet-Ali, il ne fut pas écouté : le combat
s’engagea le 22 avril et se termina le 24 par la déroute complète des Turcs. Le général qui les vainquit
était un Français. Comme de Moltke avait conseillé de battre rapidement en retraite, il était évident
que, quelque fût son talent, et lors même qu’il aurait eu le commandement en chef et sans contrôle
dans cette journée, il eût dû céder à la supériorité de l’armée commandée par l’officier français. Aussi
la carrière du grand tacticien, du grand stratégiste, du grand organisateur commençait par une défaite,
et la France pouvait à bon droit s’attribuer la victoire de Nedjib.
De Moltke s’empressa de renoncer à une situation qui lui avait valu ce fâcheux début, et
retourna à Constantinople, au moment même où le sultan Mahmoud II rendait le dernier soupir,
laissant le gouvernement entre les faibles mains d’un adolescent, Abdul-Medjid, âgé de seize ans.
Après la victoire de Nedjib, l’amiral turc ou capoudan-pacha avait capitulé devant la flotte de
Méhémet-Ali, et l’ambitieux parvenu était en mesure d’attaquer Constantinople par terre et par mer. Il
fut arrêté soudain par les représentations des grandes puissances, qui ne voulaient ni la guérison ni la
mort de l’homme malade, comme on a facétieusement désigné l’empire ottoman. Ce fut surtout la
crainte de voir la Russie intervenir en faveur du sultan, qui décida les puissances. Elles redoutaient que
la Russie ne fit payer son intervention par de vastes cessions territoriales et par une mise en tutelle et
indéfinie du sultan. La paix fut faite entre celui-ci et le vice-roi.
De Moltke retourna à Berlin, où il reprit ses fonctions dans le grand état-major ; les services
qu’il avait rendus à la Porte furent récompensés par la Prusse qui donna au jeune officier, alors
capitaine, la décoration du Mérite. L’année suivante, 1840, il fut envoyé à l’état-major du 4ecorps
d’armée, dont le centre était Magdebourg. Un congé qu’il obtint lui permit de rendre visite à sa sœur,
qui le fiança. Le mariage fut retardé par le service de de Moltke jusqu’en 1845, époque où il fut
nommé adjudant et désigné pour accompagner en Italie le prince Henri, oncle du roi. Ce personnage
était d’une santé très faible, qui lui interdisait toute participation à la vie publique et aux fonctions
militaires, de sorte que la mission de de Moltke était une sinécure qui lui laissait tous les loisirs
nécessaires pour ses études, ses voyages et ses distractions. Il emmena sa femme et passa deux ans à
Rome. La mort du prince, arrivée en 1847, mit fin à cette mission, et détermina le rappel de de Moltke,
qui fut envoyé comme chef de l’état-major de la huitième division, établie à Coblentz. Il y resta
jusqu’en 1856, où il fit un voyage en Russie, avec le prince royal. Ce fut pendant cette partie de sa vie
qu’il écrivit à sa femme ces lettres dont la publication fut un événement et un succès. Continuant à
suivre le prince royal, il assista aux fiançailles de Frédéric avec une des filles de la reine Victoria ;
cette cérémonie eut lieu à Balmoral. De Moltke visita d’ailleurs plusieurs fois l’Angleterre.
Jusqu’à présent nous avons toujours vu de Moltke dans une fonction subalterne, très favorable
sans doute pour l'étude, mais où toute initiative lui était interdite. Désormais son rôle va prendre une