Beauseroy Delphine
02.02.07
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QUELQUES REMARQUES
SUR LES NOMINALISATIONS
1. INTRODUCTION
Cet exposé porte sur les nominalisations.
Nous montrerons que les nominalisations conservent les propriétés aspectuelles des verbes dont
elles sont issues et que la distinction activité / état au niveau nominal se voit renforcée par un
comportement morphosyntaxique particulier pour chacune de ces catégories.
2. PROPRIETES ASPECTUELLES DES NOMS MORPHOLOGIQUEMENT LIES AUX
VERBES
2.1. Présentation des classes aspectuelles des verbes.
Smith (1991) propose une théorie de l’aspect basée sur deux éléments : elle distingue le
point de vue et le type de situation. La valeur aspectuelle de la phrase est ainsi obtenue
compositionnellement à partir de ces deux éléments.
En ce qui concerne le point de vue, elle distingue le perfectif (on s’intéresse à la situation
dans sa globalité, on voit les bornes initiale et finale), l’imperfectif (on s’intéresse à une étape
intérieure, sans voir les bornes initiale ou finale), et le point de vue neutre (la borne initiale est
incluse, ainsi qu’au moins une étape intérieure). Cela peut être schématisé de la façon suivante :
Point de
vue
Schéma
temporel
Exemple
Perfectif
[I…………….F]
Il régna pendant trente ans.
Imperfectif
I……[…]…….F
L’enfant pleurait.
Neutre
[I…]………….F
Jean chantera quand Marie entrera dans le bureau.
2 interprétations : Jean commencera a chanter quand Marie
entrera (interprétation fermée) / Jean sera en train de chanter
quand Marie entrera (interprétation ouverte).
Le point de vue est marqué par des morphèmes grammaticaux, principalement par les morphèmes
indiquant le temps du verbe.
En ce qui concerne les types de situation, on retrouve dans la théorie de Smith la me
partition que celle proposée par Vendler (1957), à l’exception de l’ajout des semelfactifs, qui se
distinguent des activités par le fait qu’ils sont ponctuels, et des achèvements par le fait qu’ils
n’impliquent pas de changement d’état (ils sont atéliques). Cette partition repose sur un système
de trois traits : statique], duratif] et télique]. Ainsi, Smith, dans la suite de Verkuyl
(1972) qui prenait en compte le caractère statif ou non du verbe ainsi que la spécification ou non
de la quantité de ses arguments, considère les types de situation comme compositionnels et
dérivables à partir du verbe et de ses arguments. Les cinq types de situation qu’elle décrit sont
donc les suivants :
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Situation
Statique
Duratif
Télique
(fin naturelle)
Etat
[+]
[+]
-1
Accomplissement
[-]
[+]
[+]
Activité
[-]
[+]
[-]
Achèvement
[-]
[-]
[+]
Semelfactif
[-]
[-]
[-]
Il faut noter que les informations aspectuelles portent sur la phrase, non pas sur le SV ou le verbe
uniquement. Les exemples suivants en témoignent :
(1) a. Pierre dessine des cercles.
b. Paul dessine deux cercles.
Dans les exemples (1a) et (1b), le verbe utilisé est le même : dessiner. Cependant nous pouvons
constater que suivant le complément auquel il est associé, la valeur aspectuelle va changer. En
effet, (1a) est atélique, il n’y a pas de fin naturelle associée au fait de dessiner des cercles, donc il
s’agit ici d’une activité. En revanche, dans l’exemple (1b), quand Paul aura fini le dessin de deux
cercles, cela marquera la fin naturelle de dessiner deux cercles. (1b) est donc télique, il s’agit
dans ce cas d’un accomplissement. Le contraste de ces deux exemples nous montre d’une part
que le complément joue un rôle non négligeable dans la détermination de la situation, et d’autre
part, que un verbe donné n’est pas significatif/révélateur d’un type de situation. Il faut certes
prendre en compte le verbe, mais également les éléments qui l’entourent.
Le sujet peut également avoir son influence dans l’analyse du type de situation de la phrase.
Considérons l’exemple suivant :
(2) a. Une célèbre star a découvert un endroit féerique.
b. De célèbres stars ont découvert un endroit féerique (depuis des années).
Là encore, la situation est différente entre (2a), qui est télique, et (2b), qui est atélique, bien que le
verbe et son complément soient identiques dans les deux cas. Les interprétations diffèrent. En
(2a), X a découvert un endroit inconnu, ce qui signifie que la découverte a été faite et qu’elle ne
peut plus être faite. Il y a une fin naturelle au fait de découvrir un lieu pour la première fois, car
de ce fait le lieu est considéré comme connu. Dans (2b) l’interprétation n’est plus la même.
