— Surtout, promoteur sur le plan politique d’un « nationalisme impérial » s’opposant à l’éclatement de la
nation allemande, il constitue l’une des premières sources de ce qui deviendra au siècle suivant un
mouvement national des intellectuels en faveur de l’unification allemande.
1.2 — La rivalité culturelle russo-autrichienne
— La rivalité entre Berlin et Vienne, qui est à la fois politique et économique, se manifeste aussi sur le plan
artistique, symbole évocateur de l’importance prise par les choses de l’art et de l’esprit au XVIIIe siècle, car à
partir de l’Aufklarüng, la puissance des canons ne suffit plus pour faire d’un État une grande puissance et
susciter le respect des voisins.
— En Prusse, le roi lui-même donnait l’exemple, Frédéric II se piquant lui-même de philosophie, si bien
qu’avant sa rupture avec Voltaire, toute l’Europe cultivée chantait les louanges du roi-philosophe, protecteur
des arts et des sciences. Même après la guerre de Sept Ans qui fit tant pour ternir sa réputation, Frédéric
continua à correspondre avec d’Alembert ou d’Holbach.
— Si Frédéric ne peignait pas, il s’employa à réunir, à l’image de Catherine II de Russie, une
impressionnante collection de chefs-d’œuvre européens, incluant des toiles de Vinci et de Rubens, de même
qu’à subventionner par ses commandes des peintres (des portraitistes, en particulier, comme le Français
Antoine Pesne) de toute l’Europe.
— Flutiste pourvu d’un certain talent, Frédéric composa quelques pièces (sonates et concertos), qu’il
interprétait au sein du petit orchestre de chambre qu’il avait constitué. Il s’attacha en outre les services de
Carl-Emmanuel Bach, à défaut de pouvoir attirer le père, qui poursuivait sa carrière à Leipzig, en Saxe et fit
construire un opéra royal à Berlin dès 1742.
— L’architecture ne fut bien sûr pas en reste et si le palais de Sansoussi de Potsdam ne peut évidemment pas
rivaliser avec le luxe de Versailles, son parc de 300 hectares, soigneusement aménagé peut rivaliser avec les
grands parcs d’Europe de l’époque, comme Petrodvorets près de Saint-Péterbourg.
— S’il préférait Potsdam à Berlin, Frédéric consacra néanmoins des moyens importants pour faire de sa
capitale une rivale de Vienne, sans pour autant y parvenir. Si architecturalement parlant, Berlin devint au
cours de son règne une ville moderne, il ne parvint pas à faire en sorte d’attirer dans sa capitale l’élite
culturelle germanique de l’époque
— Car le cœur culturel de la germanité au XVIIIe siècle est sans contredit Vienne. Même si d’autres villes
importantes attirent peintres, auteurs et compositeurs (Munich en Bavière, ou Weimar en Saxe), la capitale
impériale jouit d’un statut particulier, surtout en ce qui concerne la musique.
— Sur la question du développement artistique, Joseph II a fait davantage que sa mère, celle-ci demeurant
plutôt froide devant les « audaces » artistiques de l’époque.
— Christoph Willibald Gluck (1714-1787) est le premier d’une longue série de musiciens et de compositeurs
qui vont parvenir à faire de Vienne en un demi-siècle l’un des principaux centres de création musicale du
monde, même si la capitale habsbourgeoise ne dispose pas de grandes salles de concert à l’époque.
— Ceux qui suivent Gluck n’ont guère besoin de présentation, à commencer par Joseph Haydn (1732-1809),
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), ou encore Ludwig von Beethoven (1770-1827), qui fait au cours de
la période ses premières armes.
— Ces illustres compositeurs, et d’autres encore dont la postérité a moins gardé la trace, donnent naissance
au classicisme viennois, qui se manifeste entre autres dans les opéras de Mozart qui, à côté de ses classiques
en langue italienne, donne à l’opéra allemand ses premiers chefs-d’œuvre, dont l’Enlèvement au sérail, au
thème particulièrement osé pour l’époque, et surtout la Flute enchantée, qui dévoile certains secrets de la
Franc-maçonnerie.
— Même si Prusse et Autriche concentrent par leurs richesses et leurs attraits l’activité culturelle et créatrice
de la période, il convient de ne pas limiter l’extraordinaire foisonnement artistique que connaissent les terres
germaniques du XVIIIe siècle à ces deux grands phares. Car les conditions économiques et sociales qui vont
favoriser, par le mécénat, le développement des arts dans les deux principales puissances du monde allemand
existent aussi dans de nombreux autres centres de moindre importance.
— Parmi les autres centres culturels importants, il convient aussi de souligner la ville de Weimar, lieu de
prédilection de Goethe et l’une des nombreuses villes où Bach a officié en tant qu’organiste, sans oublier bien
sûr la Bavière et sa flamboyante capitale, Munich.