Sortir de
l’euro à tout prix ?
Des idées à
l’épreuve de
l’histoire
que pour mettre un terme à la spéculation et à la fuite des capitaux. D’ailleurs, ce n’est pas ce
canal qui stimulera la production : la Grande-Bretagne connaît certes une réduction de son
déficit commercial en 1932, mais celui-ci est essentiellement dû à la chute des importations. La
raison est assez simple : les stratégies de dévaluation compétitives, souvent couplées avec des
mesures protectionnistes, finissent par s’annuler. L’effet sur la croissance et l’emploi a donc été
principalement dû, comme le souligne Barry Eichengreen, à la politique de reflation qu’elle a
permise en libérant l’instrument monétaire4 de la contrainte qui pesait sur lui. Mais pour qu’il
soit pleinement utilisé, les pays ne devaient craindre ni tensions inflationnistes, ni chute du taux
de change, ni déstabilisation financière.
Les deux cas polaires sont alors celui du Royaume-Uni et de l’Allemagne. En septembre 1931, la
Banque d’Angleterre renonce à défendre la convertibilité-or et laisse la livre se déprécier de 30 %.
À partir de 1932, les taux de croissance du PIB réel renouent avec un niveau très supérieur à
celui des années de crise qui avaient suivi le krach de 1929 : 4 % en moyenne entre 1932 et 1937.
Ce boom est essentiellement soutenu par sa politique de « cheap money », et non par les effets
induits sur la balance commerciale, qui seront limités et de courte durée5. Les mouvements de
taux de change n’ont d’importance ni financière (l’Angleterre est endettée dans sa propre monnaie,
instrument de réserve international), ni commerciale (la majorité de ses partenaires la suit dans
la dévaluation et la constitution d’un « bloc sterling »). Non seulement elle ne subira pas de
représailles de la part des marchés financiers (qui ont confiance dans sa « bonne gestion » et ne
peuvent tout simplement pas se passer d’elle, étant donné son poids dans l’économie mondiale),
mais elle ne les craignait guère, étant structurellement créditrice vis-à-vis du reste du monde.
Les États-Unis6 suivent une trajectoire quelque peu similaire, où l’investissement domestique
augmente à proportion de la facilitation du crédit obtenue par les entrées d’or à partir de 1933.
Surtout, ils sont à l’époque un pays très peu « ouvert » sur le monde extérieur – les exportations
représentent 3,6 % du PIB américain7.
4. La masse monétaire M1 en circulation chute de 4,37 % pour les pays de l’étalon-or en 1932-33 quand elle
augmente de 3,33 % dans les pays membres de la zone sterling et de 8,13 % pour les autres pays « dévaluateurs »,
comme on peut le lire dans Barry Eichengreen, Golden Fetters: The Gold Standard and the Great Depression, 1919-
1939, New York, Oxford University Press, 1992.
5. Alec Cairncross et Barry Eichengreen, Sterling in Decline: the Devaluations of 1931, 1949 and 1967, Oxford
Basil Blackwell, 1983.
6. Christina Romer, « The Great Crash and the onset of the Great Depression », Quaterly Journal of Economics,
1990.
7. Angus Maddison, L’économie mondiale : une perspective millénaire, éd. OCDE, 2002.
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Note n°5 - Fondation Jean-Jaurès / Observatoire européen - 13 mai 2014 - page 5
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