Découvrir n’a plus la même signification : l’endroit féerique n’est plus un lieu inconnu de tous,
mais seulement un lieu nouveau pour chacune des stars qui s’y rendent, un lieu elles ne
s’étaient jamais rendue auparavant. Il y a plusieurs découvertes : chaque star fait sa propre
découverte de l’endroit féerique. C’est la pluralité du sujet qui permet de conduire à cette
interprétation. L’ajout d’un SP comme depuis des années rend cette lecture encore plus flagrante.
Notons que (2b) est tout de même ambigu sans le SP car l’interprétation de (2a) peut également
lui être attribuée si les célèbres stars sont ensemble lorsqu’elles font la découverte d’un endroit
inconnu jusqu’alors.
A travers sa théorie de l’aspect, Smith a mis en évidence cinq grandes classes aspectuelles
de verbes : les états, les accomplissements, les activités, les achèvements et les semelfactifs.
Comme nous l’avons montré, un verbe n’est pas automatiquement corrélé à une classe
aspectuelle. C’est le verbe associé à ses arguments qui va entrer dans une classe ou une autre, et
le même verbe pourra ainsi se retrouver dans plusieurs classes différentes.
1 Le trait [± télique] n’est pas pertinent pour les états car ils sont homogènes, ils n’ont pas d’étapes intérieures.
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2.2. L’aspect et le domaine nominal
La question que soulèvent ces classes aspectuelles de verbes et de savoir si ces dernières
se retrouvent au sein du domaine nominal. Est-ce que les noms morphologiquement apparentés à
ces verbes conservent une valeur aspectuelle ? Est-il possible de retrouver l’ensemble de ces cinq
classes après nominalisation ?
2.2.1. Méthodologie
Pour ce faire et tenter de répondre à ces questions, nous allons partir de cinq exemples de
chaque type de situation proposée par Smith, que nous allons transposer dans le domaine nominal
pour obtenir ainsi les syntagmes nominaux qui leur sont corrélés. C’est ensuite à partir de ces
exemples et à partir de tests linguistiques que nous allons essayer d’étudier le comportement de
ces syntagmes.
Situation
Exemple
Syntagme nominal correspondant
Etats
1. Jean connaît l’espagnol.
2. Jean possède une voiture.
3. Paul aime Marie.
4. Paul est fatigué.
5. Marie croit aux fantômes.
1. La connaissance (de l’espagnol) (par
Jean)
2. La possession d’une voiture (par Jean)
3. L’amour (de Paul) (pour Marie)
4. La fatigue (de Paul)
5. La croyance (de Marie) (pour les
fantômes)
Accomplissements
1. Paul dessine un cercle.
2. Max ferme la porte.
3. Marie écrit une lettre.
4. Marie a crée une robe.
5. Paul a construit une cabane.
1. Le dessin d’un cercle (par Paul)
2. La fermeture de la porte (par Max)
3. L’écriture d’une lettre (par Marie)
4. La création d’une robe (par Marie)
5. La construction d’une cabane (par
Paul)
Activités
1. Paul recherche la clef du
garage.
2. Max a planté des fleurs.
3. Marie écrit des lettres.
4. Marie marche.
5. Jean voyage.
1. La recherche (de la clef ) (par Paul)
2. La plantation de fleurs (par Max)
3. L’écriture de lettres (par Marie)
4. La marche
5. Le voyage
Achèvements
1. Paul a perdu sa montre.
2. Une bombe a explosé.
3. Paul a obtenu son permis.
4. Max a découvert un lieu
inconnu.
5. L’assiette s’est cassée.
1. La perte de la montre (par Paul)
2. L’explosion (d’une bombe)
3. L’obtention du permis (par Paul)
4. La découverte (par Max) (d’un lieu
inconnu)
5. La casse de l’assiette
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Semelfactifs
1. L’oiseau bat des ailes.
2. Pierre sursaute.
3. Paul éternue.
4. Marie a giflé Paul.
5. Paul rota.
1. Le battement d’ailes (de l’oiseau)
2. Le sursaut (de Pierre)
3. L’éternuement (de Paul)
4. La gifle (à Paul) (par Marie)
5. Le rot (de Paul)
Dans ce tableau, entre l’exemple d’une situation type et le syntagme nominal correspondant, nous
avons essayé de transposer au mieux l’ensemble des arguments du verbe afin que ceux-ci restent
présent dans l’entourage du nom qui lui est morphologiquement apparenté, c'est-à-dire à
l’intérieur même du syntagme nominal. En effet, dans l’hypothèse le nom conserverait les
propriétés aspectuelles du verbe auquel il est lié, il est légitime de penser que l’influence des
arguments sur le type de situation du verbe (cf. ex 1a-1b) se retrouve sur le plan nominal. C’est
donc pourquoi nous avons essayé de coller au mieux aux exemples donnés. Certes, dans certains
cas, le syntagme nominal paraît relativement lourd, mais il n’est pas pour autant à exclure.
Dans la continuité de cette réflexion, nous avons mis entre parenthèse les constituants facultatifs
du syntagme nominal correspondant aux arguments du verbe apparenté qui ne modifiaient en rien
la valeur aspectuelle du verbe :
(3) a. Marie écrit une lettre.
b. Marie écrit des lettres.
Dans l’exemple (3), le complément du verbe a clairement une répercussion sur la valeur
aspectuelle de chacune des phrases. En (3a), la quantification du complément va borner
temporellement l’événement. En effet, ce dernier débutera au moment me Marie
commence à écrire la lettre, et se terminera au moment même Marie posera le point final.
Ainsi, la fin de l’évènement est naturelle, il s’agit d’un accomplissement. Contrairement à cela, le
complément du verbe dans (3b), des lettres, ne renvoie pas à une quantification précise. Le
nombre de lettres que Marie écrit n’est pas spécifié et Marie pourrait donc écrire continuellement.
Il n’y a pas de bornes temporelles ou spatiales à l’évènement qui pourraient l’amener à une fin
naturelle. (3b) est donc atélique. Il s’agit d’une activité. Le rôle du complément a ici une
influence majeure.
Cette influence n’est pas partagée par le sujet, comme nous le prouvent les exemples (4a-b-c-d) :
(4) a. Une fille écrit une lettre. (Accomplissement)
b. Des enfants écrivent une lettre. (Accomplissement)
c. Une fille écrit des lettres. (Activité)
d. Des enfants écrivent des lettres. (Activité)
Si nous mettons en parallèle (3a) avec (4a-b) et (3b) avec (4c-d), nous pouvons remarquer que ni
la modification de la finitude du syntagme nominal sujet, ni celle du nombre et de la
quantification qui n’est plus spécifiée, n’entraîne une quelconque modification de la valeur
aspectuelle de la phrase. Les exemples (4b) et (4d) sont ambigus, selon que les enfants écrivent
en commun une/des lettre(s) ou que chacun écrivent personnellement une/des lettre(s), mais cette
ambiguïté n’est pas en lien avec une ambiguïté aspectuelle. (4b) est dans tous les cas un
accomplissement, et (4d) une activité.
Ainsi, si nous devions nominaliser le verbe écrire et donner une correspondance nominale aux
exemples en (3a) et (3b), nous aurions respectivement (5a) et (5b):
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(5) a. L’écriture d’une lettre (par Marie)
b. L’écriture de lettres (par Marie)
Dans certains cas, les arguments du verbe n’ont pas pu être restitués. Ce fut le cas pour certaines
activités :
(6) a. Marie marche.
b. ?La marche de Marie
c. Jean voyage.
d. Le voyage de Jean (=Jean a fait un voyage)
Enfin, nous pouvons noter que dans la majorité des cas, l’ordre des constituants du syntagme
nominal est fixe derrière le nom :
(7) a. L’amour de Paul pour Marie
b. *L’amour pour Marie de Paul
alors que dans d’autres cas les constituants peuvent être inversés :
(8) a. La découverte par Max d’un lieu inconnu
b. La découverte d’un lieu inconnu par Max
ambigu : =8a
= La découverte d’un lieu que M ne connaît pas
C’est donc à partir de ces données que nous allons sormais tenter de répondre à la
question que nous nous sommes posée, et qui est, je le rappelle, de chercher à savoir si les classes
aspectuelles établies pour les verbes se retrouvent dans le domaine nominal. Plus précisément, il
s’agit de voir si les nominalisations conservent les mêmes propriétés aspectuelles que les verbes
dont elles rivent. Nous allons pour cela essayer de constituer un ensemble de tests pertinents
pour une éventuelle classification aspectuelle des noms apparentés à ces verbes.
Reprenons le tableau adapté de Dowty (1979) par Marin (2000), et tentons de l’adapter à notre
tour, car seule était prise en compte la distinction Etat-Processus-Evènement :
Critères
Etat
Activité
Accomplissement
Achèvement
Semelfactif
Arriver que V
non
oui
oui
oui
oui
Accepte le progressif
non
oui
oui
non
Interprétation habituelle au
présent
non
oui
oui
oui
oui
Complément d’arrêter
non
oui
oui
non
non
Tests agentifs
non
oui
oui
oui
oui
Pendant x temps
oui
oui
non
non
En/dans x temps
non
non
oui
non
Ambiguïté avec presque
non
non
oui
non
non
Complément de
finir/terminer
non
non
oui
non
Be V-ing implique have V-ed
-
oui
non
-
-
Dans ce tableau, le signe marque le fait que le test est possible, mais seulement dans une
interprétation particulière. En effet, ce signe se retrouve dans le cas des semelfactifs, qui sont des
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